MAURICE VERDIER

Peintre de la nostalgie et de la violence apaisée



Parisien de naissance mais des racines picardes

«Paris "ma ville", ville où je suis né. Ville éclatante, mystérieuse où mes racines de Picard se sont fondues. Maintenant Ville tentaculaire (Verhaeren) ou Ville du piéton de Paris de (Léo-Pol Fargue). C'est là que ma vie a trouvé sa première flamme. La gardera-t-elle jusqu'au bout ? Je l'espère !»

Maurice Verdier a traversé le XXe siècle sur la pointe des pieds, silencieux et discret, sans rodomontade ni tapage. Il a peint ce qu'il aimait, ceux qu'il aimait, d'un pinceau sûr, d'un regard assuré, comme un artisan d'autrefois, avec mesure et honnêteté.

Maurice Verdier ne travaillait pas dans le génie, le truc, l'épate ou le subterfuge. Il n'était pas à la mode, ni comme esclave ni comme précurseur. Il peignait dans la joie ce qu'il voyait, ce qu'il aimait, ce qui le touchait.

Il avait sa palette à lui, sa petite musique intime, son style franc et direct dont il laissait parfois exploser les formes et les couleurs en un feu d'artifice multicolore.

Maurice Verdier est inimitable dans ces paysages nocturnes d'une terrifiante beauté, ces mystérieux Paris sous la lune, ces Venise fantasques, ces ports animés par le ressac où les bateaux de pêche se balancent sous les étoiles au vent du soir.

Nul autre que lui n'a sû rendre la magnificence de ces villes mortes ou somnolentes sous le soleil de plomb du Midi, ou ces fouillis de verdure exubérante parsemés d'ébène et d'émeraudes, où scintillent une fleur rare, aigue marine ou rubis, le diamant éclatant d'un lys ou d'une rose blanche égarés dans la jungle, la timide violette visitée par un insecte.

Si ses coqs chantent, ses paysages et ses natures mortes enchantent, si ses bouquets embaument ou si la simple pierre d'un parapet devient un hymne à la beauté, les rares visages qui parsèment son œuvre sont le plus souvent tragiques, portant sur eux toute la souffrance du monde.

Maurice Verdier n'est plus, il a tiré sa révérence, mais il nous laisse une œuvre magnifique qui survivra à toutes les lubies des funambules de l'art.


La personnalité

Maurice Verdier appartient à la génération de ces jeunes hommes qui, brusquement, apparurent après la dernière guerre et apportèrent tout de suite un accent nouveau. Leur jeunesse (Verdier est né en 1919), les circonstances matérielles qui les avaient privés de contacts réguliers avec leurs aînés, l'absence de publications qui leur auraient permis de connaître les idées de ceux-ci, la fermeture des musées pendant plusieurs années, l'atmosphère morale et matérielle dans laquelle ils avaient vécu les prédisposaient à une rupture. Le monde qui les précédait était fini et ne pouvait laisser dans leur souvenir que l'évocation de désastres. La victoire elle-même ne comblait pas l'amertume et les misères dont était marquée leur adolescence. Verdier, comme les autres peintres de sa génération était inévitablement tenté de représenter les dures conditions de vie qu'il venait de connaître et qui se prolongeraient dans le présent.

Ce misérabilisme, qui leur fut tant reproché, était l'inéluctable issue devant l'univers borné qui leur était offert. Pendant quelques années, une certaine cohésion subsista entre ces nouveaux venus, puis, peu à peu chacun en affirmant son individualité laisse se distendre les liens, et l'unité initiale s'évanouit. Il n'en reste pas moins que, de ce point de départ, subsiste chez quelques-uns, et spécialement chez Verdier, un accent rude, une certaine tension dans l'expression des personnages, une gravité dans l'effort accompli, par laquelle leur art ne prend jamais l'aspect d'un jeu facile.

Alors que depuis le début du siècle la plupart des révolutions esthétiques se font dans une atmosphère de provocation où l'on sent les enthousiasmes agressifs de la jeunesse - et souvent le plaisir d'étonner - la prise de position de Verdier et des hommes de sa génération n'est pas un acte prémédité en vue de surprendre, ni de contredire le passé, mais plutôt l'expansion naturelle de sentiments spontanés, le besoin presque physique de se servir du dessin et de la couleur pour dresser des images du présent sans se référer au passé. Cet art est si directement lié à la vie, que l'image de l'homme reprend une place importante dans la peinture de ce temps, alors qu'elle avait presque disparu au cours des années précédentes, ou que, très déformée, elle ne jouait plus qu'un rôle très accessoire. Verdier, au contraire, lui donne dans maintes toiles la place principale, et ce ne sont pas seulement des portraits, ce sont aussi des présences sentimentales autant que plastiques.

