LA FAMILLE RENOIR
Une magnifique dynastie d'artistes

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Auguste Renoir
Pierre Auguste Renoir le peintre
Les Renoir, forment une admirable famille d'artistes comme l'ont été jadis les Bach, deux siècles plus tôt et les Brasseur, de 1850 à nos jours..

Auguste, Pierre et Jean Renoir ont magnifié l'art, chacun dans son domaine et à sa manière. Ils ont marqué leur temps, sublimé par leur talent original une époque aujourd'hui révolue.

Cela restera, tant que durera notre civilisation, un honneur et un immense privilège pour notre village de Bourron-Marlotte, d'avoir hébergé durant quelques années, ces géants restés simples et lumineux jusqu'à leur mort.

En toute modestie, mais avec une grande ferveur, je vais relater leurs vies à travers leurs écrits et leurs œuvres, celles de leurs amis, et les souvenirs de nos anciens du village,

Les Renoir ont vécu 42, rue Murger, dans l'ancienne propriété de Ludovic de Villée, baron de Saint-El, personnage hors du commun dont nous parlerons sans doute un jour, et à La Nicotière, aujourd'hui 158, rue du Général Leclerc, où l'on dit que demeura Jean Nicot, introducteur en France du tabac.

La famille repose à Essoyes, le petit village de l'Aube, à la limite de la Champagne et de la Bourgogne, d'où sont originaires Aline Chaligot et Gabrielle Renard, l'épouse et la "gouvernante" du peintre.

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AUGUSTE RENOIR
(1841-1919)

Auguste Renoir autoportrait
Auguste Renoir : Autoportrait (vers 1860)
L'histoire du peintre Pierre Auguste Renoir et de ses enfants: Pierre l'inoubliable acteur des Enfants du Paradis, Jean le divin réalisateur de La Grande Illusion et de La Règle du Jeu, enfin Claude, céramiste et assistant-réalisateur de son frère, montre les solides attaches que cette famille d'artistes entretint avec Bourron-Marlotte, notre village.

Ce fut le père, Auguste, qui découvre Marlotte vers 1860, à l'âge de vingt ans en compagnie de ses amis Monet, Bazille et Sisley. Il lui arrivera de venir à pied de Paris, en deux jours, de dormir en route dans une grange avant de séjourner pour deux francs six sous à l'Auberge Antoni. Là, il peindra comme un fou, sur les murs, sur des planchettes ou sur des toiles en forêt, plus de cent œuvres aujourd'hui perdues pour la plupart.

Peintre indépendant, Renoir fut d'abord influencé par Fragonard dont il aimait l'élégance et la légèreté, puis par Courbet dont il admirait l'énergie, la puissance. Quant à Monet (1840-1926), son camarade d'atelier et ami, il s'émerveillait de la subtile vibration intérieure qui rayonnait de son œuvre.

Il participa à l'aventure impressionniste, sans jamais, n'étant guère théoricien, s'intégrer totalement, aux idées et à l'esthétique de ce groupe. Las de tirer le diable par la queue, de subir l'avanie des critiques et l'incompréhension des amateurs d'art, il s'en écarta dès 1880, bien avant que l'impressionnisme ne triomphe.

Jeunesse
Auguste Renoir est né à Limoges, «dans une famille modeste de sept enfants dont le père est tailleur et la mère couturière».

En 1845, Auguste a quatre lorsque à la mort de son grand-père, la famille vint s'installer à Paris. Depuis Limoges le voyage vers la capitale en diligence durait environ deux semaines.

Dans son ouvrage sur son père*, Jean Renoir relate les passionnantes conversations qu'il eut avec lui durant sa longue convalescence suite à la blessure subie au front. Auguste lui décrit avec passion la vie surprenante dans le Paris d'autrefois, ses années d'écolier puis d'apprenti, sa découverte du Louvre.

Le soir, il chante à la chorale de Saint-Eustache dirigée par un jeune maître de chapelle inconnu Charles Gounod. Le compositeur se prend d'affection pour l'enfant à la voix d'or, lui apprend le solfège et la composition. La musique lui apporte un plaisir immense et Auguste Renoir se sentira des affinités profondes avec cet art durant toute sa vie.

A l'âge de 13 ans il entre comme dessinateur dans l'atelier du porcelainier Lévy, où il apprend la décoration. La précision de son trait et sa rapidité dans l'exécution de ses portraits historiques étaient fort appréciés. Il peindra des centaines de fois le profil de Marie-Antoinette sur un fond d'assiette à dessert !

