ROBERT VERGNES
(1927-2004)


 
Aventurier, spéléologue, explorateur,
chercheur de trésors
« L'imagination est plus importante que le savoir »

Enfant de Graulhet, petite cité du Tarn où coule le Dadou, et dont il a gardé le délicieux accent rocailleux de ses ancêtres, Robert Vergnes s'est senti tout naturellement attiré par l'aventure.

« Enfant, je rêvais de pays vierges, d'Indiens sauvages, de trésors enfouis, d'océans mystérieux ou tragiques, de civilisations lointaines… »

« A l'âge de dix ans, je passais mes vacances à Viterbe, charmant petit village tarnais, où mes parents possédaient une maison au bord de la rivière, l'Agout. Là, commença l'aventure. »

Avec son frère aîné Georges, qui écrira plus tard des livres sur la sorcellerie et les rebouteux et l'ouvrage de référence « Graulhet, mille ans d'histoire », il sera fasciné par les vieilles pierres.

En 1952, lors d'une de leurs explorations clandestines de La Magdeleine grotte connue et fréquentée depuis fort longtemps, ils découvrent des peintures pariétales encore inconnues. Ce sera le déclic de sa vocation. « Des rêves à la réalité, il n'y a qu'un pas que le petit paysan nomade franchira très tôt. »

La rencontre fabuleuse avec Norbert Casteret, le célèbre spéléologue qu'il connaîtra à peine sorti de l'enfance, sera décisive. De ce jour, Robert Vergnes sait qu'il sera spéléologue lui aussi.

D'autres contacts suivront : Haroun Tazieff, Don Fernando*, Che Guevara*, ou Jean Contenté* qui le conduiront à des aventures fabuleuses.

Entretien Robert Vergnes et Jean Contenté

 
Le Gouffre de la Pierre Saint-Martin

Robert Vergnes spéléologue

Découverte en 1950 par Georges Lépineux et Giuseppe Occhialini, le gouffre de la Pierre Saint-Martin fait l'objet d'explorations capitales dès 1951.

Robert Vergnes participe activement à deux d'entre elles, celle de 1953 organisée par Robert J. Lévi et comprenant notamment Norbert Casteret, Ochianlini, Lépineux, José Bidegain… et celle, pathétique, de juin 1954, au côtés de Jacques Theodor, au cours de laquelle la dépouille mortelle de Marcel Loubens, accidentellement décédé lors de sa descente en 1953, est remontée à la surface.

La Pierre Saint-Martin est longtemps restée le gouffre le plus profond du monde. Un nom entré déjà dans la légende… Un nom qui nous hantait, mon camarade Somaggio et moi-même, lorsque nous déroulions nos échelles légères pour explorer les igues et les grottes de la région de Saint-Antonin, terrain habituel des prospections du Spéléo-Club graulethois… La Pierre Saint-Martin, un gouffre que j'allais connaître grâce à Robert Lévi qui m'incorpora dans l'équipe en 1953.

Tour à tour explorateur des gouffres et coureur des cimes, spéléologue avec Norbert Casteret, vulcanologue avec Haroun Tazieff, chercheur de trésors, pilleur de tombes et pionnier de l'art précolombien, cinéaste, conférencier, écrivain, journaliste, il a touché à tout, avec succès sans jamais prendre la grosse tête ni se prendre trop au sérieux.

Lors de mes années de bohême germanopratines, Robert Vergnes faisait partie de la joyeuse bande à Chaumeil, de gais et bons buveurs qui fréquentaient assidûment tous les bistrots à bons vins entre la rue Mazarine et Saint Germain-des-Prés : Le Chai de l'Abbaye à l'angle de la rue de Buci où officiait Guy Mauchien, rue de Seine au Temps Perdu où présidait René, chez le Père Fraysse dont les vins gouleyants attiraient les oenophiles des cinq continents.

Robert Vergnes que nous appelions Kinkajou pour ses facéties de joyeux drille, n'avait pas le vin triste. Au cours des nuits bien arrosées, il était capable de sauter par dessus une voiture à l'arrêt pour regagner plus vite sa tanière au deuxième étage de la rue de Seine, en grimpant résolument le long du chéneau de zinc de la façade jusqu'à sa fenêtre qu'il laissait entrebâillée. Quand on lui demandait pourquoi il se livrait à cet exercice périlleux, il répondait que c'était un bon entraînement !

