JACQUES ARNAL

 

LE COSMOS VIVANT
Brève histoire de la Vie

 


Livre second
INSTINCT ET INTELLIGENCE

 
"Puis le Cosmos-Dieu
prit les graines qu'il avait fabriquées,
les lança dans toutes les directions et dit:
je vous ai donné la Vie et l'Intelligence,
maintenant débrouillez-vous".

La cinquième force
Le programme

 
Nous avons vécu jusqu'ici sous l'autorité impériale des quatre forces qui gouvernent l'Univers. Ce sont, rappelons-la: la Gravité qui tient les mondes et les objets en équilibre; la force électromagnétique qui lie les électrons au noyau de l'atome, la force nucléaire faible qui intervient dans la radio-activité naturelle; et la force Nucléaire forte qui soude les éléments du noyau (protons, neutrons).

 
Ces quatre forces sont nées simultanément dans la fournaise du Big Bang avec la Matière, l'Espace, la Vitesse et le Temps, les quatre piliers du temple. Elles ont rendu possible au long des milliards d'années, dans des conditions extrêmement étroites, l'éclosion de la Vie et de la Conscience.

 
Pourtant, dès que le premier vivant indépendant a commencé sa précaire existence, des phénomènes nouveaux sont apparus. Au fur et à mesure que ce vivant grimpait les marches de l'escalier de la complexité, ces phénomènes prenaient une importance de plus en plus grande et finissaient par se séparer des forces classiques surveillées par les savants. Nous lui donnerons le nom de Force Psychique, la cinquième de l'Univers.

 
Chaque créature est un essai de la Vie. Chaque fois la Vie a tâtonné, cherché, compliqué, transformé, et son comportement sera infiniment varié depuis la simple réaction élémentaire (le tropisme) jusqu'aux plus brillantes constructions de l'esprit en passant par le puissant et mystérieux psychisme des insectes sociaux.

 
Si j'ai donné quelque importance à l'étude des singularités animales c'est qu'elle nous permet de comprendre, à l'évidence, qu'il y a derrière le cheminement du vivant, un programme, un but poursuivi par la Nature depuis la nuit des temps, but qui représente la finalité suprême: aboutir au plus fort développement du psychisme, la cinquième force de l'Univers.

 
"L'étude des animaux est une source inépuisable pour la compréhension de l'Homme" (Cousteau).

 
Histoires merveilleuses? Oui. Mais vraies! Les naturalistes sont des savants, par conséquent des gens sérieux et, s'ils mettent parfois dans leurs récits un parfum de poésie, ce n'est jamais au détriment de la vérité qui, ici, dépasse infiniment la fiction.

 
"Ceux qu'on appelle des bêtes,m'a dit Séverine,ne sont pas si bêtes que ça !"

 
Alors, réactions élémentaires, instinct, intelligence? à vous de juger.

 
La Sterne Pierregarin. Qui ferait mieux?

Nous venons de parler d'intelligence réduite aux actes immédiats. Un exemple va permettre de mieux identifier cette "zone indécise". Des observateurs, étudiant les réactions d'un oiseau, la Sterne Pierregarin, dans les premiers jours qui suivirent la naissance de ses poussins, notèrent ainsi une singularité de son comportement: les petits, dès leur éclosion, risquaient quelques pas trébuchants autour du nid rudimentaire posé à même le sable et se hâtaient de venir retrouver la mère qui poussait sans arrêt pendant ces escapades des cris gutturaux. Pourtant il y a chez les Sternes, comme chez les humains, des cabochards qui n'en font qu'à leur tête sans se rendre compte des dangers qu'ils courent, quitte ensuite à accuser les autres s'il leur arrive quelque misère.

 
Dans l'histoire qui nous intéresse l'un des petits s'était éloigné de quelques mètres du nid et restait sourd aux cris de la mère. Or les pierres, surchauffées par le soleil, menaçaient l'imprudent d'insolation. Au bout de quelques minutes, consciente du danger, la mère prit son vol, pêcha rapidement un poisson qu'elle alla présenter au poussin rebelle mais, au lieu de le lui laisser, elle l'entraîna jusqu'à son nid en reculant peu à peu. Le petit reprit alors sa place au milieu de ses frères. C'est seulement à ce moment qu'elle lui abandonna le poisson. Quelle mère, agissant en douceur, aurait fait mieux?

 
Notons qu'en pareille circonstance les parents Manchots, beaucoup moins délicats mais beaucoup plus pratiques, ramènent leur rejeton dans le cercle familial à grands coups de bec sans autre forme d'explication.

 
On observe un comportement similaire lorsqu'un Oiseau simule une blessure pour entraîner chasseur ou chien loin de son nid.

 
Le Mégapode
ou la plus artisanale des couveuses
(Voir Vitus Dröscher : Les Sens mystérieux des Animaux. Ed. Robert Laffont)

Toutes les maternités des hôpitaux et des cliniques privées disposent aujourd'hui de couveuses artificielles où quelques prématurés attendent sagement les forces qui leur manquent encore pour affronter la vie.

 
Combien de millénaires a-t-il fallu au Mégapode pour mettre au point bien avant les humains l'incroyable construction dont il est l'auteur et où s'effectuent les diverses opérations d'une couvaison étroitement surveillée?

 
Le Mégapode, volatile australien, ressemble à notre dindon, avec des pattes musclées aux doigts puissants, d'où son nom. La femelle présente cette particularité de pondre des œufs géants atteignant la moitié de la taille des œufs d'Autruche. La malheureuse en pond une trentaine au début de la saison et se trouve alors devant un problème en apparence insoluble car il lui est matériellement impossible de couvrir seule cette pyramide pouvant atteindre le poids de cinq livres. Deux solutions s'offrent à elle, soit de n'en

 
couver qu'un et de perdre les autres, soit de trouver le moyen de les chauffer tous ensemble dans un dispositif de sa fabrication. Or, dans la pénombre de son psychisme, le Mégapode s'est rendu compte que la décomposition des végétaux, feuilles, brins d'herbe, fragments de tiges etc., produit de la chaleur. La source d'énergie était trouvée.

 
Quand l'Oiseau fit cette découverte, il y a bien longtemps, les matériaux ne manquaient pas dans son environnement et la construction d'une hutte ne rencontrait pas plus de difficultés que celle d'un nid pour l'Hirondelle. De nos jours, hélas, des régions semi désertiques, voire désertiques, ont succédé aux paradis d'antan mais l'Oiseau, condamné aux mêmes gestes, comme le Sisyphe de la mythologie, dut adapter ses méthodes aux problèmes nouveaux... et ces problèmes sont de taille!

 
Il commence ses travaux en automne, c'est-à-dire à une époque où les détritus sont nombreux et l'humidité importante, en creusant un entonnoir de 5 mètres de diamètre sur 1m 50 de profondeur, ce qui, pour une bestiole de cette taille est déjà une performance.

 
Au milieu des résidus végétaux qu'il accumule dans l'entonnoir, le Mégapode réserve un puits destiné à recevoir les eaux pluviales qui vont pénétrer jusqu'au fond.

 
Dès le début du printemps le mâle tourne et retourne la masse entière pour accélérer l'aération et la fermentation génératrice de chaleur. Or, la température au sein de cette construction doit atteindre et conserver trente-trois degrés, pas un de plus, pas un de moins. C'est ici qu'intervient le phénomène mystérieux des mémoires incorporées au tréfonds des cellules nerveuses de l'animal. Notre Mégapode possède une sensibilité valable au dixième de degré qui lui permettra d'exercer un contrôle rigoureux pendant tout le temps de l'incubation.

 
Alors un véritable enfer commence. L'oiseau surveille son chantier jour et nuit pendant des semaines, creuse des galeries nouvelles quand le besoin s'en fait sentir, en bouche des anciennes, ajoute ou retire des matériaux et réussit le tour de force qui paraissait impossible: le maintien des trente-trois degrés où les œufs peuvent mijoter tranquillement.

 
Enfin l'heure est arrivée, les petits brisent leur coquille et, sans autre ressource que leur instinct, cherchent à s'évader de l'inextricable fouillis. Beaucoup n'y parviendront jamais mais il y en aura toujours assez pour assurer la relève et construire dans les steppes australiennes ces édifices curieux que les voyageurs prennent souvent pour des tumulus.

 
L'Australie possédait déjà l'Ornithorynque, ce petit monstre réjouissant à bec de canard, à pattes palmées et à queue plate qui défiait toute classification, on sait maintenant qu'elle abrite une famille d'Oiseaux suffisamment astucieuse pour construire et faire fonctionner sa couveuse artificielle grâce à l'énergie naturelle des débris végétaux.

 
Les Cynipidés.
Les rois de l'abus de confiance

C'est maintenant un petit insecte d'un demi centimètre, à deux paires d'ailes membraneuses, un Cynipidé, que nous plaçons sous notre loupe. Il y a bien dans cette famille un mâle porteur des cellules reproductrices et une femelle pour les recevoir mais la nature, prudente, permet à celle-ci de se reproduire toute seule, au besoin. Toutefois ce n'est pas cette particularité qui retiendra notre attention, c'est la manière dont cet astucieux hyménoptère s'y prendra pour assurer à sa larve la table et le coucher.

 
L'Insecte, qui possède de solides connaissances en botanique, choisit soigneusement au printemps sur un arbuste ou sur les rameaux d'un arbre, l'endroit précis où un bourgeon va naître, et il ne se trompe jamais. A l'aide de sa tarière, organe dur situé au bout de son abdomen, il creuse à cette place exacte une galerie au fond de laquelle l'œuf se fixera.

 
Prospection, choix, forage, ponte, l'Insecte n'arrête pas pendant une dizaine de jours, puis, ayant déposé son dernier œuf dans le dernier tunnel, il va mourir quelque part avec l'indifférence des vies inconscientes et, peut-être, l'obscure satisfaction du devoir accompli.

 
L'œuf éclôt plusieurs semaines après, au fond de sa petite galerie et l'une des opérations les plus étonnantes s'accomplit. Les minuscules mandibules de la larve grignotent les membranes cellulaires pour en aspirer les sucs et en même temps une sécrétion des glandes salivaires de l'animal prend le relais du bourgeon de sorte que la sève de la plante continue son circuit nourricier sans se douter de rien. Ayant ainsi fait croire à la plante que le bourgeon grossissait, la larve se nourrit le plus tranquillement du monde des substances qui étaient destinées à ce bourgeon, mais, en lieu et place de ce dernier, apparaît cette affreuse boursouflure, parfois chevelue, ce véritable cancer connu sous le nom de gale.

 
L'abus de confiance dure tout l'hiver et la métamorphose s'accomplit dans la petite galerie. l'Insecte, maintenant parfait, guidé par un sens mystérieux de l'orientation, perce un tunnel jusqu'à la lumière du jour sans jamais se tromper de sens. Puis il accomplira les gestes de son patrimoine héréditaire: prospection, choix, forage, ponte, pour la plus grande gloire de l'espèce.

 
Les Empididés

Toutefois les Cynipidés dont il vient d'être question ne sont que des abuseurs de pacotille à côté des Empididés car l'acte blâmable que nous allons examiner est infiniment plus élaboré que le précédent.

 
Les Empis, petits insectes diptères, sont des sortes de mouches qui voltigent le soir au-dessus des eaux dormantes. Les actes qu'accomplissent ces minuscules créatures semblent extraits ni plus ni moins d'un acte de la comédie humaine. Regardez. Madame Empis manifeste pour tout ce qui l'entoure une insatiable curiosité. Monsieur le sait et en profite sans vergogne.

