BOURRON-MARLOTTE
La Perle du Gâtinais

Puits Giton
Le Puits Gitton

Un village discret au sud de l'Ile de France, modeste, magnifique serti dans l'écrin verdoyant de l'une des plus belles forêts de France. Une église ancienne, un château du XVIIIe bâti sur les fondations romanes d'une forteresse féodale, une source miraculeuse, une terre fertile, une histoire millénaire peuplée de légendes : un petit paradis sur terre.

En ce début du IIIe millénaire, Bourron-Marlotte compte environ 2700 habitants établis sur un peu plus de 11 km2, entre plaine et forêt, non loin du Loing une jolie rivière romantique et paresseuse allant se jeter dans la Seine. Ancienne commune rurale, riche de ses bois, de ses vignes, de ses champs, de ses artisans, de sa vaste carrière d'où l'on extrait un sable très pur exporté vers les cristalleries de Venise ou de Bohême, elle accueille depuis deux siècles des artistes du monde entier. Peintres, sculpteurs, romanciers, poètes, musiciens, ont vanté la beauté de ses paysages, la douceur de son climat. Plus près de nous, cinéastes et photographes, ont immortalisé le cadre, tourné des films et croqué des présentations de mode dans son décor de rêve.

Dès le début du XIXe siècle, peintres et poètes ont investi le village et ses auberges, attirant amateurs d'art et touristes.

Origine du nom

L'histoire de notre village remonte à la préhistoire et sans doute que, aussi loin que l'on remonte dans le passé, le site semble toujours avoir été habité. Un grand nombre de vestiges attestent de la présence humaine la plus ancienne, précédant les Celtes, Gaulois, Romains, Francs, qui ont laissé des traces irréfutables de leur passage tant en forêt que dans la plaine.

Nous devons à l'érudition et aux recherches personnelles d'Henri Froment (1919-1996), enfant du village, instituteur passionné d'histoire et de sciences naturelles, l'ouvrage le plus récent et le plus complet sur Bourron-Marlotte, dont les Amis de Bourron-Marlotte, dont il était l'un des animateurs les plus actifs, ont assuré l'édition en 1985 et sa réédition.

Le nom du village Bourron semble d'origine celtique "Borro" et ferait référence à l'idée de source, de fontaine, d'eau vive (1), plusieurs points d'eau existant alentour, notamment la Fontaine Saint-Sévère sur le domaine du château, le ru de Bourron et ses affluents, le Bignon, sans compter la proximité du Loing. D'autres auteurs suggèrent que Bourron viendrait de Bovron, l'un des noms de la divinité gauloise des eaux.

L'origine de celui de Marlotte (et de ses différentes formes) suggère plusieurs hypothèses: Marlette = petite mare; Marle = pour marne, argile; Marlot, Merlot = petit merle; la plus vraisemblable serait une déformation du bas-latin materiola = espace forestier. (1)

Les numéros entre parenthèses : (1) et suivants disséminés dans le texte, correspondent aux auteurs et aux sources de nos informations, regroupés en bas de page.

fontaine saint-severe
Fontaine Saint-Sévère

Préhistoire

Il semble que le site de Bourron-Marlotte ait été occupé de façon continue dès les âges très anciens. Ses atouts principaux pour un habitat humain : une plaine fertile située entre une rivière navigable et la protection naturelle d'un relief forestier, offrant une réserve inépuisable de gibier et de bois de construction et de chauffage. Des sources d'eau et un climat tempéré par l'exposition abritée de son orientation.

Les traces d'une présence humaine préhistorique sont nombreuses, même si le vandalisme d'un tourisme peu scrupuleux en a effacé quelques-unes.

Signes et gravures de cervidés, outillage de grès taillé, silhouettes humaines, restes de peintures préhistoriques, etc. Tessons de poteries néolithiques, et notamment le fameux «vase de Bourron» datant d'environ 4000 ans avant J.-C. exposé au Musée de la Préhistoire de Nemours.

Époque gauloise et Gallo-romaine

C'est dans le secteur Château - Pavé du Roi - Église et Bords du Loing que l'on fit les principales trouvailles archéologiques de cette époque : fondation de murs en briques, pièces à l'effigie d'empereurs romains, petit outillage, débris de poteries sigillées, et même un squelette. Au Musée des Antiquités Nationales de Saint-Germain-en-Laye, on été déposés des vases datant du quatrième siècle trouvés à Bourron, ayant appartenu au Dr Durand.

Il fut avancé, notamment par M. Patin et d'autres historiens régionaux, que l'église de Bourron construite entre le 10e et le 12e siècle aurait pu être édifiée "sur l'emplacement d'un ancien monument gallo-romain, un temple par exemple".

Dans les notes 19 et 20 de son ouvrage, Henri Froment précise que les découvertes de M. Patin et de son équipe du Cercle Archéologique et Historique dont les travaux se poursuivent, vont se révéler «d'un intérêt capital» pour l'histoire du village.

Royaume Franc et Mérovingiens

Lorsque à partir du VIe siècle le royaume Mérovingien succéda à l'Empire romain, il marqua à son tour le site de Bourrron-Marlotte de sa présence dans le périmètre de l'église et du château actuels. On y retrouva quelques objets de fouille remarquables allant d'un sarcophage à des petits objets familiers tels une hache en croissant, des ornements de ceinture, une plaque-boucle à bossettes et divers autres reliques pieusement recueillies par le Dr Durand.

Moyen-Âge

Le Moyen-Âge succédant au Haut Moyen-Âge, les sires de Borron (connus dès le 12e sècle) avaient doté leur fief d'une forteresse féodale entourée de fossés qui figure parmi les places fortifiées recensées en 1367 par Charles V, et d'une église dépendant du diocèse de Sens. Le premier curé dont la petite histoire fait mention en 1219 s'appelait Adam.

Comme partout à cette époque, les défunts étaient inhumés auprès de l'église et Bourron n'échappait pas à cette règle.

Les seigneurs de Bourron appartenaient à une famille riche dont les chefs servirent avec honneur les premiers rois capétiens, en tant qu'écuyers, baillis, sergents d'armes, hommes de guerre.

Ils possèdent un vaste domaine agricole et forestier qui s'étend de Recloses à Vernou-sur-Seine. Ils tirent des revenus substantiels de leurs vignes, de leurs bois, des péages sur «les bateaux montants et avallants» sur le Loing et sur la Seine notamment à Saint-Mammès, leur tenure.

Parmi les premières mentions on relève vers l'an 1150 Ulgrin de Boron ou Bourron. Puis, en 1164 le nom de Robert de Borron apparaît, date à laquelle il fit une importante donation à l'abbaye de Barbeau près de Samois. On lui attribua longtemps la paternité d'un épisode du roman de Saint-Graal des Chevaliers de la Table Ronde, affirmation qui fut fortement mise en doute voire démentie par la suite. (1)

Plusieurs chevaliers et écuyers portant ce nom, dont l'écu orné de «trois fusées en fasce»* figurent sur des sceaux ou des pierres tombales. Un certain Anceau ou Anselme de Borron est signalé lors de la prise de Constantinople au cours de la 4ème Croisade.

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Écu des Sires de Borron (XII-XIVe siècle)

Peu de vestiges datant de cette époque ont été retrouvés. L'un des plus anciens subsiste dans les fondations d'une maison au N° 162bis de l'actuelle rue du Général-Leclerc, anciennement Grande-Rue. Cette belle cave voûtée figure depuis 1926 à l'inventaire des monuments historiques.

Les Seigneurs de Bourron, leur château et leur village

La famille Bourron est prolifique et on la retrouve essaimée dans le Sénonais jusqu'au 17e siècle.

Le château de Bourron et l'église St Sévère furent durant des siècles le cœur de l'agglomération dont Marlotte n'était encore qu'un "écart", mentionné pour la première fois en 1308, un hameau au même titre que Saint-Léger, les Tremblots, le Moulin de la Fosse ou le Coq-Chaintreau.

Bourron-Marlotte ne devint une seule commune que beaucoup plus tard, en 1919, lorsque les deux villages s'unifièrent.

En ces temps rudes, le seul attrait de la forêt de Fontainebleau, c'était la chasse, ses chevauchées et son rituel. L'indifférence de la cour était complète pour les sites naturels qu'elle côtoyait sans s'y intéresser.

«L'homme du Moyen-Âge n'était ému qu'au spectacle d'une nature humanisée, façonnée par ses mains, domptée par son esprit. (3)»

En 1234, Berruyer de Bourron reçoit en son château le roi Louis IX, futur Saint-Louis, qu'il accompagnera à Sens où il va épouser Marguerite. La fille du comte Raimond Bérenger IV de Provence fut choisie par sa mère Blanche de Castille pour des considérations de haute politique.


Saint-Louis par Bartolomeo Vivarini

La petite histoire affirme que c'est au cours de ce passage à Bourron que le bon roi aurait donné vingt sols à une pauvresse du village «pour l'aider à marier sa fille».

Berruyer siégera au conseil du jeune monarque et le servira fidèlement comme il avait déjà servi Philippe-Auguste et Louis VIII. Nommé Bailli, il se vit confier plusieurs enquêtes délicates et effectuera avec succès des missions sensibles.

Grand chasseur et excellent cavalier, le bon roi Louis vint souvent courir le cerf sur son domaine royal, jusqu'aux abords du village, acceptant l'hospitalité de son ami.

Il a été dit qu'un fils (ou un neveu) de Berruyer accompagna le roi Louis en Égypte, lors de la 7e Croisade, et mourut en 1250 au cours du siège de la citadelle de Mansourah.

Adam, fils de Berruyer, qu'Henri Froment appelle Adam Ier et son fils Adam II, mort en 1289, écuyer inhumé à St Mammès*, furent également au service du roi. Saint Mammès avait la réputation de préserver hommes et chiens de la rage.

Une légende prétend que miraculeusement guéri de la rage par l'intercession de Saint-Mammès, l'écuyer mécréant aurait tourné les pouvoirs de ce saint en dérision par la suite et que cette vilenie lui attira «une nouvelle et soudaine attaque de la rage» qui l'emporta (1).

Le sceau de Guillaume de Bourron apparaît sur une charte datant de 1266, et Henri Froment nous dit «que l'on pourrait encore en nommer une bonne quinzaine d'autres, parfois avec le nom de leurs épouses!» (1)

Les Archives Nationales de Paris possèdent une belle charte* manuscrite de Philippe le Bel relative à Jehan de Bourron, écuyer, et à ses biens, datée de décembre 1311.

charte
Charte de Philippe le Bel relative à Jean de Bourron
et à ses biens (Archives BNF)

En 1332, le domaine de Philippe de Bourron compte, selon ses propres dires, outre son château et le domaine alentour, plus de dix arrière-fiefs! Le seigneur y possède le droit de justice, son prévôt et son tabellion "garde-nottes". Pour dissuader la délinquance, un gibet et un pilori rappellent qu'on ne badine pas avec la loi.

Or en ces temps rudes, les traditions restent fortes. Henri Froment écrit que les «hommes de Bourron» comme on dit dans les vieux actes, sont très soucieux de leurs droits, surtout les "droits d'usage" qu'on leur a accordés de temps immémorial».

Ainsi, les chroniques rapportent plusieurs chicanes opposant les Bourronnais aux moines de Fontainebleau, notamment les Mathurins, dont les porcs disputaient aux leurs les glandées et autres «paissons» ou «panages», et leur lutte incessante pour protéger leurs cultures des ravages occasionnés par le gibier royal déboulant impunément de la forêt.

Si une très ancienne tradition affirme qu'au Moyen-Âge Bourron posséda son couvent que l'on situait aux Tremblaux, aucune trace sérieuse n'en a été découverte à ce jour. Par contre, Marlotte abrita plus tard, vers les 16e et 17e siècle une communauté de Récollets (Franciscains réformés) dont quelques religieux firent fonction de vicaire à l'église de Bourron. Au XVIIe siècle Bourron disposa d'une maladrerie en commun et à la limite avec Grez. On y soignait les maladies de la peau, notamment les lépreux.

On ignore dans quelles circonstances la seigneurie de Bourron passa vers 1380 à la famille Villiers de l'Isle-Adam qui la conserva durant une soixantaine d'années. L'un de ses membres, Jehan, laissait en 1402 «l'aveu et le dénombrement de son château de Bourron et ses appartenances» avant de prêter hommage au roi de France. C'est, semble-t-il, la première description, d'une longue série, d'inventaires concernant le domaine médiéval; celui-ci semble correspondre, autant qu'on puisse en juger, au domaine gallo-romain dessiné dans ses grandes lignes par la cadastration. (2)

La Guerre de Cent ans

Entre 1340 et 1450, le Gâtinais, fut ravagé à plusieurs reprises par les féroces bandes rivales alliées tantôt aux Valois et tantôt aux Plantagenêts. Ces Armagnacs, ces Bourguignons sans foi ni loi, ces Bretons ou Navarrais, sous les ordres de Robert Knolles ou de James Pipe, incendiaient, pillaient, massacraient sporadiquement les populations désarmées. Ce fut le triste lot de nos campagnes durant un siècle, et la misère s'installa un peu partout.

C'est durant cette période troublée que les Villiers de l'Isle-Adam succédèrent aux Sires de Bourron, l'histoire ne dit pas clairement dans quelles circonstances.

