ÉDOUARD FRANCHETTI
Ermitage de la marquise de Pompadour
 

ARISTIDE MARIE

Aristide Marie
La Forêt symboliste

Près du rond-point de l'Obélisque, un haut portique au cintre harmonieux intercepte aux regards le joyau architectural qui fut, sous Louis XV, l'Ermitage de Fontainebleau, dénommé depuis Hôtel de Pompadour. Presque en face, sur l'enceinte du parc royal, se voit encore l'emplacement muré d'une baie qui donnait accès au Bien-Aimé près de la divine marquise.

Accès commode plutôt que secret, alors que nul mystère n'entourait plus une liaison publiquement déclarée. Cet ermitage était, comme celui de Versailles et celui de Compiègne, une de ces retraites sylvestres et bocagères, avant-goût du Petit Trianon, où trompaient leur illusion d'intimité les hôtes lassés des lambris fastueux.

Ermitage
Entrée de l'Ermitage
La Pompadour, si ingénieuse à distraire l'incurable ennui de son royal amant, n'y voyait qu'un agreste rendez-vous de commérages, où se plaisait Louis XV, et l'occasion de lui offrir de temps en temps deux œufs à la coque! (selon Edmond et Jules de Goncourt in Madame de Pompadour). Aussi avait-elle fait installer quatre poulaillers où l'on élevait toutes variétés de poules.

Le pavillon lui-même était un miracle d'élégance et de confort: la distribution, qui n'a pas été modifiée, présentait, au rez-de-chaussée, une salle à manger et un «cabinet d'assemblée»; au premier étage, deux appartements, celui de la Marquise et celui de l'amie de cœur, Mme d'Estrades.

Le jardin, dont le plan fut dressé par l'architecte L'Assurance, était, selon les Mémoires de Luynes, «noble et de toute beauté, avec un parterre de gazon orné des plus rares fleurs, de petits bosquets de chaque côté du pavillon, et, à gauche, une ménagerie qui rendait ce lieu plus agréable encore.»

ermitage
L'Ermitage de Mme de Pompadour
Après des fortunes diverses, l'Ermitage reçut, vers 1910, un hôte d'exception. C'était le baron Édouard Franchetti, poète, auteur et critique dramatique, bibliophile et amateur d'art, du goût le plus raffiné. Descendant des grands verriers qui, installés à Venise, dès le XIVe siècle, avaient plus tard doté la Ville des Eaux de leurs cristallines merveilles, son père avait épousé une fille du baron Anselme de Rothschild, de Vienne; sa tante, Mme Elise Franchetti, était la baronne Vitta. Leur nom côtoie, sur le grand canal, ceux des Foscari et des Mocenigo. Proche l'Académie des Beaux-Arts, où triomphent les Bellini et le Titien, le Palais Franchetti s'ajoure de ses baies aux colonnettes graciles; plus loin, toujours sur le grand canal, Georges Franchetti, frère d'Édouard, fut l'hôte de la somptueuse Casa d'Oro.

palazzo franchetti
Venise Palazzo Franchetti

Ses seules débauches cependant consistent surtout dans sa passion des tableaux et des livres rares. Or cette passion est telle qu'il y épuise son avoir, sans nul souci des créanciers qui tout à l'heure vont assiéger son logis. Sa rente mensuelle s'est volatilisée dès la première quinzaine et il en est parfois réduit, pour gagner l'autre mois, à confectionner lui-même son macaroni.

Mais qu'est cela, en comparaison de la volupté que lui procure, sur le crédit d'un antiquaire ou d'un libraire, l'emplette d'un splendide Watteau, d'un exemplaire du Songe de Polyphile ou d'une reliure aux ors dentelés de Derôme ou de Pasdeloup! Mais, hélas! au prix de quelles rançons! Son dévoué factotum, Biresi, aura pour unique fonction de faire tête à la meute, de parlementer avec les huissiers, de marchander les délais aux référés sur saisie; lui seul peut se reconnaître dans le flot de papier timbré qui journellement déferle à l'appartement du quai d'Anjou.