 
Lorsqu'il aperçoit une femelle posée sur un brin de roseau, le mâle capture rapidement autour de lui une proie quelconque, larve de moustique, crustacé microscopique, boule de pollen perdue par une abeille et place sa trouvaille dans un cocon qu'il confectionne à la hâte. Puis il va déposer son colis non loin de la femelle qui ne résiste pas un instant. Elle se précipite sur l'objet et entreprend fébrilement de l'ouvrir... pendant que la mâle en profite pour la posséder! Rien de choquant dans tout cela, les hommes en font bien davantage pour parvenir aux mêmes fins. Pourtant, lorsque la petite proie-cadeau tarde à se manifester, ou lorsqu'il est pressé, Monsieur Empis confectionne tout de même le fameux cocon surprise qui, dans ce cas, ne contiendra rien du tout, de sorte que Madame Empis sera la victime de la plus déloyale manœuvre qui soit. Quand elle s'en rend compte, le mâle est déjà parti, satisfait et sans remords, du moins le pense-t-on !

 
Les premiers électriciens

Il fallut attendre le XIXe siècle pour découvrir cet être infime, universel et turbulent: l'atome. Il fallut attendre le XXe siècle pour identifier, parmi ses habitants, les non moins turbulents électrons et prendre conscience de la force électromagnétique. Les savants se mirent à interroger ces électrons, à les piéger dans des générateurs, à les propulser dans des accélérateurs... Le monde décerna à ces savants des couronnes de laurier et des prix Nobel.

 
Mais, que devrait-on décerner alors aux animaux qui furent les premiers habitants de la planète, les poissons, dont certains sont nos ancêtres par reptiles interposés et qui, depuis l'aurore des temps pour quelques familles, manient les particules élémentaires dans les ordinateurs électroniques de leurs cellules nerveuses.

 
Les médecins de la Rome antique connaissaient déjà une sorte de raie dont les décharges douloureuses leur étaient un mystère. Dans l'impossibilité de trouver une explication ils les attribuèrent au dieu de la médecine et pensèrent qu'elles pouvaient guérir toutes les maladies. Les praticiens du temps de Néron soumettaient ainsi leurs clients aux premiers électrochocs connus. N'ayant, bien entendu, aucune notion de l'électricité, ils supposaient que les poissons frappaient leurs victimes si vite qu'on ne voyait pas leurs gestes.

 
Dans les eaux douces d'Amérique du Sud vit un poisson ressemblant à une anguille, le Gymnote, qui atteint parfois la taille respectable de 2 m 50. Dans le cas de ce géant il ne s'agit plus d'un petit électrochoc mais d'une véritable électrocution susceptible de tuer un adversaire par la force d'un courant de 600 volts.

 
Entre les muscles et les nerfs de tous les organismes vivants naissent des tensions électriques très faibles qui se répartissent dans la masse du corps. Chez le Gymnote, le muscle électrogène, long et puissant, marque, par son immobilité même, l'extrême spécialisation de l'organe. Chacune des millions de cellules produit une tension d'un dixième de volt et l'accumulation "en série" devient une arme efficace permettant à l'animal de dissuader un ennemi ou d'assommer sa proie. Mais, pour déclencher l'explosion, encore faut-il que l'influx commandant la décharge parvienne simultanément aux millions de cellules. Or, les fibres nerveuses sont d'inégales longueurs, de sorte que pour parvenir exactement en même temps aux terminaux, l'influx nerveux doit être ralenti ou accéléré selon les cordons parcourus. La nature y est parvenue depuis longtemps comme nos ingénieurs le font maintenant dans leurs installations: les cordons courts sont de section beaucoup plus grosse, réalisant une extraordinaire synchronisation à la hauteur de nos machines les plus perfectionnées.

 
Cette famille de Poissons "torpilles" compte de nombreuses espèces plus ou moins douées sur le plan du pouvoir électrique. Pourtant l'une d'elles, le Gymnarque du Nil, a posé pendant longtemps un fantastique problème aux ichtyologues. Ce poisson "voit" au travers des rochers! si bien que les sages du Pharaon l'avait élevé au rang des dieux. On sait aujourd'hui que l'organisme du Gymnarque est capable de déceler une tension d'un millionième de volt entre les cellules nerveuses de la tête et celles de la queue, ce qui nous rapproche sérieusement du niveau atomique. Il émet de brèves impulsions périodiques et peut détecter tous les corps vivants, donc conducteurs, qui se trouvent à proximité, même derrière les rochers.

 
A quel moment et sous la pression de quelle nécessité ces poissons ont-ils acquis une faculté qui leur permet de maîtriser l'énergie universelle avec tant de brio? La perfection de la centrale électrique du Gymnote avec ses molécules négatives à l'intérieur et ses molécules positives à l'extérieur, ses circuits modulés, indiquent une très longue évolution. N'oublions pas que les familles des vertébrés aquatiques plongent leurs racines à 600 millions d'années.

 
Le Poisson archer

L'évolution des espèces est si lente que nos yeux humains et nos soixante-dix petites années de vie moyenne ne peuvent en saisir aucune manifestation. A fortiori ne peut-on pas savoir à quel moment de son existence une famille a modifié son comportement pour utiliser graduellement une technique qu'elle ne possédait pas au début.

 
Un exemple nous est fourni par un poisson du sud-est Asiatique et de l'Australie surnommé Poisson archer, ce qui le définit parfaitement. Lorsqu'il aperçoit un insecte rêvant sur une brindille au-dessus de l'eau, il s'approche doucement de la surface, oriente son corps vers l'objectif et crache un petit jet d'eau jusqu'à vingt-cinq centimètres de distance (trois fois la taille de l'animal) avec une remarquable précision.

 
L'insecte, qui ne s'attendait pas à une attaque venant de ce côté, déséquilibré, tombe et est aussitôt gobé.

 
Plusieurs détails donnent à cet exercice l'allure d'un exploit. Tout d'abord le jet d'eau craché par le poisson est en forme de pomme d'arrosoir pour couvrir une plus large surface et atteindre plus sûrement son but. Ensuite il peut être tiré verticalement si le poisson parvient sous sa victime, ou obliquement s'il se trouve de côté. Or, dans ce dernier cas, le plus fréquent, le cerveau de l'animal résout un certain nombre de problèmes parmi les plus compliqués: réfraction de la lumière, place réelle de l'insecte par rapport à son image, distance et force de la projection. Pourtant le petit archer aquatique atteint sa proie trois fois sur quatre.

 
Dans le cas précédemment évoqué du Gymnarque repérant une présence vivante derrière un rocher par une perturbation infime de son champ électrique, la nature est seule en cause, le poisson ne faisant qu'exploiter inconsciemment ses possibilités organiques. En ce qui concerne le poisson archer, il s'agit d'autre chose. L'animal s'est rendu compte peu à peu qu'il pouvait expulser un jet d'eau par sa bouche, que ce jet d'eau représentait une certaine force, qu'il pouvait le diriger vers une proie située hors de son propre élément, à condition de vaincre quelques difficultés. Intelligence et volonté allant jusqu'à donner à son projectile, en modifiant le profil de sa bouche, une forme évasée plus efficace qu'un mince filet rectiligne.

 
La Baudroie, elle, attire ses victimes à l'aide d'un petit appendice fixé à proximité de son énorme bouche. Il s'agit d'une tige semi rigide cartilagineuse au bout de laquelle pend un fragment de matière ressemblant à s'y méprendre par la couleur et l'aspect à un vermisseau, susceptible par conséquent d'éveiller la convoitise des amateurs. Et les amateurs ne manquent pas d'autant plus que la Baudroie, à demi ensablée, agite la tige et le leurre dans la meilleure tradition d'un pêcheur de truite ou de gardon.

 
Mieux encore pour la Baudroie des abysses où ne pénètre plus aucune lumière: son leurre est phosphorescent comme celui du Chauliodus dont les flancs s'enrichissent d'une longue tige dorsale lumineuse.

 
Certains Stomiatoïdes éclairent devant eux à un mètre.

A ces profondeurs, entre 500 et 2.000 mètres, des Calmars géants de vingt mètres d'envergure possèdent les plus gros yeux du monde animal avec quarante centimètres de diamètre.

 
Dans les profondeurs abyssales vit aussi une espèce de poisson qui présente la plus extraordinaire des particularités: la famille des Céréthias. La femelle est assez volumineuse, par contre les mâles sont minuscules. Après un certain temps de vie libre, un ou plusieurs de ces mâles se fixent par la bouche au flanc de la femelle avec une telle force qu'ils vont s'y greffer et se transformer peu à peu en organe génital mâle et annexe, la femelle bénéficiant alors des deux sexes.

 
Le poisson grimpeur

Il s'agit maintenant d'un outsider extravagant et combien réjouissant: le Gobie. Poisson téléostéen (entièrement ossifié) il possède près des nageoires des cavités qui retiennent l'air humide. Il peut ainsi sortir de l'eau, se promener, courir sur le sable avec une vélocité sans égale. Enfin, doté de ventouses à l'extérieur des nageoires, il peut, suprême astuce, grimper aux arbres pour y gober quelque succulente mouche. Les mouches n'en reviennent pas. Et pourtant elles ont de la défense puisqu'elles possèdent dans leur œil 300 facettes comportant chacune 8 photocellules qui actionnent à la moindre alerte 18 paires de muscles de leurs ailes infimes. Le passionnant de l'histoire est qu'on se trouve probablement, chose rarissime, en présence d'une race en cours d'évolution. Comment sera le facétieux Gobie dans quelques millions d'années?

 
Le lance-javelot

Notre bestiaire comptait le Poisson archer, il va s'enrichir du Caméléon lance javelot. Les caractéristiques du Caméléon en font un phénomène unique que les naturalistes ont dû classer à côté des Lézards, descendants comme lui d'un reptile primitif. On se souvient que la grande purge de la fin du Crétacé laissa subsister les petites espèces dont certaines produisirent des formes décadentes comme celle du Caméléon.

 
Celui-ci émigra peu à peu vers les arbres, subissant à mesure une régression, une spécialisation et une transformation.

 
La lenteur invraisemblable avec laquelle se meut cet animal illustre la régression vers le règne végétal et pourtant la capture d'une proie lui donne l'occasion de manifester une vitesse d'exécution également invraisemblable. La vie arboricole entraîne l'application de techniques nouvelles et la technique, pour un animal, marque toujours un arrêt de son évolution, une sorte d'impasse où s'enlisera définitivement son comportement.

 
Comment se présente alors la bestiole que les indigènes de Madagascar craignaient comme la peste et qui, malgré son aspect menaçant, est le plus démuni et le plus inoffensif des êtres vivants. D'ailleurs, en général, l'aspect répugnant ou redoutable est une parade contre la faiblesse et le fragilité. La nature cherche à inspirer la peur quand elle n'a ni la force ni l'agilité. En effet, le Caméléon, sur ses trente centimètres de longueur, possède toute la panoplie dissuasive des animaux fantastiques: corps étroit, tête anguleuse et pyramidale prolongée en arrière par une sorte de crête alors qu'elle s'allonge en avant par deux ou trois cornes inquiétantes, queue préhensible qui s'enroule n'importe où comme un serpent, yeux énormes en forme de cônes, pattes perpendiculaires au tronc terminées par des doigts à l'aspect de tenailles, bouche semblable à un bec découvrant une rangée de dents au-dessus d'un large menton qui pend comme un sac, l'aspect granuleux de la peau évoquant une cuirasse d'écailles... telle est la tenue de gala d'un animal qui étonnait déjà Aristote. Et il y avait de quoi parce que le Caméléon est l'oiseau rare de la famille des reptiles grâce à trois singularités: ses yeux, sa langue et son mimétisme.

 
Ayant choisi la vie arboricole on ne sait quand, le Caméléon s'est trouvé confronté à divers problèmes: se fondre dans le paysage, repérer sa proie sans la faire fuir et l'atteindre sans bouger.

