PAUL MANTES
Un peintre fantastique
(1920-2004)

Paul Mantes
En présence de certaines œuvres, comme de certains paysages, l'on ressent un sentiment trouble, profond, de "déjà-vu". Les adeptes de la réincarnation vous diront que cette sensation est une réminiscence ou le souvenir récurrent d'une vie antérieure.

Ainsi, récemment, je visitai l'atelier de Paul Mantes, un peintre où, d'emblée, devant des tableaux d'un réalisme fantastique, je me sentis bouleversé. Mon esprit se mit en "phase", comme si le courant d'une énergie inconnue me reliait à ces œuvres.

A première vue, ces peintures glacées, d'une facture classique, n'ont rien d'extraordinaire. Certaines d'entre elles représentent les ruines d'une civilisation maritime antique après un cataclysme inconnu : vestiges de palais effondrés, colonnades blessées, caravelles échouées.

Epave
D'autres, d'une beauté irréelle, nous présentent des femmes mystérieuses au charme fascinant.

Il émane de ces œuvres une force, une puissance, une énergie telles qu'après les avoir vues, l'on ne se sent plus tout à fait le même. Elles nous magnétisent, nous dopent, nous rechargent. Pourtant, ces palais et ces créatures de rêve ne comportent en apparence rien de transcendant !

Violon desaccord
En fait, ces beautés chimériques nous envoûtent, ces palais en ruines dressés vers le ciel nous donnent envie de bâtir, de créer un monde nouveau ; ces navires blessés, ces proues tournées vers le grand large nous invitent à l'aventure, à la conquête de ces colonnes hautaines, meurtries, ancrées dans un ciel sans nuages, il émane une volonté tranquille, désespérée de renaissance, une force surnaturelle.

Fasciné par la magie de l'œuvre, on ne sait plus si nous sommes encore sur Terre ou déjà dans un autre monde, si le disque rouge du soleil qui rayonne dans le ciel d'azur pâle derrière les dentelles de pierres brisées est celui du soleil levant ou du soleil couchant, si la lumière surnaturelle est celle d'une aurore ardente ou celle d'un crépuscule glacé et désespéré.

Dans les années 90, Paul Mantes a somptueusement illustré quelques couvertures de notre revue.

(Marc Schweizer : in Science & Magie 1995)

Esquisse biographique
Grand Prix de Rome de peinture, Paul Mantes a enseigné à l'École Boulle et à l'École des Beaux-Arts de Paris.
Ideapolis
Architecte D.P.L.G., il a réalisé des immeubles, des villas, des bâtiments administratifs et notamment des projets de mise en perspective du quartier de la Défense. Il fut soulagé lorsque son projet du bâtiment pharaonique qui devait s'élever à la place de la gare d'Orsay - plan dont son patron l'avait chargé - ne fut pas accepté !

Peintre d'exception, Paul Mantes est sorti Major de l'école des beaux-arts de Paris et second du prix de Rome. Après une carrière d'architecte DPLG bien remplie au sein d'un cabinet prestigieux, il est revenu à sa première vocation : la peinture.

Malgré son talent exceptionnel, Paul Mantes n'a pas réussi à s'imposer dans la jungle artistique comme il avait réussi dans l'architecture.

Grand travailleur, minutieux et persévérant, il fut agréé dans le monde très fermé des copistes des Musées nationaux, notamment du Louvre et du Musée d'Orsay.

Paul Mantes
C'est ainsi qu'il a reproduit une trentaine de toiles majeures qui lui ont permis de se faire connaître de quelques initiés, lorsque un producteur de télévision préparant son film sur Vincent Van Gogh ne se vit pas autorisé à filmer un original.

Ce fut une magnifique copie d'un autoportrait de l'artiste élaborée par Paul Mantes qui fut choisie et fit le tour du monde.

Van Gogh par Paul Mantes
Spécialiste reconnu pour sa technique du trompe-l'œil, son "hobby" devint l'un de ses domaines de prédilection.

Cela donna d'ailleurs une idée à ce producteur qui persuada le peintre de lui confier une vingtaine de ses copies pour une exposition itinérante très médiatisée en Asie.