À midi, au lieu de déjeuner avec ses camarades au bistrot du coin, le jeune Auguste prend l'habitude d'aller au Louvre. «À Watteau et Boucher j'ajoutai Fragonard, surtout les portraits de femmes. Ces bourgeoises de Fragonard !... distinguées sans cesser d'être bonnes filles. On les entend parler le français de nos pères, ce langage si vert et pourtant si vraiment digne. Les barbiers n'étaient pas encore des coiffeurs, et le mot garce était simplement le féminin de garçon. On savait à la fois lâcher un pet en société et accorder les participes. Aujourd'hui, les Français ne pètent plus mais parlent comme des illettrés prétentieux.»

Cinquante ans plus tard, vers 1900, Albert Thévenot dira : …Si la peinture de Manet danse, celle de Monet enchante, quant aux toiles de Renoir elles dansent et chantent à la fois…

En 1858, à 17 ans, Renoir peint des éventails et met en couleur des armoiries dessinées par son frère Henri.

Diaz
Narcisse Diaz
«Auguste Renoir avait un peu moins de vingt ans, raconte son fils Jean. Il avait lâché la porcelaine mais continuait à gagner sa vie dans la décoration. Quand il pouvait se le permettre il allait à la campagne et peignait sur nature.

Un jour, dans la forêt de Fontainebleau, alors qu'il était sur le «motif», il fut entouré par une bande de Parisiens «malins», calicots et grisettes en goguette qui se moquèrent de sa blouse d'ouvrier.

Renoir feignit d'ignorer les réflexions des plaisantins et continua de peindre. L'un d'eux, irrité par ce silence, s'approcha de lui et fit sauter sa palette d'un coup de pied. Vous jugez des rires de ses compagnons. Renoir se précipita sur lui. Il fut aussitôt terrassé par une demi-douzaine de jeunes gaillards. Les filles lui donnaient des coups d'ombrelle «dans la figure, avec le bout ferré, elles auraient pu me crever un œil !».

Soudain, émergeant des buissons, parut un homme d'une cinquantaine d'années, grand et fort, lui-même chargé d'un attirail de peintre. Il avait une jambe de bois et tenait à la main une lourde canne. Le nouveau venu se débarrassa de son fourniment et bondit au secours de son jeune confrère. A grands coups de canne et de pilon il eut vite fait de disperser les assaillants. Mon père avait pu se relever et se joindre à la lutte. Les filles poussaient des cris de volaille et se pendaient à leurs hommes. Bien vite les deux peintres restèrent maîtres du terrain.

L'unijambiste sans écouter les remerciements de son protégé ramassait la toile et la regardait attentivement.

«Pas mal du tout. Vous êtes doué, très doué. Mais pourquoi peignez-vous si noir ?» Renoir répondit que beaucoup des maîtres qu'il admirait peignaient noir.

«Même les ombres des feuillages ont de la lumière, répondit l'inconnu, regardez donc ce tronc de hêtre ! Le bitume est une convention. Ça ne durera pas. Comment vous appelez-vous ?»

Les deux hommes s'assirent sur l'herbe, et Renoir raconta sa vie et ses modestes ambitions. L'inconnu se présenta à son tour. C'était Diaz. «Venez me voir à Paris. Nous bavarderons.»

Malgré son admiration, sa timidité empêcha Renoir, de répondre à cette aimable invitation.

En 1862, il entre aux Beaux-Arts dans l'atelier de Gleyre où il se lie avec Claude Monet, Frédéric Bazille et Alfred Sisley.

Les quatre jeunes gens vite inséparables, se rendent souvent peindre sur le motif en forêt de Fontainebleau. Ils fréquentent Chailly-en-Bière, Barbizon et surtout l'Auberge Antoni (ou Anthony) de Marlotte où le jeune Renoir peindra de nombreux tableaux aujourd'hui perdus, à l'exception du fameux Auberge de la mère Antoni.

Dans ce tableau peint chez la mère Anthony, on reconnaît Sisley debout avec la servante Nana à sa droite. De profil, Pissarro sous son chapeau, est assis en face de Frank Lamy rasé de près; dans le fond, derrière eux, on devine Mme Anthony. Au premier plan, le caniche Toto couché sur le plancher nous regarde de face. Il avait perdu une patte de derrière dans un accident. Renoir avait tenté de lui ajuster une patte de bois. Mais ce pilon ne convenait pas à Toto qui s'en tirait fort bien avec trois pattes.

