PAUL MARIE BOLO
aventurier et séducteur aux gants blancs


Paul Bolo (1867-1918)
Cet aventurier aux yeux de velours et à gants blancs, portant beau, plaisait fort aux dames et aux hommes politiques par sa faconde joviale, ses manières distinguées et sa délicieuse façon de mentir constamment aux unes et aux autres.

Pas étonnant si l'on savait qu'il avait commencé sa carrière comme "arracheur de dents" une profession exercée alors par les barbiers.

Ce joli cœur né à Marseille dans une famille de la basoche, abandonna vite une profession qu'il estimait trop peu rénumératrice pour se lancer dans le commerce maritime et colonial.

Il quitte la France, s'installe en Espagne dont il apprend la langue, assimile les pratiques de la carambouille, le maintien et la clinquante hautesse d'un hidalgo.

Un bref retour en France au début des années 90 lui permet d'exercer ses nouveaux talents qui ne semblent pas encore totalement en harmonie avec son ambition.

Paul Bolo
Un jour qu'il se faisait tirer le portrait par le peintre espagnol Sorolla y Bastida, l'artiste lui vanta la nouvelle peinture, coqueluche de quelques collectionneurs avisés.

Bolo dressa l'oreille, s'intéressa à cet art nouveau dont la spéculation s'était emparée et il se mit à fréquenter les galeries d'art, les ateliers d'artistes, les peintres de Fontainebleau, de Barbizon et de Marlotte.

Bien conseillé il acquit pour une bouchée de pain des Renoir, des Sisley, des Cézanne, mais, impatient de faire fortune, il remisa ses toiles dans le grenier de la maison qu'il avait louée pour un été à Marlotte, afin de margouliner imprudemment dans d'autres affaires plus juteuses. Pris la main dans le sac, il dut s'enfuir, abandonnant ses toiles et ses maîtresses du moment pour filer vers l'Amérique du Sud emmenant en guise de bagage la plus belle fille du village*.

En Argentine, il se refait une santé et une identité sous le nom de Bolo de Grangeneuve, exploite sa séduction et son bagout auprès de charmantes dames qui souhaitent toutes l'entretenir, lui offrant leur bourse, leurs relations et leurs charmes.

Dans un premier temps, pour s'établir, il épouse une jolie chanteuse très en vogue, Henriette Maille qui se fait appeler "de Soumaille". Folle de lui elle l'assiste de ses deniers et cela jusque dans ses malversations.

Durant quelque temps il vécut la grande vie, mais son goût pour les gains rapides, le risque, l'entraîna à commettre de nouvelles canailleries.

A la suite d'un vol de bijoux à Valparaiso, Bolo est arrêté. Son épouse verse la caution nécessaire à sa libération, mais, nullement reconnaissant, il l'abandonne lâchement pour une plus riche avec qui il rentre à Paris en 1904.

Résidence des Bolo-Muller à Biarritz
Là, il découvre une proie mieux nantie encore que les précédentes, Pauline Moiriart, ancienne chanteuse de cabaret. Veuve de Fernand Muller, un riche négociant en vins de Champagne, c'est une femme couverte d'or, de rentes, propriétaire de vignobles, qu'il épouse aussitôt.

Bigame mais jamais à court d'idées, Bolo, obtient de sa seconde femme qu'elle lui laisse administrer sa fortune.

Amoureuse, imprudente, elle lui signe une procuration complète ce qui permet à son « mari » de jongler avec les millions, de monter de gigantesques projets d'entreprises, de banques, en Amérique du Sud, en Suisse et au proche Orient, dont quelques-uns verront le jour.

Aventurier ambitieux mais au grand cœur, il finance des activités philanthropiques, fonde la Confédération agricole, la Croix Blanche, des homes pour enfants déshérités, œuvres qui lui permettent de fréquenter un milieu de gens riches et généreux.

Paul Bolo parviendra ainsi au sommet de la réussite, sans se soucier des casseroles qu'il traîne au cul, se liant à des hommes politiques que son entregent et sa faconde séduisent.

En 1908, Bolo propose ses services d'entremetteur entre la France et le Venezuela qui, sous la présidence de son nouveau Président, Juan Vicente Gómez, souhaite reprendre contact avec la France.

Pierre Barthélémy Gheuzi qui fut approché par Maurice Sarraut pour s'occuper de la remise à, plat des relations diplomatiques entre les deux pays, se souvient, dans ses Mémoires d'un témoin, de ces tractations :

« En dehors du Quai, ai-je demandé, avec qui serai-je en contact ?

