NAURU LE JOYAU SACCAGÉ
Une île paradisiaque dévastée par le fric

Nauru

Nauru

Lors de son indépendance en 1968 - la petite île tropicale de Nauru - d'une superficie d'un peu plus de 21 km2 comptait à peine dix mille habitants dont moins de 4.000 autochtones. Située en Océanie, au N-N-Est de l'Australie, Nauru entra dans l'Histoire en 1798, lorsque le capitaine anglais John Fearn, y fit relâche à bord de son baleinier, le Hunter, pour s'y avitailler.

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Pleasant Island

Il l'appela Pleasant Island, l'Ile charmante, offrant sa découverte à la couronne royale, en toute discrétion, sans y planter ni bannière ni monument à sa gloire.

La population autochtone, semble issue de ces anciens navigateurs indigènes qui parcouraient l'océan pacifique d'île en île à bord de leurs pirogues à balancier. S'y ajouta une immigration chinoise et malaise, elle aussi très ancienne, augmentée au fil des ans par une faune disparate de marins déserteurs ou naufragés, de pilleurs d'épaves, de contrebandiers d'origine diverse.

Les Nauruans, regroupés en petites tribus, vivaient sans trop de problèmes, de pêche côtière, du poisson blanc de leurs lagons, de cueillette, de fruits et d'agriculture primitive.

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Retour de pêche

Vers 1878, un conflit tribal suscité puis attisé par le légendaire Abi Erateko, un aventurier banabane qui souhaitait prendre le pouvoir dans l'île, entraîna les autochtones dans une interminable guerre civile très meurtrière qui décima un tiers de sa population.

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Guerrier (vers 1880)

Les Allemands, déjà présents dans la région, annexent l'île qu'ils appellent Nawodo puis Onawero et y rétablissent la paix avant d'en mettre en valeur les ressources. Ils y implantent le cocotier afin d'en exporter le coprah, jusqu'au jour que le géologue néo-zélandais Albert Ellis, travaillant pour la Pacific Island Company y découvre un trésor : un fantastique gisement de phosphates.

De puissantes compagnies minières anglo-allemandes exploitent ce filon, puisant cet engrais dans des mines à ciel ouvert, à l'aide d'une main d'œuvre importée car les natifs ayant peu de besoins refusent de travailler sous la contrainte.

Pour doper leurs cultures intensives, les pays occidentaux, Australie et Nouvelle-Zélande en tête achètent à prix d'or ce fertilisant naturel. Toute colonisation de terre nouvelle entraînant la venue de missionnaires et l'évangélisation forcée des populations autochtones, Nauru et ses indigènes indolents n'y échappent pas. Le travail forcé, l'alcool, la prostitution, les maladies et le matérialisme abrutissant à l'occidentale vient fragiliser les natifs qui y perdent leurs traditions, leur vie libre et frugale.

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Extraction du phosphate (début XXe siècle)

Colonie allemande de 1888 à 1914, l'Empire ayant perdu la guerre, Nauru devient colonie australienne sous mandat direct de la couronne, de 1918 à 1968, avec un court intermède d'occupation japonaise de 1942 à 1945.

Après la Seconde guerre mondiale, l'ONU confie l'île à l'Australie qui reprend les rênes. L'exploitation du phosphate s'intensifie, saccageant le fragile équilibre écologique de l'île, sans que la population locale en profite.

Comme l'île ne dispose pas de port en eau profonde le chargement des navires nécessite des installations et des techniques peu mécanisées pas trop coûteuses.

Mais les temps changent

Sous la conduite de Hammer DeRoburt, descendant d'un chef coutumier de l'île, Nauru devient une république indépendante en 1968, et nationalise les mines de phosphate.

Hammer DeRoburt (au centre)

 
Années d'euphorie

Durant quelques années, c'est l'euphorie, la population de souche s'enrichit, devenant même l'une des plus riches de la planète par tête.

Dans son petit ouvrage «Nauru, l'île dévastée», Luc Folliet (1) nous conte «la fable implacable de cette saga post coloniale, du glouton qui dévore ses ressources fossiles et se trouve pris au dépourvu le jour où sa cave à minerais est à sec.»

Des rentiers gavés de royalties

« Quand ils accèdent à l'indépendance en 1968, les 4.000 habitants de Nauru nationalisent les mines et deviennent des nababs. Des rentiers gavés de royalties. Avec un PIE de 2.000 dollars par tête, les Nauruans sont à peu près aussi rupins que les Bédouins des États du Golfe. A tel point que la reine d'Angleterre, fascinée par le modèle de leur réussite, viendra leur rendre visite en 1982.

Visite d'Elisabeth II et du prince Philip

  Sur l'île, c'est une débauche de consommation importée: plusieurs 4x4 par habitant, et quand l'un tombe en panne, on l'abandonne sur place. Et l'on en rachète un neuf.»

