ARMAND CHARNAY
(1844-1915)

Armand Charnay

Autoportrait

Un délicieux petit maître du XIXe siècle

Fils d'un notaire, ce peintre délicat fit ses débuts dans la vie active comme commis aux écritures. Peu attiré par le notariat, il s'amusait entre la copie minutieuse de deux actes, à tirer le portrait des clients de l'étude, notamment celui des jeunes et jolies femmes qu'il croquait à ravir.

En 1865, il convainquit ses parents de lui offrir des leçons particulières de dessin. L'expérience semble avoir réussi et les résultats encourageants.

Cela permit au jeune homme de monter à Paris, dès 1866, où il devint l'élève d'Isidore Pils puis du célèbre Augustin Feyen-Perrin.

En route pour la capitale, Charnay avait découvert la forêt de Fontainebleau, et cela avait été pour lui un véritable coup de foudre.

Amoureux de la nature, il ne se lassait pas de dessiner les arbres, les sous-bois, les bords de rivière, les animaux en liberté, les demeures bourgeoises ou paysannes.

Armand Charnay

Promenade

Dès 1867, il expose au Salon de Paris, où il sera désormais invité chaque année à montrer ses scènes de genre sur fond de paysages d'Auvergne, du Charolais ou du Nivernais, avec souvent au premier plan de ses compositions, quelques ravissantes jeunes femmes.

Apprécié du public et des marchands de tableaux dès ses premières expositions, Armand Charnay réussit très tôt à vivre des commandes particulières et à glaner des médailles.

Il est vrai que ses aquarelles et ses paysages à l'huile possèdent un charme subtil et envoûtant, et que la légèreté de sa palette aux nuances délicates annoncent déjà le frémissement d'un art nouveau.

Et puis, il faut bien le dire, il peint à ravir les demoiselles, ce qui plaît toujours aux acheteurs de la bourgeoisie.

Invité à Marlotte par son ami Charles Delort installé à La Nicotière, le jeune artiste fut séduit par le charme du village et y loua un atelier en 1871, avant de quitter définitivement Paris, pour la campagne.

Grand marcheur, coureur des bois, le jeune peintre n'hésitait pas à s'aventurer jusqu'à Chailly ou à Barbizon, carnets de croquis et crayons dans sa musette, villages où il retrouvait d'autres peintres. Mais d'un naturel timide et réservé, il ne copinait guère, ne participait pas aux habituelles beuveries chantantes et aux pince-fesses débraillés des rapins pour la plupart désargentés.

Son plus grand plaisir était de camper son chevalet dans la forêt, à peindre un paysage pittoresque sur lequel il plaque ses silhouettes de jeunes femmes élégantes.

C'est Armand Charnay qui un jour a planté quelques iris jaunes autour de la Mare-aux-Fées, trouvant que cela manquait de couleurs. Or, ces fleurs se sont tellement multipliées, envahissant la mare, qu'il fallut par la suite entreprendre des travaux pour les arracher... Il en reste toujours suffisamment, à fleurir au printemps, pour notre plaisir.

Mare aux fees

Mare aux Fées et ses iris

Pour ses scènes de genre, sur fond de sous-bois romantique ou de printanière Mare-aux-Fées, tableaux qui lui étaient souvent commandés, il payait quelques fraîches paysannes qu'il habillait en demoiselles ou en femmes du monde. Il les croquait sur le vif en quelques études rapides, avant de les reprendre dans son atelier, dans le même appareil.

Il lui arrivait également pour satisfaire à des commandes particulières, de dénuder ses jolis modèles afin de composer des scènes coquines.

Au début du XXe siècle, on entendait dans les bistrots de Marlotte une chanson à boire dédiée au vieux maître devenu quelque peu bourru.

"Dans le village du gai Murger
Demeure un peintr' à lavallière,
Et ce rupin est pas peu fier,
D'porter l'prénom de M'sieur Fallières.

Ah ! Ah oui vraiment, le bel Armand est un rapin !

Il peignait jadis les demoiselles
A poil sous leur ombrelle,
Les marquises en jarretelles,
Les seins nus sous leurs dentelles

Ah ! Ah oui vraiment le bel Armand est un coquin !

Foulard d'artiste en lavallière
Il croquait tout'nues les chambrières
Sans leur chemise les rosières
Et cul nu les cavalières !

Ah ! Ah oui vraiment le bel Armand est un cochon !


Promenade

En visite

Au bout de quelques années, Armand Charnay se replia peu à peu sur son art. Financièrement à l'aise grâce à un bel héritage, il s'était fait construire une belle maison à l'entrée de Marlotte, près de la route de Montigny, «sur le modèle de l'élégant hôtel Pompadour à Fontainebleau.»

Il vit dans sa demeure bourgeoise entouré d'œuvres d'art et de jolis modèles - qu'il peint avec ravissement dans un décor bucolique. Il épousa la plus aimable d'entre elles pour l'agrément de ses vieux jours.

Il reçoit quelques rares voisins choisis tels le fidèle Charles Delort ou le bon poète François Coppée. Quelques admirateurs aussi tels ce Charles Gill, jeune poète et dessinateur canadien enthousiaste, qui n'hésita pas à franchir l'océan en 1890, pour lui rendre visite à Marlotte, en compagnie du vieux maître "pompier" Jean-Léon Gérôme.

Le richissime Edward Robinson et la princesse Radziwill, entre autres amateurs entichés de l'artiste, vinrent se faire tirer le portrait à son atelier.

Défenseur acharné de la forêt, de ses arbres, de ses sites, de ses magnifiques grès, Charnay vitupère sur ses vieux jours «le progrès stupide» qu'il déplore, allant jusqu'à refuser qu'on installe l'électricité dans les rues autour de chez lui. Le soir, il continue à sortir avec sa lanterne, en pestant :

«Si encore on y voyait clair mais ça éclaire si mal que je ne puis me passer de ma lanterne !» «Seulement voilà, disent les mauvaises langues, il était si distrait qu'il lui arrivait souvent d'oublier d'allumer sa lanterne !»

Écologiste avant la lettre, le peintre laisse son jardin retourner à l'état sauvage, empêchant que l'on arrache une mauvaise herbe, élague un arbre, taille un taillis, éclaircisse le lierre ou la vigne vierge qui envahissent les murs de sa demeure.

Plage

Élégantes à la plage

Armand Charnay connaîtra une triste fin de vie pour un peintre, perdant peu à peu la vue à la suite d'un décollement de la rétine.

Il souhaita léguer sa propriété à des artistes pauvres pour adoucir leurs vieux jours.

Le lendemain de sa mort, le Figaro sous la plume de Roger Milès, louait l'artiste disparu, le décrivant comme "un délicieux petit maître de l'école française du XIXe siècle".

On trouve les œuvres de Charnay dans de nombreuses collections privées et publiques, notamment américaines. Son panneau décoratif «L'automne» orne l'escalier d'honneur de l'Hôtel de Ville de Paris (1897).

A partir des années 1885 à 1890 quelques-unes de ses compositions notamment un Paysage sous la neige datant de 1898, esquissent une subtile transition vers l'impressionnisme, dont l'influence commence à toucher l'œuvre de quelques peintres académiques.

Une rue de Marlotte porte son nom.

Une belle collection de ses toiles se trouve au Musée Hospitalier de Charlieu, où il et né.

Armand Charnay

Villa Charnay au 37, rue Armand Charnay à Marlotte

SOURCES :

Pierre Genève : Si Marlotte m'était contée (1973)
Marie-Claude Rœsch-Lalance :
Bourron-Marlotte, si les maisons racontaient (1986)


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