RENÉ TERRIER
Journaliste et homme de cœur

terrier

René Terrier en famille

Un anarchiste rangé

Paul Dénarié travaillait à la rédaction parisienne du Dauphiné Libéré, place du Palais Royal. Il me mit en rapport avec la rédaction genevoise du journal par un petit mot gentil. C'est ainsi, que lors d'un voyage à Genève je fis la connaissance de Jean Tarec et de René Terrier.

Jean Tarec appartenait à cette tradition du journaliste probe, ayant appris son métier sur le terrain, dans les commissariats, dans les familles, auprès des témoins avant de glaner les informations plus haut !

Quant à Terrier c'était un personnage étonnant, détonnant, à manier avec précaution. Une bombe amorcée prête à exploser à tout moment, au moindre mot. Une enfance douloureuse, des expériences familiales tragiques, avaient fait de René un homme méfiant, vulnérable, mais profondément bon.

Anarchiste - un vrai - bourré d'idées, de projets, d'élans, toujours sur le qui-vive, sceptique, mais avec un cœur gros comme le monde, une générosité infinie et spontanée.

A Paris, durant des années, il apprit le métier de journaliste sur le terrain et sur le tas, aiguisant son style dans de petites revues souvent éphémères.

Anarchiste convaincu, René publia des articles virulents dans les journaux de cette mouvance, notamment au Libertaire, participant à des actions militantes vigoureuses.

En 1952, il avait rencontré Roger Fressoz qui venait d'entrer comme pigiste au Canard enchaîné et avec qui il échangea quelques savoureuses pépites…

Lorsque son ami - qu'il avait surnommé "compote" allusion au village savoyard où il avait vu le jour - devint directeur du Canard, il continuera de lui envoyer des échos souvent cocasses mais vérifiés, des dessous parfois nauséabonds des grandes dames multinationales charitables ou institutionnelles installées dans la ville de Calvin.

Poursuivi pour délit de presse, menacé de prison, René Terrier s'était replié sur Genève avant son procès. Tricard, il ne quitta plus la Suisse durant des années.

Sans partager toutes mes idées, il consacra à mes romans d'espionnage des articles délirants de gentillesse, faisant de ma vie d'aventures somme toute banale une épopée de condottiere...

Artiste dans l'âme, il avait écrit quelques articles efficaces sur les personnages qu'il aimait, notamment Georges Brassens dont il fut sans doute le premier Helvète à parler dans la presse (in La Joie de Vivre), le surnommant le "Troubadour moderne".

René Terrier aimait passionnément la peinture - pas celle dont s'emparait la mode - mais celle de l'art libre, indépendant, non soumis au terrorisme des clercs, et se prit d'amitié d'une amitié forte pour Georges Borgeaud, lui consacrant un bel ouvrage aujourd'hui recherché.

En 1970, René participe à l'aventure de Genève-Home-Information aux côtés de son fondateur Jean-Marie Fleury et apportera sa touche anarchiste et sa plume de rebelle à ce journal gratuit qui deviendra l'organe de presse le plus lu de Suisse romande.


Une volonté de fer et un cœur d'or

Un jour il me présenta Edmond Kaiser fondateur de Terre des Hommes, une association d'aide à l'enfance tout à fait particulière. Agissant dans des contrées dangereuses en proie à des guerres sordides ou victimes de catastrophes naturelles peu médiatisées, Kaiser et le petit groupe de bénévoles qui l'entourait, s'efforçait d'arracher à leur destin atroce des êtres blessés, mutilés, dont la vue insupportable n'intéressait personne.

Il «s'emparait» de ces enfants déchiquetés, désemparés, si difformes que personne n'osait même les regarder en face, et les ramenait en Suisse, parfois clandestinement, car si la Suisse est souvent généreuse, elle n'a pas pour vocation d'accueillir toute la misère du monde.

Au début de son œuvre, après une période de "restauration", Terre des Hommes confiait ces petits êtres vulnérables à des familles d'adoption. Mais Kaiser s'était rapidement rendu compte qu'après quelques semaines d'amour, de générosité sans doute authentique, la difficulté et les problèmes que posaient ces enfants émoussaient rapidement la ferveur altruiste et l'enthousiasme des adoptants.