Quant à Denis de Chailly, il fut Seigneur de Bourron en tant qu'héritier de Jean de Villiers de l'Isle-Adam.

Bien que peu de documents précis concernant notre village datant de cette époque subsistent, il est vraisemblable qu'il n'ait pas été épargné par la tourmente.

Cependant nous dit Henri Froment, «Le minutieux inventaire des biens d'Adam de Villiers, seigneur de Bourron en 1402, ne signale aucun dommage par fait de guerre, mais cela ne signifie pas que le pays ait été à l'abri de tout désastre.» (1)

Il a été dit qu'en 1430, Jeanne d'Arc venant de Sully-sur-Loire aurait traversé le Gâtinais pour se rendre à Lagny et serait passée par Bourron. Possible, mais pas prouvé. Mais nous sommes de ceux qui aiment les belles légendes. Toujours est-il que Charles VII le Bien-Servi récompensa Denis de Chailly, compagnon de Jeanne d'Arc, pour son aide à la Pucelle, en lui offrant la Seigneurie de Nangis et d'autres fiefs de la région.

De la Féodalité au Grand siècle

de 1440 à 1465 : Denis de Chailly, héritier de Jean de Villiers devint Seigneur de Bourron.

Du 15e siècle à la Révolution, les 130 foyers que comptait Bourron vécurent de leur terre : leurs vignes, leurs vergers et les céréales transformées aux Moulins de la Fosse, propriété de leurs seigneurs leur apportaient une relative aisance dont l'élevage domestique, le poulailler, la cueillette et le petit braconnage venaient compléter l'alimentation frugale.

La vie de la population reste cependant précaire. Nous pouvons en avoir une idée par le récit d'un voyageur anglais du XVe siècle qui décrit ce qu'il a vu au cours de son voyage à travers la France :

«Les gens du peuple de France boivent de l'eau, mangent des pommes avec du pain fort brun fait de seigle, ils ne mangent pas de viande sauf un peu de lard ou bien les entrailles et la tête des bêtes qu'ils tuent pour les nobles et les marchands. Ils portent une pauvre cotte de laine sur leurs vêtements de dessous qui est une blouse de toile grossière... les cuisses restent nues. Leurs femmes et leurs enfants vont nu-pieds.»(11)

La Renaissance, avec la restauration du château de Fontainebleau, apporta du travail pour de longues années à tous les artisans de la région, notamment à ceux de Bourron.

Entre 1500 et 1789 Bourron est un village cossu appartenant à des seigneurs bien en Cour, au service des rois, les Sallard, les Beringhen, les Varennes. Il a son notaire royal, son prévôt, son procureur fiscal, ses «petites écoles» tenues par les vicaires ou des instituteurs laïcs.

château de bourron
Château de Bourron

Vie quotidienne Justice et Coutume

«Au plan juridique, Bourron suit la "coutume" de Lorris-en-Gâtinais, qui a force de loi et qui est reconnue dans toute la région; cela est expressément rappelé sur de nombreux actes.» (1)

Sur le plan administratif c'est plus compliqué : car s'il dépend du baillage de Moret et que la gabelle se paie à Nemours, Bourron appartient fiscalement à la Généralité de Paris et, sur le plan religieux, se voit soumis au Doyenné de Milly et à l'archidiocèse de Sens.

Son syndic et ses marguilliers (administrateurs laïcs de la paroisse) sont annuellement élus par l'assemblée des habitants. Mais, en ce temps-là, comme le rappelle Henri Froment, «ils ne sont que les représentants de la communauté et les exécuteurs des décisions de l'assemblée, à laquelle toutes les affaires sont soumises, même les plus modestes».

La petite histoire a retenu, parmi ses petites gens, le nom de chirurgiens-barbiers ayant officié au service de ses habitants : Jehan Petit, Antoine Tauret, Gaspard Planchon. (1) Je ne sais si personnellement j'eusse confié sans appréhension à Fiacre Testu, le plus renommé d'entre eux, le soin de me rebouter une fracture ou de me saigner, comme le fit un grand seigneur après un accident de chasse, que Testu dut s'y reprendre à quatre reprises pour remettre le fémur brisé en place !

Au Pavé du Roy, où passe le "grand chemin de Nemours", notre future Nationale 7, règne une intense activité. Bien situé, au pied de sa "montagne", le site possède deux relais, celui de la «poste aux chevaux» dont le propriétaire en 1668 est Nicolas Marchand, «chevaucheur pour le Roy» et un «relais des chasses royales», flanqués de deux auberges. Il faut bien ça pour restaurer voyageurs et cochers avant d'entreprendre l'ascension de la «redoutable montagne de Bourron» qui a cassé bien des essieux et vu basculer dans le ravin bien des équipages.

Lorsque le roi séjourne à Fontainebleau le village se doit d'héberger quelques "gens d'armes".

Administration féodale

Dans cette administration, les seigneurs de Bourron ont peu à voir, sauf pour la justice. Ils bénéficient de leurs propres privilèges, taxes, corvées, droits sur le four banal et le pressoir banal, etc. La justice rendue au nom du seigneur est dite «justice subalterne» par opposition à la «justice royale» rendue au nom du roi.

«A Bourron, c'est le prévôt qui rend justice au nom du châtelain. Le tribunal seigneurial est actif. Il siège en général sur le perron ou le terre-plein du château, quelquefois dans une grange: le lieu ne fait rien à l'affaire. On y juge les infractions aux règlements de police seigneuriale, les petites affaires de dégâts et dommages, les délits mineurs et menus vols, les contestations, injures et coups entre particuliers. Les petites affaires de mœurs y sont également traitées. Les audiences sont publiques, et c'est une des grandes distractions du village !» (1)

Bourron a même son gibet, qui figure sur un plan du temps de Henri IV dans la Galerie des Cerfs du château de Fontainebleau et qui représente l'ensemble de ce domaine royal, forêt comprise. On y amène les condamnés de toutes juridictions proches.

La famille Sallard

Issu d'une famille brabançonne de petite noblesse spécialisée dans le dressage des faucons au service des ducs de Bourgogne, Olivier Salaert de Doncker devint, en 1471, grand fauconnier du dauphin de France, futur roi Louis XI. Il sera maintenu dans ses fonctions de chevalier et de grand fauconnier de France par Charles VIII, qui lui accorda ses lettres de naturalisation, confirmées par Louis XII.

Faisant bourse commune avec l'écuyer Regnault du Chesnay, Olivier de Sallard acquit en 1500, la Seigneurie de Bourron à la suite d'une vente à la criée. En 1502 Olivier de Sallard devenait le seul propriétaire de Bourron, qu'à sa mort survenue un an plus tard, il légua à ses descendants, qui conservèrent le domaine pendant deux siècles et demi.

Des deux enfants d'Olivier, Jehan et François, l'Histoire dit qu'en 1520 Jean Sallard est «seigneur de Bouvron, Montigny et Marlotte, capitaine et bailli de Chaumont en Bassigny, maître des Comptes en 1520.»

Selon la petite histoire, il semblerait que cinquante ans après l'acquisition de Bourron, la famille Sallard connût quelques difficultés financières et que pour échapper à leurs créanciers, les deux frères se seraient fait une donation entre vifs de tous leurs biens.

Si l'on ignore ce qu'il advint par la suite de Jehan de Sallard, on sait que sa fille Jeanne épousa Nicolas Hennequin, seigneur du Peray (ou du Perray) et Savigny, maître des requêtes de l'hôtel du roi et maître des Comptes en 1544 puis secrétaire du roi. Jeanne «décéda le 3 octobre 1608 et fut inhumée à Sainte-Opportune.»

Quant à François de Sallard, il se refera une santé financière en épousant Anne (Diane) Clausse de Marchaumont, fille du secrétaire d'État aux finances de Henri II, qui lui apporta une dot confortable.

Ce retour de fortune lui permit l'achat de plusieurs terres pour agrandir son domaine et d'envisager le remplacement vers la fin du XVIe siècle, de l'antique et inconfortable forteresse médiévale, par un château plus adapté aux canons de la mode du temps.

Henri IV
Henri IV

Voici une petite anecdote qui témoigne de la confiance que M. de Bourron avait acquise auprès du roi Henri IV.

Dans une lettre adressée le 10 avril 1606 à Duplessis- Mornay, de Paris par François de Salart (sic), sieur de Bourron, un familier de l'entourage de Henri IV et probablement un huguenot, il dit que la veille au soir... «Madame de la Tremouille estant allée voir sur les cinq heures la royne Marguerite, qu'elle trouva à table prenant son disner ; en mesme temps elle venoit de recevoir une lettre du roy qu'elle lui monstra».

Suit le texte même du billet.

«Ma sœur*, je fais hier mon entrée à Sedan, où le seigneur d'icelle m'y a receu avec autant d'applaudissements, de bonne chère qu'en lieu où j'aye jamais esté, avec tel bruit du peuple, toute la nuict à crier : Vive le roy ! M. le dauphin ! la royne ! qu'ils m'en ont empesché de dormir; et tant faict boire mes gens, que je crois que je les mènerai ivres jusques à Paris. Il m'a faict paroistre avoir tant de regret de ses faultes passées et tellement protesté de me fidèlement servir à l'advenir, que je m'en promets de meilleurs effects qu'il n'a jamais faict du passé. Je partirai d'icy lundy et vous verrai dans dix ou douze jours.»

* C'est ainsi qu'Henry IV appelait son ancienne épouse depuis leur séparation.

C'est dans cette lettre écrite à Donchery (Ardennes) le 2 avril 1606, que le roi Henri IV, annonce à la princesse d'Orange la soumission du duc de Bouillon à Sedan.

L'influence du père de Diane Clausse, épouse du seigneur de Bourron, semble se traduire par la ressemblance du château de Bourron avec ceux de Courances et de Fleury-en-Bière où celui-là demeurait. Entamée dès la fin du XVIe siècle, la construction du château de François de Sallard ne débute cependant officiellement qu'en 1609. Les archives sur la construction même du château faisant hélas défaut on ne peut qu'imaginer son déroulement (1).

Le style du château dit "brique et pierre" a été lancé en 1528 par Gilles Le Breton, son implantation respecte le plan imposé par les douves de la forteresse médiévale.

Voici une notice matrimoniale concernant Aimée, une fille de François de Sallart, relevée dans l'Histoire généalogique et héraldique des pairs de France.

«Le 31 décembre 1621, Sébastien de Broc, chevalier seigneur des Perrays, de Guillemont, de Vars, de la Chappelière, etc., vicomte de Fouilletourte, chevalier de l'ordre du roi, gentilhomme ordinaire de la chambre, etc, etc. épousa en secondes noces, le 1er avril 1623, Aimée de Sallart, dame de Fromont, fille de feu messire François de Sallart, chevalier, seigneur de Bourron et de Montigny, gouverneur et lieutenant pour le roi de la ville et du château de Montargis, et d'Anne Clausse de Marchaumont. Le roi Louis XIII, en considération des services de Sébastien de Broc, unit et érigea en sa faveur, en titre de vicomté, les terres seigneuriales des Perrays de Fouilletourte...»

Les grands siècles de la monarchie

penne-chateau
Olivier de Penne: Scène de chasse dans le parc de Bourron

Au cours du XVIIe siècle, la vie semble avoir été paisible dans la contrée. La famille Sallard séjourna très souvent dans le nouveau château de Bourron, chassant sur leur domaine pendant que le père et le fils aîné guerroyaient comme officiers dans les régiments de Gardes Françaises du roi.

Quelle fut la gente Dame de Bourron, épouse du père ou du fils Sallard*, qui fit porter des melons de son potager au pauvre Scarron, paralysé, le corps tortu et souffrant, mais néanmoins resté coquin ? Cette Dame de Bourron que le poète remercia d'une épître burlesque bien dans sa manière :

Ma belle Dame de Bourron,
Le pauvre Diable de Scarron
Très humblement vous remercie
De vos trois melons et vous prie
De vous contenter bonnement
De son petit remerciement.
Il voudroit bien, à la pareille,
Vous envoyer quelque merveille ;
Car merveille peut on nommer
Le melon qu'il vient d'entamer ;
Mais chez un homme de sa sorte
Que rien n'entre et que rien ne sorte,
Qui passe pour merveilleux ;
Si ce n'est que de vos beaux yeux
Sa maison devint esclairée :
Car vérité très averée
Contentez vous donc bonnement
De mon petit remerciement.
Si j'avois mieux, peste m'estrangle
Ou d'un dard pointu comme un angle
Me puisse le cœur transpercer
Si sur le champ, sans balancer
Vous ne l'eussiez eu, belle Dame
Que j'ayme de toute mon ame ;
Et de cecy ne doutez pas,
Tresor charmant de bruns appas,
Dont les yeux à lance d'ebene,
Sur les cœurs courent la quintaine.
Fait à Paris, en avallant
Un de vos melons excellent.

Scarron
Paul Scarron
Rappelons que Scarron, tout mal foutu qu'il fût épousa à plus de 42 ans la jeune Françoise d'Aubigné âgée de 16 ans, future Mme de Maintenon, favorite de Louis XIV.

* «Je crois pouvoir vous dire que la gente Dame de Bourron dont parle Scarron est : Louise-Madeleine GUIGOU épouse de Nicolas de SALLART, car leur unique enfant Armand de SALLART, officier dans la gendarmerie, est mort non marié en 1708 au combat d'Ouderarde.» (communiqué par M. Gilles Lecomte Voir : SOURCES)

***

Armand-Nicolas de Sallard dut accomplir des prouesses militaires puisque vers 1680, Louis XIV érigeait sa terre de Bourron en marquisat.

