LOGIS DE HAUTE-CLAIRE
Quelques Artistes et Visiteurs
Philippe Berthelot - Élémir Bourges - Camille Mauclair - Stuart Merril - Joséphin Péladan - Charles Virion

Haute-claire
Logis de Haute-Claire
Haute-Claire fut durant plus de trente ans une demeure privilégiée où se retrouvaient autour d'Armand Point, au fil des rencontres et des affinités, une pléïade d'artistes, de créateurs, de jolies filles, de gens du monde, de toutes obédiences, de toutes croyances, sans exclusive.

Haut-lieu du Symbolisme, on y assista à un magnifique bouillonnement d'idées et de cultures, au carrefour des révolutions morales, sociales et esthétiques qui bouleversèrent cette époque.

A la fois phalanstère, atelier de travail, salon, dortoir, loge, refuge, monastère, ouvroir, creuset, confessionnal, Haute-Claire fut un lieu rare où soufflaient en toute liberté l'esprit, où la créativité, le savoir-vivre et le savoir-faire étaient rois.

Sans pruderie, sans distinction de sexe, de fortune, d'origine, de religion, sans sectarisme d'aucune sorte, Haute-Claire reçut des clochards lettrés, de riches bourgeois, des orfèvres, des francs-maçons, des pédérastes, des mages, des lesbiennes, des don-juans, des courtisanes, des croyants, des libres-penseurs, des humoristes, des douairières, des hommes politiques, des artistes d'arrière ou d'avant-garde, des ésotéristes, des plaisantins, tout sauf des sots, des emmerdeurs ou des idiots ou, s'il y en eut, s'il en fut, ils ne firent pas parler d'eux et ne laissèrent pas de traces.

Haute-Claire fut, entre le naturalisme et l'art moderne, le royaume du symbolisme, un lieu mystérieux, miraculeux, comme il n'y en eut guère à travers l'histoire, comme il n'y en aura sans doute plus avant longtemps, un paradis d'artistes que Paul Fort qualifiera dans ses Mémoires de "Cour d'Amour".

Armand Point Legende
Une liste non exhaustive des hôtes de Haute-Claire comporte, pêle-mêle Paul Claudel, Joséphin Péladan, Misia Sert, José-Maria Sert, Thadée Natanson, Stéphane Mallarmé, François Coppée, Raoul Ponchon, Oscar Wilde, Stuart Merrill, Verhaeren, Jean Moréas, Pierre Louÿs, Fernand Gregh, Franc-Nohain, Camille Mauclair, Paul Fort, Fernand Divoire, Ferdinand Herold, Élémir Bourges, Henri Havet, Mireille Havet, Paul et Victor Margueritte, Jean Lorrain, Georgette Leblanc, Léo Rouanet, Eugénie Nau, Aristide Marie, Édouard Dujardin, Philippe Berthelot, Hélène Berthelot, Édouard Rod, Charles Virion, François Numa-Gillet, Georges Rochegrosse, Théodore de Banville, Théophile Gautier, William Rothenstein, Louis Anquetin, Georges Sortais, Charles de Meixmoron, Édmond Pilon, Dominique Isengrain, Jacques Daurelle, Jean-Baptiste Belloc, Georges Brandès, Holger Drachman, Ernst Thiel, Octave Mirbeau, Borghild Arnesen, Étienne Grosclaude, Maurice Donnay, Léonard Sarreluis, Francis de Miomandre, Viélé-Griffin, Saint-Paul Roux, Émile Zola, André Chevrillon…

Après la mort de son père, quelques mois avant sa tragédie personnelle, Victor Point, héros de la Croisière Jaune, mit Haute-Claire en vente.

La maison fut rachetée par Mme Charles de Meixmoron de Dombasle (née Maillart de Landreville, veuve du peintre ami d'Armand Point. Elle vint l'habiter avec son fils avant de mourir, selon Mme Lalance, en faisant une chute à bicyclette dans une rue de Thomery.

Cette belle demeure s'appela Le Zodiaque lorsqu'une célèbre astrologue et voyante s'y installa en vue de tirer les cartes et faire tourner les tables pour une riche clientèle de tenancières et de proxénètes venant y aérer leurs pensionnaires, avant que Marthe Richard ne vînt contrarier leur commerce. (Source: Marthe Lemestre).