MARLOTTE

Renoir Auberge mere Anthony
Auguste Renoir : Auberge de la mère Antoni à Marlotte
La raison de cette incroyable disparition d'œuvres dont aujourd'hui chacune vaudrait une fortune tient à la fragilité du marché de l'art. Lors d'un décès, d'une succession, il est fréquent qu'une toile qui n'a pas de cote, de valeur marchande, dont le peintre est inconnu, soit tout simplement jetée au rebut !

Et à l'épque où nos quatre inséparables peignaient à Marlotte, leurs œuvres ne trouvaient guère d'admirateurs et encore moins d'acheteurs !

A Marlotte, Renoir fait la connaissance de Jules Le Cœur, (1832-1882) peintre et architecte jouissant d'une solide fortune dont il bénéficia ainsi que d'autres peintres. Le Cœur lui ouvrit généreusement sa bourse et lui commanda des portraits de lui-même et de toute sa famille.

Dans son salon de "La Tour", sa demeure de Marlotte du N°16 de l'actuelle rue Murger, Jules Le Cœur recevait entre autres le prince Antoine Bibesco et son fils Georges dont Renoir orna les plafonds de son hôtel particulier parisien.

Le Coeur
Renoir : Jules Le Cœur chassant en forêt avec ses chiens
Le Cœur, bourgeois aux mœurs très libres, vivait maritalement avec Clémence Tréhot, fille d'un limonadier et débitant de tabac de l'avenue des Ternes à Paris, et sa jeune sœur Lise. Le peintre, hôte fréquent de la maison, y bénéficiait d'un accueil très chaleureux et d'une hospitalité sans faille.

Renoir quitta les Beaux-Arts en 1864. Il exposa une Esmeralda au Salon. L'œuvre remarquée par les critiques obtint un succès d'estime. Cela n'empêcha pas l'artiste de la détruire car elle ne le satisfaisait pas.

A Marlotte, chez son hôte, Renoir s'éprit en 1865 de la jeune Lise Tréhot âgée de 17 ans, «jeune fille saine, robuste et bien en chair», dont il a fait son modèle, la peignant sans relâche, dans toutes les attitudes, le plus souvent en plein air, dans plusieurs dizaines de toiles somptueuses.

En 1867, dans un tableau qu'il souhaitait présenter au Salon, il la peint nue, mais ses amis trouvant l'œuvre «peu convenable», Renoir redoutant un nouvel échec, travestit Lise en Déesse mythologique!

Diane chasseresse
Renoir : Diane chasseresse
L'adjonction d'un arc et d'un carquois, une fourrure pudiquement jetée en travers de ses hanches, une biche tuée à ses pieds, transforment la somptueuse Lise en Diane chasseresse dans le goût de l'époque! Elle est exposée aujourd'hui à la National Gallery de Washington.

Le peintre Daubigny fit admettre une toile de son ami au Salon de 1868, Lise à l'Ombrelle où elle fut remarquée par la critique.

A cette époque Renoir cherchait encore sa voie entre diverses influences parfois opposées, oscillant entre la préciosité académique d'Ingres, l'enthousiasme et la palette colorée de Delacroix, l'émotion et le souffle de Dehodencq ce magnifique peintre orientaliste qui marqua de son empreinte toute son époque.

Lise a l'ombrelle
Lise à l'ombrelle
En 1865, deux de ses portraits sont présentés au Salon. Lise à l'ombrelle où il a peint sa compagne et modèle Lise Tréhot, est salué par le jeune Émile Zola dans un vibrant éloge contrastant avec une critique maussade et souvent odieuse.

En 1868, Clémence et Lise attendent simultanément leur premier enfant. Célibataires, elles se retirent discrètement à Ville d'Avray dans l'attente du terme de leur grossesse. Lise donne naissance à Pierre, « né de père inconnu » selon la déclaration du médecin accoucheur, faite en présence de Jules Le Cœur et de Pierre Auguste Renoir. Le même jour, sa sœur Clémence accouche de Françoise, immédiatement reconnue par son père Jules Le Cœur. (*)

Le 21 juillet 1870, Lise Tréhot donne le jour à son second enfant, Jeanne, qui, pas davantage que son frère, ne sera reconnue par ses parents.

Si le destin de Pierre nous est encore inconnu, nous savons que Jeanne placée en nourrice, sera secrètement suivie et assistée par son père jusqu'à la mort du peintre. Il lui établit une modeste rente viagère, dont les dispositions sont stipulées sur un testament datant de 1908.

Jeanne Trehot
Jeanne, fille cachée de Renoir
Jules Le Cœur se brouilla avec Auguste Renoir qui, après avoir séduit Lise Tréhot la sœur de sa compagne, s'intéressa de trop près à Marie Le Cœur, sa nièce, fille de son frère Charles, âgée de 15 ans.

