LES FUYEURS
Pourquoi les Français de souche
deviennent-ils des "fuyeurs" ?

marianne

Février 2010 - En plein happening politico-médiatique sur l'identité nationale, je retrouve un courriel reçu en 2002, il y a 8 ans, et que je n'avais pas publié, sans doute par pusillanimité, trouvant le constat exagéré. Le relisant aujourd'hui, je me rends compte que ce correspondant inconnu avait déjà tout compris, tout prévu... et que si les Français ne réagissent pas très vite, cela finira dans un bain de sang !

Venu il y a quelques années en région parisienne pour trouver un emploi, je me suis de plus en plus souvent posé la question: Mais qu'est-ce que je fous là ?

Dans le métro, en voyant un Blanc se faire casser un verre sur la tête par un Noir pour avoir refusé de céder sa place au "maître" africain : Mais qu'est-ce que je fous là ?

En sortant du métro, un bruit d'eau résonne sous la voûte en ciment ; devant moi, un "Pakis" pisse en montant les escaliers: Mais qu'est-ce que je fous là ?

En croisant en chemin, escorté par deux barbus islamistes, un sac à patates dont même les yeux sont dissimulés par un voile opaque : Mais qu'est-ce que je fous là ?

En voyant une bande d'adolescents africains et maghrébins qui s'enfuient après avoir volé "en force" une boulangère française : Mais qu'est-ce que je fous là ?

En écoutant une collègue me raconter l'agression subie la veille: Mais qu'est-ce que je fous là ?

A la laverie automatique, devant une Africaine, incapable de comprendre comment fonctionne une centrale de paiement et qui cogne répétitivement la machine sous les yeux d'un autre Africain apathique : Mais qu'est-ce que je fous là ?

La mixité "sociale", je m'en tape le coquillard ! Qu'ils la fassent sans moi. J'ai pas vocation à jouer les baby-sitters pour Africains handicapés du monnayeur et autres Maghrébins incontinents du volume sonore. Je n'en peux plus. Il faut que je retourne vivre avec des Français. Tout de suite !

Je ne suis pas le premier à entamer cet exode qui mène un nombre sans cesse croissant de Français d'une ville à une autre, à la recherche d'un quartier qui n'ait pas encore été saccagé.

La famille des fuyeurs est une grande famille dont les membres ont des profils différents. Il y a les fuyeurs de bonne ou de mauvaise foi, les fuyeurs intégraux, les fuyeurs partiels, les fuyeurs prévoyants, les fuyeurs fuyards. J'en connais.

Dans le XVIIIe, Jean-Claude et son amie vont devenir des fuyeurs. Ils habitent dans le secteur Max-Dormoy. Une partie du quartier est chinoise, l'autre afro-maghrébine. L'entrée de leur résidence est barrée par une première grille qu'on ouvre grâce à un code. On traverse un petit jardinet et on arrive devant la porte du bâtiment ; il faut alors un deuxième code pour entrer et ce n'est qu'une fois dans le bâtiment qu'on a accès aux interphones. «On a été obligé de faire comme ça parce qu'on retrouvait des seringues dans le hall», m'a dit Jean-Claude.

Puis il a enchaîné sur le quotidien d'un Français dans le quartier: les obstructions de passage des adolescents maghrébins, leurs insultes, leur racisme, plus un restaurant français ou européen... L'amie de Jean-Claude ne sort que pour aller travailler ; le reste du temps, cloîtrée dans l'appartement, elle refuse de sortir, ne fût-ce que pour acheter du pain.

Jean-Claude est allé à l'ambassade de Croatie pour savoir si un Français peut s'installer là-bas "parce qu'en Croatie y'a pas ces ethnies-là".

Jean-Claude et son amie sont mûrs pour entamer l'exode des fuyeurs.

Patrice aussi est mûr pour être un fuyeur. Un fuyeur de mauvaise foi. Vingt-sept ans, fils de sous-préfet, républicain de gauche, il clame haut et fort qu'il ne déteste qu'une chose : le "racisme". Il a emménagé avec sa copine dans un appartement du Xe. Il se félicitait de la diversité du quartier qui semblait à ses yeux un des principaux attraits du secteur, parce que la diversité est à la mode.

Un matin, il a retrouvé son scooter vandalisé. Même pas volé, juste cassé. Un autre jour, il est allé chercher ses outils à la cave et n'a rien trouvé (savait pas, le pauvre, qu'à Paris une cave d'immeuble est faite pour être vidée !). Une de ses voisines a été violée avec un revolver sur la tempe. Patrice et sa copine ont décidé de déménager. Ne lui demandez pas si ses problèmes sont liés au voisinage qui l'enthousiasmait un an plus tôt. Il n'est pas raciste. Patrice est un fuyeur intégral de mauvaise foi. Il part pour rester "tolérant". Officiellement, pour trouver "plus confortable".

