JEAN RENOIR
(1894-1979)

Jean Renoir
 
Jean Renoir, cinéaste que Charlie Chaplin qualifiait de «plus grand metteur en scène du monde», est né à Montmartre le 15 septembre 1894. En 1915, grièvement blessé au combat (comme son frère Pierre) il souffrira sa vie durant de cette lésion du fémur le contraignant à boiter. Il restera toute sa vie un pacifiste convaincu.

En 1916, il apprend la photographie aérienne et réussit malgré son handicap à s'engager dans l'aviation à bord d'un avion de reconnaissance.

Il épousa le 17 janvier 1920, à Cagnes, Andrée Madeleine Heuschling le dernier modèle de son père, et s'adonne à la céramique. Jean qui aime passionnément sa femme, voudrait magnifier sa beauté insolite et insolente dans un film. En réalité, ce n'est que pour en faire une vedette, qu'il s'intéresse à la production cinématographique. Madeleine restera l'interprète de ses films jusqu'en 1928, sous le nom de Catherine Hessling. Il se ruinera pour la lancer.

Mais comme toutes choses, l'amour passe, l'amour fou sans doute plus vite que les autres.

Dans les années 20, Jean Renoir qui tourne à Marlotte les extérieurs de «La Fille de l'eau» devient l'ami intime de Paul, le fils du peintre Cézanne, lui-même ami de son père. Il y acheta une maison, St El, aujourd'hui N°42 de la rue Murger.

Cette maison avait appartenu à Ludovic de Villée, baron de Saint-El, un magnifique personnage austère et solitaire dont l'histoire a dû ravir Jean Renoir et sans doute l'inspirer.

Si Bourron-Marlotte m'était conté

Ce premier long-métrage, La fille de l'eau, sorti en 1924, fut réalisé à Marlotte, au bord du Loing, à Saint-El et dans la propriété des Cézanne, la Nicotière.

Jean Renoir est son propre producteur et c'est de ses deniers qu'il finance son film. Subjugué par les productions de l'époque : Griffith, Charlie Chaplin, Érich von Stroheim, il subit également l'influence de l'avant-garde française de l'époque, Abel Gance et Jean Epstein.

Dans La Fille de l'eau, il fait jouer son frère Pierre Renoir aux côtés de son épouse Catherine Hessling. Il entraînera dans l'aventure Charlotte Clasis le dernier modèle de son père et ses propres amis Pierre Lestringuez, Pierre Champagne, Maurice Touzé, le peintre André Derain!

Fille de l'eau
La Fille de l'Eau, tourné au bord du Loing
C'est Jean Renoir qui incite son grand frère, acteur de théâtre déjà chevronné, à travailler pour le cinéma, art pour lequel Pierre ne se sent d'abord aucune affinité.

Mais l'arrivée du cinéma parlant et la couleur au début des années 30 vont changer la donne.

De l'union de Jean Renoir et de Catherine est né en 1921 un fils, Alain, qui grandit dans la maison de Saint-El, mais assistera, adolescent, à la séparation de ses parents.

Après le médiocre succès de son film, Jean Renoir déprime et songe à abandonner le cinéma. Mais son ami Jean Tedesco qui vient de transformer le Théâtre du Vieux Colombier en cinéma d'avant-garde, l'invite à venir assister à une séance où dans un programme d'extraits de films, il a inséré la séquence du rêve de La Fille de l'Eau. Jean Renoir, dans Ma Vie et mes films, raconte :

«Le titre: "Extraits de la Fille de l'Eau" parut sur l'écran. Le pianiste de l'établissement préluda par quelques accords, puis il accompagna le début du film par une musique très douce, suivie pour la chevauchée d'une improvisation d'un genre héroïque. Les images se succédaient dans ce qui me semblait être une désespérante lenteur. Aimaient-ils cela ou ne l'aimaient-ils pas? Au bout de cinq minutes de projection, la salle était prise. Des applaudissements saluèrent plusieurs passages. Catherine et moi sentions notre angoisse disparaître, remplacée par une exaltation heureuse. Au moment où Catherine glisse du cheval et est entraînée dans une chute sans fin, les applaudissements éclatèrent.