En fait, Pierre Auguste Renoir cachait bien son jeu. Sa réputation d'artiste chaste, davantage passionné par la peinture que par l'amour, n'était qu'une façade derrière laquelle se dissimulait un homme ardent, très porté sur la bagatelle, comme en témoignaient dans leur correspondance, ses amis Sisley et Bazille.

Il en allait de même pour Lise Tréhot, prude et chaste en apparence, que les amis du couple persiflaient :

Ne tombez jamais dans les fers de Lise,
Vous languiriez nuit et jour;
Elle a pris pour devise :
"Point d'amour, point d'amour !"
Son fils Jean nous conte une savoureuse rencontre qu'il fit dans cette période de sa vie où Renoir peignait sur le motif à Marlotte. Celle de Raoul Rigault, un jeune journaliste anarchiste recherché par toutes les polices de l'Empire.

La rencontre fortuite d'un amateur d'art tout à fait atypique, Victor Choquet, petit fonctionnaire aux Douanes, qui lui achète deux tableaux, lui redonne confiance en lui.

1877, il peint Le Bal du Moulin de la Galette que lui achètera son ami Gustave Caillebotte, rare vente réussie à cette époque de vaches maigres.

C'est, semble-t-il cette année-là qu'il rencontre Aline Charigot (1859-1915), dans une crèmerie de la rue Saint-Georges où elle déjeune avec sa mère.

Il en fera son modèle et sa maîtresse. En 1885, elle donnera naissance à Pierre, un enfant qu'il reconnaîtra.

Aline n'a pas vingt ans lorsqu'elle pose pour Les Canotiers à Chatou et apparaîtra désormais très souvent dans son œuvre, avant et après qu'il ne l'épouse.

En 1879, Auguste Renoir, âgé de 38 ans, se débat toujours entre ses soucis matériels, un insuccès prolongé et une critique désastreuse qui l'incitent à délaisser quelque peu ses amis d'avant garde pour tenter de plaire aux habitués d'un Salon "académique" et à leur goût conventionnel.

Renoir a tant d'habileté, de facilité, de virtuosité que changer de manière, s'adapter au goût du jour sans renoncer à l'essentiel, ne lui est pas difficile!

Or, cette année-là, au Salon, son tableau de Mme Charpentier et ses enfants, remporte un succès inhabituel. Pourtant il s'agit bien encore d'une œuvre impressionniste vivante, naturelle, dont la lumière et les couleurs vibrent autour d'une composition sans pose.

Il est vrai que son modèle était une femme très en vue, épouse de Georges Charpentier l'éditeur de Daudet, Maupassant et Zola.

Mme Charpentier
Mme Charpentier et ses enfants
Des commandes de portraits émanant de notables lui permettent d'émerger de la mouscaille et de se faire connaître.

Toujours en quête d'une voie personnelle qui le satisfasse pleinement, il peint, en 1887, Les Grandes Baigneuses, tableau dans lequel il délaisse l'impressionnisme pour revenir à Ingres. Cette nouvelle vision indispose autant ses anciens amis de l'avant-garde que la critique et jusqu'à Paul Durand-Ruel son marchand qui l'incite à renoncer à cette voie sans issue.

Aline Charigot deviendra son épouse en 1890, lui donnera deux autres enfants, Jean (le cinéaste et réalisateur) et Claude, dit "Coco", le céramiste et futur assistant-réalisateur de son frère.

Contraint d'améliorer ses revenus pour entretenir sa famille, Renoir va changer une fois encore de style pour tenter de plaire à la fois aux amateurs de peinture, à son marchand et satisfaire la critique officielle.

Sans abandonner tout à fait le flou impressionniste, il l'adapte en adoptant «une subtile fluidité de traits souples s'harmonisant parfaitement à son admirable palette de couleurs».

En 1892 ses Jeunes filles au piano font mouche. Il a touché le ton juste, à la fois original et personnel. L'État acquiert l'une des versions de cette œuvre qui sera exposée au Palais du Luxembourg.

piano-lesson
La leçon de piano
Voilà Auguste Renoir lancé, il a cinquante ans, des amateurs l'apprécient. Sa peinture, son style, sa palette se reconnaissent entre mille. Désormais ses toiles se vendent bien, la critique rentre ses griffes, et le monde des officiels ne le rejette plus parmi les marginaux.

Camille Pissarro parlant du succès de leur ami, dit:

«Renoir a un grand succès au Salon. Je crois qu'il est lancé, tant mieux, c'est si dur la misère!».

