PIERRE-JACK TOLLET
(1909-1991)
Le Pacha de « La Fuvelle »

Tollet
Ce fut au début des années 60 que je rencontrai un jour Pierre-Jack Tollet, à la sortie du métro Luxembourg.

Un petit homme sympathique, souriant, au visage buriné de loup de mer, abrité sous un chapeau de feutre, me demande si j'ai du feu.

Je lui tends ma pochette d'allumettes. Il rallume son clope, me remercie, et consulte son plan de Paris.

- Savez-vous où se trouve la rue d'Ulm ?

- Par là, sur la droite, puis deuxième rue à gauche. Vous y serez dans 3 minutes, dis-je en poursuivant mon chemin, mon manuscrit sous le bras.

Plus jeune, je marche plus vite que mon interlocuteur qui semblait vouloir musarder en chemin. Me voilà prestement rendu aux Éditions du Grand Damier où j'ai rendez-vous.

Poireautant dans l'antichambre, j'ai la surprise de voir arriver mon petit bonhomme, portant lui aussi un manuscrit sous le bras!

C'est ainsi que Toto et moi nous nous sommes découverts "confrères en écriture populaire".

L'amusant, c'est que nous avions rendez-vous chez le même éditeur, Serge Krill, et fûmes reçus par Jacques Dubessy. Et, ma foi, nous eûmes le plaisir de voir nos romans acceptés par son directeur littéraire et de les voir paraître dans la même collection de romans d'espionnage.

Toto avait connu une jeunesse libre et aventureuse, il avait pas mal bourlingué. Il avait parcouru l'Afrique, le Moyen-Orient et toute l'Europe, souvent à pied.

Puis il avait tâté du journalisme, pigiste il s'était mis à écrire des romans populaires, par plaisir. Né à la Belle-Époque, dans le midi, il était monté à Paris tout jeune, avait fréquenté la bohême, exercé quelques petits boulots, tâté du cinéma, du dessin et de la littérature sans faire fortune.

Pignouquet

Pour se faire la main, il avait imaginé un petit corbeau qui très vite devint son animal fétiche. Le « pignouquet », remporta le plus vif succès non seulement auprès auprès de ses amis mais de tous ceux qui le découvraient.

L'inspecteur Liotard, son héros, plaisait aux amateurs de romans populaires et a bien failli devenir la vedette d'un film.

Mais la guerre vint tout gâcher.

Pignouquet

Fait prisonnier dès début de la guerre, Pierre-Jack passa de longues années en Allemagne, période dont il parlait peu. Il fut le compagnon de stalag et l'ami de Jules Chapuzet, un cuisinier, dont les parents tenaient un hôtel dans le Jura.

Jules partagea en frère les colis bien garnis qu'il recevait de France.

A leur libération, Jules invita Toto, qui n'avait plus de famille proche, à venir le rejoindre à Malbuisson. Il tomba amoureux de sa sur Lucette, qui allait devenir sa femme.

Les parents, M. et Mme Chapuzet, fatigués confièrent l'hôtel familial à leurs enfants.

A la Fuvelle, Toto aménagea le bar avec goût et recevait la clientèle. Lucette, femme énergique et active, s'occupait du reste et supervisait tout dans l'établissement, tenant solidement les cordons de la bourse. Elle abandonnait à son mari le rôle de "patron", qui lui allait fort bien.

Malbuisson
Malbuisson
Ayant fondé le Lions Club de Pontarlier qu'il présida, et dont il devint si je ne me trompe pas, au fil des ans, le « gouverneur » régional du Haut Doubs, il fera bénéficier l'Office du Tourisme encore balbutiant, de ses idées novatrices.

Parisien de cœur, Toto avait gardé un modeste deux pièces à Montmartre, où il s'installait en célibataire durant la morte saison pour voir ses amis, dessiner ses «Pignouquet» et écrire ses romans.

En fait, Pierre-Jack Tollet avait une double vie - oh ! pas celle que l'on pourrait imaginer !

Malbuisson
Haute-Couture

Si à Malbuisson il menait une vie sérieuse de petit bourgeois rangé, de notable de province, auprès de sa chère Lucette et sous le regard vigilant de ses concitoyens s'impliquant volontiers dans la vie sociale du village, à Paris, Toto retrouvait ses ardeurs et ses goûts de jeune homme, de farceur, disons le mot, de joyeux drille adepte du canular. Il fréquentait des bohêmes comme Jacques Yonnet, Pierre Doris et leurs copains, qu'il régalait à son arrivée de petits vins du Jura dont il lestait ses valises.