A la Libération, la compagnie QG commandée par le Capitaine Loretti lors du séjour de la Deuxième Division blindée du Général Leclerc à Marlotte, occupa cette maison qui s'appelait alors Le Zodiaque. Elle fut ensuite transformée pendant quelques années en restaurant avec chambres pour le week-end, sous l'enseigne de La Devinière. Après la fermeture de l'établissement, la demeure a repris son beau nom de Haute-Claire.

PHILIPPE BERTHELOT
(1866-1934)

Philippe Berthelot
Fils du célèbre chimiste et homme politique Marcelin Berthelot, ce diplomate brillant, passa trois ans en Asie, avant de devenir directeur des affaires politiques et conseiller d'Aristide Briand dont il fut considéré comme l'éminence grise. L'Ambassade de Washington allait récompenser ses services rendus.

Au tournant du siècle, il fut un hôte assidu du logis de Haute-Claire à Marlotte. C'est chez le peintre Armand Point qu'il connut Hélène, sa ravissante épouse.

Modèle et maîtresse de l'artiste, souvent délaissée entre deux passades de son seigneur et maître, Hélène ne tarde pas à succomber au charme subtil de Berthelot.

Pour se faire pardonner par son hôte et ami sa trop facile conquête, le fin diplomate lui présenta Helga Obsfelder, une très belle artiste danoise, que l'incorrigible coureur Armand Point poursuivit aussitôt de ses assiduités, allant jusqu'à la demander en mariage lorsqu'elle fit mine de lui résister.

De cette union naîtra un fils, Victor, que Berthelot chérira particulièrement, comme s'il était le sien. Ce qu'il est sans doute !

Helene Berthelot
Hélène Berthelot peinte par Armand Point
Philippe Berthelot conserva ses fonctions sous le ministère Clemenceau de novembre 1917 à janvier 1920 avant d'accéder au secrétariat général du Ministre des Affaires étrangères, jouant un rôle important dans les traités de Paix.

Paul Morand dont il fut le protecteur au Quai d'Orsay durant la grande guerre, et qui fréquenta lui aussi Marlotte, dit de lui dans son Journal d'un attaché d'Amabassade, en date du 20 février 1917 :

«Berthelot a beaucoup de méthode. Il classe ses télégrammes par pays et par affaires en cours; dossiers sur lesquels il inscrit, en une ligne, le résumé de chaque télégramme; de sorte qu'il récapitule assez facilement une question pour un mémoire ou une dépêche.

Il rédige admirablement bien et vite. Les questions, simples au début, qui se présentent soudain à l'ordre du jour, deviennent en un instant extrêmement confuses. Les télégrammes souvent contradictoires qui arrivent de différents postes créent rapidement le désordre. Berthelot débrouille tout, c'est un des esprits les plus ordonnés qui soient. Aussi fuit-il les commissions, les parlotes, le temps perdu. »

Ce fut grâce à son appui que Victor Point a pu participer à la Croisière Jaune.

Après sa mort tragique, il fut aux côtés d'André Citroën et d'Armand, le jour de ses obsèques à Bourron-Marlotte.

ÉLÉMIR BOURGES
(1852-1925)

Elemir Bourges
Romancier, critique, dramaturge et poète, cet auteur aimable, discret, d'une très haute culture, a écrit pour son plaisir une œuvre rare, comprise et appréciée par les seuls lettrés.

En 1883, après de longues fiançailles, il épousait Anna Braunerova, une jeune tchèque blonde venue en France avec sa sœur, Zdenka, qui figure parmi les petits maîtres de l'École de Barbizon.

Braunerova
Élémir Bourges entre les sœurs Braunerova dont la blonde,
Anna deviendra son épouse
Las de Paris, Élémir souhaita vivre à la campagne. Son ami Mallarmé, dont la demeure de Valvins se trouve au bord de la Seine, lui signale un Prieuré vacant à Samois, sur la rive d'en face.

Bourges y restera seize ans, s'enfermant parfois des semaines entières dans une studieuse claustration. Mais, par cette retraite volontaire, il condamne à la neurasthénie sa jeune femme d'une nature vive et active, habituée à une vie sociale animée.