- Le pivot, l'arbitre des négociations est un capitaliste français que Léon Bourgeois me recommande chaleureusement : il lui doit la fin des troubles viticoles de la Marne, à Epernay. Le procureur Monnier, qui l'a connu à Bordeaux, répond de sa moralité, exalte son intelligence et se porte garant de ses ressources et de sa compétence financières.

Je demande son nom. On me répond : Bolo.

C'est la première fois que j'entends ces deux syllabes. Mais ce ne sera pas la dernière. […]

Présidents Luiz Vicente Gómez et Cipriano Castro
Frère d'un prélat in partibus à clientèle semi-mondaine, ancien garçon coiffeur, né à Marseille, bourreau des cœurs, coureur de filles, aventurier-né, capable d'enjôler avec grâce des gogos électoraux, des femmes romanesques et - nous l'avons bien vu - des personnages consulaires d'indiscutable moralité, Bolo étonnait d'abord sans alarmer personne.

Joli garçon, « miroir à demoiselles sans vertu » le définissait [un de ses amis,] il savait un peu de tout et ne doutait de rien. Connaissant juste assez de latin pour être bedeau, il baragouinait avec charme un espagnol qu'il avait, paraît-il appris à Valparaiso. […]

Bolo Pacha au temps de sa splendeur
Il s'était fait nommer « conseiller du commerce extérieur » et arborait un ruban rouge totalement étranger à la Chancellerie. Habillé en « laissés pour compte des grands tailleurs » publicitaires, charmant, séducteur, heureux de vivre, il faisait retomber sur son front une mèche calamistrée de ses cheveux de dandy provincial et, vulgaire comme à dessein, forçait l'attention de l'interlocuteur par des images faubouriennes et primaires. »[ …]

Mais sa jactance de commis levantin, sa confiance en lui, lui firent commettre d'insondables imprudences. Il était allé lancer, à Londres, une dépêche en espagnol qui le brouilla net avec le président Gómez, Raymond Poincaré, Armand Fallières et même Joseph Caillaux. Dans son texte, il les traitait en « associés » et adjurait les Cortez vénézuéliens de voter au plus vite des lois financières qui allaient faire, grâce à eux, la fortune colossale du pays - et la sienne. »

Par suite de la méfiance de Gheusi renforcée par celle de Paul Deschanel, qui alertèrent les Vénézuéliens, Bolo fut mis hors jeu.

« Résultat : quand il voulut, à la Guayra, descendre du paquebot qui l'amenait de France, la police d'État lui défendit de débarquer et de monter à Caracas : le territoire du Venezuela lui était interdit.

Un autre, fût sans doute, rentré à Bordeaux, où il avait, par droit de bigamie, quelques intérêts viticoles. Lui ne se démonta pas pour si peu. Il poursuivit sa route sur la Colombie, remonta le fleuve national où, d'après ses lettres d'explorateur, les anacondas gigantesques le regardaient passer en balançant, lianes vivantes, leurs anneaux diaprés, de la tête des palmiers de vertige jusqu'aux llanos où broutaient les guanaques.

Carlos Eugenio Restrepo
Il arriva ainsi à Santa Fé de Bogota, capitale paradisiaque du pays, éblouit le président Carlos Restrepo de son génie créateur, voulut absolument épouser sa nièce, traita cent affaires d'or, de gemmes précieuses ou d'émeraudes, émerveilla la presse colombienne en alignant devant elle les soixante paires de chaussures qu'il avait apportées du quartier Vendôme et cavalcada, tous les matins, sous les balcons fleuris des beautés avérées du pays, culotté d'une double peau de lion d'Amérique, « dont les queues retombaient de ses poches en ceinture aux molettes de ses éperons d'or ».

Il se vengeait ainsi du dédain des Vénézuéliens en ouvrant l'avenir opulent, qu'il leur avait d'abord destiné, au peuple généreux et conscient de ses mérites dont il avait su conquérir les bonnes grâces.

Une grosse banque de Paris, après examen de ses options commerciales, au lendemain de son retour, déclarait alors que certaines de ses initiatives étaient capables de réussir et de donner de beaux dividendes.

La reprise des relations diplomatiques avec Caracas devait se terminer sans Bolo, qui en fut, d'abord, l'un des plus remuants promoteurs. Elle ne me donna qu'une satisfaction d'amour-propre : le protocole imprimé là-bas porte mon nom. »(Gheuzi op.cit)

Mais, quelques mois plus tard, selon Gheusi, l'affaire Vénézuélienne connut un rebondissement comique. En effet, après la déposition du président Castro prédécesseur de Gómez à Caracas, toutes les polices d'Europe et d'Amérique étaient aux trousses de l'ancien président.

