LE MONDE MYSTÉRIEUX DES RÊVES

 
Deux Témoignages:

MA VIE FUT UN SONGE
Mon enfance fut solitaire et heureuse.
Fille unique, je vécus entre une gouvernante compréhensive, des parents souvent absents, dans une belle maison entourée d'un grand parc. La seule chose qui me manquait, mais cela je l'ignorais en ce temps-là, c'était des petits amis de mon âge.
Alors je passais mes journées à jouer, à parler à mes poupées, à me créer un monde à part.

 
Je me souviens de mon premier rêve. Je jouais dans ma chambre claire, parmi des poupées, des livres et des jouets en grand nombre. Par la fenêtre je vis un petit garçon de mon âge qui m'appelait. Je quittai la chambre, rejoignis l'enfant et nous allâmes nous promener par le village que je ne connaissais pas.
Très blond, très beau, avec un joli né retroussé et des fossettes rieuses l'enfant me plaisait beaucoup plus que toutes mes poupées. Il me tenait par la main et me racontait un tas d'histoires étranges.
Il me disait par exemple que les petites routes goudronnées recouvraient de gros serpents, qu'il appelait des broras. Il me désignait à l'intérieur des frondaisons des vieux chênes centenaires, les yeux, le nez et la bouche d'antiques géants qu'il appelait des boufres. Les protubérances noueuses des troncs abritaient les astryges, de grosses chouettes à un seul œil et trois ailes. Au loin, les montagnes étaient la demeure des Trucules, de méchants sauvages mécréants qui mangeaient les hommes qui s'y aventuraient.
Ainsi nous marchions à travers le joli village pimpant et fleuri. Il me demanda un jour si je savais taire un secret. Je lui assurai que oui, alors il m'emmena au fond du grand parc public où, dissimulé dans un profond taillis de ronces, il y avait une sorte de tour en ruine, avec un grand puits. Il en souleva la margelle et, je vis avec terreur un escalier aux marches abîmées qui descendait sous terre. Il me dit que c'était le château du géant Escalibor, roi des boufres, des broras et des astryges.
Nous débouchons dans une grande salle, pleine de toiles brillantes où des araignées géantes aux yeux bleus, les aramagnes et de jolis serpents rouges, jaunes et noirs, à sept tentacules et sept têtes, les sumatias nous accueillirent parmi une nuée de petits scorpions noirs à la carapace piquetée de points rouges: les scapioles.
Au milieu de cette étonnante galerie, très animée, où bien d'autres créatures bizarres allaient et venaient librement, nous attendait un cheval vert avec de grandes ailes de chauves-souris, le pégalope. Il nous emmena sur son dos et je me réveillai dans ma jolie chambre.
Le rêve avait été tellement merveilleux, tellement précis, que je me souvins de tout, même des noms des animaux étranges rencontrés en chemin.
Le curieux, c'est que ce rêve revint fréquemment par la suite, si bien que je vivais dans son charme, ne sachant plus très bien si tout ce qui m'arrivait dans la journée n'en faisait pas partie.
Tous les matins Sylvie, une jeune fille très jolie et très savante, venait m'apprendre à lire, écrire et calculer. J'aimais feuilleter les grands livres pleins d'images dont elle me lisait les histoires, mais je trouvais qu'aucune d'elles n'était aussi belle que mon rêve.
J'avais très envie de lui parler de mon ami, d'Escalibor et du pégalope, des broras et des boufres. Mais mon petit camarade m'avait confié un secret et je me taisais.
A l'âge de 7-8 ans il m'arrivait de pouvoir entrer et sortir de ce rêve à volonté, et une quantité d'épisodes s'ajoutèrent à la première promenade dans le souterrain.
Une fois pourtant, je me souviens, c'était dans le hall d'un très bel hôtel à New-York où j'accompagnais mes parents, je vis mon petit camarade, vêtu d'un habit de cérémonie en velours noir, qui passait raide et fier à quelques pas de moi. Je voulus l'appeler, mais je me rendis compte avec angoisse que je ne connaissais pas son nom.
Alors, je m'échappai de la surveillance de Mamy Stany ma gouvernante et, d'un pas assuré je courus derrière mon ami. Mais plus je courais, plus il avançait vite lui aussi, si bien que je ne parvins pas à le rejoindre. Au fond d'un couloir brillamment éclairé, je le vis soulever la margelle d'un puits et disparaître vers le château d'Escalibor.
