LES GRANDES HEURES
DE BOURRON-MARLOTTE

village d'art et de légendes

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La Chansonnière

Les heures musicales
Si le village de Bourron-Marlotte peut se flatter d'une histoire très ancienne, il n'est certes pas le seul dans notre beau pays. Mais sa destinée discrète, sa renommée modeste me plaisent infiniment.

Promenons-nous ensemble dans ses ruelles restées humaines, dont chaque maison, parfois cossue, abritée derrière des murs de belle pierre, recèle une histoire, une légende, un secret, un trésor.

En arrivant ici par la forêt, à pied, à cheval, à vélo ou en voiture, non pas par la route nationale, mais par la belle route forestière conduisant du rond-point de la «Pyramide de Fontainebleau» (l'obélisque) vers Montigny avec un embranchement vers Marlotte à mi parcours, nous voici accueillis par une maison forestière et nous accédons au village par la rue Murger, droit devant nous.

Si, avant de franchir le carrefour, le goût des chemins de traverse ou la simple curiosité nous attirait vers la droite où s'ouvre une étroite route goudronnée, nous découvririons après quelques sinueux méandres à cette délicieuse Mare aux Fées mille fois peinte sur le motif par un artiste ou croquée par l'objectif d'un photographe.

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LA CHANSONNIÈRE
Rue Renoult
Soit encore vers la gauche, où s'ouvre un chemin forestier sans bitume mais avec de belles fondrières, nous accéderions à pied vers la vallée enchantée de la plaine verte que couronnent de somptueux rochers qu'un autre jour, sans doute, nous découvrirons ensemble !

En poursuivant notre route droit devant nous, nous longeons quelques belles propriétés avant d'arriver à un carrefour, le square Jacques Thibaud en hommage au célèbre violoniste, familier des lieux.

Bien des années avant nous, Arthur Dandelot (1864-1943), parlait avec émotion de ce village qu'il avait connu dans son enfance. Devenu imprésario et organisateur de concerts en 1896 après avoir été critique musical et avoir fondé la revue Le Monde Musical, Dandelot rendait souvent visite à ses «poulains» notamment Jules Boucherit, qu'il retrouvait à «La Chansonnière».

Mme Roesch-Lalance dans son passionnant ouvrage (7) sur les maisons de Bourron-Marlotte et ceux qui les ont habitées, reprend un article intitulé «La Cité du Violon», que l'imprésario écrivit en 1937.

«Cette maison fut construite au XIXe siècle pour Pierre-Louis Duval (1811-1870). Ce boucher avait fait fortune en ouvrant un premier "bouillon" puis plusieurs autres restaurants à bas prix à son enseigne où l'on servait un bouillon de viande très nourrissant provenant de la cuisson des bas morceaux de sa boucherie. Les chansonniers surnommèrent le bon papa Duval "Godefroy de Bouillon" et ses établissements des "restaurats" !

Après sa mort ce fut le compositeur Ernest Reyer (1823-1909), déjà familier de l'Hôtel Mallet qui l'acquit et y reçut en voisins ses amis Delort et Degas, en compagnie de la cantatrice Rose Caron. Il aimait se promener en forêt, fumant la pipe, et ce fut là qu'il composa l'opéra Salammbô d'après le roman de Flaubert, qui fut un grand succès.»

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Ernest Reyer

La petite histoire affime que Reyer n'était pas commode, s'insurgeant parfois contre les bruyantes beuveries des rapins trop bohêmes à son goût qui tapaient sur le piano accompagnant des chansons obscènes. Que pensa-t-il du détournement par Théophile Gautier de la musique de la marche funèbre qu'il avait composée à l'occasion des funérailles du Maréchal Gérard... pour accompagner les paroles licencieuses du De profundis morpionibus cher à nos potaches !

Quant à Pablo de Sarasate (1844-1908), il venait chez Reyer en voisin avec sa compagne Berthe Marx, depuis son «Atre» du 14, rue Cicéri où cohabitait le temps d'une saison une coterie de musiciens d'origines diverses, parmi lesquels Joseph Silck, Moszkowski, Alice Raveau ou Manuela Beljansky.

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Jules Boucherit
Quelques années plus tard, après la grande guerre, Jules Boucherit (1878-1962) transforma cette belle maison en cénacle musical et littéraire, vœu qu'il réalisa pour de nombreuses années...

Entre les deux guerres et jusque vers 1950, La Chansonnière fut un petit paradis consacré à la musique où de grands artistes se retrouvaient en toute liberté.

Un «vrai bouillon de culture» plaisanta Henri Jeanson en parlant de la Chansonnière dans une de ses chroniques.

Jules Boucherit et sa jeune élève Denise Soriano (1916-2006)*, qu'il épousera plus tard, en étaient les hôtes bienveillants.