Pour se venger de son ancien lieutenant qui l'avait supplanté Castro essayait de reconstituer une armée de mercenaires en Europe afin de reprendre le pouvoir.

Or, des informateurs affirmaient qu'il Castro se cachait à Paris, se faisant soigner clandestinement par un médecin marron pour une syphilis rebelle.

Poincaré téléphone à Gheusi pour lui demander s'il savait comment le retrouver.

L'ancien négociateur lui répond qu'il « connaît un lascar très capable de le dénicher dans les maisons mal famées où il a coutume de se terrer. »

Faites-lui dire qu'il sera défrayé de tout et bien au-delà - s'il nous rend le service de le débusquer - afin d'éviter à notre police de se rendre ridicule.

Le soir même, avant minuit, Bolo lui téléphonait l'adresse de l'agitateur en fuite. Il se cachait chez une fille d'Auteuil, entremetteuse et faiseuse d'anges. Bolo délégua un informateur à lui qui resta couché tout l'après-midi sous le canapé du salon de l'hôtesse où Castro recevait ses affidés impliqués dans la conjuration.

Quand la police perquisitionna la maison suspecte, Castro avait décampé. Prévenu sans doute par Bolo lui-même qui se vengeait ainsi de l'affront subi quelques mois auparavant, tout en touchant une substantielle rétribution pour les révélations recueillies.

Quant au dictateur déchu, il acheva sa vie en exil et mourut à Porto-Rico en 1924.

Abbas Hilmi, Khédive d'Égypte
A la veille de la guerre de 14-18, c'est donc enfin pour Paul Bolo le grand jeu dans la cour des grands. Il copine avec Joseph Caillaux, devient le conseiller financier d'Abbas Hilmi, Khédive d'Égypte qui lui octroie le titre de pacha.

Il tisse alors des liens avec des banques allemandes en vue de racheter d'importants journaux français qu'il veut inciter à manipuler l'opinion publique en faveur de la paix. Mais ce fut là une tragique erreur de stratégie de la part de l'aventurier.

Le 18 décembre 1914, le Khédive, partisan de l'Allemagne, est déposé par les autorités anglaises et se réfugie en Suisse.

L'opération est éventée, les relevés de ses comptes de banque allemands découverts, et Bolo est arrêté sous l'inculpation d'intelligences avec l'ennemi. Il est déféré devant le conseil de guerre de Paris, en février 1918. Le procès est instruit par Bouchardon, comme pour l'affaire Mata-Hari et le commissaire Mornet réclame la peine de mort.

Ce même Mornet qui après la seconde guerre mondiale officiera comme procureur dans le procès de Laval.

Bolo est condamné à mort.

La veille, le tribunal de la Seine avait annulé son mariage avec Pauline Moiriart.

Paul Bolo devant le Conseil de Guerre

Le 17 février 1918 au matin, nous dit un témoin « en présence des magistrats qui venaient de l'éveiller et de lui annoncer la fatale nouvelle, le pacha Bolo se plut à revêtir du linge fin; il boutonna habilement un faux col; il refit deux fois le nœud de sa cravate; puis il prit un vêtement noir et de coupe élégante que son frère lui avait apporté à la prison et, avant de quitter sa cellule, il tint à enfiler des gants de chevreau blancs. Il est attaché au poteau de son supplice, devant douze soldats, tous volontaires, qui le passèrent par les armes. Justice était faite. De l'élégant homme d'affaires et séducteur il n'y eut plus qu'un cadavre écroulé. « Dans l'aube qui s'élevait au-dessus de la caponnière de Vincennes, on ne pouvait plus reconnaître Bolo Pacha qu'à ses gants blancs. »

L'exécution
Quant aux tableaux impressionnistes achetés jadis au bon moment et abandonnés dans le grenier de la villa de Marlotte, ils valent aujourd'hui des millions. Et si nul ne sait au juste ce qu'ils sont devenus, ils n'ont certes pas été perdus pour tout le monde. L'on a dit que dans les années 20, le propriétaire de la demeure qu'il avait louée à Bolo, (maison aujourd'hui détruite) s'était installé en Amérique où il aurait ouvert une galerie d'art !

* Cécile Maroteau, fille d'un cultivateur de notre village, fut lauréate, malgré les oukases de l'Église, de l'un des premiers concours de beauté organisé en Amérique du Sud et épousa un richissime armateur argentin.


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