Nous ne connaissons leur vie de couple qu'à travers leur correspondance, souvent désanchantée.

Bourges participa au Mouvement symboliste, s'intéressa un temps aux curieuses et folles recherches des Rose-Croix animées par Péladan. Il rédigea Le Crépuscule des Dieux que Richard Wagner mit en musique. Il se passionna pour la poésie chinoise, notamment Tou-Fou, qui lui inspira Les Oiseaux s'envolent et les fleurs tombent.

Ce fut Paul Margueritte qui le fit éditer chez Plon.

Braunerova
Élemir Bourges croqué par Zdenka Braunerova

Très proche d'Armand Point dont il fréquenta assidument l'Atelier de Marlotte, ce fut lui qui donna à son phalanstère le nom de Haute-Claire, du nom de l'épée d'Olivier, le compagnon de Roland tué à Roncevaux. Élémir Bourges fut le parrain du fils de son ami baptisé Victor Élémir, le futur héros de la Croisière Jaune qui mourut tragiquement peu avant son père.

Octave Mirbeau qui fréquentait lui aussi Marlotte, l'atelier de Haute-Claire et ses hôtes, dressa un Portrait élogieux de son confrère et ami. Octave Mirbeau : Élémir Bourges

CAMILLE MAUCLAIR
(1872-1945)

mauclair
Né Séverin Faust, d'ascendance danoise et lorraine, le poète et romancier Camille Mauclair, fut avant tout, comme il se qualifiait lui-même, un écrivain d'art. Adepte du culte de la beauté, il concevait l'art comme une religion, un apostolat et les artistes comme des Princes de l'Esprit, idée qu'il développa dans un ouvrage paru sous ce titre en 1920.

Dans la première partie de sa vie littéraire, il est lui-même en phase avec l'avant-garde, adepte de l'art symboliste il soutient Mallarmé, les peintres impressionnistes, Rodin, Debussy.

A partir de 1905, Mauclair condamne la modernité qu'incarnent en peinture les fauves ou les cubistes, Gropius ou Le Corbusier en architecture.

Au cours de sa vie, ses opinions politiques et ses préférences artistiques ont beaucoup varié, oscillant entre l'anarchisme, le symbolisme, le nationalisme, le néo-classicisme, jusqu'au racisme. Ses dilections vont, pêle-mêle, de Mallarmé dont il fréquente les Mardis qu'il admire et fait connaître, à Lafforgue qu'il édite. Il collabore au Mercure de France, fonde avec Lugné-Poe le Théâtre de l'Œuvre pour y monter Pelléas et Mélisande.

Il flirta, sans s'attacher durablement avec toutes les sensibilités de son époque, collabore à l'Aurore de Clémenceau, prend la défense d'Émile Zola, devient dreyfusard.

En 14-18, il se fait le défenseur de la cause arménienne contre les Turcs et l'Allemagne.

Après la Grande Guerre, il vilipende l'art et l'architecture modernes tant au Figaro que dans l'Ami du Peuple. S'il fut l'ami de Clémenceau, de Stéphane Mallarmé, d'Armand Point ses opinions politiques et ses préférences artistiques ont beaucoup évolué. Il fut dreyfusard, par fidélité à Clémenceau, disant dans son autobiographie Servitude et Grandeur littéraires (1922): «Ainsi fus-je dreyfusard de la première minute, par goût de la vérité».

Mais en 1930, dans son ouvrage La farce de l'art vivant : Les métèques contre l'art français il explicite "ses options nationalistes, réactionnaires et rascistes": «Parmi les blancs (de l'école de Paris) on compte environ 80% de sémites et à peu près autant de ratés...»

Au cours des années 30, il entame son Cycle de la Méditerrannée, magnifiant les arts, l'architecture et les civilisations de ces pays du soleil dans une série d'ouvrages fort estimés : L'Âpre et Splendide Espagne que suivront La Majesté de Rome (1932), Les Couleurs du Maroc (1933), Le Pur Visage de la Grèce (1935), Les Douces Beautés de la Tunisie (1936), L'Ardente Sicile (1937), L'Égypte millénaire et vivante (1938) et De Jérusalem à Istanbul (1939)

Auteur de plus de cent ouvrages et de milliers d'articles touchant au monde de l'art, au sens le plus large, Camille Mauclair eut une grande influence sur son époque.