 
Se fondre dans le paysage? Rien d'extravagant, beaucoup d'autres y parviennent d'autant plus que l'animal possède une sensibilité de sismographe. Vert dans les arbres, ocre sur le sol, bigarré dans l'excitation amoureuse, noir comme il se doit dans les moments de colère, réagissant à la température, à l'humidité, notre bestiole passe au réveil par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel.

 
Repérer sa proie sans la faire fuir et l'atteindre sans bouger supposent une immobilité absolue, au moins dans l'attitude. Pas facile de repérer quelque chose sans tourner la tête. Le Caméléon y parvient totalement. Il peut voir devant lui, à côté de lui, derrière lui sans bouger un pli de sa carcasse par l'invraisemblable travail de ses yeux télescopiques installés au sommet d'un cône qui pivote lentement. Indépendants l'un de l'autre, acheminant des images différentes, ils indiquent dans ce domaine un cerveau plus développé que celui de l'Homme.

 
Un autre organe lui donne également l'avantage: la langue. D'abord parce qu'elle ne lui sert pas à dire des méchancetés et parce qu'elle est devenue au cours du temps une véritable arme de jet. Lorsque le reptile, cramponné à sa branche par les pattes-tenailles, équilibré par la queue, a découvert un insecte immobile devant lui, il le localise en tournant lentement ses yeux pour apprécier la distance, gonfle le cou en pliant sa langue à la façon d'une arbalète et brusquement, en un centième de seconde, décoche cette langue immense à trente-cinq centimètres (plus d'une fois la longueur du corps) avec une précision diabolique. A l'échelle humaine de 1 m 70 cet organe aurait près de 2 mètres!

 
Malgré tout le Caméléon ne semble pas avoir une confiance absolue dans la crainte que peut inspirer son aspect ordinaire. Alors ce vieux cabotin joue la comédie de la fureur avec un art consommé. De menaçant il devient terrifiant, des bandes et des stries se détachent en blanc ou jaune sur la peau devenue noire, son corps se dilate et double de volume, sa crête se dresse au milieu d'excroissances, il souffle, gronde comme un chat en colère de sorte que, généralement ses ennemis n'insistent pas.

 
De son côté, la femelle, ovipare (il y a des vivipares) va chercher dans la terre meuble, sous les feuilles, les endroits où elle pondra ses œufs. Elle explore le sol du bout de ses pattes, et, lorsqu'elle a trouvé l'emplacement idéal, creuse un trou avec sa tête, y dépose une dizaine d'œufs blancs, rebouche le nid, le recouvre d'herbes, de feuilles et tasse soigneusement la terre. Comme elle recommence cette opération plusieurs fois de suite avec l'impressionnante lenteur de sa race, elle sort de ces épreuves complètement épuisée, offrant dans son humble et rébarbative silhouette, l'attendrissante image du dévouement maternel. Toutefois elle ne s'intéresse absolument plus à sa progéniture. Dix mois plus tard, s'aidant de la queue et des pattes, les nouveaux-nés gagnent les frondaisons où, guidés par une conscience obscure, ils commencent à traquer les insectes, comme tous les Caméléons de tous les âges.

 
Les empoisonneurs

Un petit coléoptère au corselet étroit, tête, pattes et antennes d'un rouge vif, aux élytres bleuâtres laissant à découvert l'extrémité postérieure du corps, met à profit une curieuse particularité de la nature: il envoie au nez de ses ennemis un gaz malodorant et corrosif. C'est le Brachin, également appelé Bombardier, Sclopéta, Crépitans, Exhalans ou Explosor... ce qui dit bien ce que cela veut dire.

 
Ce curieux animal dont la taille varie de cinq millimètres à un centimètre, compense sa faiblesse par l'invention d'un véritable gaz asphyxiant qui se forme dans son intestin. Les biochimistes ont étudié la composition de cette substance diabolique et n'en sont pas encore revenus. Il y a d'abord émission d'un acide gras éthylénique qui attaque les pores de la peau et permet à la vague suivante d'y pénétrer. Or, cette vague n'est rien moins qu'un mélange d'hydroquinone et de peroxyde d'hydrogène. L'organe de l'abdomen où s'élabore le mélange est une sorte de chambre blindée de chitine dure à l'épreuve de toute explosion. Ainsi armé, ce chétif insecte ne craint personne car la douleur produite sur les yeux ou les muqueuses du nez est proprement insoutenable.

 
Un Scorpion, "écrevisse des sables", responsable chaque année d'accidents mortels, dont quelques-uns en France, offre tout de même dans ses amours un côté attachant. D'abord c'est un danseur né et la danse est pour lui le plus sûr moyen de séduction. Lorsqu'il a conquis une femelle il pose sur le sol un petit sac renfermant son sperme (le spermatophore), prend délicatement sa compagne par les pinces et, tout en dansant, l'amène au-dessus du spermatophore. La femelle n'a plus qu'à le récupérer par son orifice génital.

 
Après les gaz asphyxiants, la mort parfumée. Les ressources de la nature sont infinies... comme les voies de la providence. Une punaise terrestre du genre Reduve a mis au point un moyen mortel de séduction. Lorsqu'elle est en danger face à ses ennemis héréditaires les fourmis, elle secrète par son abdomen quelques gouttelettes de liquide sucré. Si la fourmi n'est pas prêteuse, comme dit le fabuliste, elle est d'une insatiable gourmandise et ne résiste pas à l'envie de déguster ce qui lui est si gentiment offert. Pourquoi, depuis le temps que cette pratique existe, les fourmis n'ont-elles pas appris à se méfier? Mystère. Car les gouttelettes ne sont pas seulement un breuvage sucré mais un toxique stupéfiant qui expédie l'amateur dans les paradis artificiels en un minimum de temps. La redoutable punaise n'a plus qu'à se pencher sur les corps inertes pour en liquéfier les parties molles à l'aide de ses glandes salivaires et les sucer ensuite pour le plus grand bien de son métabolisme.

 
On a signalé qu'elle adoptait parfois une attitude surprenante. L'essaimage des gouttelettes autour d'elle est évidemment valable si plusieurs ennemis se présentent en même temps mais si elle est attaquée par un seul, alors la Reduve se paye un petit plaisir: elle pond une gouttelette qu'elle saisit entre ses pattes antérieures et la tend à la fourmi dont les terribles mâchoires frétillaient déjà... plus pour très longtemps. Nous sommes vraiment ici sur la zone indécise où se mêlent l'acte purement instinctif et le début d'un raisonnement.

 
Fouets, filets, vibrations
(Où l'Araignée imite les rétiaires antiques)

Début d'un raisonnement? Ecoutez plutôt. La Scytode, vivant en Afrique du Sud, araignée petite cousine des Mygales, ne fabrique pas, comme ses consœurs, ces toiles qui sont des chefs-d'œuvre de géométrie, mais tisse tout simplement la sienne entre ses longues pattes. Elle se met à l'affût dans un endroit fréquenté par des insectes nocturnes et jette sur sa victime ce véritable filet poisseux dont elle ne sortira plus, exactement comme faisaient les gladiateurs dans le cirque romain.

 
A défaut de toile une chenille apparentée au Bombyx possède deux cornes situées à l'arrière du corps. En cas d'attaque elle tourne le dos à l'ennemi le plus vite possible et fait jaillir, des fameuses cornes, deux sortes de fouets qui battent le sol en tous sens jusqu'à quatre centimètres. La surprise des assaillants est telle que, généralement, ils n'insistent pas.

 
A défaut de filet de combat ou de fouets défensifs on peut essayer de jouer les magiciens en disparaissant comme par enchantement. Les cent quatre-vingt-dix battements d'ailes à la seconde de la mouche, en apportent une magnifique illustration . Or, un moustique à longues pattes qui vit sous les tropiques, sait que la rapidité des vibrations empêche l'œil de distinguer le support d'où elles proviennent. Lorsqu'il aperçoit un ennemi cet astucieux animal se met à vibrer de corps, de pattes et d'ailes si fort qu'il disparaît - ou presque - aux yeux du prédateur. Presque, car certains oiseaux repèrent tout de même le moustique sous ses ultra vibrations.

 
Des yeux complémentaires

L'Anablep, poisson d'eau douce d'une dizaine de centimètres, porte des yeux proéminents ayant une propriété tout à fait remarquable. Chaque œil est divisé horizontalement en deux parties dotées chacune de deux pupilles lui permettant de voir, lorsqu'il est à la surface de l'eau, aussi bien dans l'air que dans l'eau. Cette particularité unique le met à l'abri de bien des surprises, qu'elles viennent du ciel, ou qu'elles montent du fond.

 
La colle chez les Termites

Il n'est plus question maintenant de boulettes empoisonnées comme pour la punaise ou de gaz asphyxiant comme pour le Brachin mais de jets gluants. Philibert Besson qui fut député de Paris, aidé en cela par un autre farfelu, Ferdinand Lop, suggéraient la mise au point par les forces de police de jets de colle pour immobiliser les manifestants. L'honorable représentant du peuple souverain avait sans doute étudié les mœurs des Termites Nasutis.

 
Dès qu'une troupe de fourmis ennemies est signalée aux termites Nasutis on sonne le tocsin dans le royaume ténébreux de la termitière, ce qui donne un son grave, impressionnant, perceptible à plusieurs mètres à la ronde. Les soldats Termites prennent alors leurs postes de combat aux carrefours, devant les portes fermées à la hâte, devant les bouches d'aération et surtout dans chacun des couloirs qui mènent au palais de la Reine.

 
Les soldats Termites Nasutis ne sont pas n'importe quels combattants. Ils disposent d'un curieux appendice nasal en forme de trompe relié à une glande qui fabrique un liquide visqueux. L'obscurité totale qui règne dans la termitière met les adversaires sur un pied d'égalité. Le termite est aveugle mais la fourmi doit avancer si près de son adversaire qu'elle court le plus grand danger. Ce danger n'est rien moins qu'un jet de glu du Nasuti qui la cloue sur place, à la merci des terribles mandibules. Toutefois la fourmi n'est pas totalement désarmée puisqu'elle secrète de son côté un liquide corrosif. Il s'agit de savoir qui pourra employer le premier ses armes naturelles.

 
Dans un assaut de ce genre l'avantage est d'abord aux fourmis qui submergent leurs adversaires mais ceux-ci sont si nombreux (2 millions dans les grandes termitières d'Afrique) qu'en fin de compte les assaillants se retirent en emportant les morts qui constitueront une réserve non négligeable de nourriture pour les larves affamées.

 
Le Protoptère, poisson terrassier

Cet habitant phénomène des fleuves africains, le Protoptère, ressemble à un énorme têtard pouvant atteindre soixante centimètres de long. Il est d'autre part muni de poumons et de branchies lui permettant de respirer aussi bien dans l'air que dans l'eau. Enfin ses nageoires longues et effilées l'aident à se traîner sur le fond de sorte que, vu d'en haut, on dirait un batracien lourd et maladroit. En fait, le Protoptère est sans doute une espèce qui a subi le début de l'évolution des Amphibiens et présente les caractères des deux espèces. Mais, pour des raisons à jamais obscures, il n'a pas poursuivi cette évolution.

 
Cependant il s'est magnifiquement adapté aux changements radicaux du ciel et du sol africain grâce à son baromètre incorporé. Le Protoptère "sait" quand la saison sèche approche et il sait aussi que l'eau va disparaître. Il est à ce moment gros et gras et pourra vivre sur ses réserves le temps qu'il faudra. Alors il choisit un fond de bonne vase bien molle et surveille la situation. Quand les eaux baissent il s'enfonce dans la vase de plus en plus profondément de sorte qu'il se trouve à une dizaine de centimètres au-dessous de la surface quand l'évaporation ne laisse dans le lit que des boues craquelées et solidifiées. Son corps a sécrété une sorte de mucus qui l'a enveloppé d'un cocon protecteur.