D'innombrables musiciens, instrumentistes et compositeurs, du plus modeste au plus célèbre, du jeune inconnu au génie couvert de lauriers fréquentèrent La Chansonnière durant trente années.

Reynaldo Hahn (1875-1947) chef d'orchestre, critique et compositeur né à Caracas (Vénézuela), amant de Marcel Proust et son fidèle ami jusqu'à sa mort, fut l'un d'eux. Critique musical au Figaro de 1933 à 1945 et directeur de l'Opéra en 1945, il encouragea de nombreux jeunes artistes à leur entrée dans la carrière.

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Reynaldo Hahn par Lucie Lambert

En 1931, Alfred Cortot* (1877-1962), Jacques Thibaud* (1880-1953), Pablo Cazals (1876-1973), qui avaient fondé en 1905 leur mythique trio de musique de chambre, se sont retrouvés avant guerre à La Chansonnière pour jouer ensemble, entre amis, pour le plaisir. Les rares privilégiés qui ont assisté à ces instants rares, en parlent encore avec émotion, des décennies après.

Le "divin Cortot" comme l'appelait Ansermet, était né à Nyon petite ville surplombant le Léman. Il y convia un jour ses amis Thibaud et Casals pour jouer sur l'esplanade face au lac le délicieux Trio pour fées elfes et lutins qu'ils avaient jadis improvisé ensemble à Marlotte aux abords de la Mare aux Fées.

Jacques Thibaud

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Jacques Thibaud, qui a donné son nom au square proche de La Chansonnière, voit le jour en 1880 à Bordeaux. Il fut violoniste d'orchestre, notamment sous la direction d'Edouard Colonne, avant d'entamer une carrière de soliste. Ami et disciple d'Eugène Ysaÿe (qui composa pour lui sa ), Jacques Thibaud dont le jeu à la fois élégant et charmeur fit un un interprète idéal de Mozart, participa avec le violoncelliste Pablo Casals et le pianiste Alfred Cortot, au trio inoubliable qui porte leur nom. A la faveur du concours qu'il fonda en 1943 avec Marguerite Long, Jacques Thibaud se consacra à l'enseignement tant à l'Ecole normale de musique de Paris qu'à l'Académie Chighiana de Sienne.
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Trio Alfred Cortot - Jacques Thibaud - Pablo Cazals

Céliny et Marcel Chailley* qui menèrent de front une carrière d'enseignants et d'interprètes s'arrêtèrent souvent à Marlotte sur la route de leur propriété de Seignelay dans l'Yonne. Marcel, de santé délicate, décida en 1926 de se consacrer au professorat, sollicité en même temps par Jacques Thibaud pour l'École Normale de Musique et par Jules Boucherit dont il sera, de 1927 à 1936, le "répétiteur" officieux au Conservatoire.
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Villa Lobos et Magda Tagliaferro

Magda Tagliaferro
La pianiste Magda Tagliaferro* (1894-1990) y vint souvent avec la cantatrice Alice Raveau (1884-1945) et c'est ici qu'elle rencontra Wladimir Horowitz lors de son séjour à Marlotte en 1932, sympathisant avec les violonistes Michel Schwalbé et Ginette Neveu.

Ivry Gitlis*, né en 1922, ami de Claude Candela mon beau-père, peintre et altiste à l'Orchestre philarmonique, invité en 1973 aux "Catoussi", notre maison de Bourron, contait avec nostalgie "les riches heures de Marlotte", son enchantement à écouter les anciens, à se frotter à leur métier, les promenades en forêt, les aubades improvisées à la Mare aux Fées et notamment, plus récemment, une fabuleuse soirée au Haut-Mont, lorsque le jeune Maurice André embouchant sa trompette, improvisa une vibrante sonnerie au crépuscule.

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Ivry Gitlis

Destins tragiques
Deux hôtes de La Chansonnière disparurent de façon tragique. Ginette Neveu décéda aux Açores en 1949, dans le même avion que mourait le boxeur Marcel Cerdan.

Jacques Thibaud nous quitta lui aussi, en 1953, dans un accident d'avion alors qu'il se rendait au Japon, emportant son merveilleux Stradivarius datant de 1720 au royaume des ondes.

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A Marlotte, chez Jules Boucherit, en 1935. De gauche à droite   Mlle Charmasson, Mlle Nicole, Denise Soriano et son chien, (derrière :) Jacques Chailley, Céliny Chailley-Richez, Jules Boucherit, Marcel Chailley, et Ivry Gitlis (debout derrière), jeune élève

SOURCES


Denise Soriano et Jules Boucherit en 1942

Isidore et Émile Mendels

Pierre Louis Duval père des "Bouillons Duval"


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