Entre 1942 et 1944 il écrit dans les journaux de la collaboration: Le Matin, Au Pilori, La Gerbe d'Alphonse de Chateaubriant; adhère à l'Association des journalistes antijuifs, publie un dernier pamphlet antisémite : La Crise de l'art moderne.

Sa mort, en 1945, lui évitera les inévitables poursuites vengeresses de la Libération.

Il ne faut donc pas s'étonner outre mesure que l'actuelle amicale socialo-marxiste et ses groupes de pression universitaires et médiatiques, traînent quelque peu l'aimable Mauclair dans la boue !

Dominique Jarrassé, professeur d'histoire de l'art contemporain à l'université de Bordeaux publie sur son blog une étude intéressante sur cet auteur habitué de notre village. Voir: Sources


mauclair
Camille Mauclair croqué par Félix Vallotton

LE CHARME DU LOING
Texte de Camille Mauclair
repris dans le N°15 du Bulletin des A.B.M.

... "C'est dans toute la région traversée par le Loing que s'accumulent les souvenirs d'histoire et d'art. Il vient des environs de Montargis, il arrose l'exquise petite cité de Nemours. Mais sans nous aventurer dans ces parages trop lointains, quels motifs se présentent en amont de Moret! C'est Montigny-sur-Loing, c'est Marlotte, où nous ramènent tant d'évocations de ma jeunesse.

A Montigny, le vieil hôtel du Coq, "simple mais bon", comme disent les guides, ouvrait ses chambres sur la rivière où l'on canotait. C'était le temps béni où l'on ignorait le confort moderne, les phonographes, les klaxons et où l'on ne connaissait d'autres "coups de fusil" que ceux des chasseurs poursuivant le lapin de garenne ou la perdrix.

A Marlotte, tout proche de Montigny, dans la plaine, à l'orée de la forêt et de la région de la mare aux Fées, il y avait l'auberge fameuse de la mère Mallet, toute tapissée d'études de peintres alors inconnus, laissées en gage et destinées plus tard à assurer à leurs propriétaires une jolie fortune.

Il y avait surtout, à l'entrée du pays, l'accueillante maison du peintre Armand Point, fresquiste, émailleur, orfèvre, fanatique de la Renaissance et de la Rose-Croix, ayant fondé là un atelier d'art décoratif sous la firme "Hauteclaire".

De Montigny à Marlotte, c'était un incessant échange de visites entre joyeux camarades, peintres, poètes et musiciens, s'accordant pour maudire l'Institut.

Le jardin d'Armand Point, les salles à manger de l'hôtel du Coq et de l'hôtel Mallet ont entendu les plus fougueuses discussions esthétiques. Il y avait là l'excellent sculpteur animalier Virion; le poète Paul Fort, à la brune figure romantique, toujours vêtu de noir; le poète Stuart Merill, Américain de naissance, Français par le cœur et l'admirable pureté de ses poèmes lyriques, blond, beau, cordial, et généreux; le fier décorateur Louis Anquetin, issu de Manet et dévoué au culte de Rubens, étonnant le paisible village par sa prestance à cheval; j'essayiste Fernand Divoire ; le sage érudit Ferdinand Hérold... Péladan, alors sar et mage, daignait parfois venir, exhibant ce costume florentin dont l'excentricité devait lui faire tant de tort.

Souvent Elémir Bourges, vêtu de velours à côtes, le bâton à la main, traversait la forêt depuis Samois pour venir déjeuner chez Point.

Il y avait des muses charmantes, coiffées en bandeaux botticellesques; on récitait beaucoup de vers, et dans un coin, silencieux et correct, un jeune secrétaire d'ambassade écoutait les discussions d'art. Il savait par cœur d'innombrables strophes et les disait avec amour. Il se nommait Philippe Berthelot.