 
Mais il lui faut respirer, si peu que ce soit, en attendant des jours meilleurs. Pour cela il se réserve un trou, une sorte de tuyau qui laissera pénétrer jusqu'à lui l'air dont il a besoin. Comment fait-il? En envoyant des séries de bulles à travers la vase au moment où elle "prend".

 
Dans son refuge dur comme du béton, retranché d'un monde qui brûle sous l'impitoyable soleil, il attend patiemment que le cycle des saisons s'accomplisse.

 
On pourrait croire l'astucieux poisson à l'abri de toute surprise. Hélas, l'équilibre de la nature ne l'entend pas ainsi et le Protoptère a son ennemi héréditaire, un grand aigle dont l'œil perçant repère dans la vase crevassée l'orifice rond révélateur. Le rapace n'a plus qu'à creuser de ses griffes puissantes pour trouver le malheureux Protoptère roulé en couronne, rêvant aux siècles éteints, incapable de la moindre résistance. Ainsi risque de finir l'un des poissons les mieux organisés et les plus doués de la terre.

 
Si le péril mortel lui est évité, si l'aigle ne voit pas le petit trou rond, si les prédateurs humains ne labourent pas la boue séchée (la chair du Protoptère jouit d'une excellente réputation), si... tous les si de la destinée lui sont favorables, l'arrivée des eaux va le réhydrater lentement. Son baromètre lui indiquera le moment précis d'un nouveau départ, il saura que le moment est venu de redresser sa couronne amaigrie, de rompre la gangue suffisamment ramollie et de repartir à la poursuite des plus faibles que lui.

 
Camouflage et chirurgie

Alors que le moustique mexicain trépigne si frénétiquement qu'il finit par devenir invisible, le Phasme imite si bien les brindilles le long desquelles il se suspend qu'on l'a surnommé le "bâton du diable". Immobile au point qu'on a pu parler de catalepsie, il se nourrit de plantes. S'il est jeté à terre, l'insecte ramène ses pattes antérieures vers l'avant et ses pattes postérieures vers l'arrière, restant figé dans une immobilité réflexe absolue, la simulation de la mort. Toutefois, très chatouilleux, il ne résiste pas à une légère pression sur l'abdomen et manifeste son plaisir, ou son effroi, par un frétillement.

 
Si l'une des pattes est mutilée, elle possède la curieuse particularité de se sectionner d'elle-même à son niveau d'attache avec le thorax, et ceci dans le but d'éviter toute perte de sang. C'est l'opération de l'autotomie. La nature a d'ailleurs prévu pour l'animal jeune une régénération des membres ainsi mutilés. Toutefois, pour des raisons inconnues, si la mutilation atteint l'antenne, il repoussera une patte complète et parfaitement normale.

 
D'autre part ce mimétisme (on devrait dire cette homotypie) est réalisée par des changements de couleur de la peau selon le milieu ambiant, variant du rouge au vert suivant la luminosité.

 
Enfin depuis toujours les Phasmes ont décidé de traiter leurs affaires eux-mêmes. Les mâles ne représentent qu'un pourcentage infime de la population et les œufs pondus par les femelles se développent donc sans fécondation. Les Phasmes ont inventé la parthénogénèse depuis des millions d'années.

 
Les Phasmes partagent la couronne du camouflage avec un curieux insecte orthoptère (ailes membraneuses à plis droits) de Malaisie: le Phyllie. Ce petit animal très plat possède des élytres chargées de nervures qui imitent à s'y méprendre, même pour l'œil perçant des oiseaux, les feuilles des arbres sur lesquelles ils vivent.

 
Le Chelmon, un poisson, sorte de Tranchoir très plat, des mers chaudes, est attaqué par son ennemi héréditaire, la Blennie, qui vise les yeux. De sorte que la nature a doté le Chelmon d'un œil factice parfaitement imité... situé à la partie postérieure du corps.

 
Très légèrement au-dessous dans ce domaine, on trouve un singulier lézard de Madagascar du genre Gecko qui s'illustre par deux caractéristiques étonnantes: tout d'abord il est sans doute le plus laid des lézards malgré ses quinze centimètres de long, yeux exorbités énormes avec une pupille verticale, gueule phénoménale généralement grande ouverte, corps strié de multiples taches, franges garnissant les pattes, ventre et queue ovales, doigts munis de larges ventouses adhésives. Laideur si menaçante que les indigènes sont persuadés que l'animal guette ses victimes pour bondir dessus. Surnommé Famocantatra (mangeur de poitrine) ce Gecko n'a jamais tué ni mordu personne, se nourrissant d'insectes qui tombent quelquefois d'eux-mêmes sur sa longue humide.

 
Seul pourrait rivaliser avec ce petit monstre le Moloch Horridus ou Diable cornu, au dos constellé d'écailles en forme d'épines qui stockent le peu d'eau tombant du ciel des déserts australiens.

 
Citons en passant dans le domaine de la chirurgie esthétique, l'extraordinaire pouvoir de régénération des Salamandres de nos étangs qui "se" remplacent les pattes et même les yeux qu'un ennemi leur a détruits.

 
Le Crabe de terre s'ampute lui-même d'une pince blessée qui repoussera ultérieurement.

 
Copies conformes

Dépassant le simple (?) mimétisme ou le camouflage fastueux de certains Crabes dont le dos se hérisse d'herbes, d'algues, de coquilles, voici l'insondable mystère des couleurs-signal, des signes avertisseurs que les naturalistes appellent les couleurs aposématiques.

 
L'exemple du frelon ou de la guêpe se passe de commentaire. Ces insectes se présentent sous un aspect bien connu: ailes enfumées, pattes aussi brunes que les antennes et surtout thorax et abdomen zébrés de bandes jaunes et noires. La plupart des prédateurs évitent ces redoutables insectes. Or, il se trouve qu'une famille d'un inoffensif papillon (Aegeria Apiformis), comme quelques mouches, n'ont rien trouvé de mieux, pour assurer leur sécurité, que d'adopter les mêmes ailes enfumées, les mêmes pattes brunes et les mêmes zébrures jaunes et noires.

 
Alors?

 
Alors le savant reste confondu et le philosophe quitte sa plume pour rêver de nouveau à cette volonté profonde qui constitue le moteur et l'explication de la vie. Le Papillon-Frelon n'est pas d'ailleurs un exemple unique. On signale que dans le paradis vert amazonien des papillons aux ailes oblongues, ayant un goût et une odeur repoussantes sont parfaitement copiés par une autre famille portant les marques caractéristiques des premiers afin de bénéficier de la même protection.

 
Observation similaire dans les plaines australiennes où une famille de ces lépidoptères (les Satyridés) imite pour les mêmes raisons une autre espèce, celle des Danaïdés.

 
En ce qui concerne les couleurs aposématiques dénommées parfois "mimétisme de survie", il n'a été question jusqu'à présent que du monde animal. Si cette transformation dépasse l'individu on devrait en trouver des exemples dans le premier en date des règnes vivants, le règne végétal où là il ne peut pas y avoir d'opération liée à la volonté de cet individu. Or, effectivement, de savants botanistes ont signalé un mimétisme de survie chez la Caméline sauvage. Les petites fleurs jaunes de cette plante se sont peu à peu transformées pour ressembler au Lin, plante herbacée cultivée depuis très longtemps pour ses fibres textiles. Les deux plantes, parfaitement semblables, vivent maintenant côte à côte, suivent le même cycle des semailles et des récoltes qui donnent au Lin comme à la Caméline sauvage (qui a gardé ses caractères spécifiques) l'assurance de la pérennité grâce aux travaux des hommes.

 
*
*    *

Le mimétisme réalise parfois entre des espèces fondamentalement différentes comme une plante et un insecte, une sorte de symbiose où chacun trouve son compte: l'Arum, cette magnifique fleur en corolle et sa petite sœur en épis attirent les moucherons transporteurs de pollen par une odeur particulière.

 
Plus extraordinaire est le cas des Orchidées ressemblant aux femelles d'insectes hyménoptères (à ailes membraneuses) car les mâles de ces insectes, trompés par la ressemblance, tentent de s'accoupler avec la fleur, appuyant leur abdomen sur les sacs polliniques de celle-ci et transportant ainsi la précieuse semence sur d'autres fleurs. Pensons un instant au synchronisme dans le temps que cette opération représente, aussi charmante qu'émouvante, entre la fleur et l'insecte, l'un et l'autre devant impérativement éclore et vivre ensemble.

 
*
*    *

Le mimétisme peut cependant devenir parasitaire, c'est-à-dire qu'un animal va prendre l'aspect d'un autre pour vivre à ses crochets. Une mouche (la Volucelle) a résolu le problème. Elle a pris l'aspect d'un Bourdon et pond sans vergogne ses œufs dans les nids de cet insecte qui ne l'écarte en aucune manière. Le bourdon tire même profit de cette situation, les larves de la mouche se nourrissant des déchets abandonnés.

 
On pense aussi à l'activité parasitaire bien connue du Coucou qui dépose ses œufs dans des nids de Passereaux, œufs qui sont exactement de la couleur de ceux de l'oiseau victime. Celui-ci élève le poussin du Coucou qui expulse à la première occasion les légitimes occupants en se livrant à des prouesses d'autant plus étonnantes qu'il vient lui-même de naître. A peine sorti de l'œuf il s'arqueboute sur son dos qui ne porte même pas encore de duvet, roule tant bien que mal les œufs de ses confrères malheureux, ou ceux-ci s'ils viennent d'éclore, et les jette par-dessus bord, quelquefois sous l'œil indifférent des parents qui ne comprennent rien à ce qui se passe.

 
Un autre exemple de mimétisme poussé à l'extrême se rencontre au Cameroun où un petit coléoptère carnassier vit avec les habitants d'une fourmilière et pousse le souci de la ressemblance jusqu'à être aveugle comme cette sorte de fourmi!

 
Les Phryganes, insectes maçons

On connaît bien au voisinage des rivières les Phryganes ou Porte-Bois, ces insectes à métamorphose complète, pourvus de quatre ailes portant de nombreuses nervures, ressemblant à des papillons posés sur des plantes aquatiques. Leur vie, d'une vingtaine de jours, n'offre rien de particulier mais ils proviennent de larves qui vivent au fond de l'eau et emploient le plus prodigieux des acquis héréditaires.

 
La larve de Phrygane offre l'aspect d'une chenille de un centimètre avec trois paires de pattes. Seul le thorax est protégé par une substance organique résistante. Le reste du corps ne bénéficie d'aucune protection, notamment l'abdomen, mou, portant des branchies et deux crochets à son extrémité. La vulnérabilité de cette larve est absolue et l'espèce aurait depuis longtemps disparu de la surface du globe si la nature ne l'avait pas aidée. Répugnant à cette sorte de mendicité où est réduit le Bernard l'Ermite toujours en quête de coquilles vides, la larve de Phrygane construit son abri elle-même, sans rien demander à personne et avec une connaissance merveilleuse des conditions du milieu où elle vit.

 
Deux ou trois jours seulement après sa sortie de l'œuf elle commence la construction de son fourreau protecteur grâce à deux glandes situées sur la bouche et sécrétant des fils de soie. Ces fils lui permettent d'assembler des matériaux divers: fragments de feuilles, gravier, infimes coquilles de mollusques, brindilles de bois qui lui ont donné le surnom de Porte-Bois, Portefaix ou Traîne-Bûche. Dans les eaux calmes le fourreau est un petit fagot mais dans les eaux plus rapides il devient une enveloppe de gravier alourdie à chaque extrémité par de minuscules pierres plates. Quand les eaux sont encore plus rapides le fourreau devient massif et peut même être fixé sur des cailloux. Toutefois ce sont des gaines légères qui permettent à l'animal de se déplacer facilement.

