Les camions de la mort soviétiques
Dushegubka - Gasvan - Gaswagen (1)
Mythe ? Désinformation ? Réalité cachée ?


 
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Piotr Grigorenko et son avocate Sophie Kalistratova

Piotr Grigorenko
(1907-1987)
ex-Général de l'Armée rouge et "dissident"

Je viens de lire les Mémoires de Piotr Grigorenko, le gros ouvrage d'un auteur dont j'ignorais tout, dont je n'avais jamais entendu parler, le récit incroyable d'un officier supérieur de l'armée rouge entré en dissidence et qui passa plusieurs années dans les hôpitaux psychiatriques.

La lecture de Grigorenko me permet de comprendre enfin ce qui s'est passé durant les sept décennies de cette abominable dictature stalinienne, m'a déniaisé de l'incroyable désinformation qui sévit aujourd'hui encore sur cette époque pourtant récente.

Je comprends mieux aussi pourquoi les complices de ces crimes - qui n'ont jamais été inquiétés pour leurs forfaits, font tout pour empêcher que l'on parle de ces horreurs !

Stéphane Hessel a raison de crier : « Indignez-vous ! »

À la page 340 de ce livre se trouve ce récit sobre et sans fioritures, que je livre tel quel à la connaissance de mes amis. J'encourage la lecture de l'ouvrage entier à tous ceux qui souhaitent comprendre pourquoi l'on voudrait nous interdire d'en savoir davantage…

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Général soviétique Piotr Grigorenko

Extrait de l'ouvrage :
Peu après mon arrivée à Moscou, je me liai d'amitié avec deux personnes remarquables, vieux amis de Zinaïde  [épouse de l'auteur] : Vassili Ivanovitch Tesslia et Mitia Tchernenko.

Le premier était un peu plus âgé que moi. Il avait fait la guerre civile. C'était un ami du premier mari de Zinaïde ; il était devenu le sien, devint le mien et le resta jusqu'à la fin de ses jours. Il venait souvent nous voir, très souvent.

« À ton avis, Zinaïde, disait-il d'un air mi-plaisant, mi-sérieux, j'ai déjeuné plus souvent chez toi ou chez moi ? »

Et il répondait tout de suite : « Chez toi, je crois. »

L'orsqu'en 1936 on avait commencé d'arrêter les gens qu'il connaissait, il travaillait à Svedrdlovsk (Iékaterinenbourg). Il aurait peut-être pu échapper à la répression, comme moi : mais il prit la défense de ses amis et on l'arrêta. Il fut soumis à d'horribles tortures.

Étant de bonne constitution, il endura tout, et de sa geôle écrivit des lettres au CC dans lesquelles il analysait les événements. Pour lui, c'était la contre-révolution. Évidemment, on ne les fit jamais suivre ; on ne l'en tortura que plus bestialement. Mais cet homme avait une telle volonté qu'en dépit de toute logique, les "instructeurs" eux-mêmes cédèrent et lui accordèrent une entrevue seul à seul, avec un avocat.

La suite de son histoire est encore plus incroyable. Vassili Ivanovitch, avant de voir l'avocat, avait rédigé une déclaration à l'intention du procureur général de l'URSS, sur du papier à cigarettes, en caractères microscopiques. Il la confia à son défenseur, en exigeant (et non en demandant) qu'elle fût remise à son destinataire.

« Ce n'est pas un service que je vous demande, lui dit-il ; je veux que vous accomplissiez votre devoir d'avocat. Si vous ne le faites pas, je vous retrouverai, quand je sortirai d'ici - et j'en sortirai, je vous en donne ma parole - et, où que vous vous trouviez, je vous ferai répondre de votre faute. »

L'avocat s'exécuta.

Fait plus étonnant encore : le procureur général voulut connaître et le dossier et l'accusé, et donna l'ordre aux tchékistes sibériens de transporter Vassili Ivanovitch à Moscou.

Ceux-ci, pour toute réponse, décidèrent d'en finir avec lui et l'expédièrent par avion, dans un camp du nord de la région de Tioumen. C'était un endroit où les "zeks" ne pouvaient être amenés et d'où ils ne pouvaient être ramenés qu'une fois l'an.

À cette époque (1939), le jour du transfert était déjà passé. En 1940, on "omit" de se rappeler la convocation. Mais les miracles continuèrent. Le parquet général de l'Union intervint de nouveau et menaça. Alors les geôliers durent obéir : c'était l'hiver 1940-1941.

Ainsi on l'avait retenu illégalement, deux ans durant, dans de conditions climatiques et de vie effroyables.

Camp
Camp

« Dans ces marais innommables les gens crevaient comme des mouches. Pendant que j'étais là-bas, j'ai vu arriver deux convois de plusieurs milliers d'hommes chacun. Il n'y a eu pour ainsi dire aucun survivant. »

Vassili Ivanovitch s'en sortit, mais invalide à 100 p. 100. Et c'est dans cet état qu'on le transporta à Moscou, où son affaire fut annulée.

Justice lui avait été faite ; mais lui savait qu'il était une exception. Il ne cessa pas pour autant de croire au communisme.

Quand je l'ai connu, il était toujours communiste, idéologiquement ; mais là (à la différence de gens comme Berger, l'auteur de Naufrage d'une génération (2), qui après vingt-trois ans passés en camp, n'a rien su conclure sinon que « tout » était nécessaire et inévitable), Vassili Ivanovitch affirmait clairement qu'aucune espèce de communisme ne règne au pays des soviets, que les gens qui le dirigent ne croient à rien, ne sont que de simples gangsters, uniquement soucieux de garder le pouvoir, et prêts à n'importe quel crime pour parvenir à leurs fins.

