Voyage en France
de Sébastien Locatelli

prêtre bolonais
(1664-1665)

Coche Auxerre
Coche d'eau d'Auxerre

Extrait de la relation d'un voyage effectué en France de 1664 à 1665 par Sébastien Locatelli, prêtre bolonais publiée avec une introduction et des notes par Adolphe Vautier, archiviste-paléographe. Cet ouvrage a paru à Paris en 1905 chez Alphonse Picard et fils :

Voyage en France : Mœurs et coutumes françaises (1664-1665). Ci après, un "extrait" paru dans le N° 29 du bulletin des Amis de Bourron-Marlotte en 1992 - Texte présenté et commenté par Bernard Hauviller.

Les relations de voyage du XVIIe siècle dans notre région étant plutôt rares, ce récit (1) dont les péripéties présentent maints rapports avec la forêt de Fontainebleau nous offre une image vivante d'un voyage d'autrefois.

Extrait

Le 7 novembre
Fatigués de battre les flots à coups de rame (2) malgré les vents contraires, nous voulûmes battre à coup d'éperon les flancs des chevaux en courant la poste (3). On en prépara quatre, trois pour nous et un pour le guide et les valises. Les Anglais (4) avaient ouï dire, que dans les bois de Fontainebleau on rencontrait souvent des bandits, et par crainte plutôt que par économie, ils prirent congé de nous et retournèrent à la barque (5).

Ce bruit aurait dû nous inquiéter aussi, mais l'envie de terminer ce voyage et d'être quittes de la fatigue de ramer nous donna le courage d'aller à la poste.

A chaque relais toutes les deux lieues, c'est à dire de six en six milles, il fallait payer une belle demi-pistole d'Espagne ou de France (6).

Arrivés en sept postes à Montargis, ville du duché d'0rléans, nous descendîmes au Chapeau Rouge ou on nous traita comme des cardinaux. J'oubliais de dire qu'à la seconde poste on me donna un grand cheval alezan habitué à porter la valise aux lettres. Son allure était si gauche et si dégingandée, que je craignais de rendre tripes et boyaux, et qu'en outre j'avais le dos meurtri par ma valise placée en croupe. Je me mis tellement en colère qu'à force d'éperonner et de le battre à coup d'étrivières, sans réfléchir que c'était moi qui en supportais les conséquences, je faillis nous faire crever tous les deux.

Impatienté, je sautai à bas du cheval en passant la jambe droite par dessus sa tête, mais quand j'eus mis le pied à terre, mon pied gauche resta pris dans l'étrier. Au premier mouvement de l'animal, je risquais fort de m'estropier; heureusement pour moi, il était bien tranquille, et mes compagnons s'arrêtèrent pour rire; sans cela je me voyais bien sûr de ne plus courir la poste de ma vie. Le postillon descendit, et l'on attacha la valise de façon qu'elle ne vînt plus me frapper le dos; mais les étriers n'ayant pu se mettre à la même hauteur, je me trouvai aussi mal à mon aise pendant les trois milles qui restaient à faire sur ce cheval.

A la poste suivante qui était la troisième, on me donna un petit cheval blanc demi-esclavon (7) avec lequel je fis trois postes, en restant toutefois à la dernière un peu en arrière de mes compagnons.

Revenons maintenant à notre souper vraiment exquis et digne de cardinaux: il y avait quantité de poisson de toute espèce, mais il nous fallut payer un écu par tête, et cela nous sembla un peu dur à digérer. Le lendemain matin, l'hôte voulait en outre nous faire payer un châlit dont nous avions cassé un pied.

En riant de notre aventure de la nuit passée, j'avais voulu réprimander mon compagnon qui jouait de Ia trompette (8) plus que jamais.

Quelques étrangers de condition qui étaient venus avec des valets, des pages en livrée, deux dames accompagnées de deux demoiselles, se Ievèrent du lit et nous accablèrent d'injures en nous menaçant d'enfoncer la porte et de nous donner des coups de pistolet dans la poitrine.

Pour préserver Ia porte, je défis le châlit et cherchai à la défendre à l'aide des colonnes contre leur violence.

Nous avions quatre armes à feu dans notre chambre, mais à quoi pouvaient-elles servir contre tant de monde? Nos rires et nos incivilités cessèrent, je vous en réponds.

