Si Bourron-Marlotte m'était conté...

LA FAMILLE CÉZANNE

Cezanne

Paul Cézanne : autoportrait
On a beaucoup épilogué sur la présence ou non du peintre dans notre village. Il semblerait en effet que Paul Cézanne, l'une des figures emblématiques de l'art moderne, ait fréquenté l'auberge Antony et habité quelque temps à Marlotte, comme ses amis Renoir, Sisley et combien d'autres, bien avant que son fils Paul ne s'y installe à demeure.

Paul Cézanne (1839-1906) est issu d'une famille de bonne bourgeoisie provinciale. Son père, Louis Auguste Cézanne possède à Aix-en-Provence une fabrique de chapeaux qu'il expose et vend dans une belle boutique du Cours Mirabeau.

Cette aisance matérielle permettait à Monsieur Père de vivre à son goût, en retrait de la société aixoise, cancannière, rigide et bien pensante et un peu trop conformiste à ses yeux.

Cezanne pere
Louis-Auguste Cézanne
Louis Auguste vivait à la colle avec Anne-Elisabeth Aubert, une de ses anciennes ouvrières, lui avait fait deux enfants (Paul en 1839 et Marie en 1841) avant de régulariser sa situation familiale en 1844. Quatre ans plus tard, en 1848, ayant vendu son entreprise de chapellerie il change radicalement de métier, crée la «Banque Cézanne et Cabassol» avec un associé, rue des Cordeliers.

Paul Cézanne fait de bonnes études classiques au collège d'Aix, nouant de solides amitiés avec certains de ses camarades. Émile Zola, notamment, qui l'aidera de ses encouragements et de ses deniers aux périodes difficiles.

Son père le destinant au Droit, Paul s'inscrit en 1858 à la faculté d'Aix, bien que sa vocation artistique fût déjà bien ancrée en lui.

Cezanne jeune
Paul Cézanne jeune
En 1860, il persuade son père, qui tient les cordons de sa bourse très serrés, de lui laisser faire un voyage à Paris afin de visiter le Louvre et d'entrer à l'École des Beaux-Arts.

S'il échoue à l'admission, pour cause de "tempérament excessif", son séjour lui permet de faire la connaissance de quelques caractères bien trempés, comme le sien : Pissarro, Guillaumin, puis Bazille, Renoir, Monet, Sisley, Manet, génies en devenir qui travaillent en toute liberté. Ils l'emmènent goûter aux joies de peindre dans la nature à Fontainebleau, loin des ateliers désuets et des sentiers battus.

Il fréquentera aussi un peu l'Académie suisse, où il dessine avec plaisir d'après modèle, avant de retourner à Aix.

Il renonce à poursuivre ses études de droit pour travailler quelque temps à la banque paternelle. Mais il sait bien que sa vocation est ailleurs, et il repart pour Paris retrouver ses amis.

En 1869, il se lie avec Hortense Fiquet (1850-1922), un des modèles de l'Académie suisse. Il lui fait un fils, Paul (1872-1947), sans parler de tout ça à son père, pour ne pas risquer sa désapprobation et la fin de ses modestes allocations.

Hortense
Hortense Fiquet
Seuls, parmi ses intimes, Zola et son épouse Alexandrine auront connaissance de cette liaison, mais sans accueillir Hortense sous leur toit, cette «pièce rapportée» que l'épouse du romancier appelait avec mépris «La Boule».

Cézanne aborde alors avec ses amis une saison féconde, riche en diverses et tâtonnantes recherches  la période impressionniste. Il fréquente Auvers-sur-Oise, peignant dans la maison du Docteur Gachet avec Pissarro, rend visite aux peintres de Barbizon.

C'est dans ces années - 1870-1872 - que Paul Cézanne séjournera à Marlotte et y loua une vieille maison "Les Glycines" au N°30 de l'actuelle rue Delort. Cette demeure comportait un atelier où Sisley aurait travaillé avant lui.