Ivre, il lui arrivait aussi de collectionner les essuie-glaces des véhicules en stationnement, facétie qui lui valut une nuit d'être surpris par les flics avec pour conséquence une invitation au tribunal où je figurai parmi ses témoins à décharge.

L'île del Coco

Vers 1957, en route pour une expédition spéléo au Guatémala où il fera l'ascension du volcan Izalco aux côtés de Haroun Tazieff, Robert Vergnes fait escale au Costa Rica.

Interwiewé par un journaliste local, il apprend incidemment que le Costa Rica possédait une île déserte, l'île del Coco recélant de fabuleux trésors que des pirates y auraient dissimulé, notamment celui du fameux "Trésor de Lima" appartenant au pirate Morgan.

Robert Vergnes croyait aux signes du destin. A Paris, il sera encouragé dans sa quête un peu folle à la suite d'une conversation nocturne - à laquelle j'assistai -, avec Mme de Lima, antiquaire du quartier.

Petite-fille de Mistinguett, (issue de sa liaison avec Léopoldo João de Lima e Silva le Consul du Brésil à Paris), elle nous confia qu'elle aussi était à la recherche d'un trésor : celui de sa grand-mère imprudemment confié au coffre numéroté d'une banque suisse.

Sophie Klinger raconte comment Robert s'embarqua dans cette nouvelle aventure à l'île Coco :

Ile del Coco
« Je traînais à Paris dans les rues de Montparnasse quand je fis une rencontre qui allait être lourde de conséquences. Ils s'appelaient Jean Portelle et Claude Chaliès. Ils rêvaient de faire « quelque chose » qui leur permettrait tout à la fois de gagner de l'argent et de partir à l'aventure.

Jean, âgé de vingt-sept ans, avait été, en 1959, le lauréat du « Tour du monde en 98 jours » organisé par Europe N°1. En 1960, il avait obtenu le prix Alphonse-Allais pour la relation de son voyage. Au cours de cette même année, il partageait le prix Interallié avec Henri Muller pour son roman Janitzia.

Claude, vingt-neuf ans, avait été second du « Tour du monde » et venait lui aussi de publier un roman, Au dernier vivant, dans la Série Noire.

J'avais connu Jean avant les « 98 jours ». Il cherchait alors des tuyaux sur les pays qu'il pensait traverser et je l'avais branché sur les hallucinantes fêtes indiennes, qui ont lieu dans un petit village du Guatemala : Chichicastenango

Devant un verre, nous nous sommes mis à gamberger.

– J'ai une idée, lui dis-je : l'île d'El Coco. Tu vois ? Le trésor des pirates, Thompson, Morgan… et puis, le Pacifique, une île déserte…

– Formidable !

– Tu te rends compte…? Tu écris un livre, je m'occupe de la presse, Claude fait un film… et puis, pourquoi pas le trésor ? Au petit jour, nous en étions à chercher les moyens financiers pour entreprendre l'expédition.

Déjà, les grandes lignes se dessinaient. Je dirigerais l'expédition, où nous serions seulement trois hommes, trois camarades sur une île.

Jean Portelle n'eut aucun mal à intéresser Europe N°1. Un feuilleton, enregistré sur l'île, passerait sur les ondes à notre retour. Pendant notre absence, seraient diffusées l'histoire de l'île et les aventures du pirate Morgan ; Jean devrait remettre le manuscrit avant notre départ.

Robert Vergnes premier voyage au Panama
Moyennant quoi, Europe N°1 nous avancerait l'argent et le matériel nécessaires. La revue Spirou nous donna son accord pour une série d'articles. Paris-Match, pour les photos et les textes, télé Monte-Carlo, pour le film, prirent une option, sous réserve que les documents que nous ramènerions aient de l'intérêt.

