Henry de Groux
(1866-1930)
Un flamboyant inconnu

De Groux
Ce peintre original et aujourd'hui peu connu, doit son oubli davantage à sa discrétion, - il fuyait la célébrité - qu'à ses origines (il est le fils de Charles de Groux, peintre belge académique ayant viré au naturalisme).

Célèbre dès l'âge de 22 ans, grâce à un tableau surprenant Le Christ aux outrages, Henry de Groux, est admis au Groupe des Vingt, cercle artistique d'avant-garde, avant d'en être exclu pour avoir vitupéré de jeunes peintres inconnus que le groupe admirait : Van Gogh, Signac et Toulouse-Lautrec.

Henry de Groux se rend à Paris.

Arrive alors, nous dit son biographe et ami Émile Ripert, « dans ce Paris d'alors, tout bourdonnant de querelles esthétiques, où les pointillistes, tachistes impressionnistes, fauves de toutes sortes luttaient âprement contre les défenseurs des traditions académiques, un jeune belge candide, fils d'un grand peintre et peintre lui-même. »

Considéré en son temps comme un des peintres les plus novateurs de la génération symboliste, de Groux se découvre une âme sœur en Léon Bloy. Il est séduit autant par les idées révolutionnaires de son aîné que par sa recherche spirituelle atypique et son tempérament volcanique.

Christ auxoutrages
Henry de Groux : Christ aux outrages
Détracteur de jeunes peintres talentueux et novateurs comme lui mais dont les recherches formelles différaient des siennes, il vitupère "l'imbécile malfaisant, qu'il soit cubiste, dadaïste ou futuriste". Il rend Cézanne, Manet, Degas, "responsables de la dégringolade actuelle". Quant à Van Gogh, pourtant apprécié comme lui-même par Verhaeren, Gabriel Aurier, ou Gourmont, voire plus tard par Apollinaire, il le méprise, se mettant volontairement en marge de ce courant d'avant-garde porteur qui allait triompher sans lui, tandis qu'il sera progressivement poussé aux oubliettes durant tout le XXe siècle.
Une personnalité hors normes
Émile Ripert poursuit son portrait :

« Je revois Henry de Groux avec sa face énigmatique d'ecclésiastique un peu inquiétant, ses yeux sensuels et noyés de rêves, ses longs cheveux plats coiffés d'un grand feutre, sa redingote de clergyman, son jonc à pomme d'or, sa politesse raffinée, son fusain génial qui fixait en quelques traits, d'un air négligent , sur le papier l'âme de son modèle, telle que le modèle était étonné et parfois effrayé d'une telle révélation. À côté de lui je revois sa femme, mystique des Flandres, et sa fille à l'aspect de tzigane, qui dans l'art de la gravure s'était mesurée aux aigles qu'elle avait observés au jardin zoologique d'Anvers, "la jeune fille qui peint les aigles" comme l'avait nommé le poète Émile Sicard. »

Ensor
De Groux : Portrait de James Ensor
Sa vie fantasque, qui ne tarda pas à se muer en légende, a relégué au second plan une œuvre étrange et visionnaire, où brillent les derniers feux du romantisme et du symbolisme flamboyant.
Haute-Claire
Henry de Groux participa aux festives rencontres du Logis de Haute-Claire à Marlotte. Il est apprécié par Armand Point, le grand prêtre du phalanstère* et par Anatole Isengrain, pourfendeur des faux artistes qui le surnomma : Le Wagner de la peinture. *La réciproque semble moins vraie si l'on en croit ce billet en vers, daté du 6 juillet 1904, mais sans doute jamais envoyé, que l'on retrouve dans son Journal :
« Mon "cher" Armand Point,
Tu es bûcheur, patient et servile.
Tu es voleur, lâche et vil,
Mais de génie tu n'as point !…
Tu peux tuer tes rivaux
Tomber dans le hideux piège
Tu surnageras comme le liège
Sous l'ombre des marais triviaux ;
Tu peux conspuer mes œuvres
De ton labeur de manœuvre

[ Mots illisibles (nombreuses ratures) ]
Elle te sera un très lourd appoint
Car de génie tu n'as point ! »

Paul Fort le prince des poètes habitué des lieux, nous conte dans ses Mémoires :

« Ces rencontres donnaient lieu à quelles princières agapes, non ! Léchez-vous les doigts, à quels repas pantagruéliques ! Fastueuses fêtes en vérité, où l'on voyait fraternellement tourner la broche de Victor Margueritte et Raoul Ponchon, ou bien l'auteur des "Chansons de Bilitis" et de celui de "Les Oiseaux s'envolent et les Fleurs tombent" ! Il me souvient qu'un jour, le peintre Henry de Groux et moi, cuisiniers bénévoles, tournâmes, tournâmes durant trois quarts d'heure un ample mouton cuit à l'algérienne au creux d'une fosse embrasée. J'en ai chaud encore. »

L'Affaire
Lorsque éclata l'Affaire Dreyfus, Henry de Groux prit spontanément parti pour Zola, participant à sa protection physique contre la foule hostile à la sortie du tribunal.