Tous les convives se régalaient d'un savoureux "méchoui", d'un mouton entier, rôti sur les braises dans une fosse creusée au jardin. A l'automne, on célébrait la fête des chrysanthèmes et on allait en bande en forêt, dont les échos retentissaient parfois jusqu'à l'heure où le clair de lune cédait aux premières pâleurs de l'aube.

Marlotte et Montigny ont eu ainsi l'honneur de jouer leur joli rôle dans ce mouvement symboliste si vivant, si intéressant, si calomnié alors, classique aujourd'hui."

Artistes de Montigny
CHARLES VIRION MON PÈRE
par Henriette Virion
paru dans le N°13 du Bulletin des A.B.M. en 1983

charles virion
Charles Virion (1865-1946)
Les Anciens de Bourron et de Marlotte comme ceux ce Montigny se souviennent bien du sculpteur Charles Virion. Sa haute et large silhouette leur était familière. Vêtu à l'habitude d'un chandail et d'un costume de velours, coiffé de la casquette et plus tard du béret basque, on le voyait, la canne à la main, faire une promenade ou une course à Marlotte. Sa canne est un bien grand mot pour un simple bâton de houx ou de genévrier, pyrogravé et poli par l'usage.

Dès les premiers frimas il portait la cape brune en loden et c'est de cette silhouette, je crois, qu'on a gardé le plus vif souvenir.

Mais il avait aussi été jeune homme à Montigny. Venu en 1889 à 23 ans pour travailler comme décorateur avec Georges Delvaux qui venait de reprendre la faïencerie Eugène Schopin, il avait vite été l'ami d'abord de ses compagnons de travail: Albert Boué, le peintre des fleurs, Ernest Van Coppenolle le père, peintre des fleurs et spécialiste de basses-cours, puis le fils Jacques Van Coppenolle, Bézard puis des artistes nombreux alors à Montigny: Numa Gillet, Korochanski, Cloix, Edé, Antigna, Malleval, Marsac, Defaux déjà vieux alors, Juste, Gihon et tant d'autres. Mais aussi le camarade de tous les jeunes de Montigny qui appréciaient sa simplicité et son heureux caractère.

Faiencerie
Faïencerie de Montigny
Bientôt il fut l'invité de toutes les noces, de tous les bals de mardi-gras et de Mi-Carême, pour lesquels il inventait des déguisements pour le moins originaux.

Lorsqu'en 1896, Armand Point fonda son atelier de Marlotte, il fut un des "compagnons de Haute-Claire". Il exécutait les sculptures pour les dessins d'Armand Point et il reste de cette époque "La Princesse à la Licorne", le "Saint-Georges terrassant le dragon", des coffrets ciselés et émaillés dont l'un est conservé au Musée du Petit-Palais à Paris.

Il connut alors et devint l'ami des habitués de l'atelier de Marlotte, de Camille Mauclair, Paul Fort, Stuart Merril, Raoul Ponchon, et il participait aux célèbres méchouis, inconnus à cette époque dans nos régions et qui mettaient tout Marlotte en émoi.

Chien
Charles Virion : Bronze
Grand chasseur et fin pêcheur, il ne ratait pas une "ouverture" et souvent il délaissait la glaise ou les pinceaux pour aller tirer un lièvre ou un faisan qui lui servaient de modèle pour des natures-mortes, avant d'être dégustés en civet ou en rôti.

Venu à Montigny pour y travailler il s'y plut et fit venir sa famille, puis bientôt fit construire sa maison. Il avait son chien qui ne le quittait guère, non plus que sa pipe, son chat, quelques poules et les croquis abondent de chiens, chats chatons, poules et coqs sans oublier souris lézards et autres bestioles qui servaient de modèles pour des sculptures. Car il était avant tout sculpteur.

Encore tout jeune, lors d'une visite d'inscription à l'école des Beaux-Arts de Nancy, il avait été fasciné par le travail d'un sculpteur qui devait devenir son professeur. Dès lors, il n'avait plus eu qu'une idée, devenir lui aussi sculpteur, modeler de la glaise, ciseler le marbre, donner la vie à la matière.