Lorsque la lumière fut revenue et que l'écran fut vide, ils reprirent avec un enthousiasme dont la sincérité ne faisait aucun doute. C'était comme un crépitement entêté. Pour la première fois de ma vie j'éprouvais la griserie du succès. Jean Tedesco nous avait placés au milieu de la salle de façon à ce que les spectateurs puissent nous voir. Catherine fut reconnue et l'ovation rebondit de plus belle. D'un seul élan, toute la salle se mit debout.

Décidément, nous n'abandonnerions pas le cinéma. Le résultat de ce revirement fut "Nana" tourné en 1926. Pourquoi "Nana" ? Simplement parce que Pierre Lestringuez et moi admirions profondément le roman de Zola. J'en parlai à Catherine qui aussitôt se mit à mimer une Nana à sa façon.»

Catherine Hessling
Catherine Hessling
C'est ainsi que Jean Renoir se lance dans la folle et coûteuse aventure de Nana. L'échec financier le contraint à vendre plusieurs tableaux de son père pour payer ses créanciers.

Mais il persévère, réalise La Petite marchande d'allumettes, (1928) un conte inspiré d'Andersen, Tire-au-flanc, comédie militaire, avant de passer au cinéma parlant avec On purge Bébé (1931) d'après Feydeau.

Le réalisateur renonce désormais à confier un rôle à son épouse dont il se sépare. C'est la fin d'un grand amour. Leur divorce ne sera prononcé qu'en 1943.

Le succès espéré se laissant toujours désirer, Renoir passe au film réaliste avec La Chienne où le talent de Michel Simon explose l'écran dans son rôle de "petit bourgeois jaloux, assassin et veule".

La Nuit du carrefour (1932) d'après un roman de Simenon où Pierre Renoir interprète le rôle du Commisaire Maigret inaugure une série de chefs d'œuvres. Boudu sauvé des eaux, Le Crime de Monsieur Lange, Partie de Campagne, Les Bas-Fonds.

Avec Toni tourné avec des amateurs en 1934, dans un décor naturel, il crée le style néo-réaliste avant même qu'il n'apparaisse en Italie. Dans ce film, Jean Renoir travaille pour la première fois avec son neveu Claude Renoir à la caméra et travaillera à proximité de Pagnol, comme il le raconte dans ses souvenirs :

«En France, un auteur de génie avait réussi à créer une organisation parfaitement efficace pour la diffusion de ses films. C'est Marcel Pagnol. Non seulement il se limitait géographiquement, comme Bergman, mais il se limitait aussi historiquement. Les «Films Marcel Pagnol» fonctionnaient à la façon d'un atelier du Moyen Age. Pendant que je travaillais à mon film «Toni» je le voyais souvent. Il se servait pour ses films de mon équipement électrique du Vieux Colombier.

Dans sa maison de campagne, il accueillait ses techniciens, acteurs et ouvriers comme l'eût fait un maître charpentier du XVe siècle. Il avait son studio à Marseille. J'avais loué un logement non loin de ce studio pour le tournage de mon film et je me joignais à son équipe dans de passionnantes parties de pétanque. Nous échangions des services en nature, moi lui dirigeant à l'occasion une scène, lui m'aidant dans quelque problème de dialogue. Il possédait son organisation de distribution et même une salle sur la Canebière à Marseille. C'était après «Marius» et «Fanny». Sa réputation était immense et lui permettait cette indépendance. Le succès commercial de Pagnol était basé sur son talent. Ça marchait, et fort bien.»