Mais Renoir reste fidèle aux idées de sa jeunesse, il en a trop bavé pour renoncer à ses principes. Lorsqu'on vient lui proposer la légion d'honneur, il hausse les épaules.

C'est alors que tout va bien, sa famille, sa peinture, ses affaires, que le destin frappe l'artiste dans ses œuvres vives. Près d'Essoyes, il tombe de bicyclette et se fracture le bras droit, blessure mal réparée, qui laissera des séquelles, l'obligeant bientôt à renoncer à la marche.

Dernières années
aux Collettes

Aux Collettes
Assis : Greta Prozar et Auguste Renoir
debout : Claude Renoir, Matisse et Pierre Renoir
C'est aux Collettes près de Cagnes, dans le midi qu'il s'installe, dans une belle propriété, entouré par sa famille, des amis, de jolis modèles, des domestiques aimables, peignant sans relâche, assis sous son vieux chapeau, sculptant aussi, entre deux tableaux, œuvrant dans la joie et la jubilation, malgré la souffrance, des mains déformées, jusqu'à ce que la mort l'en empêche.

* (Lire : Jean-Claude Gélineau Jeanne Tréhot, la fille cachée de Pierre Auguste Renoir)

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PIERRE RENOIR
(1885-1952)

Pierre Renoir
Pierre Renoir peint par son père
Cet acteur prestigieux, filleul de Gustave Caillebotte, obtient à sa sortie du Conservatoire un premier prix de tragédie. Il se frotte et se rôde au théâtre de Boulevard, joue de petits rôles au cinéma où, en 1912, il rencontre Véra Sergine (1884-1948) au cours du tournage de Deux Gosses d'Adrien Caillard. Leur fils Claude, naît en 1913, mais Pierre épousa Véra en 1914 juste avant son départ sur le front.

L'acteur perdra l'usage de son bras droit durant la Grande Guerre et reprendra sa carrière de comédien la paix revenue. Sévèrement handicapé par sa blessure, il jouera pourtant constamment au théâtre, sans connaître immédiatement le succès.

Son frère Jean, le cinéaste, lui confiera le rôle du paysan dans La Fille de l'Eau, film culte datant de 1924, tourné en grande partie à Bourron-Marlotte, à La Nicotière, au café Le Bon coin, ou aux bords du Loing.

Nicotiere Pierre Renoir
Pierre Renoir à la Nicotière entre Georges Rivière et Maurice Renoux
Il ne sera pas le seul parent ou ami de la famille à jouer dans ce film. Jean Renoir embauchera aussi son épouse Catherine Hessling ancien modèle de son père, et Charlotte Clasis la dernière à avoir posé pour lui, le peintre André Derain, ses amis et sa famille.

Jean, réalisateur débutant mais qui croit passionnément à l'avenir du Septième Art, incite son frère aîné à travailler pour le cinéma. (Voir plus loin, la bio de Jean Renoir)

En 1925, Pierre Renoir et Véra Sergine se séparent.

Sa rencontre avec Louis Jouvet avec qui Pierre sympathise d'emblée sera sa très grande chance et opérera un tournant notable dans sa carrière. Admis dans sa troupe prestigieuse en 1928, Pierre Renoir créera plusieurs pièces de Jean Giraudoux et sera dirigé par les plus grands metteurs en scène de l'époque.

Jean lui confie en 1932 le rôle du Commissaire Maigret dans son film La Nuit du Carrefour, tiré du roman de Georges Simenon. Il aura à ses côtés, outre de jeunes acteurs professionnels, des "amis" de la famille comme le peintre André Dignimont dans le rôle d'Oscar, Jean Mitry, futur historien du cinéma, dans celui d'Arsène.

Pierre Renoir
Pierre Renoir dans l'inoubliable film "Les Enfants du Paradis"
Le succès venant, Pierre Renoir ne cessera de travailler au théâtre aux côtés de Jouvet ou au cinéma, sous la direction de son frère Jean, de Duvivier, de Marcel Lherbier. Il jouera notamment au théâtre, sous la mise en scène de Jouvet :

1928 : Siegfried de Jean Giraudoux,

1929 : Suzanne de Steve Passeur

1929 : Jean de la Lune de Marel Achard

1929 : Amphitryon 38 de Jean Giraudoux

1933 : Intermezzo de Jean Giraudoux

1934 : La Machine infernale de Jean Cocteau

1935 : Knock ou le triomphe de la médecine de Jules Romains

1937 : Electre de Jean Giraudoux

1942 : Macbeth de William Shakespeare (mise en scène de Gaston Baty)

1946 : Hamlet de William Shakespeare (mise en scène de Jean-Louis Barrault)

1947 : Don Juan de Molière

1951 : Il joue une dernière fois Knock aux côtés de son ami Jouvet,
au Théâtre de l'Athénée dont il assure l'administration jusqu'à sa mort, en 1952.

