ÉMILE PLOCQ
(1873-1937)

 

 

L'homme qui parlait avec les animaux

 


 
Émile Plocq, né à Talmont en 1873, était horloger de métier, mais naturaliste de goût et d'instinct. «Peu d'hommes sans doute ont laissé une impression aussi profonde à ceux qui l'ont connu, et son pouvoir sur les bêtes était immense» dit Pierre Pellerin dans son ouvrage"Des hommes parmi les oiseaux" rapportant ses exploits.

Dès l'enfance, Plocq est d'une curiosité insatiable pour les animaux, notamment les oiseaux, surtout les hirondelles. Il passe tous ses loisirs à observer, étudier, surprendre, capturer, apprivoiser, essayer de comprendre des animaux de toutes sortes. Il écoute leurs cris et apprend à les imiter parfaitement.

Il peut demeurer immobile des heures à regarder une hirondelle construire son nid. Avec une patience sans faille, il se dissimule, épiant les moindres mouvements de l'oiseau le plus farouche, ses habitudes de vie.

Enfant, l'horloger entretenait déjà une forte complicité avec les hirondelles. Tout jeune, partant en manoeuvres avec son régiment, il avait recueilli de jeunes hirondelles qu'il nourrissait régulièrement en leur donnant des mouches.

Les hirondelles suivent le régiment

Les hirondelles l'adoptèrent et suivirent le régiment jusqu'en Bretagne puis revinrent avec lui à La Roche-sur-Yon, où elles s'installèrent dans sa propriété.

La porte de la boutique de l'horloger était toujours ouverte, ainsi que celles qui communiquaient avec son appartement et son arrière-cour, de sorte que, rapporte un témoin "les hirondelles traversaient le magasin et l'appartement et allaient de la rue à son jardin à chaque instant!"

Pour assouvir sa passion, il sait prendre tous les risques, côtoyant de près animaux venimeux, dangereux ou sauvages, malgré les mises en garde de ses proches et des professionnels de la nature qui suivaient ses travaux.

Pour augmenter ses collections, Plocq parcourt la Vendée, puis les différentes régions de France et l'Afrique du nord.

Il se fait grimpeur pour observer les aigles et les vautours, nageur et plongeur pour suivre les anguilles et les loutres dans leurs déplacements. Il réussit à éduquer certaines d'entre elles jusqu'à ce qu'elles aillent pêcher dans la rivière proche et lui en rapporter les poissons dans son salon, sautant sur ses genoux pour obtenir une caresse en échange de leurs proies encore frétillantes.

Il observe sans se lasser les comportements et les habitudes des espèces animales les plus diverses. Il traque les indices, note leurs marottes, assimile leur caractère, apprend leur langage et parvient à communiquer avec elles.

Il parvient ainsi à faire cohabiter toutes sortes d'oiseaux, non seulement ceux qui acceptent la compagnie et la domination de l'homme, mais encore ceux que l'on dit trop farouches pour les admettre : râles des genêts, perdrix, faucons. Cela n'empêche pas bien d'autres animaux de tomber sous son charme : serpents, tortues, lézards, martres, fouines, qu'il installe dans les différentes parties de son jardin de la rue des Sables, à La Roche-sur-Yon.

Les témoins se souviennent notamment d'un lièvre, dont ils assurent qu'il jouait du tambour, ou encore d'une couleuvre, aussi obéissante qu'un chien, venant s'enrouler autour de ses épaules et de son torse, de même qu'une fouine familière et docile qui le suivait partout.

Les anciens de la rue des Sables se souviendront longtemps de ce chouca apprivoisé avec lequel l'horloger communiquait à distance, dont il obtenait par une sorte de télépathie entre l'animal et l'homme la prédiction précise du temps qu'il ferait dans la semaine.

Imprudences

Au cours de ses recherches, Émile Plocq commit parfois des imprudences et subit quelques accidents. Mais cela ne le détourna jamais de sa quête.

Ainsi, dans les Hautes-Alpes où il observait de trop près le comportement d'un couple d'aigles autour du nid où se trouvait leur progéniture, les deux rapaces l'attaquèrent et réussirent à lui faire lâcher prise. Heureusement, sa corde le sauva d'une chute mortelle et il put regagner la vallée, blessé mais vivant.

Au Sahara, il attira un jour sous sa tente un scorpion et un aspic, redoutable vipère des sables, pour les observer et si possible les apprivoiser. Mais il fut piqué par l'un, mordu par l'autre et ne dut la vie sauve qu'aux connaissances empiriques d'un "marabout" guérisseur. Ce dernier lui apprit à "charmer" ces bêtes venimeuses dont il rapporta quelques spécimens vivants dans ses bagages, lors de son retour en Vendée.

La cinquantaine

Ce n'est que vers la cinquantaine que Plocq va pouvoir s'affranchir des impératifs matériels de la vie quotidienne, et se livrer entièrement à son rêve: apprivoiser et faire vivre en harmonie les bêtes les plus diverses.