Aussi décida-t-il que ces enfants arrachés à l'enfer seraient légalement adoptés par l'association, qui en demeurerait la tutrice, et dont les familles d'accueil ne seraient que les "usufruitières" si tout se passait bien.

Edmond Kaiser établit donc pour chacun de ces êtres un "conseil de famille", responsable légal de leur adoption.

Toujours efficace, énergique, René Terrier mobilisa tous ses amis journalistes et les amis de ses amis pour soutenir cette initiative généreuse. Pour obtenir gain de cause dans les cas épineux, il alertait les médias, accomplit des grèves de la faim aux côtés des membres de l'association, remuant ciel et terre pour faire bouger les choses.

Je rencontrai personnellement Edmond Kaiser deux fois, lors de ces "conseils de famille". A sa vue, j'ai ressenti comme une brûlure sous le regard intense de cet homme maigre, rayonnant, à l'énergie concentrée par sa fragilité même.


Une anecdote

Anarchiste et athée convaincu, René Terrier - je l'ai dit - possédait un cœur d'or, une volonté de fer mais également une méfiance diffuse, instinctive comme celle d'un animal sauvage traqué, sentiment qui affleurait parfois sur son visage dans un sourire figé.

Un jour, je priai mon ami Jacques Arnal de voir où en était le dossier de police de mon ami, s'il pouvait revenir en France sans problème.

- Il y a belle lurette qu'il a été amnistié ! Il peut venir en France quand il veut ! me dit-il après examen de son dossier classé "sans suite".

Je répétai ces paroles à René, l'invitant à venir à Paris.

Après bien des hésitations, il se mit au volant de sa voiture, une grosse cylindrée, et se présenta à la frontière près de Ferney-Voltaire.

Un douanier français examina son passeport avant de le passer à son collègue de la police qui l'emmena au bureau pour y apposer le coup de tampon réglementaire.

Sur le qui-vive, René trouvait que le flic mettait bien du temps avant de lui rendre ses papiers. Craignant un incident, voire une arrestation, il fit une courte marche-arrière, effectua un demi-tour brutal sur la chaussée et retourna en territoire suisse !

Il reçut ses papiers chez lui par la poste, en recommandé, sans autre commentaire. Sans doute que la douane et la police françaises n'ont pas dû comprendre ce qui lui avait pris !

Tel était le bon René !

Il épousa, dans les années 70, une charmante jeune Allemande de Hambourg, bien dans sa tête et bien dans sa peau, qui sut calmer, tempérer, civiliser son caractère excessif. Le couple connut quelques années de bonheur, eut la joie de donner la vie à un beau garçon dont l'heureux père était très fier.

Ses amis le croyaient réconcilié avec la vie, avec la société, enfin capable de bonheur. Mais la fatalité amena un jour René à se tirer une balle dans le corps.

De passage à Genève, ouvrant La Suisse du jour accompagnant le petit déjeuner, je vis avec effroi le portrait de René me sauter à la figure, au-dessus du bandeau coiffant un banal compte-rendu nécrologique.

Un ami, un homme d'honneur venait de nous quitter, dans un ultime pied de nez à notre société dont il ne partageait pas toutes les valeurs.


CLIN D'ŒIL

Un généalogiste qui étudia l'ascendance de René Terrier affirme que notre anarchiste et antimilitariste au grand cœur descendait en droite ligne d'un officier du roi Louis XVI, Antoine-Marie-René, marquis de Terrier de Monciel (1757-1831). Ce royaliste convaincu, entré en politique devint maire de Dole en 1790. Il présida le directoire du département du Jura, avant d'être nommé ministre de l'intérieur, succédant brièvement, - du 16 juin au 21 juillet -, à Roland de la Platière. Écœuré par les événements tragiques du 10 août, la chute de la monarchie et le début de la Terreur, le marquis de Terrier émigra.


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