Nathalie, mère célibataire, habite à Villeneuve d'Ascq, dans le nord de la France. Elle a une fille de seize ans : Agathe. Elle a toujours mis sa fille dans l'enseignement public. Nathalie n'est pas raciste. Le chiffre de Le Pen au premier tour des présidentielles l'a horrifiée. A la fin de l'année scolaire elle m'a dit : «Ce n'est plus possible : quand ma fille rentre de l'école, elle n'a plus qu'Abdel ou Rachida à la bouche, j'en ai marre. L'an prochain, je la mets dans une école privée pour qu'elle sache quand même ce que c'est que de grandir avec des Français !»

Agathe est en pension dans cette école privée. Elle s'y plaît énormément : elle n'en a pas conscience, mais je crois qu'entourée d'adolescents qui lui ressemblent et qui partagent sa culture, elle peut enfin s'épanouir. Nathalie est une fuyeuse partielle : elle a déménagé sa fille.

Sandrine est fonctionnaire. Elle a deux filles. Elle admet qu'elle a délibérément déménagé en grande banlieue, quitte à faire une heure de route, pour "protéger ses gamines des Arabes". Elle ne veut pas qu'elles se fassent "abîmer". Elle veut que ses gamines soient "des Françaises, comme elle". Sandrine est une fuyeuse intégrale honnête avec elle-même. Elle aime ses mômes et s'inquiète pour elles. Elle a pris les décisions qu'elle estimait nécessaires pour le bien de ses filles.

Catherine est mariée à un officier. Elle en a marre du stéréotype qui veut que les militaires soient "forcément des fachos" et se déclare franchement républicaine. Son mari a été mobilisé en Serbie pendant la guerre dans les Balkans. Elle a trois filles. Une était au Lycée Bergson (XIXe). Catherine n'avait pas à se plaindre du lycée jusqu'au jour où, a-t-elle dit, avec toutes leurs histoires de mixité sociale, la clientèle du Lycée Bergson a changé. Pas le programme. Pas les professeurs. Pas le règlement de l'établissement. Juste l'appartenance ethnique des nouveaux élèves. Et le niveau scolaire s'est mis à baisser. Et sa fille a commencé à rentrer du lycée avec des bleus "gros comme des assiettes à thé".

La dernière fois que j'ai entendu parler du Lycée Bergson, une petite Arabe avait été aspergée d'acide dans les toilettes de l'établissement. Dans le service de Catherine une petite Maghrébine scolarisée en Seine-Saint-Denis est venue faire un stage. Elle s'appelle Hakima. Interrogée sur la violence à l'école (quatre prof agressés), Hakima a expliqué en rigolant que dans son collège «il n'y a que les Français qui se font frapper».

Catherine a demandé pourquoi. L'adolescente a répondu «parce que c'est des victimes». Quelque temps plus tard, en rentrant chez elle, Catherine a trouvé sa fille en larmes. Elle avait été poursuivie par une bande d'adolescents afro-maghrébins et, comme dit sa mère, «Heureusement que le gardien était là». Catherine n'a fait ni une ni deux. Un de ses aïeux a été décoré de la "Rouge", elle a rempli un dossier pour que sa fille soit reçue aux Demoiselles de la Légion d'honneur. Catherine est une fuyeuse partielle.

Lorsque Hakima a raconté que dans son école seules les Françaises se faisaient agresser, Françoise était là. Françoise est mère d'une petite fille de trois ans scolarisée en Seine-Saint-Denis. L'an dernier, cette petite blonde aux yeux très bleus était dans une classe qu'on appelait "la classe des Français" parce qu'ils y sont huit petits Blancs alors que dans les autres classes on n'en compte que deux ou trois.

Un jour, le petit bout de chou de Françoise est rentré de l'école et lui a dit «Maman, je voudrais être noire.» A trois ans, la petite a déjà compris que ce n'est pas un avantage d'être blanc en Seine-Saint-Denis. Françoise ne s'en est pas remise, et la réflexion d'Hakima lui a arraché un cri. Françoise est engagée sur le chemin qui fera d'elle une fuyeuse.

Des Français "s'en vont" !

A vrai dire, l'envie d'écrire sur les fuyeurs ne date pas de ma propre décision de partir. Des propos de Malik Boutih, le président de SOS-Racisme, m'avaient déjà interpellé. Dans l'entretien qu'il accordait à un journal Malik Boutih regrettait la "ghettoïsation" de certains quartiers parce que, disait-il, des Français "s'en vont".

S'en vont... S'en vont ?!?

Est-ce qu'on peut dire des familles de Français qui quittent un quartier où leurs gamines ont été violées par des Afro-maghrébins et où ils sont harcelés, insultés et menacés de mort, est-ce qu'on peut dire que ces familles "s'en vont" ?

