George Sand et Alfred de Musset
Correspondance

Alfred de Musset et George Sand

Correspondance Sand-Musset
relecture cruelle par Jean Cocteau

Personnages

Musset femme à barbe et lesbienne cherche une femme et tout le drame vient de ce qu'il ne se comporte pas en homme. Sand, homme en jupes et pédéraste, cherche homme très homme : Pagello.

Un amusant lapsus calami de Musset (lettre à G. Sand). «Je sens que je devrais mettre ta main dans la sienne et m'en aller pleurer toute seule le bonheur que je n'ai pas su mériter. Pagello est l'homme qu'il te fallait, ma pauvre George »... etc.

Sand et Musset.
Chaque fois, entre les grandes lettres, qu'on trouve quelques lignes vraies - on s'étonne que deux êtres puissent avoir du sang qui est de l'encre et le répandre aussi facilement.
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Rien de plus ridicule que l'ordre avec lequel Sand et Musset ont pris soin de ranger leurs orages dans un tiroir. Rien de plus significatif que la différence de température entre leur lyrisme et les billets à Sainte-Beuve, à Berlioz ou à Liszt. C'est dans ces billets qu'on met la main dans l'eau tiède. Et tout de suite les torrents d'eau bouillante se mettent à sauter de roche en roche et de fauteuil en fauteuil, à travers ce déluge de larmes d'une bible destinée à la grosse vente. On devine une petite-bourgeoise menteuse et un polichinelle d'une monstrueuse frivolité.

Je comprends le dégoût que Baudelaire, Rimbaud (les princes du sang) peuvent éprouver pour cette hideuse petite noblesse provinciale qui se roule dans les sentiments comme si le monde entier avait les yeux fixés sur elle. Vraiment, ils me dégoûtent et j'éprouve la certitude que pas un des problèmes qui me tourmentent et tourmentent ceux de ma race n'a jamais effleuré cette vache et ce merle blanc.

Le nombre de statues (ridicules du reste) que Musset possède à Paris et le nombre de livres qui paraissent (sans y rien comprendre) sur l'imbroglio sexuel de Venise sont une preuve de plus de l'imbécillité du monde de la littérature. Freud aurait peut-être pu démêler cela, sauf qu'il n'a jamais flairé l'importance de la femme pédéraste qui n'a rien à voir avec la lesbienne. La lesbienne dans l'histoire, c'est Alfred de Musset.

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Ce qui est très étrange dans l'Histoire de cette écrivassière et de ce polichinelle, c'est qu'à l'encontre de l'opinion de Mme Sand, à savoir que l'œuvre de Musset est une œuvre d'ivrogne (elle l'écrivait à Hetzel) - jamais une seule minute l'ivresse ne se manifeste dans les poèmes de Musset - jamais le moindre délire. Jamais ce drame de l'absinthe et de ses irisations scélérates. Jamais ce désordre magnifique qu'on trouve chez Verlaine, chez Rimbaud, chez Baudelaire, chez Nerval... L'élève Musset écrit en classe, abrité par un dictionnaire. On chercherait en vain dans toute son œuvre (à moins que les larmes d'ivrogne puissent émouvoir quiconque) la flamme bleue de l'alcool.

Alfred est bêtasse et vaniteux. La petite scène que rapporte Rodolphe Apponyi, l'attaché de l'ambassade d'Autriche, nous met brutalement en face d'une réalité médiocre et salonnarde en marge des tempêtes du théâtre à quoi jouaient pour la postérité une vache à encre et un polichinelle. Les gens du monde n'étaient pas au courant d'un drame que ses protagonistes eussent aimé que tous le connussent et s'en émerveillassent.

Pour juger à leur taille les crises du couple il suffit de lire Drôle de ménage de Rimbaud. Il y flambe tout le génie qui manque à Musset et à Sand. C'est du rimbaldisme pour Maurras et Mariéton.

Je n'avais pas lu le commencement du livre. On a beau savoir que Musset est un poète détestable, il est difficile d'imaginer des vers aussi plats, aussi stupides, aussi médiocres, que ceux qu'il adresse à George Sand. Difficile d'imaginer qu'un homme puisse devenir illustre en écrivant des choses pareilles, dont un collégien aurait honte.

Jean Cocteau Le Passé défini (1956)

 
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