Il y a, dans la peinture de Verdier, un accent de sensualité, une force physique, un « appétit » pour la matière colorée, qui lient intimement l'élément physique à la pensée capable de vouloir ces structures solides du dessin sur lesquelles s'appuie cette couleur. Il en résulte que l'on saurait difficilement dire ce qui domine du dessin ou de la peinture chez cet artiste, car chacun de ces éléments correspond à une telle affirmation qu'il lit se suffire à lui-même. Il était permis, au début, de sentir une prédilection pour le dessin, jusqu'à penser que Verdier, en évoluant, risquait d'aller vers un jeu d'arabesques, cernant les personnages ou les objets de ses natures mortes. Mais, peu à peu, cette vitalité sensuelle qui est en lui a intensifié le goût de la couleur pour aboutir à de puissants empâtements.

Un autre aspect de cette dualité, de ce besoin de poursuivre simultanément deux visions non pour les opposer, mais pour s'enrichir de leurs ressources individuelles, se retrouve dans le choix des sujets.

Le choix des paysages s'accorde évidemment avec cet appétit, cette santé. La Provence, surtout, a servi de thème à Verdier avec le contraste de ses arbres aux verdures sombres et ses murs éclatants de lumière. Plus récemment, le Portugal lui a fourni la gamme plus imprévue de ses maisons harmonieusement colorées, de ses barques aux formes audacieuses et pures, hautes de tons sur les sables roux.

Dans son épanouissement actuel, Verdier n'a pas renié son passé; il n'a pas été tenté par les refus des générations qui suivirent. Il ne semble même pas que les problèmes posés par le développement de l'art abstrait l'aient vraiment préoccupé. Il faut d'ailleurs remarquer que la plupart de ces artistes sortis immédiatement après la guerre et dont nous avons signalé plus haut les conditions particulières de création, ont respecté leur engagement initial. Lorsque Verdier rappelle le nom de ses amis de ce temps: Montané, Aïzpiri, Bellias de Rosnay et quelques autres qui, alors, ont donné au Salon des Jeunes Peintures un caractère bien différent de celui d'aujourd'hui, il évoque un passé révolu, mais que ne contredit pas son présent.

Malgré sa fidélité à lui-même, Verdier ne conserve pas dans son art des traces d'influences, Si le professeur Lesbounit fut pour lui, dans un cours du soir de la rue de la Victoire, un initiateur dont il garde un souvenir très fidèle, s'il reçut ensuite à l'école des Beaux-Arts, entre 1937-1939, les leçons de Sabatté, il a su très tôt trouver le langage naturel qui lui convient et qui, au fond, est resté le même, sauf qu'il est marqué désormais par plus de certitudes et plus de libertés.

Raymond COGNIAT - Inspecteur des Arts et Lettres (1955)

Le parcours

Maurice Verdier est certainement un des pionniers et un des piliers de la « Jeune Peinture » des années 50 qui a marqué son temps et le marquera encore dans l'histoire de l'Art. Il venait d'avoir vingt ans lorsque, pendant la dernière guerre, il accrochait sa toile L'homme sur fond jaune au Salon des Moins de Trente ans présidé par Virginie Bianchini, rue Royale à Paris. A ses côtés exposaient ses amis: Aïzpiri, Savary (qui fit le portrait de Verdier), Claude Schurr. On y voyait quelques influences des maîtres plus âgés tels Matisse ou Picasso et les souvenirs de Van Gogh et Soutine par exemple. Mais surtout Francis Gruber marqua ces peintres, de près ou de loin, par un retour au réalisme ordonné, aux compositions structurées dans un dessin classique et aigu qui défiait les tentatives abstraites d'alors.

Maurice Verdier peignait avec un beau métier, narrait avec méticulosité l'identité des objets cernés dans le graphisme, placés sur la commode de son atelier, dans l'Yonne ou de Paris: lampe à huile, champignons, livres, pots en terre cuite, fleurs séchées, clairons et pinceaux. Toujours en privilégiant le cerne fin et noir il faisait poser son épouse avec une palette de gris, de blancs, de bruns, de noirs. L'architecture de ses toiles, l'enchevêtrement des lignes griffées, l'ordre dans les à-plats, les plages de couleurs sobres captives de son écriture personnelle, ont tout de suite retenu l'attention des critiques d'art de l'époque.

J'ai suivi l'œuvre de Verdier depuis les années 50 où nous exposions à la Jeune Peinture tous les ans, en janvier, au Musée d'Art moderne de la ville de Paris. Buffet, Guerrier, Jansem, etc. étaient là, souvent avec leurs figures hiératiques dans leurs toiles. Les Nus au crépuscule de 1948 de Verdier en témoignent.

Avec le temps, Verdier peignit des paysages, souvent dans le Pays basque où il aime passer ses étés. Mais aussi les bateaux de Saint-Jean-de-Luz, ou les fleurs, les roses de Noël...

