LES PRÉCURSEURS
 

MARIE JEAN LÉON D'HERVEY
Marquis de Saint-Denys

Précurseur de l'onirologie moderne, touche-à-tout de génie, Marie Jean Léon d'Hervey, marquis de Saint-Denys fut un chercheur amateur, mondain et original, dont l'œuvre n'a pas fini de nous surprendre.

En 1867, parut un livre curieux, attachant, très en avance pour son époque, intitulé Les Rêves et les moyens de les diriger qu'Oniros vient de rééditer dans son intégralité pour notre plus grand plaisir.

Publié dans un semi anonymat chez l'éditeur Amyot, en 1867, ce livre demeura longtemps confidentiel. Pourtant, son auteur, le marquis d'Hervey de Saint-Denys, était une personnalité du Tout-Paris.

Sinologue réputé, (il a traduit entre autres la poésie chinoise de l'époque Tang), chevalier de la Légion d'Honneur, il est nommé Commissaire Spécial pour l'Empire de Chine à l'Exposition Universelle qui se tient à Paris en 1867, année de la parution de son livre.

Le Pavillon de l'Empire Céleste, dont il est le promoteur, demeurera longtemps dans les mémoires de ses contemporains comme le clou de l'exposition. Avec ses amis orientalistes il réussit à transposer au bord de la Seine tout l'exotisme, la subtilité et le charme de l'ancienne Chine dont il est amoureux.

Dans son théâtre pékinois construit à grands frais, il montrera les délicieuses danseuses aux yeux bridés, exhibera un monstrueux géant mongol et un nain si petit qu'il tenait entre des paumes ouvertes. Ce sera son heure de gloire.

Car, très vite, le marquis cultivé et dilettante retournera à ses chers travaux, à ses livres, sans davantage faire parler de lui.

Peu connu de ses contemporains, si ce n'est dans les cercles mondains, - c'est à peine si l'on trouve ici et là quelques allusions à son œuvre chez les Goncourt, Zola ou Proust, - le marquis rêveur sera redécouvert par les surréalistes.

Dans Les Vases communicants, André Breton dira de lui :

«Il est remarquable qu'un homme se soit trouvé pour tenter de réaliser pratiquement ses désirs dans le rêve.»

Sa vie

Marie Jean Léon Le Coq d'Hervey naquit le 6 mai 1822 à Paris, dans un milieu aisé. Sa mère, Mélanie Louise Joséphine Juchereau de Saint-Denys, fille d'un général d'Empire, épousa en secondes noces le baron Pierre Marin Alexandre Le Coq d'Hervey, intendant militaire, père de notre futur onirologue.

Il fut élevé dans sa famille par des précepteurs, travaillant seul, comme il le dit lui-même "loin de toute distraction et de toute surveillance et libre de couper mes heures de classe suivant mes inspirations ou mon bon plaisir". Il aimait beaucoup dessiner.

A l'âge de 14 ans, l'idée lui vint de prendre pour sujet de ses croquis les souvenirs d'un rêve singulier qui l'avait vivement impressionné. Le résultat lui ayant paru divertissant, il eut bientôt un album où il représenta et nota chaque scène nocturne vécue au cours de ses rêves.

Il tint ce "journal de nuit" durant plusieurs années. Puis, à la sortie de l'adolescence, il se mit à étudier le phénomène onirique dans les livres. Il se rendit vite compte de ce que ses expériences avaient d'original.

En 1855, l'Académie des sciences morales et politiques proposa comme sujet de concours la théorie du sommeil et des songes.

Le marquis, poussé par ses amis, faillit présenter son mémoire, mais il renonça devant le règlement du programme de ce concours.

Après la mort du baron son père, le 4 juin 1858, son oncle maternel, Amédée Vincent de Juchereau de Saint-Denys l'adopta, lui permettant d'adjoindre à son nom le titre de marquis de Saint-Denys dont il se montrera très fier, voire fat.

Le marquis partagea son temps entre le château du Bréau et sa demeure parisienne. Il eut de nombreuses curiosités, s'intéressant non seulement aux rêves, à la poésie et à la langue chinoise, mais également au théâtre espagnol, à l'histoire contemporaine, à l'ethnographie, à la peinture et à la numismatique.

Une jeune et jolie baronne

Taquinant la muse, le marquis publia des vers que ses détracteurs jaloux s'empressèrent de taxer de libertins, et dont l'inspiratrice aurait été une demi-mondaine du nom de Valentine dont il fut très amoureux.

En 1868, âgé de 46 ans, il épousa Louise de Ward, jeune et jolie baronne autrichienne de 18 ans, qui se consacrait avec talent à la peinture, signant ses toiles du pseudonyme de Louise Dubréau.

La biographe du marquis, Betty Schwartz, nous dit : "elle paraît avoir été la matérialisation des rêves de blondeur auxquels il fait allusion dans Les Rêves :

«Sa beauté était vraiment idéale, et dans ses cheveux blonds, il me semblait voir un reflet du soleil...»

Elu au Collège de France, en 1874, puis membre de l'Institut, en 1878, d'Hervey Saint-Denys appartint à plusieurs sociétés savantes.

L'essentiel des observations et des théories obtenues grâce à ses recherches sur le sommeil et les rêves sont aujourd'hui confirmées par les travaux des psychologues et des neuro-physiologues contemporains.

Le marquis mourut dans son hôtel du 9 avenue Bosquet, qu'il avait fait construire avec son épouse, et il repose au cimetière Montparnasse, dans un caveau quelque peu délabré.

Lire le Dossier du N° 37/38 de l'excellente revue Oniros BP 30 F93451 Ile St-Denis Cedex.

Les Editions ONIROS viennent de rééditer l'œuvre d'Hervey de Saint-Denys dans une édition intégrale comportant "Un rêve après avoir pris du haschich", appendice manquant dans l'Edition Tchou de 1964.

Un second volume, D'Hervey de Saint-Denys, comporte une biographie, la correspondance familiale ainsi qu'une étude sur l'œuvre de l'oniriologue et du sinologue.


Hervey de Saint-Denys
Volonté dirigeante

«Je rêve que j'ai découvert de grands secrets magiques par le moyen desquels je puis évoquer les ombres des morts, et aussi transformer les hommes et les choses selon le caprice de ma volonté.

Je fais d'abord surgir devant moi deux personnages qui ont cessé d'exister depuis plusieurs années, et dont les images fidèles m'apparaissent néanmoins avec la plus parfaite lucidité.

Je souhaite de voir un ami absent ; je l'aperçois aussitôt, couché et endormi sur un canapé. Je change un vase de porcelaine en une fontaine de cristal de roche, à laquelle je demande une boisson fraîche qui s'échappe à l'instant d'un robinet d'or.

J'avais perdu depuis plusieurs années une bague que je regrettais beaucoup. Le souvenir m'en vient à l'esprit. Je désire la retrouver ; j'émets ce vœu, en fixant les yeux sur un petit charbon que je ramasse dans le foyer, et la bague est aussitôt entre mes doigts.

Le rêve continue ainsi jusqu'au moment où l'une des apparitions que j'avais provoquées me charme et me captive assez pour me faire oublier mon rôle de magicien, et pour me jeter dans une nouvelle série d'illusions plus réalistes.

A mon réveil, je suis frappé par cette idée que ma volonté seule avait successivement évoqué toutes ces images. Il est vrai que je n'avais pas eu le sentiment d'être le jouet d'un songe ; mais je n'en avais pas moins rêvé exactement ce que j'avais voulu.»
 

© Pierre Genève (1992)


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