La fuite de ces Français, les derniers du quartier, ceux qui n'avaient pas les moyens de déménager avant, révèle, de façon amplifiée, pourquoi un nombre croissant de Français deviennent des fuyeurs : "parce que ce n'est pas possible". Il n'est pas de mot moins approprié pour expliquer cet exode que le mot "ghettoïsation".

Ce mot renvoie à l'idée que les communautés qui se sont approprié les quartiers sont victimes du racisme.

C'est faux. C'est même l'inverse qui est vrai. Les fuyeurs ne sont pas racistes. Ils sont victimes du racisme antiblanc. Les mères qui changent leurs enfants d'école ne le font pas par haine des Africains ou des Maghrébins mais par amour de leurs enfants. Il n'y a parmi les fuyeurs aucune volonté de mettre les Maghrébins et les Africains dans un ghetto mais un désir de vivre en liberté, en sécurité et sans entrave. Après avoir vécu quelque temps au contact avec d'autres ethnies, ils veulent renouer avec un mode de vie français, retrouver du calme et de la tranquillité, se sentir "chez eux" plutôt que vivre en exilés dans leur propre pays.

Les fuyeurs veulent transmettre à leurs enfants une culture et une sensibilité différentes de celles d'autres populations. Ils veulent vivre entourés de gens avec qui ils ont des origines, une histoire, des traditions en commun. Les fuyeurs sont positifs : ils veulent mieux que leur situation présente ; ils sont convaincus qu'avec quelques efforts, c'est possible. Le cri de ralliement des fuyeurs est Ensemble, entre nous.

S'il me paraît plus approprié de parler de fuyeurs que de "fuyards", c'est que le comportement des fuyeurs est moins une fuite qu'une volonté de préserver une identité, de renouer avec un mode de vie et de retrouver le droit d'être soi-même. Le comportement du fuyeur n'est pas un rejet de l'autre mais une affirmation de soi.

Le fuyeur est un pragmatique qui ne cherche pas à changer l'ordre des choses. Il constate l'existence d'une situation, une transition démographique et ethnique, et les modifications des rapports sociaux et culturels qui en découlent. Le fuyeur accepte cet état de fait comme une donnée du réel et adopte des stratégies d'évitement. Du changement d'école pour les enfants (le premier pas, souvent, des personnes qui adoptent le mode de vie des fuyeurs) jusqu'au déménagement pur et simple, en passant par le changement d'emploi ou le choix des établissements que le fuyeur fréquente et où il dépense son argent. Dans ce dernier cas, se retrouver "entre nous" devient sa priorité.

Ces stratégies sont conditionnées par le niveau social ou par les opinions de chaque fuyeur. Les fuyeurs partiels ou de mauvaise foi se recruteront plutôt dans les classes sociales élevées et les fuyeurs intégraux dans les milieux modestes.

Les premiers, en prenant leur voiture plutôt que le métro, en louant dans le secteur privé ou en achetant un logement, en scolarisant leurs enfants dans des écoles privées, en changeant d'emploi, développent des stratégies d'évitement plus fines que les seconds : ils pourront ainsi vivre dans des quartiers multi-ethniques tout en limitant au strict minimum les contacts avec la population locale.

Les seconds n'ont pas les moyens d'être subtils. Le déménagement reste la seule façon de préserver leur mode de vie : pour eux, le changement ne peut être que global. Pour changer les enfants d'école alors qu'ils ne disposent pas des relations nécessaires pour échapper à la fatalité de la carte scolaire, pour ne plus être le seul Français du bus ou de la rame, pour changer les établissements qu'ils fréquentent, pour retrouver d'autres Français au café du coin, il leur faut changer d'environnement.

J'appartiens à la seconde catégorie de fuyeurs. J'ai démissionné et j'ai décidé de quitter la région parisienne.

Après avoir côtoyé les Africains et les Maghrébins pendant six ans, j'ai fini par comprendre qu'un petit chez-soi vaut mieux qu'un grand chez les autres. Je préfère être au chômage et sans ressources dans ma région, dans une ville où il y aura le moins de Maghrébins et d'Africains possible, dans une chambre de dix mètres carrés à deux cents euros, entouré de Français, plutôt qu'être en minorité et victime du racisme et de la délinquance dans des quartiers afro-maghrébins.

J'ai envie de vivre avec des gens qui pensent comme moi, qui se comportent comme moi, qui ont le même tempérament que moi parce qu'ils ont les mêmes origines que moi, une histoire commune avec la mienne, qu'ils célèbrent les mêmes fêtes que moi et qu'ils partagent les mêmes joies que moi.

Combien sont-ils les fils des Poilus de 1914-18 et des Résistants de 1940-45 qui fuient leur propre pays, chassés par une armée de pouilleux que manipule un gang de pourris ? Et jusqu'où devront-ils se carapater pour trouver un lieu tranquille où remâcher leur humiliation ?

Joseph (migrant de l'intérieur)

tardigrade
 
 
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