Mais le patron reste impavide: quand le péril ne comporte plus d'ajournements, Biresi est expédié à Rome pour négocier avec le conseil judiciaire une liquidation de ce passif. Au surplus, pourquoi Franchetti se priverait-il? Il sait bien qu'un jour viendra, - sans que sa piété filiale lui fasse souhaiter cette échéance - où ses plus lourdes dettes seront d'un poids léger dans le prodigieux pactole de l'hoirie maternelle.

C'est dans une accalmie de ces tourmentes financières qu'il a conclu l'acquisition conditionnelle de l'Hôtel Pompadour. Devant ce nouvel objet de sa convoitise, ses autres passions s'effacent. Encore qu'il lui en coûte, il vend sa bibliothèque; il n'est rien qui puisse refréner ce désir qui subjugue son vouloir. A ce Vénitien, dont les yeux se sont ouverts sur le miroir d'émeraude où se reflètent les palais romanesques, l'Ermitage de Fontainebleau s'impose avec ses parterres et ses ombrages, rehaussés de toute la grâce du siècle galant.

Si Venise est un spectacle unique, ce n'est cependant qu'un spectacle, une magie de marbre et de pierre, jaillie du cerveau de l'homme pour un transitoire éblouissement. Il y manque ce qui est le durable enchantement des yeux humains, l'éternelle nature avec sa succession d'hivers et de printemps, de grésils et de fleurs. Le philtre énervant de Venise ne résiste pas à la nostalgie des gazons et des arbres verts.

A peine est-il en possession de ce domaine qu'il s'efforce, à grands frais, d'en restituer l'ancienne parure. Aidé du plan de L'Assurance, qu'il respecte de son mieux, il y ajoute quelques fantaisies de son propre goût. Ainsi brode-t-il les deux pelouses, voisines du pavillon, d'arabesques à l'italienne, orne-t-il un miroir d'eau de tritons en marbre blanc, avec un jeu de treillages losangés, dans le style des parterres «rococo». Sur l'emplacement de la ménagerie, une grande volière reçoit une collecion de paons, qui étalent sur les murs leurs traînes ocellées de saphirs.

Le pavillon est aménagé, selon le goût de l'époque, de consoles et de meubles chantournés, de fauteuils et de divans copiés sur des estampes de Cochin ou de Saint-Aubin. Aux murs du salon, ou « cabinet d'assemblée », excelle un portrait du duc de Penthièvre par Nattier, au milieu de toiles de Paul Potter, de Ruysdaël et de Miéris, dans leurs cadres anciens. Et l'ombre de la suave marquise s'évoque naturellement dans ce milieu, tour à tour ressuscitée dans les brocarts à ramages du pastel de La Tour, ou dans sa robe de taffetas céleste aux nœuds lilas de l'adorable portrait de Boucher, ou encore telle qu'en la gouache de Cochin, étalant les paniers de son travesti d'Acis et Galatée. Et n'est-ce pas elle aussi que nous croyons apercevoir en Belle Jardinière de Vanloo, venant de recueillir la ponte des œufs frais, destinés au goûter de Louis le Bien-Aimé ? Mieux peut-être encore revit-elle, dans la chambre du premier étage, où Franchetti se plaît à occuper son lit, - déesse idéale qu'un songe fait flotter sur un nuage de Boucher, au milieu, d'une cascade de petits amours potelés.

Ermitage
Marquise de Pompadour
Cette installation achevée, il se préoccupe d'y réunir, à l'exclusion de tout commerce mondain, quelques amis susceptibles de communier avec ses goûts. Je fus, avec d'Esparbès, des premiers accueillis. Je vis un gros homme au visage rasé de César romain, un masque d'Auguste sur un abdomen de Vitellius, au parler choisi, sans le moindre accent italien. Il faisait grimper sur son buste corpulent un minuscule pékinois, qu'il appelait Daïmio, et caressait avec des câlineries de petite maîtresse. Il nous fit servir, sur la table de pierre où Louis XV s'asseyait en face de la Marquise, un excellent Cinzano, dont il avait jalousement surveillé le choix. Puis, on passa dans la salle à manger; la même fidélité d'aménagement y était observée. Seules trois peintures de Besnard y glissaient une note moderne: une Feria espagnole, une mélodie de lumières vertes se jouant sur des stalactites d'eaux vives, un buste de femme, modelé par des accords de pâte claire plaqués sur une épaule et une partie du visage. La préférence de Franchetti pour ce peintre s'accusait encore d'un portrait ébauché en camaïeu, un Franchetti à moustaches brunes, très différent du masque aux lignes classiques que nous avions devant nous.