Était-ce lui ou Yonnet qui entraînait l'autre, je ne sais. Toujours est-il que nos gaillards possédaient à fond l'art de mystifier leurs amis.

Le premier avril, invariablement, ils inventaient un attrape-nigauds qui ferait date.

Toto y participait toujours, sauf les années où cette date tombait dans la semaine de Pâques où il se devait de reprendre son gouvernail de Pacha à La Fuvelle.

Je me souviens de quelques-unes de leurs « inventions » souvent imitées depuis. Exemple : Un luxueux paquet cadeau dont l'emboîtage en « poupée russe » sous l'étiquette d'un bijoutier célèbre de la place Vendôme révélait en dernier ressort un minuscule écrin à sa marque recélant un vulgaire bijou fantaisie. Mais cet envoi n'était jamais adressé à n'importe qui. C'était invariablement à une «glorieuse» rombière du Tout-Paris !

Les joyeux farceurs inaugurèrent aussi l'envoi en nombre de cartons d'invitation à des personnages médiatiques pour un raout « en habit » soit chez une personnalité prestigieuse, soit chez Maxim's ou au Fouquet's ! Ils poussaient le vice jusqu'à aller se rendre compte sur place du nombre de gogos vicitmes de leur supercherie.

Si Toto était plein d'idées et d'entregent, dans son activité littéraire ou d'humoriste parisien, il l'était également dans son rôle de «pacha» de La Fuvelle.

Lorsque je me rendis à Malbuisson pour la première fois, vers 1962, je découvre au cours de nos longues conversations que, lors des négociations préliminaires aux Accords d'Évian qui avaient mis fin à la guerre d'Algérie, l'hôtel de la Fuvelle avait été réquisitionné par les autorités pour héberger durant quelques semaines des négociateurs de l'accord.

Plusieurs entrevues secrètes entre les délégations des deux camps, algérienne et française, eurent lieu à la Fuvelle, et Toto se souvenait d'avoir vu mon livre sur La Main rouge, paru en 1960, feuilleté par ses hôtes.

Toto Livre

En 1970, prenant les rênes des éditions Les Presses Noires, en déshérence (que je baptisai Euredif), Pierre-Jack devint tout naturellement un des auteurs de la maison.

Au cours de mes tournées de prospection en Suisse ou dans l'est de la France pour mon édition, je faisais souvent étape à Malbuisson et participais aux joyeuses soirées qui se terminaient immanquablement aux cuisines où Jules préparait des montagnes de crêpes succulentes et Toto servait de petits vins remarquables.

Plusieurs de mes amis artistes, tels les frères Piguet, notamment Roland, venaient de leur Vallée de Joux voisine discuter des mérites respectifs du Vacherin jurassien ou vaudois. Jean Bruce ou Frédéric Dard étaient également familiers de la maison. Des éditeurs comme Serge Krill ou Vladimir Dimitrijevic aussi. M. et Mme Candela, mes beaux parents y conviaient leurs amis musiciens, et bien d'autres artistes passaient volontiers des vacances à La Fuvelle.

A Paris, Toto réunissait une fois l'an ses meilleurs clients et ses relations parisiennes dans un restaurant proche de chez moi, à l'angle de la rue Villebois-Mareuil (Paris 17e) pour une soirée gaie, mais convenable, sans débraillé. Car le « pacha » ne mélangeait pas les torchons et les serviettes. Dans ce restaurant bcbg, il ne recevait que les gens chics, les bourges. Ses copains bohêmes, il les invitait chez René la branlette, ou dans une gargote de Montmartre, pour un raout bien arrosé, plein de rires et de chansons.

Tollet

Je perdis Toto de vue vers la fin des années 70, - ainsi va la vie, - mais je découvre aujourd'hui (janvier 2012) avec émotion et un immense plaisir, en revisitant ces pages déjà anciennes, que le souvenir de Toto, de son Pignouquet, de ses livres, survit dans la mémoire de ses amis.

Voir : Pierre-Jack Tollet


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