Mes futurs coéquipiers débordaient d'enthousiasme ; chaque jour, nous nous réunissions soit chez l'un soit chez l'autre. Nous commencions à réunir et à entreposer le matériel : grande tente de camping, réchaud et bouteilles de butane, armes, nécessaire pour la pêche sous-marine, scaphandre autonome et compresseur, canot pneumatique Zodiac et son moteur, etc. Pour ma part, j'emporterais en supplément ma petite tente, mon hamac de jungle, ma caméra 16 mm et le matériel de spéléologie.

Un après-midi, nous avions rendez-vous au bar de l'hôtel de la Paix, boulevard Raspail. J'arrivai légèrement en retard… dans la Cadillac blanche décapotable de mon ami, Don Fernando qui nous offrit la tournée. Nous parlâmes bien sûr de l'île d'El Coco.

Quand mes amis nous eurent quittés, Don Fernando*, qui savait jauger immanquablement les hommes, me dit :

– Fais gaffe, Robert, tes gars sont sympas, mais ils ne font pas le poids. Je serais toi, je ne donnerais pas suite. Ou alors, emmène Collot.

J'expliquai à Fernando que l'ami Collot était coincé dans son motel, cette année-là, et je terminai en lui assurant que cela ne serait pas bien dur, là-bas, sur l'île.

Je n'y pensais plus. Tandis que Jean écrivait son feuilleton sur le pirate Morgan, je recherchais à la Bibliothèque Nationale tous les documents qui pouvaient concerner l'île : cartes marines ; Club des Chercheurs de Trésors ; livre de Charroux, Trésors du monde… etc. Le « trésor » était un magnifique prétexte. Pour nous trois, il y avait le mirage d'un voyage et, comme eût dit Blaise Cendras, il y avait encore autre chose : une belle aventure. »

Une belle aventure qui vira trop vite au drame :

Le drame de L'île del Coco

Don Fernando
* Fernand Fournier-Aubry, dit Don Fernando, « le seigneur de l'Amazone » (1901-1972), était un aventurier, baroudeur et voyageur français. Tour à tour bûcheron, forestier, prospecteur, concessionnaire de forêt vierge pêcheur de requins. Il a publié plusieurs livres d'aventures vécues sur l'Afrique noire, (1919-1929), l'Amazonie (1935-1942), les îles du Pacifique (1942-1954), l'Asie interdite (1955-1956). André Voisin a recueilli l'histoire de sa vie, récit publié chez Robert Laffont.
L'Histoire du Trésor
« Oubliez les aventures de Tintin et d'Indiana Jones, l'histoire du « trésor de Lima » est plus rocambolesque encore. C'est en 1820 que le vice-roi du Pérou, craignant une révolte, décide de constituer ce trésor et de le mettre à l'abri au Mexique. L'inventaire initial mentionne entre autres 200 coffres remplis de bijoux, 113 statues religieuses en or, et des centaines de lingots.

Mandaté pour transporter le magot, le capitaine William Thompson se révèle peu scrupuleux: une fois en mer, il fait tuer les six soldats du vice-roi et met le cap sur une île, où il cache le butin. Il est arrêté peu après par un navire de guerre espagnol, mais parvient à s'enfuir.

C'est lors de sa cavale que sa route croise celle d'un aventurier canadien, John Keating. Thompson lui parle d'un trésor caché sur l'île Cocos, avant de mourir peu après. Keating, après avoir trouvé associés et capitaux, entreprend de fouiller l'île. Là, si l'on en croit son récit, il localise le trésor mais ne peut l'embarquer, à cause d'une mutinerie.

Seul à connaître l'emplacement présumé du magot, il doit s'enfuir à la hâte, à bord d'une chaloupe. Il meurt avant d'avoir pu organiser une seconde expédition. L'aventure de Keating contribue à donner au trésor sa dimension mythique. Dès lors, les chercheurs affluent sur l'île, l'un d'eux, un Suisse, s'improvisant même "gouverneur" des lieux.

Quelques personnages célèbres participeront à cette ruée vers l'or, à l'exemple de l'acteur Errol Flynn ou de Franklin D. Roosevelt, futur président des États-Unis.

A ce jour, 500 personnes se sont laissé prendre, comme lui, au mirage de l'île. »

Fin 1962, Robert et ses deux compagnons, Jean Portelle et Claude Chaliès, se font déposer à l'île del Cocos pour tenter à leur tour de retrouver le fameux trésor.