Nous avions mangé plus que d'habitude et avec excès. Cela nous rendit si gais que nous fîmes un peu trop les fous sans penser que ces seigneurs étaient dans la chambre voisine. lls se trouvaient à table quand nous entrâmes dans l'hôtellerie, et la galanterie accomplie avec Iaquelle ils nous saluèrent nous étonna: ils se levèrent tous, et les dames même, dont l'une semblait une Amazone guerrière, nous firent de profondes révérences.

Ce jour-Ià, nous fîmes sept Iieues - vingt et un milles.

Le 8 novembre
Avant de partir nous promenâmes un peu dans Montargis. Le château, où se trouve une salle longue de cinquante de mes pas et large de quinze, mérite d'être vu; si on l'entretenait convenablement, il serait très beau, mais les princes demeurent habituellement à Paris et l'abandonnent (9).

Dans cette salle se voit peinte sur la cheminée l'histoire d'un chien, qui trouvant son maître assassiné, poursuivit ses meurtriers qui en saisit trois qu'il tua, puis se mit à garder le cadavre et à mordre tous ceux qui voulaient en approcher.

Le Prince le sut, et pour sauver la vie à ce chien, dont la grande fidélité l'avait touché, il le fit saisir par un homme robuste et armé de pied en cap contre lequel le chien se débattit de toute sa force.

Tombé de fatigue sur le corps de son maître, il fut pris à la fin et conduit au palais; mais on ne put jamais le faire ni manger ni boire, et il se laissa mourir de faim.

Le Prince fit écrire son histoire, et peindre Ie chien et le maître sur cette cheminée (10). On monte à cette salle par un grand escalier en forme de croix, couvert d'une toiture entièrement en plomb que supporte une infinité de colonnettes de marbre (11).

Je remarquai bien d'autres choses dignes d'être vues, si elles ne souffraient de l'inconstance française.

La plupart des constructions sont en bois, travaillé comme des dentelles anciennes; les autres en pièces de charpente Iaissant entre elles des intervalles garnis de pierre et de chaux (12).

Le manque de chevaux de louage nous décida à reprendre la poste après dîner (13).

Parfois nous trouvâmes des chevaux en mauvais état, boiteux et sans étrier; cependant après huit postes (note a), nous arrivâmes enfin à Fontainebleau, délicieux séjour des rois de France, aussi beau que Frascati près de Rome.

Je fus maltraité bien plus que mon compagnon pendant le trajet.

Le seigneur Odofredi (14) était bien vêtu; il avait une petite épée ornée d'un manche en argent beau et riche, des pistolets tout incrustés de fleurons d'argent, tandis que les miens, moitié à l'antique, semblaient ceux qui tuèrent Ghedino sur Ia glace (15).

Tout le monde me prenait pour le pédant du seigneur Odofredi: aussi fut-il bien servi, excepté quand, avant de se mettre en selle, il crut meilleur un des chevaux préparé pour moi ou pour le guide et voulut satisfaire sa fantaisie. En mettant pied à terre, j'avais le dos et les côtés si endoloris que je ne pouvais remuer. Il était du reste bien juste d'acheter par tant de souffrance la vue d'un pays délicieux.

Locatelli
L'attaque du coche
Il s'agit sur cette gravure de soldats, qui, mal payés, prenaient leur subsistance sur I'habitant en se livrant au brigandage. (in P. Goubert et D. Roche, Les Français et l'ancien régime, la société et l'Etat, tome 1, A. Colin, Paris, 1984.)
Nous eûmes grand'peur des brigands en traversant l'épaisse forêt qui entoure Fontainebleau, et pourtant il y avait moins de danger en I'absence du Roi.

Le contraire semblerait natureI, voici l'explication qu'on nous donna d'un fait aussi étonnant.

Pendant le séjour du Roi à Fontainebleau, il vient de divers côtés à la cour des personnes qui portent généralement de l'argent sur elles; mais pendant son absence, il passe seulement quelques pauvres gens, qui prennent une autre route plus sûre et conduisant plus directement à Paris (16).

Cependant nous eûmes le pistolet à la main (note c) pour faire les trois postes de la forêt qui n'en finissaient pas.

Nous aperçûmes assez avant dans Ia forêt six ou sept hommes armés dormant sous la garde d'un autre placé en sentinelle en haut d'un orme. Le postillon les vit le premier et nous avertit d'éperonner les chevaux, mais sans bruit. Le cœur ne cessa de nous battre que bien loin de là.

Une fois descendus de cheval, nous contâmes (note d) cette aventure aux gens de Ia poste. Ces hommes étaient, nous dit-on, des archers à la recherche de trois brigands, car les voleurs ne nous auraient laissés sortir de leurs mains que tout nus.