 
Quand le temps de la métamorphose est venu, la nymphe succédant à la larve oriente le fourreau qui doit être baigné continuellement et se sert de ses mandibules pour éviter l'obturation inévitable qui résulterait de l'accumulation des particules charriées par le courant.

 
Puis l'insecte parfait s'échappera de son milieu originel pour aller se prélasser sur les plantes aquatiques. Les œufs sont fixés par la femelle au fond de la rivière ou jetés sur les eaux comme une précieuse poignée de graines, assurant ainsi la pérennité de l'espèce.

 
Ruses de guerre

 
Depuis des dizaines de millions d'années, Guêpes et Araignées se livrent une guerre sans merci. Ce sont d'impitoyables ennemies héréditaires. Au cours des temps leurs ruses d'attaque et de défense ont varié pour s'adapter les unes aux autres. La Guêpe a l'avantage de son aiguillon. Une piqûre dans un centre nerveux et l'Araignée, même s'il s'agit de l'énorme Mygale pouvant atteindre neuf centimètres de long, tombe à la merci de son adversaire, ses pattes puissantes et ses terribles pinces maxillaires ne lui étant plus d'aucune utilité. La Guêpe tire alors sa proie paralysée jusqu'à un trou qu'elle a spécialement creusé. L'Araignée, immobile, encore vivante, dévorée peu à peu, fournira ainsi à la Guêpe et à sa famille une longue réserve de nourriture fraîche.

 
Pour éviter une attaque-surprise, l'Araignée se construit des cachettes plus ou moins compliquées: chambres à plusieurs issues où la guêpe sera murée vivante en attendant d'être dévorée à son tour, boîtes fermées par des couvercles végétaux munis de véritables charnières, abris dissimulés dans un coin de la toile, systèmes avertisseurs qui se mettent à vibrer dès qu'une guêpe approche...

 
Mais le plus étonnant est la fabrication d'un leurre. Certaines araignées tropicales fabriquent une ou plusieurs copies d'elles-mêmes, des mannequins en quelque sorte, qu'elles installent sur leur toile. Si la guêpe attaque en piqué l'un de ces leurres elles ont le temps de se réfugier dans leur retraite où il serait bien imprudent de les y chercher. Quelquefois l'araignée se laisse simplement tomber comme une pierre au bout de son fil mais c'est une faute qui peut lui coûter la vie car les guêpes ont appris ce que signifiait ce brin long, menu, parfois brillant. Elles le suivent et n'ont aucune peine à s'emparer de l'araignée qui, malgré ses huit yeux, n'y voit pas plus loin que le bout de ses pattes.

 
Certaines araignées aménagent devant les trous qu'elles ont creusés dans le sol des trappes où trébuchent et tombent les insectes. Un coup de leur redoutable maxillaire et le tour est joué. D'autres construisent une galerie comportant une sortie opposée à l'entrée. Si la guêpe suit l'araignée celle-ci bondit hors de son réduit par la sortie opposée et attaque son ennemie avant qu'elle ne se soit rendu compte de son imprudence.

 
Cependant la riposte est venue dans la suite des innombrables générations, et c'est là que l'intelligence trouve sa place. La guêpe, qui a vu disparaître l'araignée, se retourne et introduit à reculons son abdomen dans l'entrée, ne bouge plus et n'a qu'à recevoir sa victime qui se présente d'elle-même à son bourreau alors qu'elle pensait au contraire n'en faire qu'une bouchée.

 
Doux Vampires

Voici, venant du fond de la nuit avec son cortège de terreur et de superstitions le Vampire dont deux genres seulement sont d'authentiques buveurs de sang. Les autres, même les immenses Roussettes, ou renards volants d'Océanie, d'Afrique ou d'Asie, de 1 m 50 d'envergure, ne sont que d'inoffensives chauves-Souris.

 
Le Vampire proprement dit est heureusement de taille plus modeste, vingt-cinq à trente-cinq centimètres, petites oreilles, naseaux en fer de lance qui contribuent à sa légende satanique comme ses déplacements à quatre pattes. L'arme secrète de cet animal, qui n'est jamais sorti d'une tombe, sauf dans l'imagination mercantile et désordonnée de quelques cinéastes, sont ses deux incisives solidement implantées à la mâchoire supérieure entre deux longues canines. Les incisives, en forme de lame de rasoir sont si acérées qu'elles peuvent entamer l'épiderme sans éveiller la victime. La coupure est d'ailleurs superficielle, juste ce qu'il faut pour que le sang apparaisse mais l'importance de l'écoulement sanguin, qui n'est pas en rapport avec l'insignifiance de la plaie, suggère la présence dans la salive de l'animal d'un anti-coagulant du genre de celui qu'utilisent sangsues et moustiques.

 
La saignée, étant donné la taille du Vampire, ne dépasse jamais trente centimètres cubes que la bête aspire avec un soin silencieux et qui ne font mourir que les petits animaux. Toutefois le Vampire, s'il n'est pas l'instrument du diable, manifeste quand même une intelligence diabolique. C'est le seul exemple de parasitisme dans le monde des mammifères. Les animaux, quels qu'ils soient, doivent transformer la matière alimentaire pour la rendre assimilable. Le Vampire, lui, ingère directement le produit de cette transformation résultant du travail des autres, de sorte qu'il n'a pas besoin d'estomac. Un vaste cœcum reçoit le résultat de la saignée et ne rejette que les éléments non assimilables.

 
De bec à bec

Toute la vie de l'Oiseau repose en fait sur l'utilisation du bec. Selon l'évolution des familles il est devenu long et pointu, véritable harpon chez les piscivores, fin et court chez les insectivores, conique et recourbé chez les carnivores et les granivores, mais, de tout manière, il s'adaptera sans difficulté aux situations imprévues du travail et de la nourriture.

 
L'adaptation du Pic illustre ces transformations. La nécessité de frapper sur l'écorce des arbres ou les morceaux de bois, et avec quelle force, a épaissi les os du crâne, renforcé les muscles du cou, allongé une langue éjectable visqueuse et barbelée à laquelle aucun insecte ne peut échapper.

 
Nouvelle manifestation de l'intelligence, réduite certes, mais indéniable: le Pic ne dédaigne pas les noisettes et en coince la coque entre deux branches ou dans une cavité qu'il a lui-même aménagée, pour ouvrir le fruit plus commodément de quelques coups de bec bien appliqués.

 
Les Sittelles pratiquent de la même manière alors que le Mainate fait mieux encore. Possédant un palais armé d'une crête dure en dents de scie il découpe la graine, l'amande ou le gland en les faisant tourner sur eux-mêmes.

 
Outil, instrument servant à tout comme la main de l'Homme, le bec se manifeste avant la naissance puisque le poussin dispose déjà sur la partie supérieure de son bec minuscule, encore mou, d'une petite dent dure appelée diamant dont il se sert pour briser la coquille de sa prison comme s'il appliquait des instructions précises.

 
Le Gros Bec affectionne particulièrement les noyaux de fruits qu'il écrase entre ses mandibules puissantes garnies de deux bosses servant d'enclumes.

 
Chez les Insectivores de plein vol, Hirondelles, Martinet, le bec a presque disparu tant il est fendu sur un gosier immense où les insectes disparaissent comme dans un aspirateur.

 
Si le Pinson des Galapagos s'est doté d'un outil efficace en utilisant brindilles ou épines de cactus, la Grive de nos pays, gourmande de petits mollusques, n'a pas un bec aussi solide que celui d'autres oiseaux. Mais son ingéniosité supplée à sa faiblesse. Si d'aventure elle croise un Escargot, la Grive s'empare de la coquille du malheureux, réfugié au plus profond de son abri, et la frappe à coups redoublés sur une pierre jusqu'à ce qu'elle éclate.

 
Le bec de l'Huitrier, allongé en forme de couteau, s'enfonce dans le coquillage et l'oiseau, pivotant sur place, finit par le disjoindre comme avec un levier. Citons aussi le bec-cuillère, le bec-spatule, le bec-tamis, le bec-passoire dont sont dotés ceux qui pêchent en eau peu profonde les petits poissons, les larves et le plancton. Mais à l'inverse, les pêcheurs de pleine eau douce ou salée bénéficient de véritables épées comme le harpon des Sternes qui transperce leurs victimes, le poignard du Héron, l'épieu du Martin Pêcheur, le crochet-scie des Harles. Les autres, ceux qu'on appelle avec un brin de répugnance les Charognards, ont tout ce qu'il faut pour arracher, déchirer, couper, percer et déterrer. Le Faucon est même armé dans sa mandibule supérieure longue et convexe, d'une dent qui s'emboîte exactement dans une échancrure de la mandibule inférieure et dont il se sert pour rompre le col de ses proies.

 
Certains reptiles du Secondaire présentaient déjà une sorte de bec qui préfigurait celui que les rapaces devaient acquérir au cours des millions d'années de leur évolution.

 
Terminons cette revue du bec à bec par une note attendrissante: les plumes les plus proches du bec-poignard du Héron rougissent comme le nez de Cyrano, d'émotion, de timidité ou de passion au cours des parades nuptiales quand il conte fleurette à sa belle.

 
Insectes et Oiseaux

Dans l'histoire générale de la vie, les insectes ont une sérieuse avance sur toutes les autres populations vivantes, notamment celle des oiseaux qu'ils ont précédé de 225 millions d'années. Comme les oiseaux vivent des insectes, pour les insectivores, il a bien fallu que la gent ailée perçât les secrets de ces proies désignées. Ce qui explique la plasticité de l'esprit des oiseaux et la rapidité avec laquelle ils réagissent aux situations les plus imprévues. L'exemple typique de cette réaction est donné par les Cincles, genre de passereaux appelés aussi Merles d'eau. Lorsque les insectes paraissent moins abondants sur terre que sous les eaux, le Cincle n'hésite pas une seconde. Il pénètre dans l'élément liquide comme un véritable scaphandrier et remonte le courant en attrapant au passage Phryganes, Coléoptères et autres petits animaux dont il est très friand.

 
Adaptation physique ou psychologique? Les naturalistes se sont posés la question. La réponse semble être "physique" puisqu'on a découvert sur le corps de l'oiseau une glande "uropygienne", organe graisseux, logé dans le croupion servant à imperméabiliser ses plumes. A moins que cette adaptation physique ne soit que la conséquence de besoins psychiques particuliers ayant entraîné la formation de la glande. Le débat est ouvert et n'est pas prêt d'être résolu

 
Aussi astucieux sont les Hérons Pique-Bœufs perchés sur le dos des Mammifères, ajoutant l'utile à l'agréable car non seulement ils gobent les mouches imprudentes égarées sur le dos des grosses bêtes mais ils savent aussi que leurs sabots vont faire voler autour d'eux un monde de bestioles appétissantes.

 
Même avis pour ce petit Guêpier qui s'installe confortablement sur le dos des Autruches, ajoutant au plaisir de la chasse les commodités d'un déplacement sans histoire. Symbiose également entre deux créatures aussi dissemblables que l'oiseau Pluvian et le Crocodile dont il nettoie les dents avec application... et profit.

 
Les flèches de l'Actinie

Les êtres les plus primitifs ont aussi leur arme secrète, telle l'Actinie, semblable à une fleur chatoyante, l'Anémone des mers, fixée à son rocher par un solide pied cylindrique faisant ventouse avec lequel elle peut d'ailleurs se déplacer. Au-dessus de ce pied une colonne s'ouvre en haut par une fente, la bouche, entourée de trois rangées concentriques de tentacules qui agitent mollement leurs belles couleurs.