A l'approche du Front Populaire, sa collaboratrice et compagne Marguerite Houllé, militante communiste active, amène Jean Renoir à épouser sa cause politique. Il adhère au groupe Octobre, où il retrouve les artistes Jacques Prévert, Maurice Baquet, Roger Blin.

Il réalisera des films tels La Vie est à nous (1936) puis La Marseillaise qui enthousiasmeront les foules du Front-Populaire.

Grande Illusion
Pierre Fresnay et Erich von Stroheim dans "La Grande illusion"

Peu avant la Seconde Guerre Mondiale, Jean Renoir réalise coup sur coup avec Erich von Stroheim et Jean Gabin, les deux immenses chefs d'œuvre que sont La Grande Illusion (1937) La Bête Humaine (1938), La Règle du Jeu (1939) où il nuance ses idées communistes par un message humaniste et pacifiste d'une grande sincérité.

«Ce film, nous dit Pierre Driout, restera sans doute son œuvre maîtresse et un grand classique de l'histoire cinématographique. Sur fond d'une partie de chasse, Renoir dessine une satire magistrale de la société de son temps où toutes les couches sociales s'adonnent avec une belle égalité à l'hypocrisie et à la tromperie. Le film provoque un scandale et ne fait pas recette. Finalement, après avoir été amputé à plusieurs reprises, La Règle du Jeu est interdit à la déclaration de guerre pour son effet "démoralisant" et la version intégrale ne sera rétablie que de nombreuses années plus tard.»

A sa liaison avec Marguerite succède celle avec Dido Freire, la script de La Règle du Jeu qu'il épousera par la suite.

À la veille de la guerre, Saint-El sera remis en vente. L'année suivante, Jean Renoir s'embarque pour les Etats-Unis, se marie avec Dido aux côtés de laquelle il terminera ses jours. Il revient souvent en France pour y réaliser ses derniers films, après sa période américaine.

En 1941, aux Etats-Unis où se déroule sa période dite américaine, Jean Renoir s'adapte mal au système hollywoodien. Malgré quelques succès comme Le Journal d'une Femme de chambre d'après Mirbeau, ou L'Homme du Sud, (Oscar du meilleur réalisateur) il regagne l'Europe.

En 1949, il se rend en Inde et offre à ce pays qui vient d'arracher son indépendance un superbe cadeau en y tournant Le Fleuve, son premier film en couleurs,

En Europe où il revient en 1952, il rencontre toujours quelques difficultés à financer ses projets, malgré ses admirables chefs d'œuvre et sa renommée auprès des cinéphiles du monde entier. Il réalise quelques beaux films comme Le Carosse d'or (d'après Mérimée) avec Anna Magnani, French Cancan, un merveilleux hommage au Moulin Rouge avec Françoise Arnoul et Jean Gabin (1955), Elena et les Hommes (avec Ingrid Bergman et Jean Marais, 1956), Le Déjeuner sur l'herbe, 1962), Le Caporal épinglé (d'après l'œuvre de Jacques Perret, 1962).

L'historien du cinéma David Thomson, pour qui Renoir est le plus grand cinéaste de tous les temps, écrit que «... son génie réside dans sa perpétuelle prise de risques dans le but de réaliser un nouveau type de films, tout en restant expérimental» et il ajoute que «dans les années 30, il n'y eut pas une expérience dans les domaines de l'éclairage naturel, du déplacement de la caméra, de la profondeur du champ visuel, des décors naturels ou du mélange intérieur/extérieur que Renoir n'eut tentée».

Il se retire à Beverly Hills où la mort l'emporte le 12 février 1979. Son corps fut ramené en France pour qu'il repose dans le caveau familial du cimetière d'Essoyes (Aube).

Jean Renoir a écrit quelques pièces de théâtre et des livres remarquables, notamment Pierre-Auguste Renoir mon père et Ma vie et mes films paru chez Flammarion, ouvrage auquel la présente page emprunte beaucoup.

Tournage à Bourron-Marlotte :
Jean Renoir pique-nique avec son équipe

 
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