Quelques jours auparavant ce malheur arriva à deux prêtres et à un marchand accompagné de sa femme et de son valet; ce fut eux qui firent envoyer les archers de Fontainebleau à la recherche des brigands, qui au nombre de trois seulement, les avaient dépouillés tous sans même leur laisser leur chemise.

Les prêtres et le marchand allèrent jusqu'à les prier à genoux de laisser au moins la chemise à la femme; mais n'ayant pu obtenir cette grâce de ces barbares, ils se couvrirent de leur mieux de branches d'arbre; et pour obliger M. de Saint-Hérem, gouverneur, à venger cet outrage, ils se rendirent ainsi accoutrés vers une demi-heure de nuit (17) au palais de sa Seigneurie illustrissime. Ce spectacle nouveau fit accourir toute la ville, malgré la nuit.

Tu devines, Iecteur, comment se fit notre dernière poste à travers la forêt: nous dîmes le rosaire de quinze dizaines, l'office de la Vierge suivant notre habitude de chaque jour, et beaucoup d'autres oraisons, bien que le postillon, plus peureux que nous, nous avertit de les dire à voix basse.

Depuis la sortie de Ia forêt de Fontainebleau, la route fut excellente et l'est certainement en tout temps, car elle passe entre les collines, et l'on ne voit que montées et descentes.

Le souper fut très médiocre, mais très cher. Une des jolies servantes de notre hôtellerie nous apprit un remède, pour guérir les profondes écorchures faites à notre croupion par Ie rude choc des selles de bois hautes et mauvaises.

ll réussit fort bien. Pour Ie préparer, on prend de l'huile vierge d'olives, autant qu'en pourrait contenir la moitié d'une coquille d'œuf de poule (par vierge j'entends n'ayant point servi); on verse dans un pot avec égale partie d'eau fraîche; on bat le mélange de son mieux, et on le met dans une coquille d'œuf.

Seize lieues - quarante-huit milles (note b).

Nos voyageurs, après un séjour d'une journée à Fontainebleau, arrivèrent le soir du 10 novembre à Paris. IIs y restèrent six mois et s'en retournèrent.

Au retour, les voyageurs remontèrent la Seine par le coche d'eau. Ils s'arrêtèrent et passèrent la nuit au Coudray (18) puis à Montereau. Ils voyageaient au milieu des marchandises, ballots de laine et de coton filé.

Coche d'eau
Coche d'eau
Selon la Grande Encyclopédie, "le coche d'eau transportait marchandises et voyageurs entre Paris, Villeneuve-Saint-Georges, Corbeil. Melun, Montereau, Sens, Nogent-sur-Seine, Auxerre et Briare. Lorsque la cour séjournait à Fontainebleau, un coche, dit coche royal, allait chaque jour de Paris à Valvins."
Supplice de la roue
Durant son séjour parisien, Sébastien Locatelli assista, le 3 décembre 1664, au cruel châtiment de la « roue » infligé à l'un de ses compatriotes, dont voici le récit :
Le 3 décembre

Les gens qui tuent en trahison, les coupe-jarrets qui assassinent pour de l'argent, les meurtriers de grand chemin qui ont pris la bourse et la vie, et les autres criminels du même genre y sont condamnés.

Voici en quoi consiste ce supplice, que subit en ma présence, le 3 décembre 1664, Jean Soldano, de Bergame, pour avoir tué et assassiné son maître, à une demi-journée de Paris, en allant à sa maison de campagne.

&Aagrave; trois heures, je me rendis au faubourg Saint-Honoré, sur la petite place où ont lieu habituellement les exécutions dans ce quartier (il y a ailleurs trois places où l'on exécute aussi).

Là se trouvait préparé l'échafaud, sur lequel était une grande roue ferrée. Le pauvre patient, vêtu seulement d'un caleçon, y étant arrivé, on le lia par les pieds et les mains à quatre chevilles de fer, comme l'apôtre saint André sur la croix.

Puis le bourreau, levant cette roue pesante verticalement, la laissa retomber deux fois pour briser le bras droit à deux places ; il brisa de la même manière l'autre bras, puis les cuisses et les jambes. Cela fit huit coups en tout.

Quand le roi accorde cette grâce, on donne au patient, sur le creux de l'estomac, un coup de plus qui le fait mourir en moins d'une heure.

Mais le malheureux Soldano n'eut pas cette faveur-là.