Hortense
Fils de Paul Cézanne
A propos des Glycines, Marie-Claude Lalance, nous conte cette étrange et surprenante anecdote:

«En haut d'un escalier se trouve l'atelier, les murs ont été, au début du siècle, blanchis à la chaux car ils étaient décorés de multiples dessins de nus choquant de nouveaux propriétaires ayant deux petites filles... Et puis un jour, bien plus tard, le tiroir d'un secrétaire qui n'avait jamais quitté la maison, se débloque et met à jour un petit carnet intact dont un jeune couple s'est servi jadis pour inscrire les comptes du loyer... C'est la femme qui inscrit les dépenses du ménage... elle est peu connue à l'époque, son mari guère plus... et soudain sur une feuille, datée de l'année 1860* un nom apparaît... Paul Cézanne... alors qu'on a toujours affirmé que Cézanne, même de Melun, n'était jamais venu jusqu'à Marlotte, il a fallu qu'un tiroir de secrétaire dévoile enfin son secret et confirme cette extraordinaire découverte... non sans une certaine déception car quels trésors ont disparu, à tout jamais sous l'épaisse couche de peinture des murs de l'atelier...»

*Bizarre, Bizarre ! Et cette date : 1860. En tout cas "cette femme" ne pouvait être Hortense, née en 1850 ! Sans doute un jour en apprendrons-nous davantage ! (Voir plus loin l'anecdote du portrait d'Alfred Hauge).

La liaison de Cézanne avec Hortense sera découverte fortuitement par sa petite sœur Marie en 1878 et durera jusqu'à leur mariage en 1886, où la famille réunie assistera à sa régularisation.

1886 marquera par ailleurs un tournant important dans la vie de Cézanne.

D'abord la mort de son père qui, laissant à ses enfants une honnête fortune, lui permettra de vivre à l'abri des soucils matériels. Sa brouille avec Zola, qui, dans son roman L'Œuvre raconte l'histoire d'un peintre maudit fourvoyé dans ses recherches, incapable de trouver sa voie et de créer une grande œuvre… sous les traits duquel l'artiste croit se reconnaître.

Hortense
Hortense Fiquet (1880)
Désormais il vivra également séparé de sa femme, avec qui il ne partageait plus rien et qu'un de ses amis qualifia de "high-maintenance woman" femme vraiment dépensière ! Si l'on retrouve Hortense dans de nombreux portraits de Cézanne c'est qu'elle seule savait prendre correctement la pose, restant immobile, impassible durant des heures. Le peintre s'occupera toujours d'elle et de son fils Paul qu'il verra peu mais chérira tendrement.
Paul Cezanne
Paul Cézanne photo d'Émile Bernard (1904)

Pour Cézanne, ce sera le début de la "terre promise", une période féconde où Ambroise Vollard le découvre, le propose aux collectionneurs et l'expose avec enthousiasme sous les quolibets d'une critique encore sceptique.

L'artiste entre dans cette période sublime et faste où il épure, modère, allège sa palette, réalisant peu à peu cette magnifique et fragile synthèse entre le romantisme et le réalisme, l'impressionnisme et le cubisme.

Cette parfaite harmonie des couleurs et des formes feront de lui le «Maître d'Aix», l'immortel magicien de la Montagne Sainte Victoire et le véritable créateur de l'art moderne.

Sainte Victoire
La Montagne Sainte-Victoire

Il semble avéré que Paul Cézanne séjournait à Marlotte en août 1899, qu'il y rencontra et fit le portrait du jeune peintre norvégien Alfred Hauge, hôte d'Alexander Kreutzer. Nous connaissons peu de chose sur ce séjour si ce n'est que Cézanne «lacéra au couteau son portrait d'Alfred Hauge qu'il jugeait insuffisant» - et qu'un conservateur américain fit si bien restaurer par la suite qu'on ne distingue plus aujourd'hui sa mutilation. Quant au peintre norvégien, Alfred Hauge, il serait bien oublié si cette anecdote ne venait raviver son souvenir. On dit que ce fut son ami et compatriote Edvard Munch avec qui il partageait un atelier à Kristiania (Oslo), qui l'incita à l'accompagner à Paris puis l'amena à Marlotte.
Alfred Hauge
Alfred Hauge par Cézanne

Au cours des dix dernières années de sa vie, le peintre séjournait volontiers à Marlotte, seul, « pour être tranquille», car au fond ce n'est pas la forêt qui intéresse Cézanne nous dit Olivier Cena :