Films
1935 : La Bandera de Julien Duvivier,

1944 : Le Voyageur sans bagages de Jean Anouilh.

1945 : Les Enfants du Paradis de Marcel Carné.

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JEAN RENOIR
(1894-1979)

Jean Renoir
Jean Renoir
Jean Renoir, cinéaste que Charlie Chaplin qualifiait de «plus grand metteur en scène du monde», est né à Montmartre le 15 septembre 1894. En 1915, grièvement blessé au combat (comme son frère Pierre) il souffrira sa vie durant de cette lésion du fémur le contraignant à boiter. Il restera toute sa vie un pacifiste convaincu.

En 1916, il apprend la photographie aérienne et réussit malgré son handicap à s'engager dans l'aviation à bord d'un avion de reconnaissance.

Il épousa le 17 janvier 1920, à Cagnes, Andrée Madeleine Heuschling le dernier modèle de son père, et s'adonne à la céramique. Jean qui aime passionnément sa femme, voudrait magnifier sa beauté insolite et insolente dans un film. En réalité, ce n'est que pour en faire une vedette, qu'il s'intéresse à la production cinématographique. Madeleine restera l'interprète de ses films jusqu'en 1928, sous le nom de Catherine Hessling. Il se ruinera pour la lancer.

Mais comme toutes choses, l'amour passe, l'amour fou sans doute plus vite que les autres.

Dans les années 20, Jean Renoir qui tourne à Marlotte les extérieurs de «La Fille de l'eau» devient l'ami intime de Paul, le fils du peintre Cézanne, lui-même ami de son père. Il y acheta une maison, St El, aujourd'hui N°42 de la rue Murger.

Cette maison avait appartenu à Ludovic de Villée, baron de Saint-El, un magnifique personnage austère et solitaire dont l'histoire a dû ravir Jean Renoir et sans doute l'inspirer.

(http://www.apophtegme.com/ALBUM/marlotte.htm)

Ce premier long-métrage, La fille de l'eau, sorti en 1924, fut réalisé à Marlotte, au bord du Loing, à Saint-El et dans la propriété des Cézanne, la Nicotière.

Jean Renoir est son propre producteur et c'est de ses deniers qu'il finance son film. Subjugué par les productions de l'époque : Griffith, Charlie Chaplin, Érich von Stroheim, il subit également l'influence de l'avant-garde française de l'époque, Abel Gance et Jean Epstein.

Dans La Fille de l'eau, il fait jouer son frère Pierre Renoir aux côtés de son épouse Catherine Hessling. Il entraînera dans l'aventure Charlotte Clasis le dernier modèle de son père et ses propres amis Pierre Lestringuez, Pierre Champagne, Maurice Touzé, le peintre André Derain!

Fille de l'eau
La Fille de l'Eau, tourné au bord du Loing
C'est Jean Renoir qui incite son grand frère, acteur de théâtre déjà chevronné, à travailler pour le cinéma, art pour lequel Pierre ne se sent d'abord aucune affinité.

Mais l'arrivée du cinéma parlant et la couleur au début des années 30 vont changer la donne.

De l'union de Jean Renoir et de Catherine est né en 1921 un fils, Alain, qui grandit dans la maison de Saint-El, mais assistera, adolescent, à la séparation de ses parents.

Après le médiocre succès de son film, Jean Renoir déprime et songe à abandonner le cinéma. Mais son ami Jean Tedesco qui vient de transformer le Théâtre du Vieux Colombier en cinéma d'avant-garde, l'invite à venir assister à une séance où dans un programme d'extraits de films, il a inséré la séquence du rêve de La Fille de l'Eau. Jean Renoir, dans Ma Vie et mes films, raconte :

«Le titre: "Extraits de la Fille de l'Eau" parut sur l'écran. Le pianiste de l'établissement préluda par quelques accords, puis il accompagna le début du film par une musique très douce, suivie pour la chevauchée d'une improvisation d'un genre héroïque. Les images se succédaient dans ce qui me semblait être une désespérante lenteur. Aimaient-ils cela ou ne l'aimaient-ils pas? Au bout de cinq minutes de projection, la salle était prise. Des applaudissements saluèrent plusieurs passages. Catherine et moi sentions notre angoisse disparaître, remplacée par une exaltation heureuse. Au moment où Catherine glisse du cheval et est entraînée dans une chute sans fin, les applaudissements éclatèrent.