Les Nauruans ne pêchent plus, ne cultivent plus la terre, ne chantent plus, ne dansent plus. Toute la nourriture est importée, y compris les salades, à 7 dollars l'unité. Vautrés près de leurs radios braillant des musiques étrangères, ou devant leur téloche débitant des vidéos porno; gavés de chips, de popcorn et de sucreries industrielles; gorgés de coca-cola, de sodas, d'alcool, les natives engraissent, s'avachissent, s'abêtissent.

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Parlement de la République de Nauru

Quant à l'État, pour avoir la paix, il assure l'électricité gratuite, prend en charge l'intendance des clapiers à loyer modéré construits à la chaîne, ouvre quelques écoles pour de petits gavés qui ne tiennent pas à s'instruire, crée Air Nauru, une compagnie aérienne bientôt leader sur le Pacifique grâce à d'énormes subventions, car ses avions volent le plus souvent à vide.

Il est évident qu'une telle richesse entre les mains de politiciens peu préparés à gérer une telle manne attire tous les prédateurs de la planète et attise toutes les convoitises.

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Transbordement du phosphate

Mal conseillé, le gouvernement engloutit des sommes considérables dans des opérations immobilières pharaoniques à Melbourne, dans toute l'Australie et jusqu'à Honolulu aux Iles Hawaï. Il autorise l'installation sur l'île d'officines troubles spécialisées dans les vraies-fausses pièces d'identité, allant lui-même jusqu'à émettre des passeports diplomatiques de complaisance. Des banques dirigées par des escrocs internationaux, drainant les capitaux flottants, ont pignon sur rue. Paradis fiscal et officine de blanchiment pour argent sale, Nauru The pleasant Island, devient un taudis, un nauséabond dépotoir post colonial peuplé d'obèses rongés par le diabète autour de quelques oasis pour nababs gardés par leurs sbires enfouraillés.

Je n'exagère pas ! Le globetrotter Yves Le Marec qui visita l'île à plusieurs reprises entre 1938 et 1978, raconte sur son cahier de voyage sa stupéfaction et son son désarroi devant la dégradation observée en quarante ans dans la population de l'île et son environnement. «Voir cette île saccagée, dévastée, peu à peu gangrénée par la pollution, ces hommes et ces femmes abêtis pourrir sur pied, fait vraiment mal.»

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Cases sur pilotis (1912)

Le chroniqueur Guillaume Malaurie rendant compte dans le Nouvel Obs de l'ouvrage Luc Folliet : Nauru l'île dévastée paru aux Éditions La Découverte, conclut :

«L'ivresse rend aveugle. Les 4 000 richissimes rentiers de Nauru ne réagissent pas quand ils apprennent, dès 1970, que les gisements de phosphates commencent à décliner. En 2000, c'est la chute libre. Et le naufrage quasi instantané. De pays le plus cossu de la planète, Nauru passe au rang du plus misérable, sans compter la charge d'une dette sidérale. Pour assurer quelques subsides, l'Australie y fera installer des camps de réfugiés afghans. La santé aussi trinque: à vivre sans bouger, à gober pendant trente ans des sucreries et des plats préparés, les Nauruans sont décimés par le diabète. Les médecins ? lls sont partis. L'hôpital ? Vide. L'espérance de vie ne dépasserait plus guère 50 ans à Nauru la gloutonne.»

Pêcheur

Retour à une pêche de survie traditionnelle

Mais la folie passée, la pauvreté revenue, le bon sens et la débrouillardise reprennent peu à peu le dessus. De nombreux Nauruans jadis campés dans leur individualisme égoïste s'organisent entre eux. Les familles s'entr'aident et se regroupent. Faute de carburant pour alimenter les moteurs, les hommes se sont remis à la pêche côtière ou artisanale, à repeupler de chanos ou poissons-lait le lagon pollué de Buada. Tandis que les bagnoles rouillent abandonnées sur le plateau, que hors-bords et vedettes rapides pourrissent sur le rivage sous une végétation qui reprend ses droits, voilà que reparaît la pirogue, aux mains d'îliens encore maladroits à la manœuvre tandis que le harpon à main permet des prises sous-marines. Chacun s'est remis à cultiver arbres fruitiers et légumes, à élever poules et cochons. Le manioc et le fruit de l'arbre à pain remplacent le riz ou le blé importés à prix d'or. Ici tout pousse en abondance pour peu que l'on s'active un peu ! Reste le spectacle affligeant de toutes ces ferrailles rouillées, tordues, abandonnées, de ces bâtiments industriels en ruines, de ce désintérêt complet pour l'environnement!

Mais gageons qu'en très peu d'années, la végétation tropicale dissimulera sous de magnifiques floraisons, des lianes élégantes et de triomphales frondaisons, ces erreurs humaines. Et qu'ayant retrouvé les bienfaits de l'autarcie, les îliens redécouvriront les chants et les danses de leurs ancêtres, revêtus de pagnes et de masques traditionnels. Sans doute n'est-ce là qu'un rêve ?

Marc Schweizer (2008)

pinacles

Les "pinacles"

 
Pour en savoir plus :
Nauru

 

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