Je voulus le suivre mais je n'eus pas la force de soulever la dalle de marbre ronde qui résista à tous mes efforts.
A l'instant où très déçue, le cœur gros, je me mis à pleurer, le couvercle du puits se souleva, la tête de mon ami apparut qui me fit signe de le suivre.
Soulagée, je retrouvai Pégalope et les aramagnes, les sumatias et de nouveaux personnages que le garçon me présenta comme des rasures, des espèces de chats à trois têtes avec une longue queue et six pattes qui couraient partout.
Il me fit monter sur la selle de Pégalope et nous nous élançons dans les airs. Je me souviens très bien d'avoir survolé New-York, la nuit, cette ville immense, avec ses grandes maisons aux façades pleines d'yeux brillants comme des étoiles, dressées vers le ciel comme des bougies. Il les appelait les tourgaciel et c'est en nous posant sur la plus élevée de ces maison géantes que je me réveillai.
A dix ans j'entrais dans une école très sympathique où, pour la première fois, je me trouvais entourée de dizaines de camarades bruyantes, bavardes et excitées.
N'ayant guère l'habitude d'une telle compagnie, je me liai très peu à mes condisciples et je faisais un peu bande-à-part! Presque toutes les nuits, je retrouvais mon ami.
Un soir, dans la salle souterraine du château, mon petit camarade qui avait grandi comme moi, me montra un couteau étincelant, à manche d'ivoire serti de pierres bleues.
Il me saisit le bras qu'il posa sur une table de marbre, plaça son bras à côté du mien, et avant même de m'expliquer ce qu'il faisait, il entailla mon poignet, puis le sien. Le sang jaillit. Il embrassa alors ma blessure, j'en fis autant à la sienne. Puis, le plus naturellement du monde il appliqua alors sa blessure sur la mienne et me dit:
- Je m'appelle Maino et toi Lisabète, nous sommes les princes de Lisamène, la plus belle province d'Escalibor. Tu seras mon amie pour la vie, jamais nous ne nous trahirons, nous ne divulguerons nos secrets à qui que ce soit, je le jure!
Je répétai la formule après lui, sans qu'il me le demande, tellement cela me parut évident:
- Je m'appelle Lisabète et tu es Maino, nous sommes les princes de Lisamène, la plus belle province d'Escalibor. Tu seras mon ami pour la vie, jamais nous ne nous trahirons, nous ne divulguerons nos secrets à qui que ce soit, je le jure!
En me réveillant, je me rendis compte que pour la première fois mon ami m'avait dit son nom: Maino!
Je le répétai dix fois, vingt fois, avec ravissement à voix haute: Maino! Et moi, qui m'appelais tout prosaïquement Jeanne, je trouvai ce prénom de Lisabète mille fois plus joli que Jeanne que je détestais.
Un après-midi, je me souviens, c'était peu après ma première communion, Maino me révéla le secret d'Omane. Il m'emmena au bord du lac, me fit monter sur un canot à rames et m'emmena très loin, de l'autre côté du lac. Mais la bise se leva, soulevant des vagues énormes pour notre barque, et Maino et moi eûmes beau ramer comme des fous, nous n'arrivions pas à remonter le courant. Alors, soudain, comme j'avais très peur et que je me mis à pleurer, Maino se leva tout droit dans le fond du canot, dessina un signe mystérieux de son doigt et dit, d'une voix ferme: Omane! Aussitôt, comme par magie, le vent tombe et les vagues se calment et nous pouvons regagner la rive.
En classe je travaillais bien. J'aimais les études, je m'entendais à merveille avec mes professeurs. Le seul problème, c'étaient mes camarades, je les trouvais trop exubérantes, chahuteuses, superficielles. J'avais peu de contact avec elles, elles me trouvaient trop sérieuse, réservée, guindée.
Elles parlaient flirts, chiffons, vacances, échangeaient des trucs pour séduire les garçons, des petits secrets anatomiques ridicules. Moi qui retrouvais chaque nuit Maino, je n'avais aucun besoin de plaire aux autres garçons. Il avait grandi en même temps que moi. Et je ne me lassais jamais d'admirer sa prestance, son beau visage d'adolescent à la fois sérieux et rieur, son élégance naturelle. J'étais sous le charme et amoureuse de lui.