Mais voilà, qu'un siècle après la Guerre de Cent ans, la France apaisée subit à nouveau la guerre de plein fouet. Une guerre de religion venant compliquer leur vie, écartelant les familles entre les deux clans antagonistes. Le Gâtinais, bien qu'en pays catholique et "ligueur", abritait une forte minorité protestante.

Henri Froment résume bien la situation : «La puissante famille des Beringhen, originaire des Pays-Bas mais devenue française depuis Henri IV, comptait une nombreuse parentèle dans la région. Leurs chefs de famille exerçaient de hautes fonctions à la Cour mais continuaient à observer la plus stricte appartenance à la religion réformée.» Après la Révocation de l'Édit de Nantes signé à Fontainebleau en 1685, «et même un an avant, cela lui valut diverses brimades, entre autres les fameuses dragonnades, puis les vraies persécutions, enfin l'exil et la confiscation des biens. Les Beringhen refusèrent d'abjurer et obtinrent enfin de se retirer aux Pays-Bas.» (1)

Par la suite, l'un d'eux, Frédéric de Beringhen, (1663-1735), officier appartenant à la branche cadette des Beringhen, se convertit au catholicisme et servit dans l'armée. Il épousa en 1696 Louise-Madeleine Guigou, marquise de Bourron, veuve du dernier châtelain de Bourron. De cette union naquit Marie Henriette de Beringhen, Dame de Bourron (1700-1779) qui épousa vers 1726 François Pierre marquis de Varennes (1690-1752), ouvrant la seigneurie de Bourron à la dynastie des Varennes.

En octobre 1725, lorsque Louis XV épousa Marie Leczinska, fille du roi détrôné de Pologne, un grave problème d'étiquette se posa à la Cour.

En effet, quel rang accorder à table et dans les cérémonies à Stanislas Leczinski ex-roi fût-il le propre beau-père du roi ? Où le placer sans offusquer les grands du royaume, seigneurs de haut lignage de l'entourage du roi, fort à cheval sur leurs privilèges ?

On arrangea élégamment la chose : Stanislas et son épouse furent installés au château de Bourron, à deux lieues de la Cour, chez ce bon marquis de Beringhen. Il y eut chaque jour des allées et venues entre Fontainebleau et Bourron, dans de grands déploiements d'équipages.

La chronique du temps précise, qu'en raison de ce très rigide protocole, Louis XV dut prétexter d'une chasse «pour faire la connaissance de son beau-père et lui présenter incognito les princes du sang, la Cour en équipage de chasse, enfin ses ministres et secrétaires d'Etat au grand complet !»

Le roi vint donc chaque matin chasser sur ses terres avant de se restaurer au château en compagnie de ses beaux-parents; Stanislas et son épouse allaient à Fontainebleau, dîner à la bonne franquette avec leur fille, dans ses appartements privés.


Marie Leczinska par Nattier

On raconte que Marie perdit un diamant dans le parc de Bourron au cours d'une visite à ses parents, et que ce diamant fut miraculeusement retrouvé le lendemain. Quelques mauvaises langues suggérent alors que ce n'était peut-être pas le même diamant...

Quant à François Frédéric de Varennes, marquis de Bourron, héritier du fief, il convola avec Nicole Dominique de Maisonnave de Casaubon. Il décédera en 1788, à la veille de la Révolution.

De la Révolution à l'Empire

La tourmente révolutionnaire semble avoir relativement épargné Bourron, dans un premier temps. La famille de Varennes, dont le chef François Frédéric est mort en 1788, réside retirée en son château; «le brave curé Rousset dit ses messes, enregistre les baptêmes, mariages et décès selon les anciennes formules».(1)

En 1792, la proclamation de la République ne provoque pas de troubles graves, d'émeutes meurtrières. La passation des pouvoirs se déroule en douceur. Sur le plan administratif la "commune" remplace la "paroisse" et le conseil municipal délibère désormais dans la «Maison commune».

Mais l'exécution du roi et de la reine en 1793 suivie de l'avènement de la Terreur, vont durcir la situation, comme nous l'explique très bien Henri Froment dans son ouvrage déjà maintes fois cité.

Le curé, Pierre Rousset quitte discrètement le village et se retire à Fontaine-le-Port où, pour échapper aux poursuites, il se marie civilement à l'âge de 75 ans avant de mourir en 1798.

L'Église et le château furent pillés et dévastés non par les habitants du village mais par des bandes de "sectionnaires" venus de l'extérieur.

Selon une tradition orale, la messe fut célébrée clandestinement dans la crypte de Marlotte par un prêtre réfractaire. Peut-être s'agit-il de l'abbé Lacorrège qui se cachait à Montigny durant ces années difficiles et devint le curé du village lorsque le culte fut officiellement rétabli ?

«La ci-devant maquise de Varennes de Bourron devenue citoyenne Nicole-Dominique Casaubon veuve Varenne (sic), fut arrêtée et emprisonnée à Paris, cependant que l'une de ses filles, Luce Adélaïde fut maintenue prisonnière dans son château sous la garde de braves gens du pays qui la laissèrent libre de recevoir des visites et de se promener dans le parc.»

Il y eut bien un soir, près de la fontaine Saint-Sévère, une tentative d'agression sur la jeune fille de la part de voyous. Mais Guillin, l'un de ses géôliers la défendit courageusement mettant en fuite les malfrats.

L'exécution de Robespierre et de Saint-Just, en juillet 1794, sauva in extremis la marquise de la guillotine. Libérée, elle regagna Bourron dont la population lui réserva un accueil triomphal qui la toucha beaucoup. Quant à Luce-Adélaïde (1772-1812) elle épousait le marquis de Montgon dont la famille régna sur le château et son domaine jusqu'au milieu du XIXe siècle.

Le Pavé du Roy

On ne saurait conter l'histoire de Bourron sans insister sur l'importance de sa position privilégiée sur la grand route «royale», et passage obligé du commerce routier des marchandises, des voyageurs, des armées, de la poste.

Ce fut également le carrefour de tous les trafics, le rendez-vous des voleurs, pilleurs, braconniers, truands de haut vol, sa situation permettant en cas de coup dur un repli rapide à l'abri de la forêt immense et de ses taillis impénétrables.

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Le Pavé du Roy, au pied de la fameuse montagne de Bourron, fut choisi à plusieurs reprises comme lieu de rencontre à l'occasion de fiançailles princières : le 12 mai 1771, le comte de Provence, futur Louis XVIII, y accueillait sa fiancée la princesse Louise de Savoie, en présence de Louis XV et du Dauphin, futur Louis XVI. Les politesses faites, tout le monde repartit pour Fontainebleau où séjournait la Cour.

Le 13 septembre 1773, Louis XV et toute sa famille revenaient au même endroit accueillir Marie-Thérèse de Savoie, fiancée au comte d'Artois, futur Charles X.

Louis XVIII y reviendra encore en 1816 recevoir la princesse Marie-Caroline de Naples, fiancée à son neveu le duc de Berry, second fils de Charles X, qui devait être assassiné en 1820.

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Ce fut près de cet endroit prédestiné à la Croix de Saint-Hérem, que Napoléon rencontra "fortuitement" le pape Pie VII venu le couronner Empereur.

Il existe plusieurs versions de cette anecdote, ce qui démontre la difficulté pour l'historien de départager la vérité de la légende. N'étant pas historien mais amateur de belles histoires, je vous offre deux des cent versions de cette histoire. La première, plutôt sommaire, la seconde, plus vraisemblable.

Partie de Rome le 2 novembre1804, l'escorte pontificale se fit d'abord dévaliser en route. Puis, le 25 novembre, enfin, le Saint Père approche de Fontainebleau où il doit rencontrer Bonaparte. La journée est pluvieuse et maussade. Au Pavé du Roy, le carosse du pape peine à grimper la côte de la "montagne de Bourron". Pie VII doit mettre pied à terre et patauge dans la boue en gravissant la route détrempée.

Napoléon chassant "fortuitement"le cerf dans les parages, affecte de se trouver là par hasard. Voyant de loin arriver le saint père à pied au milieu de son escorte, il reste impassible sur son cheval.

Quand le pape arrive à sa hauteur, fatigué et crotté, il salue le souverain pontife «sans excès d'égards». Il lui fait un bout de conduite jusqu'à son carosse, avant de le laisser poursuivre sa route jusqu'au Louvre.

Si l'on en croit l'écrivain Alfred de Vigny, Pie VII aurait alors murmuré, parlant du futur empereur : «Commediante, tragediante!»

Rencontre Napoleon-pape Pie VII
Rencontre Napoléon-Pie VII

Le comte d'Haussonville dans son ouvrage: L'Église romaine et le Premier empire, raconte:

«Napoléon était en costume de chasse, botté, éperonné et environné d'une meute de chiens. Cette rencontre et cet appareil n'étaient point l'effet du hasard; c'était une combinaison ingénieuse qu'avait arrangée le nouvel empereur. Il lui déplaisait, à lui, souverain élu de la veille, d'aller en grande cérémonie et en tenue officielle au-devant d'un autre souverain, fût-ce même le successeur de saint Pierre.

Ce qui lui aurait bien autrement répugné, c'eût été de se prosterner devant lui et de lui donner même en apparence, cette marque de déférence chrétienne qui est d'usage à l'égard des pontifes et qu'à Vienne Joseph II n'avait pas refusée au prédécesseur de Pie VII. Tout cela se trouvait sauvé par le fait d'une rencontre fortuite en pleine forêt un jour pluvieux du mois de décembre.

«La voiture du pape s'arrêta, dit l'un des témoins de cette scène, sitôt qu'il aperçut l'empereur.» Il sortit par la portière de gauche avec son costume blanc; il y avait de la boue; il n'osait mettre à terre son pied chaussé de soie blanche.

«Cependant il fallut bien qu'il en vînt là», raconte avec une sorte de triomphe l'aide de camp Savary, celui-là même qui avait eu mission de présider naguère à l'exécution du duc d'Enghien, et sur lequel Napoléon avait trouvé tout simple de s'en remettre du soin de régler les détails de son entrevue avec Pie VII. Tout avait été prévu en effet, et les pas comptés à l'avance.

Quand le pape fut à une distance convenable, l'empereur s'approcha à son tour, et tous deux s'embrassèrent. Il avait été réglé que l'empereur ramènerait le Saint-Père au palais de Fontainebleau dans sa propre voiture; mais qui monterait le premier ? C'est là qu'éclata toute l'habileté du futur duc de Rovigo.

Les conducteurs de cette voiture la firent avancer, comme par une sorte d'inadvertance, de manière qu'elle séparât l'un de l'autre Pie VIl et Napoléon. Des hommes apostés aux deux portières et qui avaient le mot d'ordre, les ouvrirent en même temps. L'empereur prit celle de droite, un officier de la cour indiqua au pape celle de gauche; ils montèrent tous deux ensemble. L'empereur se mit naturellement à droite, et ce premier pas, ajoute avec une satisfaction visible le zélé serviteur de Napoléon, décida de l'étiquette pour tout le temps que devait durer le séjour du pape à Paris.

A Fontainebleau, le pape fut reçu avec grande solennité par Joséphine, par la famille impériale et par la cour entière, réunie à l'entrée du bel escalier qui occupe le milieu de la façade du vieux château. «La joie rayonnait sur le visage de l'empereur», dit un autre témoin oculaire, tandis qu'il franchissait les degrés, accompagné de Pie VII. Ses regards, encore plus animés que d'ordinaire, semblaient dire: «Regardez, voilà ma conquête!»

Par l'effet du hasard ou par une nouvelle combinaison dont l'à-propos nous échappe, la marche du cortège était ouverte par le corps des mameluks que Napoléon avait ramené d'Égypte. «L'aspect du visage de ces circoncis et de leurs costumes orientaux transportait à La Mecque, et faisait croire à la présence d'un grand prêtre de Mahomet plutôt qu'à celle d'un pape.»

La figure de Pie VII, raconte M. de Pradt, témoignait de l'embarras qu'éprouve naturellement toute personne qui se sent dans un monde entièrement nouveau pour elle. On voyait que son pied, quoique baisé par tout le monde, ne se reposait pas avec confiance sur ce sol qu'il touchait pour la première fois. Le mélange d'une cour tout ecclésiastique, où des hommes qui n'étaient même pas tonsurés portaient le vêtement épiscopal, avec cette autre cour militaire resplendissante du luxe et de l'éclat bruyant des armes, présentait le plus saisissant contraste. On aurait pu se croire au Japon le jour où l'empereur du ciel et l'empereur de la terre se rendent visite devant le peuple... Au ministre Fouché, qui lui demanda comment il avait trouvé la France, le Saint-Père répondit avec un véritable attendrissement: «Béni soit le ciel ! Je l'ai traversée au milieu d'un peuple à genoux.»


Comte d'Haussonville:
L'Église romaine et le premier Empire.
(3)

Premier Empire et Restauration

Après la tourmente révolutionnaire la vie du village redevient paisible. Le culte est rétabli. Henri Froment précise que le maire, nommé depuis l'an 1800 par le Préfet, fut de 1806 à 1815, François César de Cordeboeuf-Beauverger, marquis de Montgon le nouveau châtelain. Ancien officier de l'armée royale il est resté fidèle aux Bourbons.

