DICTIONNAIRE ANECDOTIQUE
Clins d'œil de l'histoire, des sciences,
des arts et de la littérature

Clio, Euterpe et Thalie

ACHILLE LAURO  : Un paquebot marqué par la loi des séries (d'après Jean Moisset).

Commencée en 1937 aux Pays-Bas, la construction de l'Achille Lauro, appelé provisoirement numéro 214, fut interrompue en 1941 à la suite de l'invasion de l'armée allemande.

Le navire fut finalement lancé en 1946 et baptisé Willem Ruys. Son nom, à l'origine, devait être Ardjœna. Or, il existe une superstition selon laquelle le fait de changer le nom d'un bateau avant qu'il prenne la mer risque d'être de mauvais augure pour la destinée de celui-ci. Un armateur italien, Achille Lauro, le rachète en 1966 et lui donne son nom. Après avoir été affecté à des transports d'immigrés, le navire est transformé en 1970 en paquebot de croisière.

A partir de ce moment là, l'Achille Lauro connaît une longue série d'avaries, d'incidents et d'accidents divers dont voici un résumé.

En 1971, le paquebot heurte un bateau de pêche napolitain : un mort à déplorer.

Alors qu'il est à quai dans le port de Gênes, en 1972, un incendie dû à un acte de malveillance se déclare à bord.

Ensuite, lors d'une croisière au cours de l'année 1975 dans les Dardanelles, l'Achille Lauro heurte un cargo libanais dont 4 marins sont portés disparus.

En 1976, les douaniers italiens saisissent dans sa cargaison des machines à sous embarquées illégalement.

Tout va bien jusqu'à 1981. Cette année là, un incendie se déclare à bord du navire au large des îles Canaries. Deux passagers pris de panique se jettent à l'eau et périssent noyés.

Les autorités des îles Canaries saisissent le paquebot en 1982 à la requête de créanciers allemands.

Au cours de l'été 1985, un commando de terroristes palestiniens détourne l'Achille Lauro et prend en otages son équipage et ses passagers. L'un d'eux, un touriste américain handicapé, est jeté à la mer dans son fauteuil roulant.

L'année suivante, lors d'une croisière en Égypte, le paquebot s'échoue sur un banc de sable près d'Alexandrie avant de connaître une alerte à la bombe.

En 1987, cinq ans après le décès de l'armateur Achille Lauro et par suite de la faillite de sa compagnie, les bateaux de sa flotte furent mis en vente aux enchères, y compris le célèbre paquebot, qui lui, poursuivit sa carrière sous pavillon sud-africain jusqu'au début de 1991, avant de partir pour l'Australie.

Achille Lauro

L'Achille Lauro joua son propre rôle en 1990 lors de la réalisation du film de télévision sur l'attaque des terroristes palestiniens. Le tournage se passa bien. Cependant, une actrice du téléfilm, Rebecca Schaeffer, fut assassinée peu de temps après son retour aux USA.

L'année 1994 devait mettre fin à l'odyssée de l'Achille Lauro. Le 30 novembre, alors qu'il se trouvait au large de la Corne de l'Afrique, un incendie se déclara à bord. Les passagers furent évacués sur Djibouti. On déplora 2 morts par crise cardiaque et 8 blessés.

Le navire coula le 2 décembre.

Toutes ses tribulations ne découragèrent jamais la clientèle. L'Achille Lauro connut de brillants succès lors de quelques somptueuses croisières. (Jean Moisset  : Le Grand livre des Coïncidences)

ANGES  : Toute jeune et d'une figure charmante, Marie Cluse, converse sacramentine, sœur du Bon Ange, au couvent des sœurs sacramentines d'Orange, fut guillotinée dans cette ville en 1794. Un des aides du bourreau lui offrit de la sauver si elle voulait bien coucher avec lui. Elle lui répondit  : «Fais ton devoir, bourreau, ce soir je veux aller coucher avec les anges.» (Barrès  : Mes Carnets)

ARBRE  : Passant dans les plaines d'Arménie avec l'immense armée qu'il menait contre la Grèce, Xerxès rencontra un bel arbre et fut saisi de tant d'admiration et d'amour pour lui, qu'il voulut offrir à ses branches ses bracelets et ses colliers. Puis il lui donna pour le servir un serviteur immortel, c'est à dire qu'on remplacerait à chaque décès par un jeune. (Hérodote)