C'est pourquoi je trouvais tous les autres garçons fades et sans intérêt, leur conversation idiote, ce qui me valut d'être peu à peu tenue à l'écart de mes condisciples. J'eus la réputation d'être orgueilleuse et hautaine. Mon physique me sauva de la solitude. Comme je n'étais pas laide, il y avait toujours un coq téméraire qui essayait de me draguer pour se mettre en valeur auprès de ses camarades. Mais ce fut toujours en vain. Je n'étais pas du tout travaillée par le sexe.
A seize ans j'obtins mon bac avec mention et je n'eus que l'embarras du choix pour choisir une école. Avec l'accord de mes parents j'entrai en faculté de médecine. Ma carrière était toute tracée, je voulais rejoindre Mère Thérésa à Calcutta, soigner les lépreux en Afrique, ou faire partie d'une équipe de Médecins sans Frontière. A dix-huit ans mes parents m'achetèrent un studio à Paris et je vécus quelques années studieuses, m'intéressant à la littérature, à la peinture et au théâtre.
Mes nuits appartenaient à Maino. Nous allions toujours nous promener dans notre beau royaume d'Escalibor et nos escapades sur la selle de Pégalope nous emmena tout autour du monde. Chaque fois qu'une difficulté se présentait sur ma route, qu'un danger apparaissait, je prononçais Omane, le mot secret que m'avait appris mon ami et tout rentrait dans l'ordre.
Des années passèrent. Je ne voyais mes parents qu'aux vacances ou lors de leur passage à Paris. Je vivais sans amis véritables, comme une recluse, acharnée au travail. J'avais hâte d'obtenir mon diplôme pour me dévouer aux autres. Il n'y avait aucun flirt ni amourette dans ma vie.
A vingt-trois ans je n'avais encore jamais embrassé un garçon autrement que sur la joue. Ce n'étaient pas les hommages qui me manquaient. Autour de moi c'était plutôt le trop-plein de soupirants. Mais l'amour ne m'intéressait pas sous la forme vulgaire d'une gymnastique physique, d'un échange d'épidermes, de ces tristes et pauvres passions éphémères auxquelles je voyais toutes mes camarades succomber. Pour moi l'amour c'était quelque chose d'immense, de parfait, une communion totale, éternelle avec l'être aimé.
A vingt-quatre ans, interne à Saint-Louis, je me spécialisai dans la chirurgie et les maladies tropicales, tout en préparant mon doctorat. Diplôme en poche, mes amis organisèrent une grande fête, un tonus bien arrosé, qui selon la tradition devait se terminer en orgie. Mes petites camarades et quelques condisciples s'étaient jurés de me faire succomber cette nuit-là! J'aurais pu éviter cette épreuve. Mais je décidai courageusement d'y aller, sans me compromettre.
La soirée fut joyeuse. Je dansai à en perdre la tête, passant de bras en bras, évitant les baisers et les caresses trop appuyées, refusant de boire autre chose que des jus de fruit. Je me dévêtis comme les autres, sans me fâcher contre les propos scabreux, repoussant gentiment les mains trop agressives, acceptant de chanter les chansons les plus paillardes du répertoire sans aller jusqu'à les mimer. Lorsque je me sentais en difficultés, je prononçais mentalement le mot Omane et tout rentrait dans l'ordre. Malgré la complicité de plusieurs dizaines de garçons et de filles qui s'étaient jurés de me faire dépuceler cette nuit-là je réussis à éviter le pire.
A l'aube, je quittai la salle de garde intacte et l'esprit clair, n'ayant abandonné que mes lèvres à un baiser collectif.
Diplômée, libre de mon destin et de ma vie, je décidai de me rendre utile. Je commençai par acheter avec mes économies une grande quantité de médicaments, de vaccins, de sérums. Puis, sans consulter personne, avec deux valises bourrées d'instruments médicaux, et très peu de vêtements, je pris l'avion pour Beyrouth où je ne connaissais personne. Comme tout le monde j'avais entendu à la télévision l'appel désespéré des médecins opérant sous les bombes, dans des caves, aussi était-ce à eux que je voulus offrir mes services.