« Dans son atelier de Marlotte, il peint des portraits, des natures mortes, et sur le mur des femmes nues, depuis effacées, préfigurant les Grandes Baigneuses, tableau pour lequel il envisage déjà, sur les hauteurs d'Aix-en-Provence, la construction de l'atelier des Lauves. Cézanne est à Marlotte mais son esprit, comme toujours, est ailleurs : dans la peinture. »

Paul Cézanne fils
(1872-1947)
Ce fut en 1922, sur les conseils de Jean Renoir installé à Saint-El que Paul Cézanne fils unique du peintre Cézanne (1839-1906) et d'Hortense Fiquet, acheta La Nicotière aux enfants du peintre Delort.

Paul fut tendrement aimé par son père, bien que l'époque ne fut pas encore sujette aux tendresses bêtifiantes d'aujourd'hui.

L'enfant posa souvent pour lui: Le mardi gras (Musée Pouchkine, Moscou), Portrait de Paul (à onze ans) (Musée de l'Orangerie à Paris).

Paul Fils
Paul Cézanne junior
Sans jamais songer à devenir lui-même un artiste, Paul Cézanne junior s'intéressa au monde fascinant qui gravitait autour des ateliers. Ce monde trouble des grands marchands d'art de l'époque, les Bernheim, les Durand-Ruel et Vollard qui, après des décennies de mépris ou de rejet, recherchèrent avidement les œuvres de son père.

Après la mort du peintre, au cours de ses vacances chez les parents de son ami Jean Renoir à Essoyes et à Cagnes, il rencontra une des filles de Georges Rivière, le critique d'art, l'ami de toujours de Renoir et Cézanne.

Paul épousa Renée Rivière en janvier 1913 et s'intalla à Cagnes. Il eut le chagrin de perdre son premier fils qu'il avait aussi appelé Paul... puis vinrent Aline et Jean-Pierre.

Il passa sa vie à vénérer le souvenir de son illustre père, rassemblant et classant toute sa correspondance - dont celle avec Zola - qu'il publia.

La maison Nicot de Marlotte, servit d'écrin et de décor aux merveilleuses toiles qui prirent place sur les murs: des Renoir, Cézanne, Delacroix, Monet... un trésor qui fut gardé jour et nuit par cinq bergers allemands !

Quant aux invités dont Jean Renoir et ses amis venus de Saint-El, de Giverny, de Paris et d'ailleurs ils n'oublieront jamais l'accueil exubérant et fastueux du maître de maison, qui, durant de nombreuses années, tint table ouverte pour ses amis et les amis de ses amis.

Il est vrai que les toiles peintes par son père et ses amis impressionnistes commençaient à valoir une fortune, et il y en avait plein la maison attirant les marchands et les collectionneurs du monde entier.

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Paul Cézanne fils du peintre et Ambroise Vollard (sur la balançoire) à la Nicotière

Ambroise Vollard, natif de Saint-Denis de La Réunion qui avait débuté sa carrière de marchand dans une petite boutique de la rue Laffite et collectionna les premiers impressionnistes dont Cézanne, resta ami intime de son fils et un habitué des lieux.

Paul junior s'éteignit à l'âge de 75 ans. Une amitié vive et sincère se tissa entre les enfants de Jean Renoir et de Paul Cézanne, amitié qui se perpétua dans leur descendance.

Mme Lalance dans son livre que nous citons souvent, nous dit que «Paul Cézanne voulait que la vie à la Nicotière soit une fête perpétuelle, il aimait: le billard, les boules de pétanque, les feux d'artifice et faisait livrer le porto en tonneaux ! Il adorait se déguiser et jouer à cache-cache. Tout le monde y participait. Il est vrai que cette maison s'y prêtait, tant il y avait de bâtiments, d'escaliers, de couloirs... Un jour que "Tonton Paul" avait trouvé une cachette à l'intérieur d'une cheminée, la cloche de l'entrée retentit: un couple de touristes américains désiraient rencontrer le fils de Cézanne. Ils virent arriver un ramoneur, noir des pieds à la tête, qui leur cria: "Le fils... c'est moi !"»

Nicotiere
La Nicotière aujourd'hui

«Les Renoir : Une magnifique famille d'artistes»

 
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