Comme l'enseignement a été trop longtemps négligé, le conseil municipal, se préoccupe de faire rouvrir une école dans un local vétuste en face de l'église, proche de la maison communale, donc situés à l'angle des actuelles rues Chevreul et du Général-de-Gaulle.

Vers la fin du Premier Empire, les événement se précipitent. Le ciel s'assombrit à nouveau sur Bourron et sur tout le pays. Les avis de décès de jeunes soldats sacrifiés au cours des lointaines campagnes napoléoniennes se multiplient. Les réquisitions ruinent les habitants. L'insécurité s'installe. Malgré la batterie d'une dizaine de canons hâtivement implantée au-dessus du Pavé du Roy dans le but de retarder l'envahisseur, les troupes prussiennes et bavaroises investissent la région et rackettent durement les autochtones.

Les gens du pays sont contraints de cacher leurs familles, leur bétail, les objets précieux et leurs réserves alimentaires dans des grottes dissimulées en forêt ou dans les bois du château, comme ils le feront en 1870-71 (1).

Même situation difficile durant les Cent-jours. «Invités à se rendre à Fontainebleau prêter serment de fidélité à l'empereur, les maires de Bourron et des communes voisines font répondre, assez vertement, qu'ils ont bien d'autres chats à fouetter avec toutes ces réquisitions, et qu'il faudra bien que Fontainebleau se contente d'une brève déclaration écrite... qui ne fut probablement même pas rédigée ! (1)»

Bourron retrouvera son ancien Maire à la Restauration. M. de Montgon avait démissionné à la chute de l'Empire pour se mettre au service de Louis XVIII. Il reprend par la même occasion, dans les actes qu'il signe, tous ses titres et ses grades prudemment mis de côté durant la période troublée qu'il vient de vivre.

De la Restauration à la Commune de Paris

De la Restauration en 1815 à la Révolution de 1848, Bourron et Marlotte vont connaître quelques décennies de paix. La population des deux hameaux, longtemps limitée à 700 ou 800 habitants après la saignée révolutionnaire et la ponction des guerres napoléoniennes, va croître inexorablement pour atteindre environ 1250 habitants vers le milieu du XIXe siècle, chiffre qui restera longtemps très stable. (1).

Essentiellement agricole, le village vit de son vignoble, de ses vergers (la pomme de Bourron est renommée, de ses pépinières, de l'exploitation des bois communaux ou privés, du maraîchage et du produit de ses fermes.

Le lecteur curieux trouvera dans l'ouvrage d'Henri Froment L'Histoire de Bourron-Marlotte des origines à nos jours (1), des détails très intéressants sur le coût de la vie, le prix des marchandises, les salaires et la rémunération du travail des adultes, des femmes ou des enfants, aux différentes périodes de la vie du village, notamment au XIXe siècle.

L'ancien maire, François-César de Cordebœuf-Beauverger, marquis de Montgon qui avait prudemment démissionné de son mandat à la fin de l'Empire fut remis en selle à la Restauration. Louis XVIII pardonna au marquis, ancien officier de l'armée royale resté constamment fidèle aux Bourbons son passé de maire sous le règne de l'usurpateur.

Dès lors, la monarchie durablement consolidée, le châtelain, redevenu premier magistrat de sa commune, reprendra dans le préambule des actes qu'il signe, la noble formule:

«Nous, Jacques-François-César de Cordeboeuf-Beauverger, marquis de Montgon, Maréchal des Camps et Armées du Roi, chevalier de l'Ordre Royal et Militaire de Saint-Louis et de Saint-Lazare de Jérusalem, Maire...»

En 1823 il y rajoute l'Ordre du Lys, réservé aux fidèles du régime, et il signe: «le Général-Marquis de Montgon». (1)

C'est sous son administration que sera établi, en 1825, le premier cadastre de la commune.

Si la Révolution de 1830 n'entraîna pas de remous notables dans la région, il n'en sera pas de même pour celle de 1848. Bourron connut quelques violentes échauffourées, notamment au cours des "fameuses journées de juin", où des opposants voulurent empêcher par la force les Gardes Nationaux de la commune à gagner Paris pour une réunion.

Le marquis Barthélémy de Montgon qui avait succédé à son père en 1829 n'était jamais parvenu à se faire apprécier par ses administrés. Déjà peu aimé et très controversé, il fut suspendu et remplacé par François Cabin et Pierre Maroteau deux vignerons républicains respectivement maire et adjoint de la commune.

J-F Cabin Maire
Jean-François Cabin
Maire de Bourron de 1848 à 1852, ancêtre d'Henri Froment

L'abbé Oudin, trop engagé dans la défense du trône et de l'autel doit se réfugier à Fontainebleau.

L'une des principales difficultés de ce temps résidait dans les litiges incessants opposant les paysans au pouvoir suite à l'incursion destructrice du gibier royal sur leurs terres, sans indemnisation de leurs dommages.

Le maire fut contraint de nommer des gardes assermentés pour refouler et maintenir le gibier sur le domaine royal.

L'École

L'école aussi posait problème. Après des années d'illetrisme institutionnel programmé par la république des sans-culottes, l'école des garçons fut réouverte sous l'Empire, vers 1810. Sous l'impulsion du curé de la paroisse et de l'instituteur et conseiller municipal Savinien Guiou, les garçons de Bourron et de Marlotte réapprirent à lire, à écrire et à compter.

De 1816 à 1877, ce sont les Pelletier, une dynastie d'instituteurs qui prit la relève au presbytère, inculquant, les rudiments d'un enseignement primaire à des générations de petits paysans.

En 1840, la commune acquit en face de l'église, une maison certes modeste mais dont le toit allait abriter à la fois le presbytère, l'école et la mairie. La reconstruction de l'église, nous dit Henri Froment, libéra la «maison d'école» de l'hébergement du presbytère, mais l'école y demeura jusqu'en 1883 et la mairie jusqu'en 1933.

Ancienne Mairie
Ancienne Mairie-École

Quant à l'enseignement des filles, il sera assuré dès 1842 par les Sœurs de la Doctrine Chrétienne, appelées dans le pays par le curé Oudin, congrégation à laquelle appartenait sa sœur qui y enseignait.

Avant même que ne s'ouvre une première classe maternelle dans la «maison d'école», l'année 1852 voit Marlotte créer une «salle d'asile publique» pour bambins, car l'école de Bourron est trop éloignée pour les tout petits.

Longtemps encore on appellera «asile» la garderie de l'école où des religieuses dispensaient un enseignement rudimentaire institué ici et là en France dès 1826 pour libérer les mères obligées de travailler aux champs ou dans les manufactures.

Henri Froment : Histoire de l'enseignement à Bourron-Marlotte

Bistrots et Auberges

Entre 1848 et 1850, l'apparition de deux bistrots accueillants, appartenant au menuisier Saccault et au bourrelier-matelassier Antoni, favorisera le séjour d'écrivains, de poètes et d'artistes-peintres parisiens venus croquer la nature sur le motif.

Lorsque des chambres d'hôtes eurent complété l'installation sommaire de ces établissements, Henry Murger et ses amis y créèrent un véritable cénacle.

Cette colonie d'artistes dont parlaient les gazettes parisiennes attira touristes et curieux avides de connaître cette ambiance joyeuse si bien décrite dans les Scènes de la Vie de bohême, roman qui valut gloire et fortune à son auteur.

Notons au passage que si dans ses livres et sa vie libre Murger apparaît comme un joyeux drille, ses amis, témoins de son intimité, parlent aussi de son caractère taciturne et de longs moments de déprime.

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Hôtel de la Renaissance

Le 14 août 1860, l'arrivée du chemin de fer dans la région apportera à Bourron, Marlotte, Grez, Montigny et les autres communes d'alentour une vivifiante bouffée d'oxygène, relançant avec bonheur une économie stagnante.

Une nouvelle route directe reliant Fontainebleau à Marlotte et à Montigny, facilita l'accès à ces villages, favorisant le développement du commerce déjà stimulé par l'afflux de visiteurs et l'écoulement des produits régionaux vers la capitale.

Cette ouverture sur le monde vaudra aux villages de Marlotte et de Bourron, encore éloignés l'un de l'autre d'un quart de lieues, une renommée dépassant de très loin le modeste rayonnement de cette première communauté artistique réunie à autour de Murger.

Le bouillonnement d'idées, d'esthétiques diverses, souvent opposées, qui éclosent ici, seront à la base de la fantastique révolution intellectuelle et artistique qui va secouer et submerger l'Europe tout entière.

Le château

A la mort du marquis François de Montgon, en 1829, ses biens furent partagés entre ses deux fils, sa veuve se réservant l'usufruit du château, avec une clause lui permettant de percevoir une rente si le domaine venait à être vendu.

Le fils aîné, Barthélémy de Montgon, succédant à son père à la mairie et héritant de la majorité des biens et du château, se révéla un piètre administrateur doublé d'un fieffé coquin. Joueur invétéré, coureur de jupons, il dilapida rapidement la fortune familiale et s'endetta outrageusement.

Haï par les habitants pour ses incartades et l'exercice d'un droit de cuissage suranné, ce jeune marquis prédateur, non content de ruiner les finances de la commune, spolia le village de la source Saint-Sévère qui lui appartenait depuis deux mille ans. L'ayant inclue dans son propre patrimoine afin de revendre son eau, elle appartient aujourd'hui encore au domaine du château, n'ayant jamais été restituée à la commune! Cela dit, vu l'incivisme ambiant, notre belle fontaine est sans doute mieux protégée des déprédations et mieux entretenue par les châtelains actuels.

Complètement ruiné, Barthélémy de Montgon dut céder le château et son domaine au baron de Brandois.

En 1864, le château de Bourron appartint pour quelques années des Brandois aux Piolenc.

Ce fut la marquise douairière Adrienne de Piolenc, née Adrienne de Morgan (1809-1877) qui acquit le château. Elle y mena joyeuse vie et grand train jusqu'à sa mort, en compagnie de son fils Joseph-Marcel, et de sa belle-fille Charlotte Jacqueline Gaigneron Jollimont de Marolles.

Joseph de Piolenc (1838-1912) avait hérité le marquisat en 1859 à la mort de son père Joseph-Marcel-Alexandre. Tout jeune officier de voltigeurs il s'était illustré à la bataille de Malakoff. Les noces somptueuses qui l'unirent à Charlotte furent célébrées en 1864 au château de Bourron.

Voici comment Henri Froment nous décrit cet épisode de notre histoire:

«La marquise-douairière de Piolenc, nouvelle châtelaine depuis 1864, est une grande dame de haut lignage qui reçoit beaucoup, en compagnie de sa belle-fille et de son fils le jeune marquis, ancien officier du Second Empire qui s'est illustré à Malakoff, en Crimée. Il a quitté le service actif, mais garde des liens étroits avec la garnison de Fontainebleau. Il gère ses biens de Bourron, où il est Conseiller municipal. Lieutenant de Louveterie, il peuple son parc de daims et de chevreuils et organise dans ses bois de fumantes parties de chasse. C'est le temps glorieux des équipages, et le curé Pougeois finit par refuser d'aller déjeuner au château le dimanche, car il se trouve très gêné à la vue des aristocratiques épaules généreusement découvertes de ces dames, dont les robes à crinolines, fort étoffées dans le bas, le sont très peu dans le haut!»

Adrienne de Piolenc décèdera, au Château de Belloy-sur-Somme, en 1878, à l'âge de 69 ans.

L'église

Au milieu du siècle, l'église Saint-Sévère bien que sommairement rafistolée en 1816, à l'initiative de Mlle Delphine de Montgon, sœur de châtelain, menaçait à nouveau ruine. L'abbé Oudin, fin lettré et curé dynamique, mais très imprudent dans ses comptes prévisionnels, avait entrepris de coûteux travaux de restauration pas trop bien conçus et des acquisitions contestées par le maire, qui entraînèrent un endettement excessif.

Par bonheur, M. de Brandois, le nouveau châtelain, combla le déficit, et, nous dit Henri Froment, prit pratiquement à sa charge les frais de la restauration complète de l'église.

Entre 1840 et 1848 le presbytère est déplacé en prévision des gros travaux nécessités par la restauration de l'édifice.

Hone église de Bourron
Nathaniel Hone : rue de l'Église avant sa restauration (1855)

Un nouveau cimetière voit également le jour, où l'on transfère «les tombes encore identifiables dans le vieux cimetière entourant l'église, notamment celles de la famille de Montgon; elles furent regroupées dans le carré central, où elles se trouvent toujours. Les vieilles croix de fer de l'ancien cimetière que les familles ne réclamèrent pas furent réutilisées comme croix de carrefour ou croix de mission. » (1).

Ce cimetière est toujours le nôtre. Quant à Marlotte, sa population augmente plus vite que celle de Bourron, les deux villages ne se trouvant réunis au sein d'une même commune qu'en 1919.

Activité économique

Entre 1815 et 1870, le travail ne manque pas à Bourron et Marlotte. Entre l'exploitation des carrières de grès, celle du bois de chauffage et de charpente, la culture des vergers, des champs et des jardins, l'élevage, la pêche et le braconnage, le petit peuple parvient à manger à sa faim.