 
Mais ce superbe objet est un redoutable carnivore. Les tentacules sont munies de cellules nerveuses extrêmement sensibles à tous les mouvements de l'eau et détectent la présence des proies qui passent à proximité. Ils projettent aussitôt un minuscule filament muni de crochets microscopiques renfermant une substance toxique. La proie touchée par ce filament est ralentie dans ses évolutions. D'autres filaments l'immobilisent et l'attirent irrésistiblement vers la bouche où elle disparaîtra peu à peu. L'estomac entre à son tour en action et secrète des sucs digestifs puissants qui digèrent la victime alors qu'une partie de son corps émerge encore.

 
Quelques heures suffiront pour que les déchets inassimilables soient rejetés et pour que l'Anémone, rassasiée, déploie à nouveau les fleurs mortelles de ses tentacules. Mortelles, oui en général, mais pas pour les poissons Clowns, ou Amphitryons, qui se réfugient au milieu d'elles en cas de danger. Mieux, ces petites créatures attirent au voisinage de l'Actinie des prédateurs qui deviennent des proies dont se gobergent les deux larrons.

 
Autre exemple de commensalisme intéressé: les grandes Méduses pélagiques abritent également de jeunes Merlans entre leurs filaments urtiquants. Les poissons ne sont pas incommodés par le venin qui les protège des prédateurs mais comme ils n'ont aucune reconnaissance, ils n'hésitent pas, le cas échéant, à dévorer les organes génitaux de leur hôte.

 
Mâchoires de fer

Le Lézard vert, qui paraît si fragile et si vulnérable, a-t-il lui aussi une arme secrète? Oui, sa mâchoire dont les écailles dures et lisses sont étroitement ajustées. Le bord rappelle celui d'un solide bec d'oiseau. les dents minuscules ne servent qu'à maintenir la proie entre les tenailles d'une insoupçonnable puissance. On a constaté que cet animal, d'une longueur totale de trente centimètres, pesant cinquante grammes, pouvait soulever jusqu'à trois cents grammes, soit six fois son propre poids. Aucune carapace calcaire ou chitineuse des animaux de sa taille ne peut évidemment y résister.

 
Cette arme de la mâchoire n'est pas l'apanage du seul Lézard vert, elle est aussi, avec l'agilité, l'explication du succès de la Mangouste, petit mammifère déifié par les Egyptiens de l'antiquité. L'animal, dont la taille dépasse à peine cinquante centimètres n'hésite pas à s'attaquer aux cinq mètres du grand Naja à la blessure mortelle. La Mangouste sait qu'elle peut fatiguer l'épouvantable reptile en sautant sans arrêt de droite et de gauche, en gonflant sa fourrure pour tromper l'adversaire et surtout elle connaît l'endroit le plus vulnérable du corps du serpent, la nuque où la colonne vertébrale est le plus près de la peau, là où sa puissante mâchoire attaquera au bon moment quand le reptile donnera des signes de fatigue. L'étau ne se desserrera plus malgré les terribles contorsions du Naja.

 
Amours brutales

Si les carapaces ne résistent pas aux mâchoires du Lézard vert la femelle de ce reptile risque parfois également d'en pâtir. Lorsqu'un mâle est éconduit par celle qu'il a choisie - cette situation n'existe pas seulement chez les humains - l'animal, furieux, saisit la belle récalcitrante qui se sauve en s'amputant elle-même d'une partie de sa queue dans le cas où le soupirant l'a prise à cet endroit. Mais si l'irascible lézard la tient par le flanc pour l'emporter de vive force, la violence est telle que la malheureuse, foie écrasé, ne s'en remettra jamais.

 
Le même drame peut survenir dans les amours tumultueuses des Ecrevisses. Vers le milieu d'octobre les mâles ressentent le besoin ancestral de la reproduction et cherchent les femelles qui, de leur côté, il faut bien le dire, ne manifestent pas une joie débordante. Mais les choses doivent s'accomplir comme le veut la nature. Lorsque le mâle finit par croiser une femelle il n'a pas la délicatesse des approches d'oiseaux entre eux, il la saisit par l'une de ses pinces et tente de la renverser. La femelle n'est généralement pas d'accord, elle essaie de fuir, contracte brusquement les anneaux de sa queue et bondit à quelque distance, rejointe presqu'aussitôt par le mâle dont l'excitation est à son comble.

 
Alors, de deux choses l'une: ou la femelle succombe et l'acte reproducteur a lieu, ou la femelle refuse obstinément. Si elle accepte, contrainte et forcée, le mâle dépose sa liqueur séminale sur le plastron qui sépare les pattes postérieures de sa partenaire et la laisse partir. S'il n'y parvient pas, sa fureur aveugle de mâle bafoué ne connaît plus de borne, il devient fou, la frappe sur le fond de la rivière à coups redoublés, pouvant même aller, ce terrible ruffian, jusqu'à la blesser, la mutiler, la tuer et la dévorer!

 
Pauvre femelle vengée dans le monde des insectes par la Mante Religieuse qui reprend des forces en mangeant son petit mari pendant l'acte de reproduction.

 
C'est bien pour cela que le mâle de la Néphile, une Araignée, s'engage sur la toile de sa future épouse avec d'infinies précautions. Il tâte avec ses pattes, secoue l'ouvrage avec circonspection, très près du bord pour s'enfuir en cas de danger. Si la terrible matrone ne se précipite pas sur lui pour le dévorer c'est qu'elle accepte la loi de la nature et tout se passe le plus civilement du monde dans un décor de soie.

 
Certaines Punaises mâles possèdent un pénis perforant qui transperce les malheureuses femelles quand elles se présentent devant eux, c'est-à-dire dans n'importe quelle partie du corps. De toute façon les œufs fécondés assureront la survie de l'espèce.

 
A mi-chemin entre les amours brutales et les amours charmantes se placent les habitudes particulières d'une espèce de Mille Pattes, les Polyxènes, animaux velus vivant sous les écorces de platanes. Les mâles tissent quelques fils croisés sur lesquels ils déposent des gouttelettes de sperme. La femelle qui passe par là reconnaît à l'odeur le précieux cadeau et l'absorbe par son orifice génital. Mais si, au lieu d'une femelle, c'est un mâle qui croise dans les parages, les choses prennent une autre allure. Alerté par l'odeur, lui aussi, le mâle repère les gouttelettes de son concurrent, les boit sans complexe, ajoute un ou deux fils et dépose sa propre semence à la place.

 
Amours charmantes

Au mois de mai, vers le milieu de la matinée, les Libellules "Demoiselles" voltigent en quête d'aventure. Tourbillonnant autour de la femelle le mâle examine sa partenaire et, si l'examen s'avère concluant, il la saisit sans brusquerie mais fermement à l'avant du thorax. Puis il recourbe son corps tubulaire qui vient enserrer la nuque de la femelle grâce à une pince située à l'extrémité de son abdomen. La Demoiselle répond alors comme il faut en tordant son mince fuseau pour le mettre en contact avec l'organe reproducteur du mâle.

 
Les deux corps dessinent dans cette position l'étrange figure d'un cœur renversé. Les deux partenaires volent ainsi pendant quelque temps puis les abdomens se séparent mais le mâle ne desserre pas l'étreinte qui le lie à la nuque de la femelle. Droit comme un I, dressé à la verticale, il surveille la suite des opérations. Celles-ci ne tardent pas et vers le milieu du jour la Demoiselle, portant toujours son compagnon sur ses épaules dépose, par des petites contractions, ses œufs fécondés à l'intérieur des végétaux immergés près de la surface. C'est alors que le mâle, conscient d'avoir fait tout son devoir, reprend sa liberté et libère sa compagne d'un moment.

 
Régulation des naissances

Equilibre entre ressources alimentaires et densité d'une population est une loi impérative aussi vieille que le monde. Plusieurs espèces animales possèdent dans leur patrimoine héréditaire des gènes de régulation qui se manifestent de façons différentes mais tout aussi efficaces.

 
Les Daphnies, "hippocampes des eaux douces", ont trouvé une solution élégante à ce problème primordial.

 
Ces minuscules crustacés se tiennent presque debout et sont si minces qu'ils deviennent transparents malgré une illusoire carapace. En fait, leur principale défense est l'extrême petitesse qui leur permet de se réfugier dans des réduits inaccessibles. Les antennes, surmontant la tête comme des bois de cerfs sont disproportionnées eu égard à la taille de l'animal et dépassent le rôle tactile naturel pour servir de nageoires. les Daphnies peuvent ainsi de déplacer par petits bonds saccadés qui leur ont donné la surnom de "Puces d'eau".

 
Débris de végétaux en décomposition, algues microscopiques, bactéries de toute sorte composent leur menu habituel mais, et c'est là le point important, la population des Daphnies s'équilibre automatiquement sur les ressources du milieu ambiant. Il s'agit sans doute d'une extrême sensibilité collective, d'une merveilleuse machinerie cellulaire qui permet d'éviter les désordres d'une surpopulation que l'abondance et la facilité des ressources alimentaires rendraient rapidement inévitables.

 
Une autre particularité de ces animaux lilliputiens est de pouvoir se passer des mâles justifiant l'autre surnom: "Amazones des eaux dormantes" qui leur fut décerné par un naturaliste poète car les colonies de Daphnies ne comptent généralement que des femelles. Pourtant l'œuvre des mâles n'est pas inutile. Ah mais! et soulève le problème d'une race plus que tout autre en communion étroite avec la nature. Lorsque les conditions de l'environnement se dégradent dangereusement ou lorsque le général hiver approche, les mâles se manifestent timidement, sans démarches inutiles. Timidité mais efficacité puisque leur intervention entraîne pour l'espèce une importante conséquence: les œufs fécondés de cette manière plus orthodoxe peuvent donner des mâles et ils sont beaucoup plus résistants au gel et à la sécheresse que ceux des pontes habituelles. Ainsi la race surmontera les difficultés et poursuivra le chemin sautillant que le destin lui a fixé.

 
Les Lemmings, ces jolis rongeurs des paysages arctiques, qui ressemblent à des petits Cochons d'Inde, se trouvent confrontés périodiquement, comme d'ailleurs tous les êtres vivants, à ce problème de la surpopulation et aux drames qu'elle engendre. Pelage beige, corps souple, œil brillant, petites oreilles rondes, pattes aux ongles longs et forts, excellents nageurs, les Lemmings s'accommodent pourtant d'une nourriture simple: écorce d'arbre, lichens, champignons, feuilles et surtout mousses humides qui leur procurent la cellulose nécessaire. Parfois, si l'occasion se présente, ils ajouteront un insecte mort à leur menu. Cependant, malgré ce caractère spartiate, les Lemmings connaissent périodiquement des temps difficiles. C'est d'ailleurs normalement une famille assez prolifique, la femelle mettant bas quatre à cinq petits deux fois par an. Mais, tous les quatre ou cinq ans on assiste à une période exceptionnelle de fécondité avec six ou huit petits quatre ou cinq fois dans l'année. Alors tous les problèmes de la surpopulation vont s'accumuler sur les museaux lustrés de nos rongeurs: exiguïté des locaux, promiscuité, nervosité des trop lourdes concentrations et surtout raréfaction progressive des ressources. La faim s'installe avec ses conséquences de rivalités, de chapardages qui finissent par des batailles sanglantes.

 
Dans ces conditions, communes à tous les groupes sociaux, la race dégénère. La malnutrition en fait mourir quelques-uns, affaiblit les femelles dont bon nombre deviennent stériles et aboutit, avec l'élimination naturelle des plus vieux, à instaurer un nouvel équilibre.

 
Dans cet équilibre restauré la famille retrouve ses forces, sa vivacité, sa joie de vivre et, quelques années après, le pullulement recommence avec des portées record.