Lorsque le chauffeur de taxi ayant chargé mes lourdes cantines et mes valises me demanda où il devait me conduire, je lui dis simplement: "A l'Hôpital le plus atteint par les bombes!"
L'homme me regarda bizarrement avant de démarrer.
Il me conduisit durant plus d'une heure à travers la ville dévastée. Soudain, comme nous approchions d'un grand immeuble effondré devant lequel je voyais plusieurs ambulances, je fis arrêter la voiture.
Je sentis, le cœur battant, comme une certitude c'était là que je devais aller, que l'on m'y attendait.
En descendant l'escalier qui accédait aux sous-sols, je subis un premier choc: ces marches qui conduisaient dans la salle souterraine ressemblaient étrangement à celles du royaume de mes rêves.
Je fus reçue par des infirmières et des médecins harassés, dans les caves de ce qui fut le plus bel hôpital de tout le Moyen-Orient. Lorsque l'on me présenta le docteur John Henson-Martin, médecin chef, j'eus un second choc. Un véritable coup au cœur. Sous sa blouse verte de chirurgien tachée de sang, derrière son visage maigre et fatigué, je reconnus cet homme, c'était Maino.
Il me regarda lui aussi, fasciné, gardant longuement ma main dans la sienne.
A une lueur tremblant au fond de ses yeux vifs, je sentis qu'à lui non plus je ne semblais pas inconnue.
Je fus tout de suite entraînée dans la tourmente.
Avec une demi douzaine de collègues dévoués et des infirmières véritables saintes laïques, John opérait jour et nuit, soignait au mieux, soulageait comme il pouvait des centaines de malheureux, avec des moyens dérisoires.
Accueillie à bras ouverts, comme le messie, par une équipe fourbue mais enthousiaste, des hommes et des femmes formidables, je me trouvais soudain plongée dans l'horreur et l'enfer d'une guerre fratricide. Mes instruments, les médicaments et mon savoir-faire arrivaient à temps, car ici l'on manquait de tout. Débarquant d'un univers calme, d'un pays serein, en paix, le dépaysement fut total.
Je me mis tout de suite à l'ouvrage, sans perdre courage, refusant les passe-droits, œuvrant comme les autres, sans jamais me plaindre des horaires démentiels et des rudes conditions de travail. Le premier soir, nous dînâmes tout ensemble, dans un réfectoire de fortune, aménagé dans une grande salle voûtée, pleine de toiles d'araignées, où couraient quelques rats.
Le Docteur Henson-Martin me présentant à mes camarades, me dit: - Chère Jeanne, bienvenue dans notre triste royaume d'Escalibor. Ne soyez pas effrayée par les scarpioles et les aramagnes, ces bestioles inoffensives qui prolifèrent et remplacent les filles de salles manquantes. Ne craignez pas non plus les rasures, ces petits chats qui nous débarrassent des souris et des rats porteurs de dangereux microbes.
Je l'écoutais parler, muette et fascinée. Aucun doute, il était bien le Maino de mes rêves, le compagnon de jeux de mon enfance et de mon adolescence, mon seul ami, mon complice.
Lui aussi me regardait de son beau regard d'un bleu intense. Il me souriait, détendu malgré la fatigue, très beau dans sa blouse informe et maculée de sang, les cheveux blonds ébouriffés dépassant de son calot frappé de la croix rouge.
Après le bref et frugal dîner, nous retournons en salle d'opération car dix nouveaux blessés nous arrivent dans un piteux état.
Soudain, penchée sur un corps d'adolescent éventré dont les boyaux dépassent d'une bouillie sanglante, je regarde John, complètement désespérée, les yeux au bord des larmes, je murmure d'instinct: Omane.
Je vois un éclair de joie passer dans ses yeux et il me dit:
- Qui vous a appris ce mot?
- Mais vous, bien sûr!
- Tu es donc Lisabète?
- Je m'appelle Lisabète et tu es Maino, nous sommes les princes de Lisamène, la plus belle province d'Escalibor. Tu seras mon ami pour la vie, jamais nous ne nous trahirons, nous ne divulguerons nos secrets à qui que ce soit, je le jure!