Parallèlement à la construction du chemin de fer le transport fluvial se développe lui aussi facilitant l'échange des marchandises lourdes ou encombrantes.

Le roi Louis-Philippe et la famille royale séjournent souvent à Fontainebleau ce qui entraîne de gros travaux de restauration et d'entretien et du travail pour les artisans de Bourron et leurs compagnons.

Napoléon III et sa Cour aiment aussi beaucoup Fontainebleau, où l'on continue les travaux; l'impératrice vient volontiers jusqu'ici dans sa petite voiture à un seul cheval, avec sa dame de compagnie.

Le petite histoire parle aussi à mi-voix, de mystérieuses escapades d'Eugénie au «Château joyeux» lorsque l'Empereur est à la chasse.

L'abbé Pougeois auteur d'une biographie de l'orientaliste Michel Vansleb, mort dans la misère et enterré à Bourron en 1679, parvient à intéresser l'empereur à son histoire et à financer la restauration de sa tombe dans l'église. Le monarque accorda même une subvention qui permit à l'abbé de faire éditer son ouvrage.

Ce fut l'écrivain Octave Feuillet, bibliothécaire du château de Fontainebleau, qui, en 1868, lui remit en mains propres ces six cents francs, dans son presbytère de Bourron. Abbé Pougeois

Lorsque la guerre de 70-71 s'achève par la cuisante défaite militaire que l'on sait, entraînant la chute du Second Empire, l'invasion allemande, l'avènement de La Commune et beaucoup de malheurs, c'est l'extinction des feux et la fête joyeuse semble finie.

L'occupation allemande du château et l'installation d'une "ambulance" prussienne occasionnent de nombreuses dégradations. Le château est même à deux doigts d'être incendié par représailles (1).

En 1878 la famille de Montesquiou-Fezenzac succède aux Brandois et aux Piolenc. Leurs descendants en sont aujourd'hui encore les heureux et dynamiques propriétaires.

La Guerre de 1870 et l'occupation allemande
Souvenirs de l'invasion de 1870-1871
(D'après les notes d'un habitant de Bourron transcrites par Isidore Lenoble)

Vue du Chateau

Pendant la malheureuse guerre de 1870-1871, Bourron eut à subir continuellement, pendant près de six mois, des passages et des logements de troupes allemandes. Il eut, en outre, à fournir de nombreuses réquisitions et à payer des sommes d'argent comme contributions de guerre. Le relevé officiel des frais occasionnés par l'occupation allemande pour la commune de Bourron accuse d'une dépense de 55.615 frs (cinquante cinq mille six cent quinze francs).

La première apparition des Prussiens à Bourron eut lieu le 22 septembre 1870. C'était un détachement de 550 hommes de la garde royale de Bavière qui marchait sur la Loire, après la capitulation de Sedan. Dans la montagne sableuse, la route avait été interceptée par des abattis d'arbres, par des tranchées et des barricades de pavés. Les Prussiens sommèrent les habitants de Bourron d'aller à la hâte enlever les barricades et combler les tranchées.

Les coups de crosse de fusils et de plats de sabre pleuvaient sur ces pauvres enfants de la France, que nos cruels envahisseurs obligeaient, sous peine de mort, à travailler contre leur patrie et qu'ils fusillaient s'ils osaient travailler pour elle.

La seconde invasion eut lieu le 14 septembre 1870. 5000 Prussiens de l'armée de Frédéric Charles qui marchait sur Orléans, après la honteuse capitulation de Metz et la victoire des Français à Coulmiers, s'abattent sur Bourron. C'était un mélange habilement combiné de Westphaliens, de Hessois, de Hanovriens, de Wurtemburgeois, de Sleswig-Holsteins, etc.

La première invasion n'avait été qu'une ondée, celle-ci fut un déluge. La commune fut écrasée à la fois par le nombre de ces tristes ennemis, par leurs exigences, leurs brutalités et leur rapacité. Chefs et soldats rivalisèrent d'insolences et d'odieuses vexations.

Le Général Chanzy qui commandait l'armée de la Loire, luttait avantageusement contre le prince Frédéric Charles et faisait beaucoup de mal à l'armée prussienne. Celle-ci ayant besoin de renforts, un corps de 30 à 40.000 hommes fut détaché de l'armée de siège qui bloquait Paris et se porta sur la Loire. Une portion considérable de ce détachement appartenait à l'armée royale de Prusse. Bourron fut encore envahie le 3 Janvier 1871 par 4 à 5000 de ces Prussiens commandés par le Général Koblinski, polonais de nation.

Généralement, les habitants eurent moins à se plaindre, cette fois, des brutalités et des déprédations des soldats allemands. Néanmoins, comme dans les autres invasions les maisons abandonnées de leurs habitants furent littéralement mises au pillage.

L'autorité prussienne frappait les communes de contributions exorbitantes. Bourron qui ne versa effectivement que 4000 francs était imposé à plus de 35.000 francs. Quelques communes se sont hâtées de tout payer pour se libérer et se mettre à l'abri des vexations ennemies.

Mais pour qui connaissait les Prussiens, c'était une naïve générosité, car plus on leur donnait plus on aiguillonnait leur cupidité. Les communes qui ont eu la fermeté de résister sans s'effrayer des instances de l'ennemi, ont pu sauver leurs écus, mais il faut dire aussi que le plus souvent le Maire et quelques notables étaient emmenés en prison par les Prussiens avec menaces d'être transportés en Allemagne.

C'est ainsi que le mercredi 22 février, les Prussiens stationnant à Fontainebleau viennent réclamer une somme de 7.000 francs à valoir sur une imposition de guerre de 34.000 francs mise à la charge de la commune de Bourron.

M. Guyou, Président de la Commission municipale, déclare qu'il n'a entre les mains que 1000 francs; il consent à les leur verser, mais à la condition qu'ils n'emmèneront aucun otage. Les Prussiens reçoivent cette somme et disent ensuite au Maire: "Vous allez nous suivre." M. Berger, rentier, étant venu sans défiance parler à M. Guyou fut emmené prisonnier avec lui.

M. l'abbé Pougeois, curé de Bourron et son frère aumônier de l'armée de Metz, outrés de cet acte de la barbarie prussienne, croient l'occasion favorable pour exciter le patriotisme des habitants et provoquer de leur part une protestation courageuse contre un pareil abus des droits de la guerre. L'aumônier parcourant Bourron et Marlotte fait un appel aux hommes de bonne volonté et les invite à se joindre à lui pour aller à Fontainebleau redemander à l'autorité prussienne le Maire de la commune.

En effet, vers 2 heures de l'après-midi, près d'une centaine d'hommes tant de Marlotte que de Bourron se trouvent au rendez-vous indiqué sur la place publique à Bourron et partent en corps pour Fontainebleau. Sur la route, avant d'être en vue de l'obélisque, où se trouvait un poste de sentinelles prussiennes, il se divisent par groupes de 8 et 10 et se séparent pour entrer dans la ville par différentes portes, sans exciter l'éveil des factionnaires, se donnant rendez-vous sur la place de la sous-préfecture où résidait le commandant prussien.

Otages-Bourron
Otages de Bourron à la prison de Fontainebleau en 1871

Malheureusement, ce commandant qui prenait le titre de sous-préfet était parti à Melun d'où il ne devait rentrer que le lendemain.

M.M. Pougeois et Noret membre de la commission municipale de Bourron se présentèrent chez l'adjudant M. de Bernis, qui remplaçait le sous-préfet absent, dans le but de réclamer auprès de cet officier la mise en liberté du maire de Bourron. L'officier se montra on ne peut plus poli et respectueux pour les solliciteurs, mais il déclara qu'en l'absence du sous-préfet, il n'était que le gardien des prisonniers et qu'il ne pouvait, de sa propre autorité prononcer leur mise en liberté. Il offrit aux délégués de Bourron un permis pour visiter les prisonniers, ce qu'ils firent avec empressement.

Ils trouvèrent à la prison, avec M.M. Guyou et Berger, M. Roux, président de la commission municipale de Nemours, M. Lavaurs, Maire de Montigny sur Loing.

Ils rendirent compte à M. le Maire de Bourron de leur démarche et furent heureux de féliciter tous ces prisonniers de leur patriotisme.

La démarche eut le résultat souhaité, le lendemain, au retour du sous-préfet prussien, M. Guyou fut renvoyé à Bourron. Toutefois M. Berger fut gardé en prison pendant huit jours.

Après les préliminaires de paix ratifiés le 1er mars par l'Assemblée nationale de Bordeaux, Bourron logea successivement trois détachements de troupes prussiennes se retirant vers l'est (18-19 et 22 mars 1871).

Pendant l'invasion, pour soustraire leurs animaux à la rapacité des ennemis, les habitants de Bourron et de Marlotte avaient préparé des cabanes dans les rochers de la forêt. On en construisit un certain nombre dans les bois dépendant du château, entre Bourron et Recloses; mais les plus nombreuses, les plus vastes et les mieux conditionnées se trouvaient parmi les rochers abrupts et solitaires du Long-Rocher, sur les confins de Marlotte et de Montigny.

Ces cabanes étaient solidement construites avec des arbres, des branches et du gazon et resteront probablement longtemps visibles pour la curiosité des âges à venir.

Dans les jours où l'arrivée subite des Prussiens était à craindre, les hommes, les femmes et même les jeunes filles quittaient leurs maisons avant l'aurore, partaient dans les bois avec les chevaux et les vaches. C'était une précaution nécessaire, mais fort pénible, au cœur d'un hiver des plus rigoureux.

On se souviendra longtemps à Bourron de l'invasion de 1870-1871.

TEMPS MODERNES (1870-1950)

Henri Froment

Froment : histoire bourron
Henri Froment : Histoire de Bourron-Marlotte Édité par les A.B.M.

Les Seigneurs et Châtelains de Bourron

d'avant 1150 à 1380 : les Bourron ou Boron

de 1380 à 1440 : les Villiers

de 1440 à 1465 : Denis de Chailly

de 1465 à 1487 : les Melun

de 1497 à 1708 : les Sallard

de 1700 à 1726 : les Beringhen

de 1726 à 1796 : les Varennes

de 1796 à 1849 : les Montgon

de 1849 à 1864 : les Brandois

de 1864 à 1878 : les Piolenc

de 1878 à nos jours : les Montesquiou

Les Maires de Bourron de 1790 à nos jours :
Maires de Bourron-Marlotte

Quelques Curés, Abbés et Vicaires de Bourron

Abbé Pierre Pontroÿs curé de 1613 à 1653, durant 40 ans.

Abbé Souillard, curé de 1691 à 1726.

Abbé Jacques Labbé, curé de 1727 à 1737 (?).

Abbé Roquignot, curé de 1737 (?) à 1745.

Abbé Pierre Rousset, curé de Bourron de 1754 à 1793.

Abbé Lacorrège, curé de 1803 à 1818.

Abbé Jean Oudin, (1807-1880), curé de 1841 à 1848.

On lui doit, à partir de 1842, l'ouverture d'une classe d'enseignement des filles de la commune classe tenue par les Sœurs de la Doctrine Chrétienne qu'il a fait venir dans le pays et où enseigne sa propre sœur. (1)

Abbé Brion, curé de 1848 à 1848, qui ne tiendra guère durant les émeutes révolutionnaires.

Abbé Louis-Alexandre Pougeois, curé de 1848 à 1872.

Monuments et Curiosités

Église Saint Sévère

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Église de Bourron en 1909
Sainte Avoye* est traditionnellement associée à Saint Sévère*, comme patronne de la paroisse.

L'existence d'un église à Bourron, au même emplacement, près de la demeure seigneuriale et de la source, remonte au Moyen-Âge. L'abbé Villemin fait remonter son origine au Xe siècle; Albert Bray, architecte des Monuments historiques précise qu'elle date probablement de la seconde moitié du Xe siècle. (ABM N°44). M. Froment, signale dans la note 114 de son ouvrage (1) les quelques éléments permettant de dater l'édifice notamment les arcs en plein cintre entre les piliers massifs, les impostes à la retombée des arcs, l'arc doubleau à la limite de la nef et l'ancien chœur, etc.

Selon les travaux de M. Patin, l'église Saint-Sévère s'élèverait à l'intersection de deux axes de l'ancienne cadastration romaine et se trouve orientée selon ces axes. Il se peut donc qu'elle ait été construite sur l'emplacement d'un ancien monument gallo-romain.

Les guerres de Cent ans et de Religion ayant sérieusement malmené l'édifice, nécessitèrent d'importantes restaurations aux XVe et XVIe siècle avant les travaux d'agrandissement et les modifications intervenues de 1850 à 1860, «qui lui ont ôté une partie de son cachet rustique d'église gâtinaise en supprimant son clocher trapu au toit en double pente, très caractéristique de la région...» (H.F.)

Le transept, une partie du chœur et de la nef sont classés, ainsi que quelques statues et divers objets inscrits à l'inventaire du patrimoine.

L'Orgue de Bourron
L'église Saint-Sévère possédait un orgue de 10 jeux sur 2 claviers et un pédalier construit à partir d'éléments anciens par Bernard Dargassies qui fut inauguré en 1988 par Anne-Marie Barat.

Au fil des ans, cet orgue subit les rigueurs du temps dans une église mal chauffée et n'offrit plus aux organistes qui venaient jouer sur ses claviers l'excellence souhaitable.