Franchetti
Édouard Franchetti par Van Dongen

Or une stupeur nous saisit devant la pompeuse ordonnance de la table, un véritable service de Cour, un jour de Grand Couvert, constrastant avec l'intimité d'un dîner entre hommes et un modeste trio de convives. Un grand surtout d'argent assorti de buires florentines, de porcelaines de Sèvres et de cristaux vénitiens, puis, la présence, derrière chacun de nous, d'un servant stylé, en habit à la française, culotte et souliers à boucles, complétaient un décor susceptible de glisser quelque gêne dans notre tête-à-tête. La recherche du menu, à laquelle avait présidé la compétence culinaire de notre hôte, le luxe du dessert, le choix des vins, étaient à l'avenant. En vain d'Esparbès s'efforça-t-il de réchauffer de sa verve l'atmosphère un peu froide de cette solennité. Il y parvint à peine, en dépit des vins généreux, et un peu de réserve subsista jusqu'au lever de table.

Notre amphitryon sans doute s'en aperçut, car il s'efforça, avec une avenante simplicité, de nous égayer sur l'inconstance de son luxe et les sautes cruelles de sa splendeur. Au surplus, n'avait-il pas simplement voulu, dans sa ferveur de reconstitution, prolonger notre illusion par un rappel des soupers de Choisy?

De la salle à manger, il nous conduisit au premier étage, dans la grande pièce qui lui servait de cabinet de travail et de bibliothèque. Ce fut là un autre régal, dont devait bientôt s'épuiser le charme. Il voulut nous lire quelques vers de lui, puis des poèmes de ses auteurs favoris. Franchetti était un séduisant lecteur: d'une voix finement timbrée, aux souples et chantantes intonations, il mettait en valeur, mieux qu'un acteur professionnel, le rythme du vers, passant du pathétique au tendre avec de mélodieuses sourdines. Le malheur est qu'il ne s'arrêtait pas, qu'entrainé par son ardeur de lire, il ne prenait pas garde à l'invincible somnolence que berçait sa lecture, après un très copieux repas.

Je reçus de lui, le lendemain, l'hommage d'un volume de son Théâtre, édité en 1895, ainsi qu'un numéro de revue contenant la publication d'Un coup de Hache, la meilleure de ses pièces.

Je m'étonnai qu'en dépit d'évidentes qualités d'écrivain et de dramaturge, il ne fût pas parvenu à se faire jouer et que sa notoriété littéraire n'eût guère dépassé un cercle restreint d'amis et de lettrés. Peut-être son nom et la fortune qu'on lui supposait eurent-ils une grande part dans cet insuccès. Franchetti avait à Paris la réputation d'un amateur riche que certains éditeurs ou directeurs de théâtre jugeaient susceptible de concours financiers, auxquels il ne se prêtait pas.


Dujardin
Édouard Dujardin

Bientôt l'accès de Pompadour s'ouvrit à la plupart de nos amis. Dujardin, André Rouveyre, Paul Fuchs, Anquetin, Armand Point furent tour à tour conviés à ses dîners. Dujardin surtout, par son esprit original et l'indépendance de ses idées, conquit tout de suite la sympathie de Franchetti.

Sans revêtir l'apparat du premier soir, ses réceptions conservaient la tenue de haut accueil et de confort luxueux dont il se montrait très jaloux.

Son érudition était vaste, nourrie de classiques latins et d'immenses lectures, enrichie au commerce des cours étrangères par son stage diplomatique. Il apportait, dans nos colloques littéraires, un sens critique et une sagacité de vues qui lui assuraient parmi nous une certaine autorité. Venait, hélas ! l'heure de la lecture. L'admirable diction qui séduisait au début, dans ses récitations poétiques, affectait maintenant des sujets qui tournaient rapidement à l'ennui.

