Naissance d'une légende
La momie de Théophile Poilpot
(1848-1915)

Théophile Poilpot : Peintre de fresques historiques

Né à Paris en 1848, Théophile Poilpot, formé aux Beaux Arts dans l'atelier de Gérôme, l'un des papes de l'académisme « pompier » du 19e siècle, demeura toute sa vie fidèle au style classique et de ses maîtres.

Gérôme l'emmena avec d'autres élèves à la découverte de la Forêt de Fontainebleau, de Barbizon, de Marlotte et de leurs peintres, auprès desquels ils s'initièrent aux secrets de la nature et de sa fidèle reproduction sur la toile.

Poilpot devint le peintre des amoureux transis, des scènes romanesques sous les ramures, des belles filles se dénudant auprès d'une fontaine.

Dédaignant les recherches picturales novatrices de ses jeunes contemporains, il apprit à dessiner et à peindre selon la tradition, jusqu'à la parfaite maîtrise de son art. Il prépara avec soin les toiles "bien léchées" qu'il allait, en bon élève, présenter chaque année aux Salons, étape incontournable pour un artiste, mais où la concurrence était féroce.

Iza

Poilpot : Iza à Sainte-Assise
Après quelques succès d'estime, une critique favorable, sans que cela déclanchât une ruée de la part des acheteurs bourgeois, qui seuls permettaient à un peintre de réussir, Poilpot s'essaya à la peinture de fresques historiques et militaires. Puis, devant le peu de succès de ses grandes machines, il se spécialisa dans un art plus populaire: la réalisation d'immenses panoramas, œuvres que l'on "déroulait" dans des salles spécialisées.

Mobiles, les panoramas de Poilpot firent l'objet d'expositions itinérantes à Paris où plusieurs établissements se consacrèrent à ce type de peinture, avant l'apparition du cinéma, puis en province.

Ses œuvres rencontrèrent un vif succès lors des expositions universelles de 1889 et de 1900, ainsi qu'à l'étranger, notamment en Amérique.

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Poilpot : diaporama de la bataille de Shiloh
Sa renommée lui valut de belles commandes, notamment la décoration de la galerie des Lettres et des Sciences de la Sorbonne et celle du très chic hôtel Meurice à Paris. Son humour et ses bons mots plaisaient aux journalistes.

Edmond de Goncourt cite dans son Journal une de ses boutades, à propos d'un de ces concussionnaires tout juste sorti de prison dont les fastueuses réceptions attiraient le Tout-Paris : «Allons dîner chez le réclusionnaire !»

En 1896, Poilpot cherchait depuis longtemps un lieu original pour imaginer et travailler ses projets grandioses à son aise, quand il apprend qu'une charmante église du 12e siècle est à vendre à Croissy.

Fermée en novembre 1793 puis transformée en "Temple de la Raison", l'église ne fut rendue au culte qu'en 1802, à la suite du Concordat. Désaffectée depuis la Commune de Paris, l'édifice très dégradé servait d'étable aux vaches d'un paysan du voisinage !

C'est ainsi que Poilpot acquit la chapelle Saint-Léonard, sauvant l'édifice d'une ruine certaine, pour la modique somme de 3000 francs. Après d'importants travaux de restauration l'artiste y installa son atelier qui devint un « musée du bric à brac » attirant une foule de curieux.

St Leonard

Chapelle Saint-Léonard peinte par Montholon
Il eut même l'idée d'y effectuer des fouilles archéologiques.

« On assure qu'un évêque est enterré quelque part sous le porche ou sous les dalles du chœur. Je vais le faire chercher avec tout le respect qui lui est dû » déclare-t-il à un journaliste.

« La pioche rencontra des sarcophages, des pierres gallo-romaines, des tablettes, toute une collection à rendre jaloux les musées parisiens » affirmera très sérieusement un autre journaliste visitant le chantier. « Tout contre l'autel, une galerie a été découverte, elle s'enfonce dans la direction de la Seine. Où mène t-elle ? Vers une retraite mystérieuse ? Vers une sépulture ? Vers un trésor ? »

On ignore les suites de ces investigations car Théophile Poilpot était un pince sans rire qui adorait monter des canulars.

Au cours de ses voyages l'artiste avait accumulé des objets étranges pouvant servir de décors à ses panoramas. C'est ainsi qu'il acquit un jour en Égypte une authentique momie qu'il ramena en France. Une autre source prétend qu'il l'aurait achetée lors de la démolition du pavillon égyptien de l'Exposition universelle.