La Mairie, quelques associations dynamiques et motivées s'associèrent pour l'acquisition et l'installation d'un nouvel instrument digne de la tradition de notre village d'art.

Cet orgue de 15 jeux sur 2 claviers et pédalier, d'esthétique romantique allemande, a été construit par le facteur d'orgues Yves Fossaert de Mondreville (77).

Sa bénédiction eut lieu le Samedi 7 Décembre 2013 et fut suivie d'un magnifique récital joué à 4 mains par Marie-Ange Leurent et Eric Lebrun. Orgue de Bourron

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Nouvel orgue de Bourron-Marlotte
Sans doute, ce prestigieux instrument suscitera-t-il de jeunes vocations dans notre village et alentour, comme au XIXe siècle des peintres unirent leurs talents pour former le célèbre "Groupe de Marlotte".

*Sainte Avoye. La tradition la fit naître en Sicile, au 4e siècle. Ayant refusé les avances d'un jeune homme épris de sa beauté elle s'enfuit loin de chez elle. A la mort de son père, à l'enterrement duquel elle voulut assister, sa mère voulut lui faire épouser un prince de Bretagne. Durant ce voyage elle fut capturées par les Huns avec ses compagnes, parmi lesquelles Sainte Ursule. Avoye en sortit saine et sauve, mais captive d'un chef barbare qui souhaita la prendre pour épouse. Elle réussit à se libérer et s'en fut solitaire dans la région de Boulogne où sa beauté et sa charité firent "miracles et merveilles". Si belle que soit cette légende, elle n'est pas historique.

*Saint Sévère (Sulpicius Severus, né en 363 décédé vers 420). Etudiant en droit, il devint avocat à Bordeaux avant de séjourner à Toulouse où il entama une carrière prometteuse. Affligé par la mort prématurée de son épouse qu'il chérissait, il se retira dans un ermitage près de Béziers, vivant en ascète, avant d'entreprendre des études de théologie dans un couvent de Marseille. Ordonné prêtre, il se rendit auprès de saint Martin de Tours dont il fut le disciple et le biographe.

Les Artistes

«Le nom de Barbizon, nous dit Bernard Champigneulle (3), n'est souvent qu'une aimable enseigne posée un peu abusivement par les paysagistes d'une certaine époque. En réalité la plupart des villages en lisière de forêt que nous allons visiter ont été habités par de petits groupes d'artistes et d'écrivains qui participèrent au rayonnement de cette entreprise artistique et littéraire dont le siège social se trouvait dans les sentes et les clairières du massif de Fontainebleau.»

«Marlotte pourrait même revendiquer des droits de paternité. Dès 1822, Corot et son ami Michallon - ils avaient tous deux vingt-cinq ans - y séjournèrent, et peignirent les premiers paysages connus de la Gorge aux Loups et de La Mare aux Fées.

Caruelle d'Aligny, le richard de la bande, partageait son temps entre Barbizon et Marlotte, où il fit construire une maison qui fut reprise par Corot. Daubigny et Jules Breton, Renoir, Sisley et Cézanne furent aussi des familiers de Marlotte. Olivier de Penne, peintre animalier connu pour ses scènes de chasse, y passa ses dernières années. Alfred de Musset y vint fréquemment entre 1830 et 1857.»

La «villa Murger» est restée célèbre. L'auteur de La vie de Bohème, généralement accompagné d'une grisette, bien entendu, fut une des personnalités marquantes et accueillante du pays. Son enthousiasme, entretenu par de grandes rasades de café et d'alcool, était communicatif; on vit débarquer des bandes joyeuses de romanciers, de musiciens et de poètes. Théodore de Banville, puis François Coppée y passaient leurs vacances. Zola écrivit L'Assommoir à l'auberge de la mère Anthony dont la fille passe pour avoir inspiré le personnage de Nana. (3)

murger
Henry Murger (1854)

La lignée littéraire ne s'est point interrompue. C'est à Marlotte que, selon la tradition, Jules Renard aurait écrit Poil de carotte. L'école du village porte d'ailleurs son nom. Au cours de l'été 1884, Octave Mirbeau effectue une randonnée à pied entre Bourron-Marlotte et Bourbon l'Archambault, escapade qu'il évoque dans Sac au dos. Paul et Victor Margueritte y possédaient une villa où s'élaboraient leurs romans à succès. Le séjour fut également apprécié par le sévère Brunetière, par François de Curel, par Stuart Merrill, américain de nationalité, symboliste français de cœur, par les poètes Moréas, Paul Fort, Fernand Gregh, Paul Claudel. Et j'en oublie.

Sans connaître les week-ends bruyants de «Barbizon pris d'assaut par des hordes de parisiens sots et snobs», Marlotte ne ressemble plus guère à ce qu'il était au temps de Murger.

En 1860, dans une lettre à sa mère, Ludovic Halévy écrit :

«Le singulier pays, ma chère petite mère !; Une centaine de vraies chaumières en pleine forêt de Fontainebleau, habitées par une centaine de paysans, par Murger, par trois rapins inconnus et par onze mille chiens pour le moins. Nous sommes arrivés hier à cinq heures. Murger et Paul Dhormoys nous attendaient sur la route. Nous avons quitté la patache qui nous cahotait depuis une heure à travers la forêt et nous avons fait notre entrée dans le village au milieu d'une belle haie de vilains chiens qui sortaient par bandes des ruelles et des maisons. Quand je dis «maisons», je suis poli. Les Parisiens étaient réunis chez le charron. C'est le personnage le plus important de l'endroit. Il tient un cabaret qui est le Café Anglais de Marlotte et j'y ai découvert l'élixir de Lamartine. C'est une manière de curaçao contenu dans une bouteille sur laquelle est collée une étiquette dont le style du chantre d'Elvire fait tous les frais.

Le grand homme écrit à l'inventeur de cette drogue que sa découverte est admirable, qu'il n'y a pas de liqueur comparable à sa liqueur..., etc. En fin de quoi il signe en toutes lettres «Lamartine». Je te dis la vraie vérité. Voilà le punch Grassot et le vermouth Lassagne bien dépassés. Mais je reviens à mon charron qui porte le nom poétique d'Anthony. Étaient présents à son cabaret (écoute bien ces grands noms) Gomsey fils, peintre; Sainte-Marie, idem; Lefèvre, Daumier fils, idem; Chabouillé, architecte; Murger, Dhormoys, Busnach et moi nous avons complété le groupe qui, tu le vois, réunissait les gloires les plus pures et les plus incontestées de la France.

Le pays est charmant et si vous habitiez une de ces cabanes que j'ai là devant les yeux, au milieu des plus beaux arbres du monde, c'est dans un trou comme celui-ci que j'aurais grand besoin de passer un grand mois. Mais comme vous êtes à Auteuil, comme il y a un Moniteur de l'Algérie qui m'attend, je partirai mercredi matin pour dîner le soir avec vous et reprendre jeudi mon train-train de bureaucrate.

Ludovic Halévy: lettre à sa mère, 1860. (3)

«On mène à peu près le même genre de vie à l'auberge de la mère Anthony qu'à celle du père Ganne, et pour le même prix: quarante sous par jour. Renoir et Sisley y prennent leurs quartiers en compagnie de Jules Le Cœur, architecte qui a abandonné son métier pour se consacrer à la peinture et qui voue à Renoir une admiration des plus efficaces.»

«Le Cœur, Sisley, Renoir. Les deux premiers vivent dans l'aisance, Renoir est presque dans la misère. Il lui arrive de venir de Paris à Marlotte à pied. En deux jours. Dormant le soir dans une grange. Le trio est inséparable. Ils partent pour de grandes randonnées à travers la forêt, vers Recloses, Milly, le château de Courances.

Dans l'œuvre de Renoir de cette époque nous les voyons vivre: Jeune homme se promenant dans la forêt de Fontainebleau, où son ami et mécène Jules Le Cœur figure de dos et L'auberge de la mère Anthony, où figurent à nouveau Jules Le Cœur, la patronne (de dos), Sisley debout et Pissarro de dos entourant Franck Lamy, Nana faisant le service avec le caniche Toto au premier plan.

Plus tard il peindra Le couple Sisley et nous verrons souvent Lise, la jeune sœur de l'amie de Jules Le Cœur, petite brune bien en chair, de carnation éclatante, qui semble avoir marqué l'œuvre de Renoir pour toujours. »

Deux tableaux d'Auguste Renoir peints à Marlotte :
À gauche :
Jeune homme se promenant dans la forêt de Fontainebleau
À droite :
Auberge de la mère Antoni

«Pour Sisley, quels que soient ses voyages, la forêt reste le port d'attache. Lorsqu'il meurt en 1899, dans sa maison de Moret, Cézanne avait déjà, à plusieurs reprises, pris le chemin de Marlotte, comme s'il fallait assurer le relai.»

«Aujourd'hui Montigny-sur-Loing et Marlotte se sont rejoints. Une église du XVe siècle est juchée sur un promontoire où l'on accède par des escaliers. Les anciennes maisons rurales font bon ménage avec celles qui ont été bâties sans tapage par des Parisiens épris de verdure et de repos champêtre. Ce n'est point la banlieue. Jardins mystérieux, terrasses fleuries sur la rivière, tout y dit les plaisirs tranquilles. Le XIXe siècle n'y a pas fait étalage de ses ridicules et de ses ostentations. C'est Montigny que Guy de Maupassant a choisi dans Notre cœur, pour tenter d'y guérir André Mariolle d'un désespoir d'amour.» (Bernard Champigneulle) (3)

Maupassant : Notre cœur

Croquis portraits et clins d'œil

Marquis de Brunoy

Le village de Brunoy date du VIIIe siècle, il figure dans les gestes du roi Dagobert sous le nom de Bruadanum (5).

Ce bourg, entre Paris et Fontainebleau, est célèbre par la curieuse histoire du marquis de Brunoy, gentilhomme fort riche et fort extravagant, disent les chroniques du temps.

A dix ans, le gamin donna un coup de couteau à son percepteur qui lui faisait une observation et ce geste fut accompli en présence de vingt convives rassemblés autour de la table paternelle.

Le marquis se maria à vingt ans et sitôt après la messe ne voulut jamais revoir sa femme. Son goût préféré était l'organisation de somptueuses processions religieuses; il habillait les prêtres et les paysans de chasubles luxueuses y déployant un faste inouï, il régalait tout le monde, paysans comme grands seigneurs et la procession se terminait par une immense orgie. Il fit décorer l'église paroissiale comme un salon ou un boudoir de dame.

Mais il mit le comble à ses extravagances, à la mort de son père tué par le chagrin que lui causa sa méconduite.

«Tous les domestiques furent habillés de serge noire. Six aunes de la même étoffe furent distribuées à chaque habitant, les arbres portèrent des pleureuses.

Voulant donner à son château quelque chose de l'aspect qu'offre le cheval qui suit le convoi funèbre de son maître, il le couvrit d'un immense crêpe. Le canal coula de l'encre au lieu de l'eau et il poussa la frénésie du deuil jusqu'à s'informer, auprès d'un célèbre chimiste, des moyens qui existaient pour obtenir des chevaux des sécrétions lugubres. Bref, il voulut et il obtint, que ses chevaux pissassent noir.» (4).

Détesté des seigneurs, il annoblit ses valets et ses serviteurs: «son vigneron fut nommé marquis de la Chopine-vieille; son tonnelier, marquis de la Futaillère; son sommelier, marquis de la Bouteillerie... depuis ce moment on vit, dans ce bourg fortuné, des marquis étriller les chevaux et aller faire la moisson» (4).

La procession de la Fête-Dieu du 17 juillet 1772 dépassa toutes les orgies précédentes. Le vin y coulait en fontaine. On établira en terre trois puits qu'on emplit de limonade. D'immenses bassins furent installés pour y puiser de la confiture; le marquis acheta vingt-cinq mille pots de fleurs et loua la présence de cent-cinquante prêtres, à plus de dix lieues à la ronde.

Cette procession fut sa perte; après bien des vicissitudes, Brunoy fut acquis par le comte de Provence, père de Louis XVI, et le malheureux marquis d'abord réfugié chez son ami François de Varennes au château de Bourron, mourut à Saint-Germain-en-Laye à trente-trois ans, victime d'une lettre de cachet.

Le comte de Provence devint Louis XVIII !

Bourron ancien
Maison où aurait vécu Michel Vansleb

Père Michel Vansleb

Le père Michel Vansleb ou Wansleben (1635-1679), féru de langues orientales, se rend en 1664 en Égypte, dans le but d'aller en Éthiopie. Il y retourne, en 1672-1673, chargé par Colbert, ministre de Louis XIV, d'une mission d'achat de manuscrits. Il visite le Fayoum, Saint-Antoine, et va jusqu'au monastère Blanc de Sohag mais ne dépasse pas cette agglomération de Haute Égypte.

Michel Wansleben ou Vansleb fut un personnage vraiment hors-série. Né en Thuringe en 1635, fils d'un pasteur protestant, il fit de bonnes études à l'Université de Saxe, puis devint soldat, précepteur, commerçant, tout en étudiant avec ardeur les langues orientales.

Enfin, il fut chargé d'une mission en Orient par le souverain de Saxe. C'est pendant ce voyage qu'il se fit catholique, au Caire, puis il entra chez les Dominicains à Rome, dans ce couvent où Galilée avait été contraint d'abjurer ses convictions scientifiques. Vansleb y travailla à ses récits de voyages et se perfectionna dans les langues orientales, domaine dans lequel il se fit rapidement une réputation européenne.