Elephant
Charles Virion : Eléphant bronze et ivoire
Né en 1865 en Corse où son père était Inspecteur des Eaux-et-Forêts, mon père, orphelin très jeune, revint avec sa mère et ses frères et sœurs en Lorraine où il fut élevé dans un petit village des environs de Bitche. Là, il courait les champs avec les enfants du village, il élevait et apprivoisait tout ce qui pouvait s'apprivoiser et couvrait de dessins ses cahiers, ses livres et jusqu'aux murs de sa maison. Mais vint le temps des études sérieuses et, la région de Bitche étant en Lorraine annexée, ce fut en France, à Longuyon, qu'il entra au collège.

Ensuite il fut inscrit à l'École des Beaux-Arts de Nancy puis à Paris à l'École des Arts Décoratifs. Il passa avec succès le Concours d'entrée à l'École Nationale des Beaux-Arts où il fut l'élève du sculpteur Paul Aubé.

Le service militaire achevé il fit un stage d'un an à la faïencerie Boulenger à Choisy-le-Roi pour s'initier aux arts du feu. Peut-être est-ce là qu'il retrouva Delvaux, ancien chimiste à Saint-Louis, puisqu'il vint s'installer à Montigny en 1889 en même temps que Delvaux reprenait la faïencerie - et il y resta jusqu'à sa mort en décembre 1946.

Atelier
Charles Virion dans son atelier
Dans bien des maisons de Montigny et de Marlotte il y a au moins une barbotine ou un grès signé VIRION, vase, cendrier, vide-poche, plaquette, ou un tableautin de chien, basse-cour, héron ou autre gibier. Tous les vieux Montignons aimaient cette salle du Long-Rocher, la plus belle et la plus fréquentée de la région pour les fêtes et les bals, aux murs décorés en 1908 des fables de La Fontaine.

Il avait décoré bien d'autres salles: les dortoirs du "Nid" en 1913, puis le grand réfectoire en 1924, des salles d'hôtel à Malesherbes, Nemours et bien d'autres encore, car il dessinait et peignait aussi.

Tout cela ne l'empêchait nullement de travailler comme sculpteur. Le musée de Nemours possède un grand groupe "Sanglier à l'hallali" qui figura au Salon de 1914, et un "chien"; la mairie de Montigny un "aigle pêcheur", le musée des Arts Africains à Paris un groupe d'éléphants d'Afrique. Bien d'autres œuvres sont dans des musées en France et à l'étranger et quelques unes ont été montrées en plâtre ou en bronze à la rétrospective de Montigny.

Il n'avait que des amis, non seulement à Montigny et à Marlotte mais aussi à Moret, Fontainebleau, Nemours. Fin observateur de la nature et des animaux en particulier, il était très lié avec le docteur Dalmon avec qui il parlait longuement du petit peuple de la forêt et de la rivière.

Vase de Charles Virion
Vase de grès décoré par Charles Virion
Pour les Naturalistes de la Vallée du Loing, qu'il connaissait presque tous, il avait dessiné la figurine de la couverture de la revue.

Pendant la guerre de 1914-1918, le secrétaire de mairie-instituteur étant mobilisé, il assuma le secrétariat et rendit maints services aux habitants, aux permissionnaires. Il s'occupait activement des réfugiés qui venaient du Nord ou de Belgique, leur trouvant un abri, leur procurant du travail, remplissant à peu près toutes les fonctions du maire absent.

La guerre terminée il exécuta quelques monuments aux morts, à Montigny, La Genevraye, Arbonne, pour ne citer que les plus proches.

Excellent graveur en médailles, il en fit pour ses amis puis en exécuta pour la ville de Fontainebleau par exemple, plusieurs étant éditées par la Monnaie de Paris, des plaquettes, véritables tableautins en bronze représentant toujours des animaux, des chiens, cerfs, biches, sangliers, éléphants, combat de coqs.

Petit et Virion
Alphonse Petit et Charles Virion
L'âge venant, il ne chassait plus, ne pêchait plus, se contentant de petites promenades, mais néanmoins travaillait toujours. Les animaux restant ses modèles favoris, il a laissé des cartons pleins d'études, depuis les souris et lézards jusqu'aux éléphants, lions et tigres ou antilopes qu'il avait étudiés au Jardin des Plantes.