On le retourna ensuite ; on plaça sur son derrière la roue à plat, et, repliant sur la roue ses bras et ses jambes brisés, on les lia ensemble ; puis on retourna la roue, et on le laissa ainsi vivant regarder le ciel, jusqu'à ce qu'il expirât dans les tortures.

Jamais le coupable moribond n'est abandonné par les Pères Jésuites qui assistent les condamnés.

Quelques patients, me dit-on, vécurent trois jours dans cet état. Je restai si bouleversé et le cœur si rempli de compassion, que l'envie d'assister à de pareils spectacles ne me revint jamais. Elle me revint d'autant moins que cette populace sans cœur et sans pitié accompagnait d'injures les coups du bourreau, et l'excitait à les redoubler, peine bien cruelle pour le pauvre justicier.

(Voyage de France, mœurs et coutumes françaises (1664-1665), relation de Sébastien Locatelli, traduite sur les manuscrits autographes et publiée, avec une introduction et des notes, par Adolphe Vautier, 1905, p. 148-149)

supplice roue
Supplice de la roue

Notes

(1) Le texte que nous avons extrait de cet ouvrage correspond au voyage aller, de Briare à Fontainebleau.

2) Partis de Bologne le 29 avril 1664, Locatelli et ses deux compagnons arrivèrent à Lyon Ie 23 mai. lls en partirent le 31 octobre pour Paris par Ia route. A l'étape de Roanne, ils décident de descendre la Loire jusqu'à Briare.

3) Courir la Poste signifiait voyager avec des chevaux de Poste, c'est-à-dire loués à chaque relais comme montures ou attelés à un véhicule.

4) Avec lesquels ils avaient effectué les étapes précédentes.

5) Effectivement, depuis 1642, date de sa mise en service, il était possible d'utiliser le canal de Briare et ensuite le Loing et la Seine pour aller à Paris.

6) Note du commentateur: "Les postes en France sont ordinairement de deux Iieues; les Français payent pour chaque poste quinze sous et les étrangers vingt sous. Vers 1680 le prix était le même, et on donnait cinq sous de pourboire au postillon."

7) esclavon: originaire de Croatie-Slavonie.

8) En effet la nuit précédente, il s'était fait remarquer par ses pets!!!

9) Note du commentateur: "Montargis faisait partie de l'apanage donné en 1661 par Louis XIV à son frère Philippe, duc d'OrIéans."

10) Note du commentateur: "Locatelli raconte ici fort inexactement la célèbre légende du chien de Montargis (Cf. Desnoyers, Le chien de Montargis, Orléans, 1889, in-8)."

11) Note du commentateur: Le château de Montargis fut détruit par la Bande Noire en 1810. La cheminée aurait, paraît-il, subsisté jusqu'à cette date; elle est représentée dans le frontispice des différentes éditions du livre d'Androuet du Cerceau, "Les plus excellents bastiments de France".

12) Note du commentateur: "Rucellai remarque ce genre de constructions à Decize et dit qu'on bâtissait ainsi les maisons dans presque toute la France, surtout à la campagne (p 80). Botero (t.ll, p6) attribue ce fait au manque de pierre à chaux."

13) Note du commentateur: "Locatelli n'indiqua pas l'endroit où il dîna. Suivant la carte géographique des postes qui traversent Ia France dressée par Sanson et gravée par Tavernier (1632), les postes entre Montargis et Fontainebleau étaient Perches, Préfontaines, Bobligny (Bougligny), Vertout (Verteau) et La Chapelle (La Chapelle-la-Reine). Locatelli aura pu prendre son repas soit à Bougligny, village assez important situé à peu près à moitié chemin, soit à Château-Landon, si Ia route entre Préfontaine et Bougligny y passait comme aujourd'hui."

14) Son compagnon de route.

15) Note du commentateur: "je ne sais pas à quoi Locatelli fait allusion."

16) Locatelli n'a donc pas pris la route de Montargis à la Chapelle-la-Reine, mais bien celle de Nemours (qui passait à Bourron). En effet, la route longe la forêt de Nemours, les bois de la Commanderie et traverse la forêt de Fontainebleau.

17) Note du commentateur: "c'est-à-dire, une demi-heure après Ie coucher du soleiI."

18) Le Coudray-Montceau, près de Corbeil.

Réflexions
sur Le voyage de France de Sébastien Locatelli (1664)

par Bernard Hauviller
(Une étude de ce voyage a été faite dans l'ouvrage collectif réalisé par l'université (3e âge) Henriet Rouard A Montargis: "Chemins et relais de Poste dans le Gâtinais" paru en 1988, et auquel j'emprunte un certain nombre de renseignements.