Alors, comme des fous, pris d'une passion frénétique, nous voulons absolument arracher à la mort ce blessé fétiche de notre bonheur. Au bout de deux heures d'efforts acharnés, opérant face à face, sans nous parler, les gestes précis et sûrs, nous l'estimons enfin tiré d'affaires. Passant à un autre corps exsangue et mutilé, John me dit à voix basse:
- Si tu es véritablement Lisabène, dis-moi comment nous allons sortir d'ici!
- Nous chevaucherons Pégalope!
- Qui t'as appris cela? - Voyons John, vous le savez bien, c'est vous Maino qui m'avez tout appris!

 
A deux heures du matin, fourbus, harassés par une journée effroyable, John et moi nous nous retrouvons dans les bras l'un de l'autre, sur l'inconfortable matelas de l'étroite cellule nous servant de chambre. Et là, nous étant reconnus, nous replongeons dans notre rêve merveilleux, sachant que désormais nous ne nous quitterons jamais plus.

Johanna von Le Bret - Bâle

Ce témoignage passionnant montre comment deux êtres peuvent vivre des années, loin l'un de l'autre, sans se connaître et n'avoir en commun que leurs rêves. Lorsqu'ils se rencontrent, tout à fait par hasard, dans cette vie ou dans une autre, ils se reconnaissent enfin pour ne plus se quitter. Des occultistes affirment que c'est ainsi que se retrouvent les âmes "accomplies", à la fin de leur cycle terrestre. Ruydard Kipling, dans sa nouvelle "Aux lumières de la Cité du Sommeil" rapportait déjà une étrange aventure de ce type.

 
Témoignage :
Un rêve prémonitoire
CAMBRIOLAGE
Je suis persuadé que nous sommes entourés d'esprits ou d'entités inconnues qui nous visitent parfois pour nous prévenir d'événements en train de se dérouler au loin ou pour nous protéger. Pour moi, c'est aujourd'hui un fait indéniable. J'ai eu trop d'exemples dans ma vie pour conserver le moindre doute à ce sujet.
Il est vrai que certains d'entre nous sont davantage que d'autres l'objet des messages ou des sollicitations de ces esprits. Victor Hugo étonnait ses amis en leur annonçant le décès d'un proche avant que la nouvelle n'en soit officiellement connue. Il disait qu'on le prévenait.
Barrès affirmait que lorsqu'un de ses amis quittait ce monde, il en était presque toujours averti par des coups secs frappés à la porte de sa chambre ou de son cabinet de travail. Hugo et Barrès ne sont pas les seuls à avoir ce curieux privilège.
L'histoire nous enseigne que Jeanne d'Arc avait ses "voix", Napoléon son "petit homme rouge", Hitler son démon familier. Bien souvent, la nuit, j'ai entendu des coups frappés à ma porte me réveiller en sursaut, et toujours ces coups étaient la triste annonce qu'il était arrivé un accident à un proche ou qu'un ami venait de me précéder dans la tombe.
Je me suis souvent demandé qui me prévenait ainsi, et dans quel but?
Mais un événement récent survenu dans ma vie, est bien plus étrange encore.
Nous possédons dans les Yvelines une vieille baraque de famille qui nous sert de résidence de week-end et de vacances. Je m'y rends assez souvent, seul la plupart du temps, car ma femme déteste la campagne et mes enfants ont horreur du jardinage et du bricolage, activités que nécessite l'entretien d'une telle propriété.
Or, une nuit, (c'était la nuit du dimanche au lundi et je venais de rentrer de la campagne), je vis ma maison en rêve, avec une camionnette bâchée stationnant devant le portail ouvert, avec des gens en train de briser un carreau pour essayer d'entrer par la fenêtre de la salle de bains. Comme au cinéma, je vis se dérouler le film entier du cambriolage dont notre maison était l'objet.
J'apercevais distinctement les trois malandrins mettre les pièces sens-dessus-dessous, fracturer les meubles qui leur résistaient, vider les tiroirs, sonder les matelas, emporter les meubles et les bibelots qui leur plaisaient. A un moment donné, je les vis entasser dans une vieille malle quelques objets qui nous appartenaient et que je reconnus parfaitement: petits bronzes 1900, argenterie du salon, pendule neuchâteloise, chaîne hi-fi, appareil photo, etc.
Je ne sais si ce fut la crainte, l'émotion ou la colère, toujours est-il que je me réveillai en sursaut et en sueur. Haletant, je secouai ma femme qui dormait à mes côtés. Je lui soufflai:
«On est en train de nous cambrioler!»