A cette époque, Colbert se préoccupait de constituer pour Louis XIV une bibliothèque précieuse. Il lança à cet effet, vers l'Orient des dépisteurs de livres et de manuscrits rares. Vansleb fut de ceux-là; pendant quatre ans, il parcourut tout l'Orient, non sans mésaventures: il fut battu, volé, emprisonné; il était malade et peu pourvu d'argent, et cependant il réussit à faire parvenir à Colbert plus de quatre cent manuscrits ou livres arabes, turcs, persans, coptes, grecs, etc.

Colbert lui confia sans doute également une mission plus discrète : celle de le renseigner sur le commerce et l'industrie dans cette région du monde.

Dans son rapport, Michel Vansleb lui adressa un tableau très précis des denrées que l'on vend et achète à Alexandrie : «Et puis que je suis sur la matiere du trafic, je mettray icy, pour la satisfaction des Marchands François, une tres-exacte liste de toutes les marchandises qu'on transporte de l'Egypte en Chrestienté, & qui viennent de là en Egypte soit par la voye de Marseille, soit par celle de Ligorne, ou par celle de Venise, avec leur prix courant en l'année 1673.»

Il se trouvait à Constantinople lorsque Colbert le rappela brutalement: c'était la disgrâce complète, sans que Vansleb lui-même eût su pourquoi. On peut penser que certaines de ces démarches secrètes, avaient sans doute indisposé quelques puissants personnages qui s'en étaient plaints, et que Colbert l'avait froidement lâché.

Quoi qu'il en soit, le pauvre Vansleb, abandonné de tous, malade, sans ressources et las de se battre en vain pour son bon droit, finit par accepter les humbles fonctions de vicaire à Bourron, où il mourut en 1679, à 44 ans. Son curé, qui connaissait son mérite, l'inhuma dans l'église. Cependant, son œuvre écrite et notamment ses lettres furent retrouvées par hasard, presque 200 ans plus tard, par Champollion-Figeac, bibliothécaire du château de Fontainebleau sous Napoléon III, frère du fameux Champollion des hiéroglyphes et lui-même orientaliste distingué.

Apprenant que Vansleb avait fini sa vie à Bourron, Champollion-Figeac chargea le curé Pougeois de retrouver sa tombe, ce qui fut fait. Cette tombe fut restaurée en 1861 grâce à une subvention spéciale accordée par Napoléon III, et telle qu'on peut la voir aujourd'hui (1).

On a vu d'autre part comment l'abbé Pougeois, pris de la passion pour l'infortuné Vansleb, écrivit une biographie de son héros. Grâce à l'entremise d'Octave Feuillet, successeur de Champollion-Figeac à la bibliothèque impériale, l'abbé Pougeois reçut un don personnel de Napoléon III qui lui permit de publier son livre en 1869.

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L'Espion de Bussy-Rabutin

Bussy-Rabutin
Comte de Bussy-Rabutin

Le comte de Bussy, figure pittoresque du XVIIe incarne à lui seul un certain art de vivre du Grand-Siècle. En fait, il réunit en sa personne toutes les qualités et tous les défauts de l'aristocratie de cette époque glorieuse de la monarchie.

Léger, persifleur, bretteur, arrogant, coureur, arriviste, sans scrupules, il se moque des autres tout en gardant sa petite personne insolente et futile en grande estime.

Il court perpétuellement après une sinécure, une protection, une prébende, une citadelle à prendre qu'elle soit féminine ou ennemie.

Courageux, téméraire, paresseux, veinard, vantard, scandaleux, tapeur, volage, il trousse allègrement l'aimable cotillon à sa portée, et, de sa manière élégante et subtile de jolies épigrammes, égratignant chacun d'un bon mot pour le plaisir. Il se moque, éreinte, provoque, se venge, persifle, butine les cœurs et les êtres, pourvu qu'ils présentent quelqu'appât.

Bussy n'est point sot, mais vain. Il n'est point bête, mais suffisant. Vénal certes mais comme tous ceux de son rang qui vivent au-dessus de leurs moyens.

Il s'acoquine volontiers, sans y trouver à redire ou se le reprocher, avec de franches canailles. Jeune il voulait être un "honnête homme", la vie l'ayant malmené, cabossé, il ne parvient même pas à être un homme honnête selon les canons pourtant très lâches de son siècle.

Il méprise ceux qui réussissent comme Turenne, qui le lui rend bien ou Créqui qu'il diffame. Il admire les puissants de la politique et de la finance aux basques desquels il s'accroche... les Fouquet, les Mazarin, quitte à leur faire des bassesses !

Mais le comte de Bussy n'est pas sérieux, il n'inspire pas confiance, il n'est fidèle ni en amour ni en amitié. Même sa cousine Mme de Sévigné que son bel esprit amusait fort, le laissa tomber après avoir lu le cruel portrait qu'il fit à ses dépens, dans la Vie amoureuse des Gaules.

Pourtant ce gentilhomme a de nombreux atouts dans son jeu. Ses malheurs et ses vicissitudes lui attirent la sympathie des dames. Il plaît, il séduit, il a beaucoup de chance en amour et une veine insolente au jeu. Son verbe a du panache, il écrit avec talent, parle avec esprit, même s'il emprunte beaucoup aux autres.

L'Académie, pour embêter le roi son protecteur, l'élit parmi les siens en 1665. Mais Louis XIV l'ayant enfermé à la Bastille pour une sordide affaire de mœurs, diffère sa réception de plusieurs années.

L'une des faces cachées, obscures de ce courtisan, celle qui l'empêchera toute sa vie de parvenir aux emplois éminents que son talent méritait, demeure moins connue : son appétence pour la pègre, les mauvais garçons, les mauvais lieux, les tueurs.

Espion né, amateur des bas-fonds, Bussy aime à utiliser la crapule pour faciliter ses desseins, n'hésitant pas à protéger les pires criminels qu'il utilise au service de son immense ambition toujours déçue. Les puissants, ceux qui savent, qui dirigent, qui connaissent sa personnalité secrète se méfient de lui, ne lui accordent aucune confiance. Avec raison.

Une anecdote révélatrice de ce défaut eut pour cadre notre région et particulièrement le Pavé du Roy à Bourron.

Bussy, dans ses Mémoires, y fait d'ailleurs une brève allusion.

Le comte utilisait volontiers des espions à sa solde et à sa botte, hommes choisis pour leur courage, leur astuce, leur débrouillardise. Il les choisissait de préférence intelligents et de belle prestance, d'un abord avenant, sans se soucier de leur honnêteté ou de leurs mœurs, pourvu qu'ils le servissent bien.

Bref, il préférait employer de franches et astucieuses crapules, des hommes de main sans foi ni loi, plutôt que d'honnêtes gens simples et droits, tout dévoués à sa personne, mais qu'il considérait comme des benêts.

Or, bien des «affaires» du comte de Bussy, qu'il s'agît de femmes, d'argent, de relations, de préséances, étaient non seulement compliquées, mais diablement vicieuses, frisant souvent l'indélicatesse.

Bussy ne savait ni garder sa langue ni un secret. Sa passion du bon mot à double-sens, du persiflage, de la plaisanterie méchante, du libertinage graveleux, lui attiraient inimitié et méfiance de la part des victimes de ses badineries... même de la part du Roi !

Il est vrai que pour nouer des intrigues avec le Cardinal de Mazarin et le superintendant Fouquet, enlever de riches héririères tout en séduisant leurs chambrières, réussir à mener à bien des missions secrètes de haute et basse politique, il fallait être doué d'une redoutable adresse. D'un sens inné du magouillage. Rester, en ces temps de guerres civiles, l'ami du Prince de Condé allié aux réformés tout en ne s'aliénant pas trop la confiance des puissants et de l'Église, exigeait un doigté et un sang-froid à toute épreuve ainsi que la complicité de hardis spadassins à sa botte.

L'un de ses plus habiles sicaires était un dénommé Grandchamp. Bussy le décrit lui-même dans ses Mémoires comme «un soldat de fortune, brave, mais adonné à tous les vices et à qui le vol et l'assassinat étaient aussi familiers que le boire et le manger. Il m'avait servi d'écuyer depuis 1646 jusqu'en 1649, que son ivrognerie m'obligea à m'en défaire; mais comme j'avais toujours reconnu en lui beaucoup d'amitié pour moi, je le fis entrer dans la compagnie des chevau-légers de la garde...»

Afin de mieux servir son protecteur dans ses affaires tordues, Grandchamp s'était acoquiné avec un dénommé Forestier, homme de sac et de corde originaire de Bourron, habitué des tavernes du Pavé du Roy.

Ce spécialiste de l'attaque de diligences, détrousseur de voyageurs, tueur à gages expéditif, avait l'oreille du propriétaire du relais de poste-aux-chevaux «chevaucheur pour le Roy», à qui il devait rendre de menus services. En tout cas, Grandchamp et Forestier échangeaient volontiers les crimes prémédités ou l'exécution de leurs coups tordus pour mieux brouiller les pistes.

Les deux compères abandonnaient les cadavres de leurs forfaits aux fauves de la Forêt de Fontainbleau ou aux écrevisses du Loing, dissimulant leurs armes et leur butin dans d'inaccessibles grottes.

Forestier, un être fruste sans instruction mais d'une grande cruauté fut pris le premier, condamné à être roué vif et exécuté publiquement sur la place de Nemours.

Ayant appris son supplice, Grandchamp prit peur, car rares étaient les criminels qui ne parlaient pas sous la torture.

Il n'osa parler de ses craintes à Bussy qui, ignorant tout de l'affaire, l'envoya en ambassade à la Cour qui se tenait à Fontainebleau pour suivre une intrigue en cours auprès du Cardinal et d'y attendre sa réponse.

Le Roi ayant regagné Paris, la Cour l'y suivit. S'éloignant du théâtre de ses crimes, Grandchamp «croyait être bien en sûreté dans le Louvre où il couchait avec un garde du Cardinal. Mais il fut pris, avec deux poignards dans ses poches, mené à Nemours et roué comme Forestier après avoir confessé beaucoup de crimes.»

Quant à Bussy, ce fut le début de sa disgrâce.


*
Olivier Patru, avocat et académicien

Olivier Patru
Olivier Patru (1604-1681)

Olivier Patru, avocat au Parlement de Paris, fut, selon le grammairien Thoulier d'Olivet son collègue sous la Coupole : «un oracle infaillible en matière de goût et de critique.» Il fut à l'origine du traditionnel discours de réception à l'Académie pour avoir, nous dit Pellisson, prononcé lors de son admission, «un fort beau remerciement dont on demeura si satisfait, qu'on a obligé tous ceux qui ont été reçus depuis d'en faire autant.»

En 1656, il fut choisi par ses pairs pour prononcer la harangue à la reine Christine de Suède, au nom de l'Académie. Serviteur dévoué de la langue et de la culture françaises, il souhaita que dans le Dictionnaire les jugements et définitions fussent appuyés sur des citations de bons auteurs. Mais déçu par la lenteur avec laquelle l'Académie travaillait à son élaboration et le refus des académiciens d'inclure des citations précises dans leur ouvrage, Patru s'en éloigna et collabora à celui de son ami Pierre Richelet. Le Dictionnaire des mots et des choses publié à Genève en 1680 chez Jean Herman Widerhold obtint un immense succès malgré son interdiction de diffusion en France.

Comme son collègue et ami l'historien François Eudes de Mézeray, il était réfractaire à toute étiquette, refusant de se plier aux bassesses de la courtisanerie.

Vivant dans la plus grande simplicité parmi ses livres et ses amis, Patru, la vieillesse venue, se retira dans sa modeste maison de campagne de Bourron, loin de l'Académie. Sainte-Beuve raconte que lorsque la bibliothèque et les meubles de l'académicien allaient être vendus au bénéfice d'un créancier, Boileau les racheta, exigeant qu'il en conservât la jouissance.

Voltaire a dit à son sujet : «Olivier Patru contribua beaucoup à régler, à épurer le langage; et quoiqu'il ne passât pas pour un avocat profond, on lui doit néanmoins l'ordre, la clarté, la bienséance, l'élégance du discours : mérites absolument inconnus avant lui au barreau.»

Une parole mémorable de ce grand bonhomme, que nous ferions bien de méditer : «Le droit commun de la France coutumière doit servir de loi.»

Souvenirs personnels

J'ai découvert Bourron vers 1950, lorsque je vins à Paris de Genève, à bicyclette, par la Nationale 7. C'était l'été, je me ravitaillai en pain, fromage, raisin et lait dans une épicerie et dormis en dehors du village, sur le sable fin d'une grotte de la forêt, avec mon vélo. Au petit matin, j'y découvris une jolie pierre taillée, en forme de silex, porte-bonheur qui m'accompagna tout au long de ma vie.

*

Lorsque j'habitais Paris, je revins souvent en forêt de Fontainebleau avec mes amis Youki et Henri Espinouze, Henri Jeanson et Galtier-Boissière qui avait une belle maison à Barbizon. Au cours de nos veillées ou de nos promenades, Jean, intarissable, nous contait avec gourmandise les piquantes aventures de sa jeunesse, nous régalait d'anecdotes galantes qu'il était en train de rédiger pour ses «Mémoires d'un Parisien.»