A deux reprises, Ie 7 novembre, Locatelli donne une équivalence de lieues en milles: 2 lieues = 6 milles et 7 lieues = 21 milles, soit 3 milles pour une lieue. Si c'est bien la lieue de poste qui est prise en référence la valeur de ce mille serait de: 1 lieue de Poste = 2.000 toises = 3.888m soit 3 898/3 = 1.299,33m ou six lieues de dix-huit milles italiens. Et encore page 221: "...18 lieues valant 54 de nos milles."

La faible valeur de ce mille surprend car on pourrait supposer que ce mille italien a pour origine le mille romain (1480 m). Etant donné les différences relevées entre les estimations de distances parcourues de Locatelli et les distances réelles on en arrive à se demander si Ia lieue utilisée est bien celle de Ia poste, mais alors laquelle?

Pour cette journée du 7 novembre, Locatelli fait une confusion entre postes et lieues car, page 105, il dit:

"Arrivés en 7 postes à Montargis..." et page 106: "Ce jour-là, nous fîmes 7 lieues - vingt- et-un milles." En réalité Ia distance entre Briare et Montargis étant de 42 Km cela représente 11 lieues de poste environ.

Locatelli semble avoir tendance à forcer sur le nombre de postes, sans doute suivant les indications qu'on lui donnait, et à convertir postes en lieues en multipliant par 2. Ce dernier point était théoriquement vrai.

On entendait par poste Ia distance séparant deux relais, distance normalement égale à 2 lieues, soit environ 8Km (2 x 3.898m = 7.796m) mais qui pouvait être nettement inférieure ou supérieure à celle-ci. Ainsi, d'après "La Liste générale des Postes de France" de 1708, la distance entre Briare et Montargis est de 6 postes 1/2 avec 5 relais intermédiaires: Bel-Air, La Bussière, Les Bézards, Nogent-sur-Vernisson, La Commodité. Quatre de ces postes sont inférieures 5,8 Km (environ 6 Km), une seule, Nogent-La Commodité est égale à 8 Km et Ia dernière, La Commodité-Montargis égale à 9 Km, gratitiée de 1 poste 1/2 sur "La Liste Générale", ce qui prouve qu'il ne faut pas prendre Ie rapport poste-lieues comme une valeur absolue.

A l'époque du voyage de Locatelli, il y avait un relais de poste à Mormant-sur-Vernisson situé entre La Commodité et Montargis ce qui peut expliquer que Locatelli parle de 7 postes. Ce relais n'a jamais été cité sur "Les Livres de Poste" mais on en connaît l'existence par des actes notariés. Rattaché au relais de Ia Commodité, il disparut sans doute vers 1670 (Réf. "Chemins et relais de poste en Gatinais").

Relais poste
Relais de poste sur les routes de Briare vers Paris
(carte de Bernard Hauviller)

Le relais de La Commodité existait à peu de distance du hameau de Foussottes ou Fousserottes et signalé sous ce nom sur les cartes des routes de poste jusqu'au milieu du XVIIe siècle. Il fut générateur de nouvelles constructions et finit par imposer son nom ainsi qu'il apparaît sur les cartes des routes de poste, du milieu du XVlle siècle jusqu'en 1860, date de sa disparition.

De 6 chevaux en 1585 les écuries de ce relais en comptèrent 54 vers 1830, ce qui est surprenant pour un relais qui n'avait pas une situation exceptionnelle.

Notons aussi pour la petite histoire, que ce relais fut tenu de 1697 à 1823 par des membres de la famille Petit dont Ie fondateur, tout au moins celui connu avec certitude, est Jehan, maître de poste à Bourron vers 1645. Cette famille compte 18 membres, répartis sur 7 générations, qui furent maîtres de poste à Bourron, Perches-en- Gâtinais, Montargis, La Commodité, Nogent-sur-Vernisson et Fontenay,

Après leur nuit mémorable à l'auberge du "Chapeau Rouge" à Montargis, Locatelli et ses compagnons reprennent Ia route, le 8 novembre, en direction de Fontainebleau. Mais quelle route ?

Jusque vers 1700 environ, deux routes reliaient Montargis à Fontainebleau. L'une par le plateau, avait les relais suivants: Perches, Préfontaines, Pont-à-Gasson (Château-Landon), Bouligny, Verteau et La Chapelle-la-Reine. De cette dernière ville on pouvait atteindre Fontainebleau par la forêt, à partir d'Ury, en empruntant Ia route qui venait d'0rléans, ou bien continuer sur Paris par Noisy-sur-Ecole, Courances, Corbeil, Juvisy et Villejuif.

