Roland et Jean-Claude Piguet


ROLAND ET JEAN-CLAUDE PIGUET
Écrivains de la Vallée de Joux



Roland Piguet reçoit la Médaille d'or du roman d'espionnage
Ce fut au milieu des années 50 que je rencontrai Roland et Jean-Claude Piguet. Ce fut chez Jacques Yonnet, rue des Écoles.

Ils faisaient partie comme nous de « la bande à Yonnet ». Ce cénacle d'artistes en herbe, de poètes en friche, d'écrivains sans éditeur, de peintres sans galerie, se réunissait dans l'arrière boutique de son épouse Titine. Une librairie transformée en magasin de fourrures, qui permettait de faire bouillir la marmite.

Jean-Claude et Roland étaient sérieux, réservés, discrets. Ils parlaient peu mais savaient écouter, conservant ce charmant accent Vaudois qui rappelait celui de Ramuz.


Ils avaient gardé la nostalgie de leur Vallée de Joux natale où les attendait leur maison familiale de L'Orient.

Les frères Piguet étaient venus à la conquête de Paris, avec des poèmes et des romans inédits dans leur musette, mais n'avaient encore guère d'ouvrages à faire valoir.

Roland avait débuté dans la littérature dans la Collection « La Chouette » fondée pendant la guerre, en Suisse, par Frédéric Ditisheim, un éditeur inventif (dont je raconte l'histoire par ailleurs).


Frédéric Ditisheim
Il poursuivit sa carrière chez Ferenczi, avant de se voir accueilli par Jean Bruce, un génial et généreux auteur de romans d'espionnage, genre qu'il avait créé, surfant sur la vague propice de la guerre froide.

Quand Roland Piguet rencontra Claudine Delahaye au Quartier Latin, il en devint follement amoureux. C'était une petite merveille de jeune fille, une beauté ravissante, d'une intelligence rare, bien plus jeune que lui : un trésor que tous ses amis enviaient.

En 1961, lorsque, avec le lancement de son personnage « L'Épervier », ses ouvrages connurent leurs premiers succès, Roland fut frappé au cœur de sa vie affective. Emportée en quelques semaines par une maladie implacable, Claudine laissa son conjoint désespéré.

Resté seul, Roland Piguet se remit au travail, encouragé par Jean Bruce et son épouse Josette, ses meilleurs amis.


Jean Bruce
Trois ans plus tard, Jean disparut à son tour, en pleine gloire dans un accident de voiture. Josette confia alors à Roland la tâche délicate de poursuivre la série des OSS 117, romans suivis par un public considérable.

Roland Piguet se tira fort bien de ce travail difficile, parvenant à se glisser dans la peau du personnage d'Hubert Bonnisseur de la Bath, sans jamais décevoir ses lecteurs.

Notons à ce propos l'importance incontournable du label aussi bien dans le domaine littéraire que dans les biens de grande consommation. Sous la signature de Roland Piguet, un « Épervier » se vendait de dix à vingt mille exemplaires, sous la signature de Jean Bruce, un OSS 117 imaginé et composé par le même Piguet se vendait à plusieurs centaines de mille !

Roland ne se remit jamais tout à fait de la perte de Claudine. Il ne retrouva pas sa joie de vivre, son enthousiasme, même s'il jouissait d'amitiés fortes et sincères dans son entourage.

Dans la fin des années 60 et au cours des années 70, je voyais Roland chaque semaine, autant pour le travail (je l'avais programmé dans les collections Les Presses Noires puis Eurédif que je dirigeais) - que par camaraderie.

Un jour, plusieurs années après la mort de Claudine, il nous présenta sa nouvelle compagne. Je ne dirais pas qu'elle nous déplut, mais le souvenir de la petite merveille que fut sa première épouse demeurait en chacun de nous.

Son second mariage se termina pour Roland par une nouvelle tragédie. En fait une tragi-comédie. Il avait épousé une tribade ! Ce qui le laissa abasourdi et fut pour beaucoup, je pense, dans une fin de vie abrégée et sans joie.

Un petit ouvrage de Hervé Germond « Roland Piguet romancier » réunit quelques critiques de l'auteur et une courte biographie.

Romans de Roland Piguet

 
Jean-Claude Piguet dit Jacques Chantier
Le frère cadet de Roland, Jean-Claude, se disait « poëte » - il tenait au tréma ; il avait publié des poèmes et de courts récits à compte d'auteur. Il traînait moins que nous dans les bistrots, car il avait déjà charge d'âme - une femme et deux enfants.

Je suis allé lui rendre visite une fois, place de la République, où il vivait bourgeoisement dans un grand appartement. Il aimait faire découvrir une des curiosités de ce logis : une grande glace - miroir sans tain - séparant son bureau de la chambre de ses enfants, particularité qui lui permettait de surveiller discrètement sa progéniture lorsqu'il travaillait.

Jean-Claude ne réalisa pas toutes ses ambitions littéraires. Malgré les appels du pied de son frère, il refusa de s'adonner aux facilités du roman populaire. Ambitieux, il souhaitait produire une prose noble à « goncourt », nobélisable.

Il avait fait paraître, sous le pseudonyme de Jacques Chantier, « Le Train », un récit bien mené mais qui ne le conduisit nulle part.

Il publia ensuite aux Éditions de Minuit, sous le même pseudo, un joli roman : « Les Gitans », sans susciter l'enthousiasme de la critique ni d'emballement de la part des lecteurs.

Déçu, le fier Jean-Claude Piguet se retira sous sa tente, noircit des centaines de pages, sans trouver grâce à ses propres yeux ni éveiller l'intérêt d'un quelconque éditeur.

Vingt ans passèrent, vingt années de silence, avant que ne paraissent aux Éditions du Grand-Pont, à compte d'auteur, trente-six poèmes pleins de charme, réunis dans une plaquette sous le titre « La Vie au Vent ».

Après quoi, Jacques Chantier regagna la Suisse, reprit son nom de Piguet, s'installait à Lausanne où il enseigna la langue française aux étrangers, essayant de leur inculquer le goût de la poésie et de la bonne littérature.


Plaque commémorative apposée sur la Maison natale des frères Piguet, à "L'Orient", Vallée de Joux
Il ne faut pas confondre notre Jean-Claude Piguet frère de Roland avec un homonyme – sans doute un parent – qui profite de cette confusion pour s'imposer et faire parler de lui, sans annoncer la couleur, comme il oublie de dire que le fondateur des éditions qu'il a reprises furent créées par André Besson, dont je parle par ailleurs !
 
Lire : Jacques Yonnet l'Enchanteur


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