VICTOR CHOQUET
(1821-1891)
Fonctionnaire des douanes et amateur d'art


choquet
Victor Choquet par Auguste Renoir
Victor Choquet fut l'un des premiers amateurs à s'intéresser aux peintres impressionnistes. Modeste fonctionnaire à la direction des douanes, vivant chichement, il se passionna pour les œuvres d'art, notamment pour Watteau et pour des grands ébénistes du XVIIIe siècle comme Boulle, alors méprisés par le public. Il acquit plusieurs dizaines d'œuvres pour quelques centaines de francs chacune, ces trésors étant passés de mode !

L'épouse de Victor Choquet aimait la forêt de Fontainebleau et y emmena quelquefois son mari le dimanche, notamment à la Mare aux Fées près de Marlotte. Ayant hérité une ferme en Normandie, à Hattenville le couple y reçut Cézanne et Renoir.

Voici quelques anecdotes que nous rapporte Jean Renoir dans son ouvrage Pierre Auguste Renoir mon père à propos de ce grand collectionneur trop peu connu :

«Un grand ami de mon père à l'époque de la rue Saint-Georges fut «le père Choquet». Renoir l'appelait «le plus grand collectionneur français depuis les rois, peut-être du monde depuis les papes!».

Je précise que pour mon père, les papes, c'était Jules II, «qui savait faire peindre Michel-Ange et Raphaël en leur fichant la paix».

M. Choquet était fonctionnaire à la direction des douanes. Son salaire était minuscule. Tout jeune il économisait sur ses repas et ses vêtements pour acheter des objets d'art, surtout du XVIIIe siècle français. Il habitait une mansarde, était vêtu de haillons mais possédait des pendules de Boulle. Plusieurs fois il faillit se faire mettre à la porte de son administration parce que la dignité d'un employé de l'État était incompatible avec des manches trouées.

Il avait cependant un protecteur, dont mon père ne me précisa jamais l'identité, qui intervenait à chaque fois. «Heureusement qu'il y a des protecteurs, sinon la vie serait trop injuste !»

Choquet fit un petit héritage, consentit à porter des vêtements convenables et installa ses richesses dans un bel appartement de la rue de Rivoli. Il fut l'un des premiers à comprendre que Renoir, Cézanne et leurs compagnons étaient les héritiers directs de cet art français que Gérôme et les officiels trahissaient sous prétexte de le continuer.

Mme Choquet par Renoir
Madame Choquet par Auguste Renoir
«C'est comme en politique. On garde les étiquettes et on falsifie la marchandise», disait Choquet. Il comparait la peinture des grands pontifes à ces gouvernements républicains qui fusillent les ouvriers sous prétexte de défendre la cause du peuple. M. Choquet était une «mauvaise tête», et il fallait que son protecteur ait eu le bras long pour que la Douane, qui ne badine pas avec les convenances, ait conservé cet indésirable personnage.

Bientôt, dans Paris, on commença à s'intéresser à M. Choquet. Renoir attribuait cette popularité à la montée des prix des Watteau. Choquet possédait plusieurs tableaux de ce maître. Il les avait payés quelques centaines de francs au moment où personne n'en voulait. On parlait aussi de ses commodes, trumeaux, lustres des époques Louis XV et Louis XVI. Les antiquaires prenaient de l'importance dans le monde. Les snobs, fatigués du gothique à la Victor Hugo, avaient envie de «jouer à Trianon». Et surtout les prix «grimpaient... grimpaient !». Si le père Choquet avait voulu vendre, il aurait réalisé une fortune.

Le fonctionnaire méprisé devenait un sage dont on recherchait la compagnie. C'était un honneur d'être reçu chez lui. Il profitait de cette curiosité pour exposer bien en vue ses Renoir et ses Cézanne, «dans des cadres Louis XV authentiques ». Bien que pour Cézanne il considérât que le Louis XIV mettait mieux les volumes en valeur.

Mon père m'a plusieurs fois raconté l'anecdote connue sur Choquet et Dumas fils. Ce dernier, très préoccupé de se «tenir au courant», voulut visiter la collection Choquet. C'était au moment de son triomphe de La Dame aux Camélias. Certain que sa jeune gloire lui ouvrait toutes les portes, il se présenta sans rendez-vous préalable chez Choquet.

La petite bonne bretonne le fit asseoir dans le vestibule, prit sa carte et la porta à son patron. Or celui-ci avait bien connu l'autre Dumas, «le vrai», celui des Trois Mousquetaires, et en voulait au fils d'avoir à la mort de son père refusé l'héritage pour ne pas avoir à payer les dettes, d'ailleurs assez lourdes.

Choquet aurait dit: «C'est le père qui était un enfant et le fils un vieillard. La seule excuse de La Dame aux Camélias eût été de payer les dettes de La Dame de Monsoreau

Il parut devant Dumas fils, le visage soucieux, tripotant la carte entre les doigts.

«Je lis sur cette carte le nom de mon vieil ami, Alexandre Dumas. Il est mort. Vous êtes un imposteur.

- Mais... je suis son fils!

- Ah !... Il a donc un fils ?... »

Renoir tenait de Choquet une autre histoire sur les Dumas.

Le fils, alors très jeune et avant ses succès, entra un jour à l'improviste dans le salon de son père et le trouva très occupé à embrasser sur la bouche une jeune femme assise sur ses genoux, entièrement nue.

«Mon père, dit le fils, c'est indigne!

- Mon fils, répondit le père en lui montrant la porte d'un geste noble, respecte mes cheveux blancs ! »

(Source : Jean Renoir : Pierre-Auguste Renoir, mon père,
Collection Folio N° 1292)

Choquet par Paul Cézanne
Victor Choquet par Paul Cézanne