Parfois, avec Gigi Guadagnucci, nous campions dans la forêt enchantée ou logions chez l'habitant, avec nos petites amies présentées comme nos épouses.

Enthousiasmé par l'harmonie et la beauté des rochers, Gigi y entraîna un jour son ami Henry Moore le grand sculpteur anglais. Époustouflés, les deux artistes recherchèrent dans la région une grange où sculpter le grès. Ayant jeté leur dévolu sur un hangar délabré proche de la gare de Bourron, ils durent renoncer à leur projet. En effet, la protection de la nature interdisait depuis quelques décennies d'extraire des blocs de rocher de la forêt.

Ils tournèrent l'interdit en sculptant sur place, à même les rochers de la forêt, à l'aide d'un burin et d'un maillet, de jolis bas reliefs, corrigeant ainsi les formes naturelles pour les rendre "signifiantes" comme disent les spécialistes dans leur jargon. Ils s'amusèrent à graver ici un œil, là une étoile sur les parois inacessibles des hautes platières ou au plafond des cavernes, esquissant des formes animales ou humaines abstraites, réinventant à leur manière l'art de la gravure rupestre préhistorique.

Je me souviens d'avoir assisté à l'aménagement du «Cendrier de Jupiter» dans la cupule naturelle d'une roche en y ajoutant quelques stries parallèles du plus curieux effet.

De retour dans son atelier du Passage du Maine, aujourd'hui musée, Gigi sculpta un magnifique cendrier dans un éclat de marbre, rappelant celui de la forêt, qu'il m'offrit en souvenir de notre escapade.

Dans la Grotte Béatrix, l'ébauche d'un joli sein mignon et particulièment réussi incita Gigi à le baiser.

- Dio cane ! Mais il est salé ce coquin ! C'est le sein de Vénus sortant de l'onde !

Quant au Phallus de Zeus (nous aimions beaucoup les expressions gréco-latines), je ne l'ai jamais retrouvé.

Je connais quelques endroits retirés de la forêt, notamment dans la Vallée Jauberton ou au Long-Rocher, où de graves archéologues prétendront découvrir des dessins vieux de milliers d'années, qui ne sont sans doute que les modestes amusements de deux grands sculpteurs modernes.

Henry et Gigi
Henry Moore en visite chez Gigi dans son atelier de Massa-Carrare

Au milieu des années 50 les deux artistes découvrent un jour l'immense sablière qui s'étend au sud de la forêt, entre Bourron et Recloses en lisière des Ventes Cumier. Ils y ramassent de superbes concrétions de sable aggloméré, délaissées par les pelleteuses de la carrière.

Ils en recueillent avec soin quelques dizaines, s'émerveillent de leurs formes étranges que de minimes retouches rendent parfaites. Un apprêt spécial et les voilà moins friables.

Ils montrèrent leur découverte à Rodolphe Stadler, un industriel suisse passionné d'art moderne, qui allait ouvrir une luxueuse galerie rue de Seine. Ne subodorant pas le moins du monde une possible supercherie, Stadler se proposa d'exposer ces sculptures en avant-première dans ses futures salles d'exposition, œuvres que les artistes attribuaient à Sorello, un jeune et talentueux sculpteur italien inconnu.

Le soir du vernissage, avec la complicité de Jacques Yonnet et de ses amis toujours prêts à fomenter un canular, les conspirateurs mirent le feu aux sculptures de sable aggloméré préalablement imbibées d'alcool qui, toutes lumières éteintes, flambèrent doucement répandant une jolie lueur bleue dans la nuit, jusqu'à ce qu'elles se désagrègent sous les yeux ahuris des invités ! Le temps de l'art éphémère, de l'art-happening était venu, art où s'illustreront bientôt Tinguely, Rauschenberg, Christo et d'innombrables suiveurs.

Le scandale fit long feu, peu de gazettes osèrent se moquer ouvertement des nouveaux papes de l'art moderne qui tenaient alors le haut du pavé.

Seule, Claude Rivière y fit allusion, dans Combat, mettant les rieurs de son côté. En tout cas, le bouche à oreille fonctionna à merveille et la galerie Stadler était lancée, propulsée vers la gloire... par l'absurde !

Serge Bielikoff, président de l'Association «Du caractère pour Bourron-Marlotte», nous signale que dans les années 30, Charlotte Perriand (1903-1999), photographe, architecte et designer, parcourait volontiers la forêt de Fontainebleau avec ses amis Fernand Léger et Pierre Jeanneret, à la recherche d'objets bizarres ou de forme insolite. Dans son autobiographie, Une vie de création, elle raconte : «Une de nos plus belles trouvailles fut, un magnifique grès modelé par le vent, découvert dans la carrière de sable de Bourron.»

dame
La Dame de Bourron

*

En 1963, nous avons séjourné un long un week-end à marcher dans la forêt entre Barbizon et Bourron-Marlotte en compagnie de Gigi Guadagnucci et de Benjamino Joppolo qui décéda peu de temps après. Inspiré par la beauté du site, Joppolo grimpa soudain sur un rocher et se mit à déclamer à voix haute une imitation hilarante des discours de Mussolini dont l'écho porta au loin les éclats sonores entrecoupés de nos rires.

Joppolo
Beniamino Joppolo

C'est au début des années 70 que j'acquis ma première maison, à Bourron, avec mes droits d'auteur ! Maître Ferrandon, notaire à Nemours, qui devint un ami, me dit un jour :

- J'ai quelque chose pour vous qui aimez les vieilles pierres !

Les "Catoussi", ainsi baptisée par mes amis Givenchy, était une maison située sur le passage des Mathurins, en bordure de ce qu'on appelait alors «La Cour des Miracles».

L'Hôtel de la Paix, ses chambres et son bar accueillants attiraient alors tous les francs buveurs, les fêtards, les filles et les clochards venus des villages d'alentour. Les fins de semaines étaient animées et bruyantes, et le dimanche matin les maris qui n'accompagnaient pas leurs épouses à la messe, venaient y taper le carton en sirotant vin blanc ou pastis.

La proximité de l'église et du château ne semblait pas un obstacle à cette joyeuse agitation, d'autant plus que le garde-chasse, le bedeau et un gendarme qui vivaient à proximité cautionnaient par leur présence l'honorabilité de l'établissement. Seules les fêtes du 14 juillet qui duraient plusieurs nuits d'affilée rendaient le lieu inhabitable pour les voisins.

J'acquis dans la foulée le «Puits Giton», un ensemble de maisons anciennes dont une vieille ferme à grange-cathédrale avec son four à pain, bâti sur un terrain s'étendant de la rue du Général-de-Gaulle jusqu'à la rue Parmentier.

L'eau y était à la pompe installée sur le puits, les W-C dans un cabanon de bois au-dessus d'une fosse pas septique du tout, les pots de chambre se vidant à la volée au petit matin, vers le jardin.

Nos amis peintres, chanteurs, et poètes - et bien d'autres qui n'étaient point artistes -, venaient y pique-niquer et camper le soir venu. Nous écoutions mes locataires conter leurs souvenirs du Bourron d'autrefois. Mme Frichet, ancienne agricultrice, entonnait d'une voix de jeune fille les chansons de sa jeunesse et Hélène Giton, maraîchère et apicultrice, nous lisait des passages de son journal qu'elle tenait depuis des décennies sur d'anciens cahiers d'écolier.

Maison Frichet
Maison Frichet

Les deux charmantes vieilles dames se rendaient chaque trimestre en car à l'étude de Maître Ferrandon, payer leur terme. Elles refusèrent obstinément que je les en dispense ou que je leur installe à mes frais, un minimum de commodités pourtant souhaitables !

Les deux vieilles dames sont parties sur la pointe des pieds, Mme Frichet souhaitant rejoindre sa famille en Touraine où elle s'éteignit peu après. Mme Giton nous quitta elle aussi, nonagénaire avancée, m'offrant avant de mourir quelques livres, de vieilles photos et ses cahiers d'écolier pleins de souvenirs. Elle tint à laisser à son petit neveu, seule famille qui lui restât, ses économies, constituées sou à sou, au fil des ans, sur sa très modeste retraite.

*

Un jour que je me promenais en forêt avec Isidore, mon basset d'Artois, le voilà qui fonce dans le sous-bois en aboyant de sa voix rauque. Accoutumé à le voir suivre une piste de cette manière sans que je puisse le retenir ou l'empêcher d'aboyer, je poursuivis mon chemin sachant qu'il me retrouverait un peu plus loin. Soudain, après un dernier cri rauque un peu avorté il se tut. Je me demandais s'il n'avait pas rattrappé son gibier ce qui était rarissime. Je marchai en silence, atteignis le fond du vallon, lorsque dans une clairière je vis un braconnier agenouillé auprès d'un chevreuil à demi dépecé, serrant mon basset sous son bras, à l'étouffer. Nos regards se croisèrent, j'appelai mon chien, le braco le libéra, Isidore accourut tout penaud et me suivit sans demander son reste.

*

Un beau soir d'été, assis sur le «banc de la Veuve Cromagnon» du Long-Rocher près de la Grotte Beatrix, j'assistais à un superbe coucher de soleil sur la forêt. Le ciel sans nuage s'embrasait sous les derniers rayons dorés. Soudain, je perçus dans le silence du soir une sorte de ronflement bref et s'accadé montant par intermittence de la plaine verte. Je me demandais bien d'où provenait ce bruit bizarre, lorsque je vis apparaître tout proche, au raz des arbres, une superbe mongolfière aux couleurs harmonieuses, dont l'aéronaute me salua depuis sa nacelle, d'un beau sourire et d'un signe discret de la main !

cromagnon
Long-Rocher : Banc de la "Veuve Cromagnon"

*

Dans les années 70, il y eut une saison exceptionnellement riche pour les cueilleurs de champignons. Un matin d'août, dans une aube encore brumeuse, je me rendis aux Grands Feuillards. Dans la maison forestière, le garde-chasse et sa famille dormaient encore. Je m'avançai tranquillement entre la route de la Princesse Marie et la route Montpensier mes deux paniers à bout de bras, Isidore mon basset en éclaireur, la truffe au vent.

A un moment donné je me demandai si je ne rêvais pas ! Des cèpes à perte de vue, par dizaines, par centaines, des tout petits, des gros aux pieds bien dodus, au chapeau marron foncé tout frais, sans trace de vers ou de limaces ! Je me mis à tailler les queues avec mon laguiole comme un fou, à cueillir des cèpes comme un malade, dans une excitation jubilatoire.

Dans la clairière aux chênes juste en bordure de la route Montpensier stationnait une grosse Volvo immatriculée en Suède (S) attalée à une longue caravane. Nos touristes dormaient dans un décor de conte de fées, au milieu de champignons par centaines. Ne manquaient que les lutins !

Entendant des pas autour de sa caravane, un sympathique Suédois entrebâilla la porte et observa ma cueillette; Isidore se mit à aboyer !

Souvenir de mes escapades en Scandinavie je bredouillai quelques mots dans la langue d'Ibsen et mon Suédois me demanda si ces "svamp" étaient "ätbara" ? Je lui dis que oui !

Sa femme apparut derrière lui. Ils m'invitèrent à boire un café!

Je refusai poliment, trop excité par la cueillette, mais je leur proposai de faire comme moi, et que dans une heure, les paniers pleins, il pourraient m'accompagner chez moi à Bourron, où je leur montrerais comment les préparer et les déguster, avec un bon petit vin de chez nous !

Ainsi fut fait !

De ma vie je ne revis une telle abondance de cèpes ! Mes Suédois sans doute... non plus !


panorama

Littérature

Balzac : Ursule Mirouet

En traversant la France, où l'œil est si promptement lassé par la monotonie des plaines, qui n'a pas eu la charmante sensation d'apercevoir en haut d'une côte, à sa descente ou à son tournant, alors qu'elle promettait un paysage aride, une fraîche vallée arrosée par une rivière et une petite ville abritée sous le rocher comme une ruche dans le creux d'un vieux saule ?

En entendant le hue ! du postillon qui marche le long de ses chevaux, on secoue le sommeil, on admire comme un rêve dans le rêve quelque beau paysage qui devient pour le voyageur ce qu'est pour un lecteur le passage remarquable d'un livre, une brillante pensée de la nature.

Telle est la sensation que cause la vue soudaine de Nemours en y venant de la Bourgogne. On la voit de là cerclée par des roches pelées, grises, blanches, noires, de formes bizarres, comme il s'en trouve tant dans la forêt de Fontainebleau, et d'où s'élancent des arbres épars qui se détachent nettement sur le ciel et donnent à cette espèce de muraille écroulée une physionomie agreste.

Là se termine la longue colline forestière qui rampe de Nemours à Bourron en côtoyant la route. Au bas de ce cirque informe s'étale une prairie où court le Loing en formant des nappes à cascades.

Ce délicieux paysage, que longe la route de Montargis, ressemble à une décoration d'opéra, tant les effets y sont étudiés.

Balzac : Ursule Mirouet
balzac

SOURCES

INDEX

Internet : (sites à visiter) :

Les Grandes heures de Bourron-Marlotte
Bourron-Marlotte Le Blog de Will77
Bourron-Marlotte Site officiel
Amis de Bourron-Marlotte
L'Appel de Bourron-Marlotte
Institut culturel Hylès

 
MESSAGES REÇUS

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