En peu de mots, je lui racontai ce que je venais de voir en rêve. Mon épouse qui avait horreur d'être tirée brusquement de son sommeil me répondit avec humeur que j'avais dû boire un petit coup de trop la veille et que je radotais. Sur ce, elle se retourna et m'engagea vivement à me rendormir, ce que je fis sans trop me faire prier.
Or, à peine rendormi, mon rêve reprit, et je vis à nouveau les trois malandrins s'introduire dans notre maison, avec quelques variantes dans le déroulement de l'opération. Cette fois, il me sembla que les scènes étaient en technicolor, et je pus observer des détails que je n'avais pas remarqués au cours de la séquence précédente: l'un des voleurs portait une boucle d'oreille et un tatouage de sirène sur sa main gauche.
Son acolyte, un petit rouquin aux yeux verts affligés d'une "coquetterie", était affublé d'un blouson trois fois trop grand pour lui, dans lequel il dissimulait ses rapines. Le troisième larron, un métis très foncé de peau, avait une dentition curieuse: à la mâchoire supérieure, ses incisives formaient ce qu'on appelle les "dents du bonheur" tandis qu'à sa mâchoire inférieure, elles manquaient.
Le détail me frappa car, à un moment donné, je le vis s'emparer dans le tiroir de mon bureau, du gros "oignon" en plaqué or, que m'avait légué mon grand-père, et y mordre à belles dents avant de le glisser dans sa poche. Soudain, le rouquin renversa par mégarde la lampe de mon bureau dont l'ampoule éclata tandis que l'abat-jour en soie se déchirait.
Ce vol d'un objet auquel je tenais et la destruction de mon abat-jour préféré, me réveillèrent une seconde fois. J'allumai la lampe de chevet: il était trois heures. Mon premier mouvement fut de m'habiller, de sauter dans ma voiture et d'aller voir sur place si tout était en ordre. Mais le ridicule de la situation me retint. Ma femme avait raison, ce n'était sûrement qu'un mauvais rêve.
Pourtant, le lendemain matin, après le petit déjeuner pris en famille, je voulus en avoir le cœur net et je partis à M., sous les moqueries de mon épouse et les quolibets de mes enfants.
Or, quelle ne fut pas ma stupéfaction de retrouver notre maison, que j'avais laissée bien en ordre la veille au soir, dans un désordre indescriptible. Tiroirs ouverts, meubles défoncés ou manquants, literie dévastée, vaisselle cassée. Exactement ce que j'avais vu dans mes rêves de la nuit. Jusqu'au carreau brisé de la fenêtre de la salle de bains par lequel les cambrioleurs étaient entrés, et à l'abat-jour déchiré de mon bureau.
J'étais complètement abasourdi, non seulement par le vol et le vandalisme dont j'étais victime, mais surtout par cet étrange phénomène de double-vue qui m'avait permis d'assister en rêve à cette scène de pillage au moment même où elle se déroulait.
A la gendarmerie où j'allai faire ma déclaration, je parlai incidemment de mon rêve. Contrairement aux miens, le gendarme à qui je faisais mes confidences, ne se moqua pas de mon étrange récit.
Il me dit: «Ça tombe bien, j'ai ici quelques photos de suspects. Il s'agit d'une bande de récidivistes qui écument la région sans que jamais on ne puisse les prendre sur le fait. Regardez ça!»
Il étala une demi douzaine de photos sur le comptoir et, au premier regard, je sursautai. Deux des portraits collaient parfaitement aux voleurs entrevus dans mes rêves: l'homme à la boucle d'oreille et au bras tatoué ainsi que le métis à la bouche démeublée.
Je les indiquai au pandore.
«Sans blague, me dit-il, bondissant sur son téléphone! Peut-être que cette fois nous les tenons. J'appelle le juge pour obtenir un mandat de perquisition.»
Le soir même, vers 17 heures, la gendarmerie m'appelait pour me demander si je voulais bien venir reconnaître les affaires saisies chez des suspects en cours d'interrogation.
Les deux voleurs arrêtés étaient bien ceux de mon rêve de la nuit et je retrouvai avec plaisir la plupart des objets dérobés dans ma maison de campagne.

 
Martin Mervans - Paris

 


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