Durant vingt années, Poilpot séjourna à Croissy tous les étés. Devenu une figure incontournable du cercle de « l'art officiel », ses obsèques en février 1915 furent filmées et diffusées aux actualités cinématographiques Gaumont. Il repose au cimetière de Croissy.

Grâce à lui, Croissy-sur-Seine a pu conserver son plus vieux monument, la chapelle Saint-Léonard. Merci l'artiste !

(Source : article paru dans "Côté Croissy" n° 10 - septembre 2004.

André Rouveyre
(1879-1962)
Écrivain et collectionneur lui aussi de bizarreries, André Rouveyre acquit la fameuse momie auprès d'un antiquaire de la rue de Rennes, après la dispersion des "trésors" de Théophile Poilpot.

Il l'installa dans son vaste appartement de la place Saint-Michel, à la grande frayeur de ses domestiques.

Pour surprendre et amuser ses amis, il avait résumé le pedigree de sa momie imaginé par Poilpot :

« Vers l'an 200 avant notre ère, une jeune danseuse pleine de charme, favorite de Ptolémée IV mourut à seize ans. On l'embauma et deux mille ans plus tard, aux environs de 1900, alors que l'égyptomanie battait son plein, sa dépouille fut ramenée à Paris. »

Rouveyre

André Rouveyre par Modigliani
André Billy, dans ses souvenirs Les beaux jours de Barbizon, raconte :

« Lorsqu'il quitta son grand appartement de la place Saint-Michel, pour s'installer à demeure au Canard Sauvage de Barbizon, Rouveyre, transporta des meubles et des bibelots qui en provenaient, entre autres une momie égyptienne qu'il avait achetée chez un antiquaire de la rue de Rennes et qui provenait de l'atelier du peintre Poilpot. Dans sa gaîne, cette momie que, si je ne me trompe, on disait être celle d'une danseuse des environs de l'époque ptolémaïque, fut déposée à la cave du Canard en attendant une meilleure destination.

Rouveyre avait l'intention de procéder à son démaillotage et il comptait sur moi pour l'assister dans cette opération renouvelée de celle à laquelle se livrent, dans le prologue du Roman de la Momie, le professeur Rumphius et le jeune lord Erandale, mais dont j'avoue que ne m'apparaissait pas l'urgence.

L'infortunée danseuse veilla sur le Canard longtemps après le départ de Rouveyre.

Elle y était encore ces jours-ci [1944] quand des évacués de Melun, à qui le Canard Sauvage avait été attribué comme refuge, la découvrirent dans son modeste hypogée et reculèrent épouvantés.

Ils allèrent en droiture à la mairie et déclarèrent refuser de loger sous le même toit qu'elle, et, avec l'autorité que donnent le malheur et l'exil, exigèrent qu'on l'ôtât de là.

Ils prétendaient que les anciens Égyptiens possédaient le secret de radiations maléfiques dont les effets se faisaient encore sentir après des dizaines de siècles, ainsi que le prouvaient les représailles exercées par Tout-An-Kamon sur les violateurs de sa sépulture. Bref, ils parlèrent si fort et si haut, allant jusqu'à mettre en doute le droit qu'ont les particuliers de détenir chez eux des cadavres, que l'autorité municipale décida de faire transporter la momie au cimetière.

Une camionnette fut réquisitionnée et sous la surveillance du garde-champêtre, assis à côté d'elle, la momie, tirée de la cave du Canard, gagna le caveau provisoire. Elle a depuis peu regagné la cave du Canard. »

Version de Paul Léautaud
Dans son Journal Littéraire Paul Léautaud relate en date du 9 novembre 1944, l'anecdote contée par André Billy, lors de la cérémonie annuelle en mémoire de Guillaume Apollinaire sur sa tombe du Père Lachaize :

« Il a raconté l'histoire de la petite maison de Rouveyre, le Canard Sauvage, donné comme logement à des réfugiés de Melun [après le bombardement]. Il y avait à la cave une vraie momie, achetée autrefois par Rouveyre au peintre de panoramas Poilpot, et reléguée là par lui.

Une femme dans les réfugiés (c'était pendant la guerre), déclara qu'elle ne logerait jamais dans une maison où il y avait une momie, que ces morts embaumés jettent de mauvais sorts, que cela est connu, etc. Il fallut donc l'enlever. Le maire vint en personne, accompagné du garde champêtre. On dressa un procès-verbal de l'enlèvement, signé par deux témoins, et la momie fut portée au cimetière.