Il pourvoyait alors à la critique théâtrale de Paris-Journal, qu'il publia, en deux séries, chez Figuière, en 1913 et 1914. Il s'en acquittait avec une recherche verbale que ne comportaient guère les maussades chefs d'œuvre, dont, le plus souvent, il avait à rendre compte. Cette forme choisie lui faisait oublier la pauvreté du fonds. Aussi les interminables lectures de ces chroniques, l'absence totale d'intérêt qu'offrait pour ses auditeurs l'analyse de pièces inconnues, produisaient vite un malaise qu'on avait peine à dissimuler. A la longue, cette lassitude devenait telle que les bâillements contenus crispaient les visages, comme dans la scène où Henry Monnier associe de malheureux invités aux lectures d'un auteur intempérant.

Si Franchetti ne se rendit compte de cet ennui, il dut se demander pourquoi des excuses plus fréquentes trahissaient moins d'empressement à répondre à ses invitations.

Un soir cependant que je l'avais retenu à dîner chez moi, je voulus donner le change au soupçon qu'il pouvait en avoir conçu, en le priant de nous dire ou de nous lire quelques vers, ainsi qu'il le faisait si bien. Il me demanda et je lui apportai le Jocelyn de Lamartine. Fut-ce le choix malheureux qu'il fit du fragment qu'il nous lut, ou bien le souvenir qui m'obsédait des précédentes épreuves, ce qui est certain, c'est que jamais Lamartine ne m'avait paru aussi terne.

Alors qu'autour de moi la diction musicale du lecteur produisait son effet habituel du début; ses intonations et ses vocalises ne faisaient qu'accentuer la négligence de cette versification. Il fallut, pour me réconcilier avec Lamartine, me reporter aux sublimes fragments des Harmonies qui chantaient encore dans ma mémoire. Mais je compris que l'abus avait décidément tué le charme du prestigieux liseur.

Advinrent les jours lugubres d'août 1914. Au frisson de la guerre s'ajoutait pour Franchetti un personnel souci. Comme sujet italien, il pouvait craindre, selon l'attitude qu'allait prendre l'Italie, d'être compris dans une mesure d'expulsion ou même refoulé dans un camp de concentration.

Le jour même où éclatait l'ordre de mobilisation, nous étions réunis chez lui: un crépuscule spendide mêlait au tragique de l'heure un ironique sourire de la nature. Nous errions au milieu des pelouses en fleurs; la pourpre du couchant teintait le pavillon d'une couleur rosée qui s'alliait exquisement aux verdures des massifs. Et ce délicat chef-d'œuvre d'une civilisation raffinée offrait le contraste le plus cruel avec le retour de l'antique barbarie.

Franchetti était grave, mais sa divination lui suggérait, sar l'avenir de la guerre, des aperçus de « voyant ».

« Oui, nous disait-il, l'épreuve sera rude, mais la France doit triompher : quant à l'Italie, soyez assurés qu'elle ne se joindra pas à l'Allemagne: si elle devait intervenir, ce serait aux côtés de la France.» Ceci devait d'autant plus nous surprendre que rien alors ne semblait autoriser cette espérance. Ce n'est qu'au bout de plusieurs mois que la prédication de d'Annunzio et sa harangue enflammée du Quattro nous firent mieux juger de cette intuition prophétique.

Une angoisse plus instante assaillait Franchetti. Les moratoires, en suspendant le paiement de sa rente, le laissaient sans ressources ; il lui devenait impossible de nourrir un personnel qu'il ne pouvait congédier. Ni avances de banquiers, ni secours d'amis n'étaient à envisager, dans cette carence générale. Il en fut réduit à manger ses paons : les beaux oiseaux de Junon furent sacrifiés,. sans pouvoir, comme le cygne de La Fontaine, désarmer, de leurs chants, le cuisinier chargé de les mettre en casserole.

paon
Une accalmie se fit enfin avec l'intervention italienne. Atteint d'une bronchite, Franchetti était parti pour Rome où le peintre Besnard lui donnait asile à la Villa Borghèse.