Cette manifestation d'indépendance entraîna une rupture avec Léon Bloy, son maître et mentor.

Siegfried
Henry de Groux : La mort de Siegfried
De Groux écrit le 11 décembre 1898 :

« Bloy vient me trouver ce matin. Il a certainement lu dans l'Aurore de ce matin l'article de Clémenceau et celui de Leyret où il est question de l'inoubliable lettre de Zola et qui retentit comme "un coup de tonnerre jusqu'alors inouï" et de "l'immortel pamphlet de Zola," etc.

C'en est trop évidemment et il trouve qu'on lui fait vraiment la part trop belle. Pendant une heure il m'agonise d'injures et gueule [de] violentes diatribes contre "Zola et sa bande" qu'il estime incapable d'un acte de générosité quelconque et n'être qu'un imbécile abject dans la main de Clémenceau qui seul a du talent à l'Aurore et n'est qu'un maniaque féroce lui-même capable "de faire scier en deux de petits enfants". Je ne parviens pas à placer le moindre mot et je sens combien c'est d'ailleurs inutile ! »

Chambardement
Le Grand chambardement
Après cette sombre période, où il subit une violente pression de Léon Bloy, le peintre verra monter en lui le dégoût du monde qui l'environne, le doute s'infiltrera dans sa foi religieuse et sa croyance en l'Église. Mais, il lui conservera malgré tout son admiration et son respect.

Dès qu'il en eut l'opportunité, de Groux partit prospecter l'Italie et la fabuleuse Florence. Il s'enticha de Dante dans l'œuvre de qui il redécouvrit ses propres phantasmes chantés avec le même bonheur, la même intensité, que lui-même les avait peints !

Puis, comme à regrets il regagna la France.

Émile Sicard, poète de la Provence le fit venir auprès de lui pour travailler un buste d'Emmanuel Signoret et en 1914 le buste était prêt, posé déjà sur une place de Lançon au milieu de beaux platanes qui se dilataient dans l'ardeur et la lumière de l'été provençal lorsque la guerre éclata.

Un jour, entre les deux guerres, en Avignon, nous dit Émile Ripert, Henry de Groux se trompe de porte et s'en alla frapper au Roure, cet ancien hôtel de la famille des Baroncelli acquis, à cette date, depuis peu de temps, par Jeanne de Flandreysy faisant de ce monument d'Avignon une sorte de Villa Medicis provençale. Henry de Groux expliqua son erreur, mais il fut invité à passer tout de même la journée en cette belle vieille demeure : il y passa la journée et trois années encore.

Pendant plus de 20 ans, Henry de Groux tint un journal sur 18 volumes manuscrits, dont un extrait a récemment été publié (début 2008).

Tortue
Course de tortues
Lorsque Henry de Groux meurt à Marseille en 1930, l'artiste laisse inaboutis plusieurs projets littéraires, dont l'édition du Journal comportant 18 volumes manuscrits qu'il avait commencé en 1892.

Ce document capital sur cette époque charnière était demeuré inédit jusqu'à nos jours et avait été conservé par les descendants de l'artiste, qui en ont fait don à L'Institut national d'histoire de l'art en 2002.

L'œuvre d'Henry de Groux "flamboyante, comme le panache d'une comète", ainsi qu'il la souhaita lui-même, émerge enfin de l'oubli, du mépris, où elle se trouvait reléguée. Le Dr Paul Meunier (Marcel Réja) n'alla-t-il pas jusqu'à le classer parmi les peintres fous ! Somptueuse résurrection d'un artiste complet.

ex-libris
Ex libris
* Un ex-libris, décrit ainsi dans « Remy de Gourmont et la mélancolie normande », Imprimerie gourmontienne, n°1, 1920-1921 : « un sphinx est étendu les yeux baissés parmi les sables du désert, sous le dais constellé d'une nuit d'Égypte. Se dressant auprès de lui, un palmier symbolise l'arbre de la science, et le feuillage d'un aloès distille toute l'amertume que, plein de gravité, exprime dans un pli tombant des lèvres, le visage féminin qui surmonte le corps accroupi du lion. Des serpents s'enroulent sous le ventre du beau monstre énigmatique dont l'une des griffes s'étale aux pages d'un in-folio ouvert sur cette légende : Scripsi et legis in deserto. J'ai écrit et tu lis dans la solitude. »
 
Sources : Émile Ripert
Émile Baumann :
La vie terrible d'Henry de Groux

Henry de Groux  Séjour à Marlotte

Henry de Groux  Polémiste et Critique redoutable

 
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