Lorsque la lumière fut revenue et que l'écran fut vide, ils reprirent avec un enthousiasme dont la sincérité ne faisait aucun doute. C'était comme un crépitement entêté. Pour la première fois de ma vie j'éprouvais la griserie du succès. Jean Tedesco nous avait placés au milieu de la salle de façon à ce que les spectateurs puissent nous voir. Catherine fut reconnue et l'ovation rebondit de plus belle. D'un seul élan, toute la salle se mit debout.

Décidément, nous n'abandonnerions pas le cinéma. Le résultat de ce revirement fut "Nana" tourné en 1926. Pourquoi "Nana" ? Simplement parce que Pierre Lestringuez et moi admirions profondément le roman de Zola. J'en parlai à Catherine qui aussitôt se mit à mimer une Nana à sa façon.»

Catherine Hessling
Catherine Hessling
C'est ainsi que Jean Renoir se lance dans la folle et coûteuse aventure de Nana. L'échec financier le contraint à vendre plusieurs tableaux de son père pour payer ses créanciers.

Mais il persévère, réalise La Petite marchande d'allumettes, (1928) un conte inspiré d'Andersen, Tire-au-flanc, comédie militaire, avant de passer au cinéma parlant avec On purge Bébé (1931) d'après Feydeau.

Le réalisateur renonce désormais à confier un rôle à son épouse dont il se sépare. C'est la fin d'un grand amour. Leur divorce ne sera prononcé qu'en 1943.

Le succès espéré se laissant toujours désirer, Renoir passe au film réaliste avec La Chienne où le talent de Michel Simon explose l'écran dans son rôle de "petit bourgeois jaloux, assassin et veule".

La Nuit du carrefour (1932) d'après un roman de Simenon où Pierre Renoir interprète le rôle du Commisaire Maigret inaugure une série de chefs d'œuvres. Boudu sauvé des eaux, Le Crime de Monsieur Lange, Partie de Campagne, Les Bas-Fonds.

Avec Toni tourné avec des amateurs en 1934, dans un décor naturel, il crée le style néo-réaliste avant même qu'il n'apparaisse en Italie. Dans ce film, Jean Renoir travaille pour la première fois avec son neveu Claude Renoir à la caméra et travaillera à proximité de Pagnol, comme il le raconte dans ses souvenirs :

«En France, un auteur de génie avait réussi à créer une organisation parfaitement efficace pour la diffusion de ses films. C'est Marcel Pagnol. Non seulement il se limitait géographiquement, comme Bergman, mais il se limitait aussi historiquement. Les «Films Marcel Pagnol» fonctionnaient à la façon d'un atelier du Moyen Age. Pendant que je travaillais à mon film «Toni» je le voyais souvent. Il se servait pour ses films de mon équipement électrique du Vieux Colombier.

Dans sa maison de campagne, il accueillait ses techniciens, acteurs et ouvriers comme l'eût fait un maître charpentier du XVe siècle. Il avait son studio à Marseille. J'avais loué un logement non loin de ce studio pour le tournage de mon film et je me joignais à son équipe dans de passionnantes parties de pétanque. Nous échangions des services en nature, moi lui dirigeant à l'occasion une scène, lui m'aidant dans quelque problème de dialogue. Il possédait son organisation de distribution et même une salle sur la Canebière à Marseille. C'était après «Marius» et «Fanny». Sa réputation était immense et lui permettait cette indépendance. Le succès commercial de Pagnol était basé sur son talent. Ça marchait, et fort bien.»

A l'approche du Front Populaire, sa collaboratrice et compagne Marguerite Houllé, militante communiste active, amène Jean Renoir à épouser sa cause politique. Il adhère au groupe Octobre, où il retrouve les artistes Jacques Prévert, Maurice Baquet, Roger Blin.

Il réalisera des films tels La Vie est à nous (1936) puis La Marseillaise qui enthousiasmeront les foules du Front-Populaire.

Grande Illusion
Pierre Fresnay et Erich von Stroheim dans "La Grande illusion" de Jean Renoir
Peu avant la Seconde Guerre Mondiale, Jean Renoir réalise coup sur coup avec Erich von Stroheim et Jean Gabin, les deux immenses chefs d'œuvre que sont La Grande Illusion (1937) La Bête Humaine (1938), La Règle du Jeu (1939) où il nuance ses idées communistes par un message humaniste et pacifiste d'une grande sincérité.