En janvier 1915, je reçus de lui le billet que voici:

«Dans l'affreuse tourmente que nous traversons, mes Fontaine-blaisois (ou Bellifontains) restent chers à mon cœur et il m'est doux de les savoir rari nantes in gurgite vasto. Je consacre à vous, aux vôtres et à notre cher d'Esparbès, les allées solitaires mais évocatrices de mon petit jardin.

Puissent souvent les échos y résonner de mon nom prononcé par vos lèvres et puisse un avenir prochain nous rassembler autour de la pierre vénérable, sous les platanes paisibles et devant notre vermouth traditionnel. Il faut que cet avenir soit exorable aux vœux que je forme pour la complète libération et le triomphe de notre chère France.

Quant à moi, je m'attarde un peu, après avoir reçu une charmante hospitalité de M. et Mme Besnard, à l'Académie de France; sous ce climat heureux et propice à la guérison de ma bronchite. Besnard est en train de faire de moi un portrait à l'eau-forte, mais les affreuses convulsions de la nature ajoutent à l'angoisse des bulletins militaires. »


Hotel Pompadour
L'Ermitage

Quand il revint en France, il trouva sa villa réquisitionnée pour une équipe de «camoufleurs». Heureuse équipe qui était commandée par le peintre Guirand de Scévola et que réjouissait la verve caustique du vieux Forain. Hélas! les pelouses et le jardin, restés en friche, avaient perdu tout attrait pour leur maître, qui rétrocéda Pompadour et se retira dans son appartement du quai d'Anjou.

C'était en l'une de ces anciennes maisons, voisines de l'hôtel Lauzun, et dont les hautes fenêtres découpaient une riante perspective sur le quai des Célestins et le vieux quartier des Tournelles.

Franchetti tenta de nous y réunir quelquefois, en y instituant le confort et le faste culinaire d'antan. Il engagea même un ancien cuisinier-chef du restaurant Lapérouse, considéré comme l'un des plus notoires gastronomes de Paris. Mais ce virtuose des sublimes sauces ne trouva pas, dans le local qu'on lui délivra, un laboratoire et un matériel à la mesure de son art, et très dignement il offrit sa démission.

Un changement profond s'était d'ailleurs opéré dans les goûts et l'esthétique de Franchetti. Par une de ces métamorphoses dont il était coutumier, l'hôte de l'Ermitage Pompadour mua subitement son visage de fermier général-philosophe, mélange d'Helvétius et de la Popelinière, en une tête massive de gras chanoine, dont l'énorme toison de cheveux frisottants retombait en cascades sur les épaules.

Je l'aperçus une fois, ainsi transformé, à la représentation que donnait Dujardin, au théâtre Antoine, de son Mystère du dieu mort et ressuscité. Il était méconnaissable et je ne le reconnus qu'à la sortie.

Non moins absolue était l'évolution qui s'était opérée dans ses goûts artistiques. Il n'était plus question du portrait gravé à l'eau-forte par Besnard ni de Besnard lui-même: il avait fait choix d'un autre peintre.

Le décès de la baronne Franchetti l'avait fait héritier d'une vaste fortune. Or, le premier emploi qu'il fit de sa nouvelle richesse fut d'acquérir une Rolls-Royce et de se faire peindre par Van Dongen. Celui-ci a d'ailleurs fixé une image des plus réussies du Franchetti des derniers jours, un visage aux traits flétris qu'encadre son abondante toison devenue blanche.

Pauvre Franchetti ! alors que toutes dettes éteintes et tout souci de créanciers à jamais écarté, il allait pouvoir retrouver ses Aldes et ses Groliers, orner son palais vénitien de chefs-d'œuvre du Titien ou du Tintoret, jouir enfin de cette belle existence d'art si longtemps contrariée, voici que la Parque allait en trancher le fil.

«Tout établissement vient tard et dure peu», ce dicton de La Fontaine devait lui être cruellement appliqué. Alors qu'il se dirigeait vers Venise, son chauffeur, surpris de ne percevoir ni bruit ni signe dans la Rolls-Royce, s'arrêta et ouvrit la portière; il trouva son maître étendu, inanimé sur les coussins: il était mort !

Pompadour
L'Ermitage de Mme de Pompadour (2003)


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