LES BONS MOTS D'ARISTIPPE DE CYRÈNE  :

Aristippe
Aristippe de Cyrène

L'ARGENT D'ARISTIPPE  : S'apercevant que l'équipage du bateau sur lequel il s'était embarqué était composé de pirates, Aristippe se mit à compter ostensiblement son argent, puis le laissa tomber à la mer, comme par maladresse, en poussant des cris de désespoir. Il devait déclarer par la suite qu'il avait préféré voir périr son argent pour sauver Aristippe que de voir Aristippe mourir pour sauver son argent. (Aristippe)

ARISTIPPE  : Un jour, Denys le tyran de Syracuse propose à Aristippe de choisir entre trois ravissantes hétaïres. Aristippe les prend toutes les trois en disant qu'il ne voulait pas être aussi sot que Pâris (personnage de la mythologie). Mais parvenu avec ses belles sur le seuil de sa porte, il les congédia.

Entrant dans un bordel et voyant rougir l'ami qui l'accompagnait, Aristippe lui dit que la honte n'était pas d'entrer dans un tel lieu mais de ne plus pouvoir en sortir.

A quelqu'un qui lui reprochait de vivre avec une courtisane, Aristippe répondit qu'il revenait au même d'être le premier locataire d'une maison ou de prendre la suite de plusieurs autres, de voyager sur un bateau tout neuf ou sur une embarcation ayant déjà fait de nombreuses traversées, de coucher avec une vierge ou avec une femme qui avait déjà beaucoup servi.

Une femme de mœurs légères ayant annoncé à Aristippe qu'elle attendait un enfant de lui, il lui posa la question suivante  : «Comment peux-tu le savoir ? Si tu avais marché sur un nœud de vipères, pourrais-tu me dire celle qui t'a mordue ?»

HONORÉ DE BALZAC

Balzac
Un ami rend visite à Balzac, qui, très ému, les larmes aux yeux, l'accueille en lui annonçant la mort de la duchesse de Langeais. Le visiteur s'étonne, il ne connaît pas de duchesse de Langeais, à Paris ou ailleurs. Mais Balzac a créé ce personnage dont il vient de décrire la mort dans son livre et le créateur est toujours dans son monde visionnaire, il n'est pas encore revenu dans le monde réel ce n'est qu'en voyant la surprise de son visiteur qu'il comprend la situation.

Le véritable artiste est donc pendant son action créatrice aussi accaparé par elle que le croyant par sa prière, le rêveur par son rêve. Il est par conséquent obligatoire que, regardant uniquement vers l'intérieur, il ne se rende plus nettement compte du monde extérieur ni de lui-même. C'est pourquoi les artistes, les poètes, les peintres, les musiciens, ne peuvent pas, pendant qu'ils créent, s'observer eux-mêmes et encore moins nous expliquer, ensuite, de quelle manière ils ont créé. (Source : Stefan Zweig : Derniers messages)

LOUIS BARTHOU

Louis Barthou
Louis Barthou (1862-1934)
Jeudi 9 Août 1928. - Aucunes nouvelles de Barthou. Il doit pourtant savoir que Vallette n'a pas fait partie de la dernière promotion.

Je faisais remarquer cela ce soir à Dumur. Je lui dis en même temps : «Est-ce vrai, tout ce que Daudet raconte de Barthou ?

- Parfaitement vrai. Je ne sais pas pour la rue de Furstenberg, mais bien avant que Daudet en parle, Z. m'avait raconté cela. Vous savez que Z. est marié à une femme qui tient une maison de tolérance. Il est très renseigné. Il s'agissait d'une maison de la rue des Pyramides, une maison chic, un bordel de luxe.

Il paraît que Barthou allait là le soir, vers 9 heures, quand les femmes étaient à dîner. Il montait au réfectoire, au dernier étage. Là, complètement nu, un collier de chien au cou, il se mettait à marcher à quatre pattes sous la table, absolument comme un chien. Il fallait alors qu'on lui donne des coups de pied, comme à un chien, pour le chasser : «Allons, sale bête. Allons, Médor, allons, va-t'en. Sale bête !»