J'aimais parler avec lui. Il ne m'exposa pas tout de suite le fond de sa pensée. Comprenant que j'étais un stalinien, il usa de beaucoup de prudence pour m'amener à la critique de l'ordre existant.

Il connaissait très bien Lénine ; son argumentation consistait souvent à rappeler tel ou tel point de la doctrine léniniste en la confrontant à la pratique réelle.

Sous son influence, je me mis à considérer d'un œil critique l'héritage théorique de Lénine, et, par là, m'engageai sur la voie unique qui mène les communistes convaincus à la dissidence. J'en reparlerai plus loin.

Ainsi, j'étais prêt à donner un nouveau sens à tous les faits vécus que me racontait Vassili Ivanovitch.

À l'époque il était directeur de sovkhoze ; beaucoup de nos conversations tournaient donc autour de l'agriculture. Mais nous abordions évidemment d'autres sujets, en particulier ses souvenirs de prison et de déportation.

Un jour que nous en étions venus à parler des atrocités fascistes, je dis :

« Quels monstres ! Non, plus que ça : il fallait être dégénéré jusqu'à la moelle pour inventer un truc comme les camions de la mort. »

Vassili Ivanovitch hésita un instant. Puis :

« Vous savez, Piotr Grigorévitch… » (Il s'obstinait à me vouvoyer, bien que nous eussions convenu depuis longtemps de nous dire « tu » et qu'il le fît avec Zénaïde [épouse de l'auteur].)

« …les camions de la mort, c'est nous qui les avons inventés… dans le cadre de la lutte contre les koulaks, comme on dit ; en fait pour exterminer de simples paysans. »

Et il me fit ce récit.

Un jour, alors qu'il se trouvait à la prison d'Omsk, son camarade de cellule lui dit de venir à la fenêtre qui donnait sur la cour. Comme dans toutes les maisons de détention soviétiques, la fenêtre était pourvue d'un abat-jour : une caisse de planches qui ne s'ouvrait que sur le ciel. Mais il y avait une fente dans les planches, et on y pouvait voir la porte d'entrée d'une autre aile de la prison.

« Observe, lui dit son compagnon. Ça fait deux jours que je regarde ce qui se passe à cette heure. »

Un "corbeau" - fourgon pénitentiaire sans vitres, pour le transport des détenus - arriva bientôt. Seule différence avec les autres "corbeaux", la porte arrière de celui-ci était à deux battants et aussi large que la caisse.

Cette porte ayant été ouverte, les gardiens bourrèrent la voiture de détenus. « J'en ai compté 27, me dit Vassili Ivanovitch ; mais arrivé à ce nombre, je me suis arrêté. Parce que j'essayais de comprendre quel genre de gens c'étaient, et pourquoi on les enfournait dans ce fourgon, en telle quantité qu'ils devaient se tenir debout l'un contre l'autre.

Finalement, les gardiens ferment la porte en poussant avec leurs épaules et le « corbeau » démarre. J'allais m'écarter de la fenêtre, mais l'autre me fait signe de rester, en me disant qu'ils vont bientôt revenir.

De fait, les revoilà même pas un quart d'heure après. Les gardiens rouvrent la porte ; elle vomit une fumée noire et des cadavres qui tombent par terre, les uns sur les autres. Les gardiens finissent de vider le fourgon avec de longs crocs. Puis ils jettent tous ces corps dans une trappe que ne n'avais pas vue.

Dushegubka
Camions de la mort, "Corbeau", "Dushegubka", "Gasvan"

Je suis resté une semaine dans cette cellule, et tous les jours j'ai vu se répéter la même scène. Le corps de bâtiment où se trouvaient ces détenus était celui des « koulaks », à ce qu'on disait ; en fait, c'étaient des paysans : il n'y avait qu'à voir la façon dont étaient habillés les prisonniers qu'on enfournait dans ces fourgons. »

Ce récit m'horrifia. Pendant que Vassili Ivanovitch parlait, je ne pouvais m'empêcher de distinguer parmi ces pauvres paysans la figure de mon oncle Alexandre. On m'avait bien communiqué, officiellement, qu'il "était mort" à la prison d'Omsk…

Notes :

Camions de la mort
(1) (Les Gaswagen (« camions à gaz ») est une méthode génocidaire expérimentée par le NKVD soviétique dans les années 1930 et massivement utilisée par le Troisième Reich pour tuer des personnes au cours de la Seconde Guerre mondiale.

En 1921, Lénine crée le ''Cabinet'' des poisons. Sous le règne de Staline, le laboratoire est dirigé par un médecin. Surnommé ''Docteur la mort'', Grigori Moïssevitch Maïranovski faisait ses expériences sur des cobayes humains.

De plus, dès 1937, des "chambres à gaz ambulantes" (dushegubka), sont inventés par Isaï Davidovitch Berg. Des camions Ford, construits sous licence en URSS, sont transformés pour être clos et recevoir les gaz d'échappement qui asphyxaient les condamnés. Berg fut liquidé en 1939, peut-être par un tour dans une "dushegubka" qu'il a inventé et mis au point ?
(2) Joseph Berger, l'auteur de Naufrage d'une génération, Denoël, 1974.

SOURCE :

grigorenko-memoires
 
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