«Ce film, nous dit Pierre Driout, restera sans doute son œuvre maîtresse et un grand classique de l'histoire cinématographique. Sur fond d'une partie de chasse, Renoir dessine une satire magistrale de la société de son temps où toutes les couches sociales s'adonnent avec une belle égalité à l'hypocrisie et à la tromperie. Le film provoque un scandale et ne fait pas recette. Finalement, après avoir été amputé à plusieurs reprises, La Règle du Jeu est interdit à la déclaration de guerre pour son effet "démoralisant" et la version intégrale ne sera rétablie que de nombreuses années plus tard.»

A sa liaison avec Marguerite succède celle avec Dido Freire, la script de La Règle du Jeu qu'il épousera par la suite.

À la veille de la guerre, Saint-El sera remis en vente. L'année suivante, Jean Renoir s'embarque pour les Etats-Unis, se marie avec Dido aux côtés de laquelle il terminera ses jours. Il revient souvent en France pour y réaliser ses derniers films, après sa période américaine.

En 1941, aux Etats-Unis où se déroule sa période dite américaine, Jean Renoir s'adapte mal au système hollywoodien. Malgré quelques succès comme Le Journal d'une Femme de chambre d'après Mirbeau, ou L'Homme du Sud, (Oscar du meilleur réalisateur) il regagne l'Europe.

En 1949, il se rend en Inde et offre à ce pays qui vient d'arracher son indépendance un superbe cadeau en y tournant Le Fleuve, son premier film en couleurs,

En Europe où il revient en 1952, il rencontre toujours quelques difficultés à financer ses projets, malgré ses admirables chefs d'œuvre et sa renommée auprès des cinéphiles du monde entier. Il réalise quelques beaux films comme Le Carosse d'or (d'après Mérimée) avec Anna Magnani, French Cancan, un merveilleux hommage au Moulin Rouge avec Françoise Arnoul et Jean Gabin (1955), Elena et les Hommes (avec Ingrid Bergman et Jean Marais, 1956), Le Déjeuner sur l'herbe, 1962), Le Caporal épinglé (d'après l'œuvre de Jacques Perret, 1962).

L'historien du cinéma David Thomson, pour qui Renoir est le plus grand cinéaste de tous les temps, écrit que «... son génie réside dans sa perpétuelle prise de risques dans le but de réaliser un nouveau type de films, tout en restant expérimental» et il ajoute que «dans les années 30, il n'y eut pas une expérience dans les domaines de l'éclairage naturel, du déplacement de la caméra, de la profondeur du champ visuel, des décors naturels ou du mélange intérieur/extérieur que Renoir n'eut tentée».

Il se retire à Beverly Hills où la mort l'emporte le 12 février 1979. Son corps fut ramené en France pour qu'il repose dans le caveau familial du cimetière d'Essoyes (Aube).

Jean Renoir a écrit quelques pièces de théâtre et des livres remarquables, notamment Pierre-Auguste Renoir mon père et Ma vie et mes films paru chez Flammarion, ouvrage auquel la présente page emprunte beaucoup.

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CLAUDE RENOIR
(1901-1969)

Claude Renoir
Claude Renoir jouant peint par son père
Surnommé Coco, il est le troisième et dernier enfant d'Auguste Renoir et d'Aline Charigot. Il figure de nombreuses fois sur les toiles de son père, l'un de ces portraits où il apparaît en habit de clown étant l'un des plus célèbres.

Il a quatorze ans à la mort de sa mère, en 1915, lorsque son père l'initie à la céramique. La même année, il figure dans le film de Sacha Guitry, Ceux de chez nous, aux côtés de son père.

A la mort d'Auguste Renoir c'est à lui que la famille confie le soin de recenser son œuvre, d'en établir le catalogue et d'en devenir l'expert.

En 1923, il épouse Paulette Dupré, qui lui donne un fils : Paul.

Jean Renoir qui aime travailler en famille, parvient à l'entraîner dans l'aventure cinématographique comme il avait déjà entraîné leur frère aîné Pierre. Assistant-réalisateur et Directeur de production, Claude participe à La Bête humaine, La Marseillaise et La Règle du jeu.

En 1942, il réalise en collaboration avec l'acteur René Lefèvre le film Opéra-Musette où il fait jouer Paulette Dubost, Raymond Bussières, Saturnin Fabre.

Grand résistant, décoré de la Croix de guerre, Claude Renoir s'intéressera après la guerre à la télévision naissante avant de se remettre à la céramique avec son fils Paul.

Ma Vie et Mes films
"Ma Vie et mes films" : un livre à lire absolument

SOURCES

Internet :

Les Grandes heures de Bourron-Marlotte
Bourron-Marlotte
Wikipedia
Château de Bourron
Amis de Bourron-Marlotte


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