Le temps l'amena à appuyer le cerne noir, notamment dans des portraits. L'expressionnisme de Rouault l'attirait peut-être en pleine mutation. Cet ascète de la peinture épurée, toujours sincère, patient et appliqué, apporta plus de fougue, de pâte charnelle, de vitalité, d'esquisse dans ses paysages respirant désormais le bleu des paysages du Sud après avoir quitté les bords de l'Epte. Le jeu des volumes devint plus relâché, la couleur plus libre dans un tragique où, parfois, la nature était peinte avec une véhémence sourde. C'est ce grand débat avec la nature qui marque ses dernières années de création où l'inspiration devient débridée dans un nouveau langage plastique: Maurice Verdier est toujours un beau tempérament de peintre qui, dans sa fougue et ses sensibilités chromatiques et vibrantes, atteste que ce «pilier» disais-je, de la Jeune Peinture n'est pas tombé dans le côté raisonneux des esprits de chapelle du XXe siècle, mais sait toujours traduire ses impressions vécues.

J'ai invité Maurice Verdier à la première rétrospective de quelques-uns de ces «Jeunes» des années 50 au Salon de Longuyon en octobre. Il a une place de choix dans le cœur des peintres, des collectionneurs et l'amitié de ses confrères. Après cinquante ans (un demi-siècle!) de création, Verdier (de même que Pollet, Minaux et d'autres) devrait avoir une rétrospective dans un grand Salon de Paris.

Guy VIGNOHT Critique d'art


La passion

Dans la peinture de Maurice Verdier, l'émotion émane du fond de la toile, comme si celle-ci était la surface d'une cuve et que les formes et les couleurs se mettent à bouillonner. Le peintre n'a eu que le temps de jeter le filet noir de lignes qui rappellent l'art du vitrail, celui qui maîtrisait malaisément la haute fusion des roses de Chartres, celui qui inspirait le Rouault de la Bible et du cirque.

Le processus courant de la création picturale, ce mouvement parti du cerveau pour passer dans la matière par l'œil et par la main, semble inversé, comme il arrive souvent chez les expressionnistes. Dans cette perspective démiurgique, Maurice Verdier est un magicien de forces, une manière de médium. Il n'en est d'ailleurs pas inconscient, puisqu'il confie à René Barotte sa croyance dans le «caractère médiumnique des livres» qui l'ont formé.

En quelque sorte, chez ce peintre passionné et inquiet, bouleversé par les apparences changeantes du monde et par sa propre impétuosité, la peinture se situe au confluent de deux torrents, la passion de peindre et les images tumultueuses de la réalité. Rien d'apollinien, de pré-conçu, de racinien (en peinture, cela se traduit par Poussin), de contrôle olympien de l'esprit sur l'œil et la main, mais bien le contraire, une lutte quasi en catastrophe du peintre contre les éléments qu'il libère, lutte menée par un esprit sans cesse débordé par les bouillonnantes passions internes.

Ce dompteur de passions toujours mal calmées avoue ses tourments dans le choix de ses peintres préférés, le Paolo Ucello des Lances, Rembrandt, Van Gogh, Chagall, tous sourciers de tumultes. Naturellement, cette dramaturgie de vortex difficilement maîtrisés, sans cesse renaissants, se retrouve dans toute l'œuvre, quel qu'en soit le prétexte, des barques portugaises aux fleurs d'une épaisse magie, de la nature morte au brochet jusqu'aux masques de carnaval, des paysages d'une Provence agitée par ses démons méconnus plus que par le mistral aux enfants clowns d'un Grand Meaulnes inédit, et lui donne sa dignité et sa personnalité qui le rattachent directement, au-delà des Fauves, au chant profond des lointains maîtres du vitrail difficilement dominé, bergers de monstres.

Armand LANOUX - Académie Goncourt

De l'inspiration... aux thèmes


Panthéiste ou bon chrétien, Maurice Verdier est avant tout le frère servant d'une véritable religion de l'humain, étendue à toute la nature, A côté de ses clowns, de ses enfants rêveurs, de ses femmes nues si sensuelles, il y a bien d'autres créatures du Bon Dieu, les grands cyprès, les cerisiers en fleurs, le buisson d'hortensias, la chèvre dans le pré, le chat blanc du souvenir, Créature du Bon Dieu aussi, sans doute, la maison du poète Toulet, un coin du port à Chioggia, les montagnes basques ou les arums d'un bouquet"

Mais il n'y a pas que l'inspiration, les thèmes, la vie toute entière de Verdier se place sous le signe de la lutte avec l'ange de la peinture, l'ceuvre est marquée par la force, La sérénité s'est gagnée sur les tumultes, la quiétude spirituelle résulte, par une alchimie simple, des tourments, des incertitudes, des doutes, Diffuse dans tout le tableau, la lumière vient juste de terrasser les ténèbres.

Roger BOUILLOT Critique d'art



 
Maurice Verdier
Galerie Déprez-Bellorget
15, rue de Seine - 75006 Paris
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