Depuis, ces toiles sont louées aux nouveaux riches d'extrême orient qui les exposent dans leurs salons au cours de leurs réceptions !

L'œuvre personnelle de Paul Mantes comporte donc de nombreuses copies d'originaux des musées du Louvre ou d'Orsay, de somptueux "trompe l'œil", et une remarquable œuvre personnelle : «Cités imaginaires», «Paradis perdus», «Visions oniriques», incroyables visions palladiennes de métropoles en ruines, de cathédrales solitaires dans un désert ravagé par les vandales, avec parfois, de surprenantes toiles baroques d'inspiration religieuse.

Un ange pleure
Un de ses rêves non réalisé fut de se voir confier une des innombrables églises abandonnées qui foisonnent dans notre pays pour la restaurer, l'illustrer, l'orner, la magnifier de son talent.
Gouter aux crises
Dans sa passion créatrice Paul Mantes alla jusqu'à "inventer" un peintre impressionniste, recréant de toutes pièces dans son atelier de Neuilly, l'œuvre devenue bien réelle sous son pinceau, d'un peintre imaginaire. Extraordinaire !

Mantes portait en lui un monde baroque, qu'il a magnifiquement interprêté mais dont la contemplation fut réservée à son entourage.

Trompe l'œil
Depuis que son appartement-atelier au 59 du boulevard du Cdt. Charcot à Neuilly fut dépouillé de ses splendeurs par des héritiers iconoclastes, subsiste seul, proche de la place des Ternes, dans un vaste grenier aménagé par l'artiste pour l'une de ses égéries, son chef d'œuvre architectural que l'on ne visite hélas plus.

Ce superbe volume sur trois niveaux, tout en trompe l'œil, avec des escaliers de marbre ne conduisant nulle part, des baies vitrées ouvertes sur les toits d'un Paris improbable et fantastique, des salons virtuels au mobilier baroque, irréel, orné de fleurs, d'animaux, de peintures et de sculptures étranges, est à lui seul un magnifique chef d'œuvre.

Antique
L'on peut se promener longtemps, sans se lasser dans ce dédale, et s'y perdre comme dans une jungle, voyant surgir dans de vrais ou de faux miroirs des visages féminins d'une beauté à couper le souffle, de terrifiants fantômes pourchassant des monstres énigmatiques.

Au détour d'un couloir nous voilà en plein ciel survolant la ville étincelante dans une nacelle suspendue à une mongolfière, suivie d'un cortège d'anges et d'oiseaux de rêve.

Parfois, un véritable escalier se prolonge d'un escalier virtuel conduisant le visiteur vers des apparitions qui le frôlent, tandis qu'éclatent les musiques célestes d'un invisible orchestre.

Trompe l'oeil
Paul Mantes l'enchanteur était un homme sérieux et grave au regard acéré et douloureux.

Adepte d'une vie saine, d'une nourriture frugale, c'était un grand marcheur, un escaladeur de montagnes, un randonneur solitaire capable de se rendre de Chamonix à Zermatt en moins d'une semaine, de relier Genève à Nice par les lignes de crête, sans effort apparent, dormant à la belle étoile dans son sac de couchage.

Le dernier souvenir, la dernière vision que je garde de lui date d'un petit matin de décembre, juste après la tempête qui vers la fin du siècle ravagea la France, un Paul Mantes errant stupéfait, ahuri, dans une allée du Bois de Boulogne proche de sa demeure, franchissant comme un somnambule les souches de grands arbres abattus sur les chemins...

Nous nous sommes croisés dans la brume sans nous parler, et je me souviendrai longtemps de son beau regard pathétique, égaré de stupeur devant ce spectacle de désolation, si semblable à l'une se ses plus secrètes visions.

Dispersion de l'œuvre, l'atelier mis à l'encan
En janvier 2011 plus de 100 peintures de Paul Mantes ont été dispersées à Drouot par l'étude Maître Ader. Par bonheur, les pièces maîtresses de son œuvre ont échappé au désastre, notamment son superbe grenier du quartier des Ternes aménagé en trompe-l'œil.
Marc Schweizer
Ouvrage de Paul Mantes :
La réalité est un trompe l'œil. (Chez Daniel Bontemps)

Sic transit
Paul Mantes Sic transit

 
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