Sociétaire des "Artistes Français" où il exposait dès 1886, puis du "Salon des Artistes animaliers" fondé en 1913, il avait obtenu plusieurs médailles notamment aux Salons de 1893 et 1895 et lors d'expositions régionales ainsi qu'à l'Exposition Universelle de 1900 où il avait reçu deux médailles, une pour sa sculpture, l'autre pour ses céramiques.

Il est mort en 1946, laissant une toile inachevée à laquelle il avait travaillé dans la journée. Ne recherchant ni les honneurs ni la célébrité, ne se plaisant qu'en famille ou dans son atelier de Montigny qu'il avait tout de suite aimé, c'était un véritable artiste resté modeste dont les œuvres sont pleines de vie.

Toujours prêt à rendre service, tous ceux qui l'ont connu l'ont estimé ou aimé, appréciant à la fois son réel talent, son amabilité et sa simplicité.

medaille
Voir : Artistes de Montigny-sur-Loing

NOTES
sur quelques-unes des personnalités évoquées ici :

Philippe Berthelot (1866-1934) fils du grand chimiste Marcelin Berthelot et diplomate, était un ami de longue date du peintre et s'était intéressé à l'éducation de son fils. On le revit à Bourron pour les obsèques d'Armand puis de Victor Point, aux côtés d'André Citroën.

Elémir Bourges (1852-1925), bien oublié aujourd'hui, connut pourtant le succès. C'est lui qui trouva pour l'atelier d'Armand Point ce joli nom de Haute-Claire qui fut le nom de l'épée d'un ancien paladin, puisqu'on travaillait les métaux et les émaux dans l'atelier de Point. Il fut parrain du fils d'Armand Point, Victor-Elémir Point, héros de la Croisière Jaune.

Paul Fort, (1872-1960) sacré "Prince des Poètes" écrivit à Marlotte un poème sur un dessin d'Armand Point.

Stuart Merrill, (1863-1915) poète d'origine américaine d'abord, parnassien puis symboliste, et grand habitué de la maison d'Armand Point.

Joséphin Péladan (1859-1918), littérateur attiré par les sciences occultes, le mystère, l'ésotérisme, prit le titre de "Sâr" ou mage du mouvement poétique et artistique de la Rose-Croix qu'il avait relevé en s'inspirant de l'ancienne Société. Il fonda le Salon de peinture de la Rose-Croix. Armand Point y participa activement; il avait dessiné pour un de ces Salons une affiche qui fut sévèrement critiquée. Ce fait n'est pas étranger à sa décision de quitter Paris et de s'installer à Marlotte.

Les coiffures "botticellesques" à bandeaux ou coques symétriques séparés par une longue raie médiane, s'inspirent des figures du peintre florentin Botticelli (15e siècle) et du mouvement "préraphaélite" qui, au 19e siècle, milita pour le retour à ce style. Armand Point, très féru de la Renaissance et de la Pré-Renaissance, ainsi que de l'art florentin, s'en rapprocha beaucoup. La plupart des portraits qu'il fit de Gisèle Gouverneur, son modèle préféré, procèdent de cette conception. (Gisèle Gouverneur est inhumée avec lui au cimetière de Bourron).

armand point
Armand Point : Gisèle Gouverneur
Méchoui, Armand Point est né et a vécu ses années de jeunesse en Algérie... Pour ses nombreux invités des "dimanches de Marlotte", il faisait lui-même la cuisine, et fort bien, dit-on, notamment son fameux méchoui !

A propos de Louis Anquetin et des hôtes habituels d'Armand Point, on relit toujours avec plaisir le livre d'Aristide Marie, avoué à Fontainebleau et littérateur, "La Forêt Symboliste, Esprits et Visages". Il fut le fidèle ami d'Armand Point, jusqu'à la mort de ce dernier; tout un chapitre de son livre lui est consacré. C'est sur son initiative que fut posée la plaque sur la maison d'Armand Point, vers 1934.

armand point
Armand Point jeune

Prochainement : Les poètes de Haute-Claire

SOURCES

Internet :

Les Grandes heures de Bourron-Marlotte
Bourron-Marlotte
Wikipedia
La Perle du Gâtinais
Amis de Bourron-Marlotte


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