 
Les rescapés des précédentes disettes refusent-ils celle qui vient? Des spécialistes de la psychologie animale l'ont soutenu. Peut-être, plus simplement, que le drame majeur d'une surpopulation est son cortège de fureur et d'agressivité. Très rapidement la vie commune devient impossible et, lorsque le spectre de la famine refait son apparition, les plus entreprenants décident de s'expatrier. Ils ne partent peut-être pas tous ensemble mais les obstacles à franchir les rassemblent et ce sont des dizaines de milliers d'individus qui fuient droit devant eux, ravagent les campagnes, traversent les villes où leurs déprédations sont innombrables et constituent alors un véritable fléau. Pourquoi certains ne se fixent-ils pas dans les contrées plus hospitalières qu'ils traversent? Ils poursuivent leur marche comme sous la pression irrésistible d'une hystérie collective, les uns poussés par les autres, attaquant même parfois les personnes surprises dans leur mouvance, eux qui d'habitude fuient les humains. En tout cas ils marchent sans arrêt et, comme les pays du nord sont entourés d'eau, ils se jettent dans l'une des mers et s'y noient.

 
Est-ce vraiment un suicide collectif trouvant son explication dans des raisons d'ordre alimentaire, psychologique ou biologique? La noyade n'est-elle pas due à l'épuisement d'animaux trottinants qui ont parcouru jusqu'à dix-huit et vingt kilomètres en une journée ce qui, étant donné leur taille et leur mode de marche, est proprement stupéfiant, car il faut savoir que certains arrivent jusqu'aux îles Lofoten, au large de la Norvège où ils se fixent provisoirement. Quoi qu'il en soit, le débat n'est pas près d'être clos mais il est certain que ces migrations massives constituent un moyen radical de régulation des populations.

 
Le mystère de la Bruche du pois

Parmi les plus petits insectes la Bruche du pois pose aux entomologistes une insoluble question. La Bruche du pois est un coléoptère de deux millimètres de long, se présentant avec une tête petite, un museau très fin, un costume gris cendré et deux courtes élytres supérieures. Les ébats nuptiaux ont lieu au milieu du mois de mai. Les pondeuses déposent leurs œufs au hasard sur les cosses en voie de formation, sans aucun souci de l'endroit où va éclore la larve. Or, une cosse de pois n'est pas uniforme, à côté des boursouflures surplombant les grains il y a nombre de vallons stériles où les vermisseaux n'ont aucune chance de trouver leur pitance et sont par conséquent condamnés à mourir de faim. Peu importe car le nombre d'œufs déposés sur les cosses assurera de toute manière la survie de l'espèce.

 
Ainsi le vermisseau, pressé par la nécessité, cherche un point de pénétration, perfore l'enveloppe et parfois, souvent même, atteint le pois qui représente la terre promise. Encore un petit effort de cette larve minuscule n'atteignant pas la taille d'un millimètre et c'est le succès, le grain est là, mille fois plus gros qu'elle, avec ses réserves inépuisables de nourriture. Inépuisable? Oui, pour un seul vermisseau, mais ils sont six ou sept qui se retrouvent sur le même grain. Le pois n'est valable que pour un seul d'entre eux et pas plus. Règle qui ne souffre pas d'exception. Un seul vermisseau vivra, grassement, grossira, se transformera lentement en insecte parfait qui sortira en septembre d'une corne d'abondance complètement vidée. Les autres vermisseaux, ses frères infortunés, seront morts depuis longtemps. Pourquoi et comment?

 
Toutes les observations faites par de patients chercheurs concordent. Dès qu'ils sont installés dans le pois, les six ou sept rescapés d'une première hécatombe se mettent au travail, c'est-à-dire qu'ils grignotent et surtout cherchent le chemin de l'Eldorado, le chemin d'un endroit situé au centre de la graine particulièrement riche et nutritif. Mais où est le centre d'une sphère qui ne comporte aucun point de repère? Un seul des vermisseaux, plus heureux ou mieux armé que les autres, atteindra ce nombril tant désiré. Alors, à ce moment et à ce moment-là seulement, quelque chose d'étonnant se produit: tous les concurrents malheureux se laissent périr, simplement, comme s'ils savaient que le pois ne pouvait nourrir qu'un seul d'entre eux et que celui-ci se trouvait déjà dans le lieu promis à l'élu, celui qui perpétuera la race. Merveilleuse ordonnance qui fait de la mort inconsciente une forme de survie. Comment les vermisseaux voués à l'anéantissement ont-ils été informés du succès de l'élu?

 
Bains de foule

Avec le Criquet, cet insecte orthoptère de cinq centimètres de long pourvu de courtes antennes, d'une tête robuste, de deux yeux globuleux et de mandibules énormes, la nature semble avoir tenté et réussi deux essais à la fois: un test psychologique et une spectaculaire adaptation physique.

 
Le Criquet est un herbivore d'une voracité sans exemple qui peut consommer chaque jour son poids de nourriture, soit trois grammes. Comme il y en a des millions dans une migration, un pays risque d'être transformé en désert du jour au lendemain. Pour parvenir à cette consommation effrénée l'insecte dispose de mâchoires qui sont de véritables meules auxquelles peuvent être comparées les molaires des ruminants.

 
On distingue deux formes du même Criquet: la forme solitaire et la forme migratrice. Dans leur forme solitaire les insectes vivent sur place, sans relations entre eux. Mais dès que ces relations s'établissent, dès qu'ils se rencontrent, se touchent avec leurs antennes, tout change. On dirait qu'ils se communiquent une force inconnue, une sorte d'excitation collective qui croît en fonction du nombre d'individus. Il s'agit là sans doute du phénomène "de la foule" bien connu des sociologues et des criminologues, cette accumulation colossale des forces individuelles dans un même lieu sur des individus de même race.

 
Des groupes de Criquets se forment, leurs corps évoluent, leurs ailes s'allongent sensiblement comme s'ils prévoyaient ce qui va se produire. Lorsque les rassemblements sont suffisamment importants ils s'envolent tous ensemble en une nuée dévastatrice. La proche cousine du Criquet, la Sauterelle, n'a pas du tout la même alimentation puisqu'elle est carnivore et se sert de fines mandibules pointues comme les dents des mammifères carnassiers. D'autre part la Sauterelle dispose à l'extrémité de l'abdomen d'une tarière aigüe qui lui permet de creuser un trou dans le sol pour y déposer ses œufs.

 
La femelle du Criquet enterre également ses œufs mais en l'absence de tarière elle se borne à plonger le plus possible son abdomen dans le sol et à se détendre de toutes ses forces.

 
Si l'environnement devient défavorable, assèchement de marécages par exemple, le Criquet se transforme à nouveau, en sens inverse, ses ailes se réduisant pour reprendre la forme solitaire, en toute simplicité, et en toute tranquillité.

 
Les Architectes

Il ne faut pas taxer trop vite les comportements animaux d' "imaginatifs", c'est-à-dire intelligents ou "instinctifs", c'est-à-dire figés dans la mémoire héréditaire. En effet, les modes de déplacement, les parades nuptiales, le marquage d'un territoire, la construction d'un abri ou d'un nid semblent manifester des actes faisant appel à l'imagination, donc à l'intelligence alors qu'il n'en est rien. Ces actes sont enfouis au plus profond du patrimoine héréditaire et constituent des "stéréotypes" absolus, non susceptibles de changements. Ce n'est pas là, par conséquent, qu'il faudra isoler la réflexion intelligente malgré les trésors d'ingéniosité offerts à nos yeux?

 
C'est le cas du comportement des oiseaux dans les parades amoureuses et la construction de leurs nids. Tour à tour charpentiers, maçons, tisserands, terrassiers... ils savent tout faire, d'un seul coup, dès la sortie de l'œuf "comme s'ils avaient appris". Même avant la sortie de l'œuf puisque le poussin "sait" que la petite bosse dure qu'il porte sur le bec, le diamant, doit lui servir à briser les parois de sa frêle prison. Les larves de Phryganes, les Porte-Bois "savent" comment assembler les minuscules brindilles qui leur serviront de cuirasse. Les Fourmis, les Termites, les Abeilles, les Anguilles savent...

 
Au fond pourquoi s'émerveiller de ces prodiges puisque les cellules vivantes se sont constituées lentement, au cours de milliards d'années, gardant précieusement dans leur matériel héréditaire la trace de toutes les expériences passées.

 
La nidification représente en fait la plus belle illustration du comportement instinctif avec une exception cependant pour les Manchots Empereurs dont l'instinct de construction est réduit à sa plus simple expression: ils couvent leur œuf unique entre leurs pattes dans un repli de la peau du ventre.

 
Les nids des autres oiseaux présentent d'innombrables variantes depuis la petite excavation creusée dans le sol, garnie de matériaux rudimentaires jusqu'aux demeures somptueuses de plumes, de duvet ou de boue séchée.

 
Les Alouettes cachent leurs nids dans l'herbe, alors que les Busards tassent simplement des touffes végétales.

 
Les Grèbes, les Foulques construisent des nids flottants avec des roseaux, sorte de radeaux qu'ils attachent aux plantes aquatiques.

 
Les Aigles, les Faucons, les Rapaces diurnes et nocturnes, les Goélands et autres oiseaux de mer choisissent des arbres ou des anfractuosités dans les falaises.

 
Certaines espèces comme les Pigeons, les Hirondelles, les Choucas ont adopté les villes, leurs immeubles et leurs monuments.

 
Le Guêpier et le Martin pêcheur creusent des galeries dans les carrières ou le bord des rivières. Le Martin pêcheur pousse même la prudence jusqu'à grillager l'entrée de son terrier avec des arêtes de poisson.

 
Les Pics creusent leurs nids dans le tronc des arbres en choisissant de préférence des parties de bois mort.

 
Les Etourneaux, moins doués côté bec, s'approprient volontiers les nids des Pics sans se soucier des batailles qui ne manqueront pas de survenir.

 
Quant aux Moineaux, querelleurs et voleurs, ils n'ont, eux non plus, aucun remords à profiter du travail des autres, allant même jusqu'à chasser de sa maison l'industrieuse Hirondelle.

 
La Sittelle lorgne aussi les trous abandonnés par les Pics mais, trouvant leur orifice trop grand pour elle, le bouche en partie avec une sorte de torchis, ce qui lui a valu le surnom de Torchepot.

 
Qui n'a admiré le travail des Hirondelles, triturant et transportant pendant huit à dix jours un mastic qui colle solidement aux façades ou aux poutres des granges. Ce travail est remarquable par sa forme et sa matière, ce qui n'empêche pas le Moineau pirate qui s'en est emparé d'y ajouter un petit quelque chose de sa composition, généralement quelques brins de paille qui pendent lamentablement, transformant la belle maison bourgeoise en cabane de clochard.

 
La taille des nids varie avec celle de l'oiseau. Celui de la Cigogne qu'elle arrange et agrandit chaque année atteint parfois deux mètres de haut et un mètre cinquante de diamètre.

 
Les Oiseaux de Paradis décorent les leurs avec n'importe quoi pourvu que cela se voie: os desséchés, fragments de carapace d'Escargot. L'Oiseau Jardinier répand des fleurs tout autour de sa maison.

 
Le Coucou a résolu le problème puisqu'il pond ses œufs dans les nids d'une espèce dont il sait que les habitudes alimentaires conviendront à son poussin.

 
Un curieux partage du travail est fourni par la Pie Grièche. Le mâle n'a pas confiance dans les capacités architecturales de la femelle, c'est lui qui édifie entièrement le nid, sa compagne s'en réservant seulement l'aménagement intérieur.

 
Mais ce sont les Passereaux qui réalisent les œuvres les plus étonnantes en forme de berceaux garnis de mousse, de duvet, de souples brindilles, de crins, offrant aux petits la chaleur et le confort.

 
Une espèce, les Tisserins des Philippines, construisent d'extraordinaires chambres végétales en forme de gourdes terminées par un goulot servant de couloir d'entrée, suspendues à de hautes branches. Il faut à ces oiseaux une science consommée du tissage pour entremêler la quantité de fibres comme pourrait le faire la meilleure des machines à tisser.