Le document que possédait Robert était rédigé en clair : « Débarque baie de l'Espérance entre deux îlôts […]. Marche le long du ruisseau 350 pas, puis oblique nord-nord-est 850 yards par soleil couchant pic dessine ombre d'un aigle ailes déployées. À la limite ombre et soleil grotte marquée d'une croix. Là est le trésor. »

Mais très vite, ce fut le drame. Le 21 décembre, lors d'une exploration de la baie, leur canot pneumatique en panne de moteur, se mit en travers des vagues, se retourna et ses occupants furent jetés à l'eau.

Robert Vergnes put regagner la côte, mais ses deux compagnons dont l'un savait à peine nager, disparurent.

Deux mois plus tard, un navire de passage ramena Robert Vergnes au Costa Rica où, devant ce drame très médiatisé une enquête fut ouverte.

En France, des journalistes en mal de copie, se lancèrent dans une controverse inepte.

El asunto dió lugar a una denuncia de Francia contra Vergnes, pues la muerte de sus compañeros, según sus familiares, no parecía muy clara. La denuncia no prosperó y Vergnes partió para una expedición en Panamá.

Robert revint sur l'île en 1973 mais il trouvera la grotte comblée par un éboulis.

La route de Robert Vergnes croisa également celle d'un autre aventurier de légende : Jean Contenté, dont il recueillit le récit d'une vie hors du commun qui parut sous le titre de L'Aigle des Caraïbes.

Robert Vergnes marchand d'art précolombien
Robert Vergnes n'avait rien d'un boutiquier. C'était un voyageur coureur d'aventures. Ni ses livres, ni ses articles ou ses films ne suffisaient à le faire vivre tous les jours. Pourtant, toujours entre deux expéditions, entre deux rêves, il lui fallut bien des ressources pour financer ses voyages.

Sa compagne l'incita à proposer lui-même au public quelques pièces rares ramenées d'Amérique. En effet, l'heure allait sonner où des collectionneurs s'intéresseraient à ces arts dits primitifs que la mode allait appeler « arts premiers ».

Ainsi en 1967, le récit de ses mésaventures à l'Ile Coco ayant été refusé par une dizaines d'éditeurs, je lui suggérai d'en tirer un roman d'espionnage que je ferai accepter aux Presses Noires où j'avais mes entrées. L'ouvrage parut en 1967 sous le titre : Mystère aux Iles Coco et, encouragé, Robert en écrivit un autre Pugilat au Guatemala, lorsque la tourmente de Mai 1968 survint et ruina nos éditeurs. Ce deuxième roman ne parut jamais.

Quelques ouvrages de Robert Vergnes :
  • Dans le gouffre le plus profond du monde, préface de Norbert Casteret, autoédition, Albi 1954.
  • Le Pays Vierge, préface de Harounn Tazieff, Les productions de Paris, 1957.
  • Un indien dans sa jungle et en France, (Expéditions spéléo en Amérique centrale, autoédition, Albi, 1960
  • Mystère aux Iles Cocos, Les Presses Noires (Collection Espionnage)
  • Pugilat au Guatemala, Les Presses Noires, (Coll. Espionnage), Paris, (jamais paru)
  • L'or dans la peau, Éditions Robert Laffont, (Coll. Vécu), Paris, 1974
  • L'Aigle des Caraïbes, Récit de Jean Contenté, recueilli par Robert Vergnes (Collection Vécu), Paris 1978
  • La dernière île au trésor, Éditions Balland, Paris, 1978
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Robert Vergnes traversant une rivière sur un pont de lianes

Sources et quelques pistes :

Robert Vergnes : L'Or dans la peau

Robert Vergnes : L'île del Coco en vedette

Alex du Prel, être d'exception, un aventurier ayant parcouru les îles du Pacifique à bord de son voilier avant de mettre sac à terre à Moorea, a raconté dans son journal (Tahiti-Pacifique magazine, n°102, octobre 1999) la légende de ces chercheurs de trésor.
Tahiti Pacific Magazine

Alex du Prel

 
 
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