On avait d'abord projeté de la mettre dans le caveau provisoire. Finalement on la remisa tout bonnement dans la cahute du balayage, où elle est toujours. »

La Momie fut récupérée plus tard et confiée aux bons soins de la mairie.

C'est à partir de là que commencèrent à se manifester d'étranges apparitions. En présence de la dépouille, plusieurs spectateurs observèrent de fascinantes images spectrales représentant une danseuse égyptienne à la splendide beauté.

Richard Lebon
Richard Lebon résume à son tour cette belle histoire sur son remarquable Blog Légendes et traditions en Seine et Marne.

« D'autres aperçurent le fantôme de cette même femme errer dans le bâtiment. On raconte qu'un des témoins en perdit même la raison. La mairie finit par s'en débarrasser et la refila au médecin-chef de l'hôpital militaire de Fontainebleau qui la transporta illico chez lui.

L'influence pernicieuse de l'antiquité ne tarda pas à semer la zizanie dans son couple. Il renonça donc à la conserver et en fit don au Musée Napoléonien de la ville. Mais là encore, l'obscure momie devint encombrante et mit le public et le personnel mal à l'aise. Les odeurs épouvantables qui s'échappaient de ses bandelettes incommodaient les gens. »

Au cours des mois qui suivirent, «on lui prêta aussi des apparitions de nature à affoler le mortel le plus averti, des malheurs, des suicides, des drames de toutes sortes... Ses apparitions furent même responsables de plusieurs évanouissements. Très vite, on l'accusa de tous les maux de la terre ».

En désespoir de cause, on décida de l'enfermer dans le grenier de la bibliothèque de Fontainebleau. Elle y resta pendant plus de vingt ans, hors de vue du public, mais son emprise était telle qu'elle continuait de déranger les agents qui y travaillaient.

Finalement, en 1998, elle retourna au Musée Napoléonien, qui entre-temps avait déménagé au 88 rue Saint-Honoré. Elle y est toujours.

« Ça c'est pour la version anecdotique. L'officielle l'est beaucoup moins. La responsable du Fonds Local de la rue de l'Arbre Sec a très bien connu cette momie du temps où elle était à la bibliothèque. Elle avait même participé à des rétrospectives où la dépouille était exposée. Pour elle, ainsi que pour la majorité des employés, la momie n'avait rien de maléfique, ne sentait pas plus mauvais qu'une autre et elle regrettait de n'avoir jamais eu l'occasion de voir son fantôme.

Bref, elle n'avait jamais entendu parler de toutes ces histoires. La principale du Musée Napoléonien tient à peu près le même discours. Voilà qui fout un coup à notre belle légende. Il ne vous reste plus d'autre choix que d'aller lui rendre visite. Il n'y aura aucun problème pour ça. Le musée est ouvert du mardi au samedi de 14 h à 17 h 30. Quant aux effets maléfiques du cadavre, ce sera à vous d'en déterminer l'authenticité. »

Note de Marie Dormoy
A la fin du Journal de Léautaud, Marie Dormoy fait une courte allusion à cette momie dans une note intéressante à plus d'un titre. Le lecteur curieux trouvera l'intégralité de cette note en cliquant sur le lien ci-après :
Notice de Marie Dormoy

Fontainebleau se débarrasse de sa momie !
L'inquiétante et célèbre momie de Théophile Poilpot dont André Rouveyre avait fait l'acquisition après le décès du peintre, refait parler d'elle.

Danseuse-étoile favorite du pharaon Ptolémée IV, elle avait été reléguée dans un grenier de la Bibliothèque de Fontainebleau après qu'elle eut semé l'effroi parmi les conservateurs et les employés des services qui l'hébergeaient.

En 1998, elle retourna durant quelques semaines au musée Napoléonien dans le cadre d'une exposition sur l'expédition d'Égypte de 1798, avant de retrouver son placard.

En 2013, voici que Fontainebleau va prêter sa relique à la ville de Chateaudun où elle prendra place auprès de la momie d'enfant que le musée possède déjà : celle d'un garçon âgé de 6 ans, découverte au début du XXe siècle, sur le site d'Antinoë, en Égypte.

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Richard Lebon : Légendes et traditions en Seine et Marne

 
 
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