Cette route par le plateau, très ancienne, était la route officielle dite route "du Bourbonnais", pour aller de Paris à Lyon.

Une autre route, tout aussi officielle, dite route "de Bourgogne", passait plus à l'Est et empruntait les vallées de la Seine, de l'Yonne et de la Saône par Fontainebleau, Sens, Saulieu, etc.

De Montargis à Fontainebleau, l'autre route, certainement très ancienne elle aussi, suivait la vallée du Loing et comprenait les relais de Puy-la-Laude, Fontenay, La Croisière, Glandelles, Nemours et Bourron.

Dès la sortie de Saint-Pierre-les-Nemours cette route longeait ou traversait la forêt.

En janvier 1636, il avait été ordonné par le Surintendant des Postes d'utiliser la route de la vallée du Loing comme route officielle des postes en remplacement de celle du plateau. Ceci ne se fit que très lentement et les deux routes coexistèrent pendant 60 ans environ. Tous les relais entre Villejuif et Montargis, sauf celui de la Chapelle-la-Reine disparurent et la route du plateau fut définitivement abandonnée vers 1700.

Quelle route emprunta donc Locatelli en 1664? La note 2 (1) de la page 108 de la relation semble considérer comme évident que la route suivie était celle du plateau, par la Chapelle-la-Reine. Cela n'est pas si simple. La note citée s'appuie sur une carte dressée en 1632 alors que nous sommes en 1664 et que Ia route officielle est celle par Nemours depuis 20 ou 25 ans.

Locatelli n'arrange pas les choses en fournissant des indications qui semblent contradictoires.

1) note A (du texte ci-dessus): "...après huit postes nous arrivâmes à Fontainebleau... La carte de Cassini, postérieure d'un siècle environ, mais ceci n'a pas d'incidence, indique 7 postes de Montargis à Fontainebleau, 8 postes correspondraient plutôt à la route par la Chapelle-la-Reine, mais nous avons vu ce qu'il faut penser des indications de Locatelli concernant les distances.

2) note B: "Seize lieues - Quarante-huit milles." Là également cette distance correspond plutôt à la route par la Chapelle car 16 lieues de poste = 62 km environ alors que Montargis-Fontainebleau par La Chapelle donne 56 km et que par Nemours il y a 50 km. Même remarque que ci-dessus.

3) note C: "Cependant nous eûmes le pistolet à Ia main pour faire les trois postes de la forêt ...." II n'y avait qu'une poste entre La Chapelle et Fontainebleau et la forêt ne commençait qu'après Ury. Entre Nemours et Fontainebleau, il y avait deux postes (deux postes 1/2 d'après Cassini), avec relais à Bourron, la forêt commençait dès Saint-Pierre-les-Nemours. Mais, avant Nemours, la route longeait la forêt de Nemours-Poligny.

S'il s'agit de distances, 3 postes correspondraient à 6 lieues soit un peu plus de 23 km ce qui semble aberrant car on peut considérer 10 km de forêt par La Chapelle et 15 km par Nemours.

La même remarque s'applique toujours mais on envisage plus facilement la route par Nemours.

4) Page 109 (note D): "Une fois descendus de cheval, nous contâmes cette aventure aux gens de la poste."

La poste dont il s'agit est sans aucun doute située à proximité immédiate de la forêt dont Locatelli vient de traverser une partie et à travers laquelle il faut encore faire une étape:

"Tu devines, lecteur, comment se fit notre dernière poste à travers la forêt..."

ll s'agit donc bien là du relais de poste de Bourron qui, à l'époque du voyage de Locatelli, se trouvait dans l'actuelle rue Burat, probablement vers l'angle de cette rue avec le passage Rodde. Tous les cavaliers et les véhicules circulant entre Fontainebleau et Nemours empruntaient la rue Burat. En effet, le tracé de l'actuelle route de Paris, notre N 7, ne date que du dernier tiers du XVllle siècle.

En 1664 le maître de Poste de Bourron est peut-être Nicolas Marchand, dont la présence est attestée en 1668. En fait nous pouvons hésiter entre lui, Jehan Petit et Michel Chamault. 1) Dans le texte note 13.

Bernard Hauviller in ABM N° 29 (1992)

Coche
Malle-poste

Robert-Louis Stevenson : Visite à Marlotte, Grez et aux bords du Loing

 

 
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