 
Le roi des débrouillards chez les oiseaux est sans doute le sympathique et joyeux petit Troglodyte, frère décoloré du Roitelet. Il ne construit au ras du sol que des ébauches de nids et, comme c'est un polygame impénitent, il attire dans chacune de ces ébauches celle qu'il fécondera. Il laissera ensuite aux femelles le soin de terminer les nids, d'y pondre leurs œufs et d'élever seules leur descendance. Un débrouillard, certes, mais un affreux cynique.

 
Après la ponte, l'incubation est généralement partagée entre le mâle et la femelle, variant dans le temps selon la taille des œufs. Avant le début de l'incubation l'abdomen de l'oiseau s'épaissit pour former de véritables plaques chauffantes irriguées par un réseau de vaisseaux sanguins.

 
Chez les poissons, les œufs sont abandonnés à leur sort après fécondation. Cependant quelques espèces sédentaires construisent des nids dont la perfection peut se mesurer à celle des oiseaux. Les Labres (Vieilles), garnissent une crevasse de rocher avec des algues enchevêtrées où viendra pondre la femelle. C'est le premier degré de la technicité.

 
Bien au-dessus se place l'Epinochette qui tisse un nid dans une touffe de plantes aquatiques et soude les végétaux entre eux grâce à une sécrétion rénale poisseuse. Le mâle surveille les œufs et ventile le nid chaque fois qu'il l'estime nécessaire.

 
Il faut ici faire une place d'honneur à sa cousine germaine, l'Epinoche. Plus grande que l'Epinochette, mais ne dépassant pas cinq centimètres, elle est remarquablement armée avec ses aiguillons pointus comme des épines et ses plaques osseuses qui couvrent une partie de son corps. Tous les gamins des campagnes connaissent bien ce redoutable petit poisson épée pour avoir essayé de l'attraper à la main d'autant plus qu'il se tient dans la rivière, immobile et roide comme la justice.

 
Cependant, s'il est d'un caractère irascible, maussade (sa colère se remarque par un changement de couleur du ventre qui passe au rouge vif), le mâle Epinoche manifeste des vertus familiales dignes d'admiration. Comme l'Epinochette il construit un nid mais, alors que son cousin le suspend dans les herbes, monsieur Epinoche creuse le sien dans le fond de l'eau en tournant rapidement sur lui-même. Lorsque l'excavation lui paraît assez profonde il la garnit de débris végétaux qu'il immobilise par un mucus sécrété à la surface du corps. Il se frotte et se roule sur son ouvrage jusqu'à ce qu'il soit solidement étayé. Il cherche ensuite des brindilles qui serviront à construire le toit et seront soudées de la même manière. Une petite ouverture ronde servira de porte.

 
Lorsque la maison est terminée, le mâle Epinoche, qui a inspecté, modifié, complété de multiples fois son œuvre, part à la découverte de celles qui vont devenir les mères de ses enfants, car madame Epinoche n'est pas très prolifique. Quand il en a trouvé une, il la persuade, souvent sans douceur excessive de visiter son nid pour y déposer ses œufs. Lorsque le stock est atteint, le mâle referme consciencieusement l'ouverture et se pose en faction à proximité. Il sait par expérience que les femelles dépravées reviendraient manger les œufs ou les alevins!

 
Sa vigilance s'exerce sans un instant de repos, il poursuit tous les intrus, curieux et autres trouble-fête avec un courage qui pourrait aller jusqu'au sacrifice de sa vie.

 
L'éclosion des œufs se produit douze jours plus tard mais il faut encore quelque temps pour que les jeunes atteignent un développement suffisant. Pendant cette période monsieur Epinoche ne relâche en rien sa surveillance et sa protection. On signale même qu'il lui arrive de rattraper un alevin imprudent et de le prendre dans sa bouche pour lui faire réintégrer le domicile paternel.

 
Brave et humble petit Poisson Épée qui pourrait servir de modèle à la race des seigneurs.

 
Sa parente des fleuves d'Amérique du Sud et d'Afrique place ses œufs dans sa bouche. Quand les alevins éclosent elle les y garde précautionneusement, estimant qu'il n'existe pas de meilleure cachette pour les protéger. Cependant, à mesure qu'ils grandissent, les bébés éprouvent le besoin d'aller faire un tour à l'extérieur quitte à se réfugier au moindre danger dans la bouche maternelle jusqu'au moment où, devenus vraiment trop gros, ils n'y trouvent plus de place. La mère avale-t-elle de temps en temps par inadvertance quelques-uns de ses descendants? Rien ne permet de le croire.

 
*
*    *

De nombreux poissons changent de sexe au cours de leur vie, étant d'abord femelles et mâles ensuite. Tous les pêcheurs connaissent les Labres, ces aimables poissons qui se laissent attraper en bord de mer. Ils changent de sexe dès qu'ils atteignent une taille moyenne. Pourtant le plus étonnant n'est pas cette mutation, fréquente dans le monde des poissons, mais le destin de petits crustacés de la grosseur du cloporte qui s'unissent à eux et les parasitent toute leur vie, pour le meilleur et pour le pire. Amour immodéré, nécessité naturelle des échanges? Toujours est-il que ces Cloportes marins opèrent le trajet inverse, étant d'abord mâle pour finir femelle. Peut-être pour rétablir l'équilibre.

 
Même valse hésitation chez Xipho, poisson d'aquarium dont la femelle vire au mâle en développant tous les fiers attributs de celui-ci jusques et y compris l'organe copulateur. Enfin, merveille des merveilles, le Macropode, poisson artistement coloré d'Asie, long de sept centimètres, fabrique un nid flottant avec un mucus qu'il sécrète, y insuffle des bulles d'air en quantité suffisante et dissimule sa construction dans le lacis des souches. Il veille soigneusement à l'oxygénation du nid qui contient une quantité d'infusoires servant de nourriture aux alevins.

 
Joutes amoureuses

Les comportements instinctifs sont également très remarquables dans les parades nuptiales des oiseaux. Apparus au Jurassique il y a 180 millions d'années sous la forme de l'Archéoptérix (dont un descendant direct, l'Hoazin, aux ailes armées de griffes, existe encore dans la forêt amazonienne) ils se sont diversifiés peu à peu en 50 millions d'années. Ils ont donc eu tout le temps d'acquérir des comportements instinctifs qu'ils répètent chaque saison avec une scrupuleuse exactitude.

 
Deux parades peuvent être considérées comme des prototypes: celle des Tétras-Lyre et celle des Canards Cols Verts.

 
Le Tétra-Lyre est un gallinacé de la taille d'un gros Coq de basse-cour. Le mâle porte une livrée bleu noir brillant, un trait blanc sur l'aile, des sourcils rouge vif et une queue en forme de lyre qui présente, lorsqu'il la redresse, un éventail éblouissant de plumes blanches. La femelle, destinée à perpétuer la race, est beaucoup plus modeste dans son plumage fauve tacheté qui la rend invisible.

 
Au mois de mars les mâles se retrouvent sur un terrain découvert choisi depuis très longtemps et dont les parcelles appartiennent à des propriétaires connus qui les défendent envers et contre tous. Les jeunes se placent à la périphérie, les plus robustes au centre. Lorsqu'une femelle se présente dans l'arène elle est aussitôt l'objet d'attentions multiples de la part des soupirants. Les Coqs se livrent à des exhibitions spectaculaires, irrésistibles à leurs yeux, tout en défendant leur fief contre des rivaux éventuels, ce qui déclenche des battements d'ailes, des sauts, des cris rauques, l'allongement du cou, l'agitation de la tête et le hérissement des plumes. Ce sont les hors-d'œuvre car la parade proprement dite se résoud en petits pas convulsifs, en gloussements monotones, en gonflements du cou et surtout dans l'éventail blanc de la queue repliée sur le dos. Puis, quand la femelle paraît manifester de l'intérêt pour un galant, celui-ci tourne sur lui-même, balance le corps et la queue jusqu'à choir devant sa belle. Si la belle en question se laisse séduire elle s'accroupit devant le mâle en signe de soumission. Ce qui ne l'empêche pas d'ailleurs d'accepter l'hommage d'un voisin pendant que le premier mâle continue bêtement ses contorsions.

 
La parade nuptiale des autres oiseaux retient la plupart de ces figures qui se déroulent dans un ordre immuable. Chez les Canards Col Vert on a dénombré dix attitudes différentes mais toujours les mêmes. Lorsque les fiancés se sont mis d'accord ils gagnent l'étang ou la mare, cueillent une herbe aquatique et reviennent vers leurs congénères en la tenant chacun par une extrémité. Les autres comprennent et aucun mâle ne fera plus la cour à madame Col Vert.

 
On a souvent comparé ces parades aux approches amoureuses des humains. Rien n'est plus faux. Il y a d'un côté les stéréotypes d'un comportement instinctif animal et de l'autre les manifestations imprévisibles du libre arbitre. Seuls les résultats sont identiques avec parfois, il faut bien l'avouer, des attitudes semblables du plus haut comique.

 
La parade des Manchots

C'est au mois d'octobre que les Manchots de la Terre Adélie, dans l'Antarctique, rejoignent l'endroit où, depuis toujours, ils pondent et couvent. Malgré l'absence de repère ils retrouvent cet emplacement avec une étonnante facilité. Tout de suite a lieu la parade territoriale, ou extatique, destinée à assurer aux yeux de tous les droits du propriétaire et qui consiste à dresser le corps, à tendre le cou vers le ciel, à battre lentement des ailerons tout en lançant des cris perçants. Chaque fois qu'un oiseau se livre à cette manœuvre d'intimidation, les autres, installés aux alentours, répondent de la même façon. Etrangères aux querelles territoriales les femelles arrivent un peu plus tard, soucieuses peut-être aussi de se faire désirer, qui sait? Elles recherchent aussitôt leur partenaire des années passées et le retrouvent grâce à son cri qui n'est jamais totalement semblable à celui du voisin. C'est également de cette manière que les petits reconnaîtront leurs parents.

 
Alors la véritable parade a lieu. Dressés l'un contre l'autre dans une position verticale étrangement humaine, les oiseaux ont l'air de s'embrasser, poussent des cris sonores et agitent vigoureusement leurs ailerons. Cette parade se reproduira très souvent, surtout après la naissance des poussins qui pourront ainsi apprendre à retenir les cris des auteurs de leurs jours.

 
Lorsque les petits sont en âge de le faire, les parents organisent de véritables courses poursuites pour vérifier s'ils sont capables de les retrouver au sein d'une foule piaillante.

 
Ceci est très important car le ménage de Manchots ne nourrit que ses propres petits et si l'un de ceux-ci s'égarait il y aurait peu de chance pour qu'il fût secouru. Si, dans ces courses poursuites, un jeune se trompait de parents, le papa ou la maman véritable aurait tôt fait de lui rafraîchir la mémoire. L'habitude pour le mâle et la femelle de tourner l'un autour de l'autre est un comportement général instinctif chez les oiseaux qui exécutent la danse nuptiale avec plus ou moins de bonheur mais nul ne réussit aussi cérémonieusement que le Grand Albatros. Le mâle et la femelle, perchés sur leur nid, se tiennent face à face. Ils ouvrent largement leurs ailes, font claquer leur bec, tournent autour l'un de l'autre, ailes toujours déployées et poussent des séries de cris pendant de longues minutes jusqu'au moment où ils dressent la tête vers le ciel. Les Albatros sont des tendres. Quand la femelle prend possession du nid les deux oiseaux s'étendent l'un contre l'autre, se caressant mutuellement la tête et le cou de leur bec comme s'ils se remerciaient du bout de vie qu'ils vont passer ensemble.

 

Haut            Accueil Apophtegme           Cosmos II (suite)