Tous ces animaux étaient si parfaitement apprivoisés qu'ils pouvaient accompagner leur maître à la promenade sans jamais s'enfuir. "Spectacle étrange en vérité que celui d'un cycliste, près duquel trottine une martre, au-dessus duquel volent hirondelles et mouettes; spectacle fantastique lorsque le cycliste s'arrête et que les oiseaux viennent quêter auprès de lui quelque friandise."

La renommée de ses exploits franchit les limites de son département et attisa la curiosité des simples particuliers amis de la nature aux savants et aux chercheurs les plus connus.

Un jour, le prince Paul Murat, président de la Ligue pour la protection des oiseaux, bavardant avec Plocq sur les Champs-Élysées, vit l'horloger sortir de sa poche quatre hirondelles qu'il lâcha tranquillement. Quelques minutes plus tard, les oiseaux voletaient de nouveau autour d'eux, et quand leur maître eut sifflé d'une certaine manière, ils se posèrent tous les quatre sur sa main tendue. Plocq les remit alors dans sa poche, puis recommença l'expérience, plusieurs fois, au cours de leur promenade, au grand étonnement de son interlocuteur.

Quelques mois plus tard, Émile Plocq fut sollicité par Les Amis de la Nature de l'Ariège pour venir les aider à maîtriser une ourse terrorisant une haute vallée des Pyrénées après que des chasseurs aient tué un de ses oursons et estropié son frère.

Parti seul dans la montagne, sans arme, il retrouva la bête furieuse après quelques heures de marche, parvint à l'approcher, à la calmer, avant de soigner l'ourson blessé qu'il sauva d'une mort certaine, sans que la mère ne l'agresse.

De tels exploits étaient si courants pour celui que les autres naturalistes traitaient de magicien, que chaque année il parvenait à apprivoiser une espèce toujours plus rare et plus craintive.

Autodidacte

Si Émile Plocq était un excellent horloger, il lui manquait la formation de biologie scientifique de base qu'il estimait lui-même nécessaire pour parfaire ses observations et surtout les décrire.

Conscient de ses limites, il répondit un jour à un ornithologue qui regrettait ses méthodes empiriques et qu'il n'étudiât pas scientifiquement les animaux qu'il collectionnait: «Je ne suis plus à l'âge où l'on apprend le latin pour pouvoir écrire sur les animaux».

Il publia pourtant quelques études, mais, homme de terrain, il ne se sentait pas à l'aise dans la théorie et les explications écrites.


Dans ses recherches et ses observations, Émile Plocq s'intéressait jusqu'aux créatures les plus modestes. Un jour il montra à l'un de ses visiteurs, le célèbre entomologiste Fabre, quelques spécimens de mouches, d'escargots et de limaces qu'il avait apprivoisés.

À son appel - un léger sifflement modulé différemment selon l'animal - celui-ci sortait de sa cachette, rampait ou voletait vers lui, sans aucune crainte, effectuant quelques figures libres qu'il leur avait enseignées.

Faits troublants

A sa mort, ses protégés eurent un comportement étrange et bouleversant. Selon ses proches, certains animaux firent preuve d'une immense tristesse, allant jusqu'à refuser toute nourriture. Des oiseaux qu'il avait apprivoisés revinrent durant des mois dans son jardin.

Le jour même de son enterrement, lors du service funèbre à l'église, «les assistants virent soudain un oiseau voleter sous la voûte. C'était un rouge-queue noir, un titys, qui, bientôt, se rapprocha de l'autel pour honorer un légendaire pouvoir de persuasion qui paraissait s'exercer au-delà de la mort», raconte Pellerin.

«L'oiseau vint alors se poser sur le cercueil qu'il caressa de sa longue queue rousse. Puis il lança son cri d'appel, "tsip- tsip", comme pour rendre un dernier hommage à son ami». La scène se passait en 1937, et certains témoins vivent encore.

Au cimetière même où reposait l'horloger, des animaux familiers du défunt, retournés à la nature sauvage, vinrent nuitamment rendre visite à sa tombe plusieurs mois après son décès.

Autres exemples surprenants

Même si cette histoire n'est que le symbole de l'étrange correspondance entre certains hommes et certains animaux, comment ne pas s'en émouvoir ?

Mais il est bien d'autres exemples surprenants, ainsi ceux de ces animaux, chiens, chats ou pigeons, qui retrouvent leur maître après avoir parcouru des distances considérables, et dans des conditions souvent fort difficiles.

Nous ne citerons que l'aventure de Boby, un jeune berger malinois de deux ans et demi. Il accompagnait pour la troisième fois seulement son maître, fleuriste à La Ferté-Allais, aux Halles de Paris, quand il se perdit. On eut beau le chercher, l'appeler, l'attendre, rien n'y fit. Pourtant, cinq jours plus tard, fourbu et crotté, Boby reparut à La Ferté-Allais. La distance parcourue n'est pas considérable: cinquante-cinq kilomètres. Mais comment l'animal, si peu familier de Paris, put-il retrouver son chemin dans le labyrinthe de la capitale et de sa banlieue ?

 
Pierre Genève


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