Dumur a ajouté : «Quand on voit ce monsieur à barbe blanche, respectable... » Prodigieux ! Prodigieux et surprenant.

Il y a des perversions sexuelles dont on sent en soi plus ou moins la possibilité. Mais cela, se mettre à quatre pattes sous une table, tout nu, avec un collier de chien au cou, pour se faire flanquer des coups de pied par des femmes en train de dîner ?

Et Dumur a ajouté qu'on savait très bien dans la maison qui était Barthou. Cela est encore un monde. Alors, cela ne lui faisait rien, qu'on sache qui il était et qu'on puisse raconter ce qu'il faisait ? (Paul Léautaud in Journal littéraire - 1928)

 Barthou

BARTHOU (Louis) suite

Sans doute ne prête-t-on qu'aux riches, selon le proverbe. Mais Sacha Guitry, qui savait tout sur tout le monde, confirmait le fait que Louis Barthou, Ministre des Affaires étrangères, membre de l'Académie française et ardent bibliophile, s'il aimait bien les livres et les femmes, il les aimait à sa manière!

Ce politicien n'hésitait pas, quand il admirait passionnément une édition précieuse à se transformer en kleptomane.

Déjeunant chez un ami, collectionneur renommé, connu pour les trésors qu'il possède, ce bibliophile fait part au ministre d'une de ses dernières acquisitions, un rarissime exemplaire du Cid, de petites dimensions comme le sont souvent les anciennes éditions théâtrales. Barthou demande à le voir et le feuillette avec avidité.

Vers trois heures, les deux amis prennent congé l'un de l'autre.

De retour le soir chez lui, le bibliophile ne retrouve pas le livre montré à l'homme d'État ; il se rend compte très vite que tous deux son partis de conserve. Alors il imagine un subterfuge pour récupérer son bien. Il prend son manteau et son chapeau, et court chez l'autre.

Il arrive devant sa demeure, escalade les marches, sonne. Un valet de chambre vient ouvrir et lui dit que monsieur le ministre n'est pas visible. Il s'en moque, rudoie un peu le domestique et, familier des lieux, se dirige vers la chambre à coucher, ouvre brusquement la porte et trouve Barthou dans son lit, en train d'admirer le livre qu'il a soustrait à son hôte.

Le ministre est, bien entendu stupéfait de voir surgir le propriétaire du rarissime ouvrage qu'il lui prend des mains sans aucune gêne.

Suffoqué par cette désinvolture l'éminent personnage dit : «Comment, mon cher, osez-vous entrer comme ça dans ma chambre ? C'est Agénor qui vous a ouvert ?

- Je l'ai un peu bousculé, mon cher ami, il n'en revenait pas ! Je savais que, lorsqu'on a la chance de manipuler un tel trésor, c'est le soir, dans son lit, qu'on le contemple amoureusement. Vous l'avez examiné à fond, j'en suis ravi ; maintenant, il rentre au bercail ! Bonsoir mon cher ministre !»

L'homme d'État empêcha pendant des années le collectionneur d'obtenir la Légion d'honneur ; ce fut seulement lors d'une nouvelle élection, lorsque le parti de ce personnage sans scrupules fut battu et qu'il eut perdu son marocain, que le bibliophile reçut enfin le ruban rouge mérité.

Barthou était un parlementaire curieux : Sem avait fait un dessin où on le voyait accroché à une girouette, et la légende disait : «Ce n'est pas moi qui change, mais le vent !»

Quant aux femmes, son collier de barbe et ses traits satyriques l'apparentaient davantage, affirmaient les mauvaises langues, à la gent animale qu'à l'être humain.

On lui attribuait nombre d'aventures plaisantes ou sordides avec des pensionnaires de maisons closes. Les filles qui l'avaient surnommé Bar Toutou, ne se gênaient pas pour raconter ses bizarres manies et son étrange comportement :ses transports amoureux le transformaient en chien, il se mettait à japper, à aboyer, allant jusqu'à se trémousser à quatre pattes, à lever la patte et à mordre !

Pourtant, dans la vie publique, à son bureau, dans son travail, Louis Barthou avec son lorgnon, sa barbiche et ses manières de professeur sévère, avait davantage l'air d'un puritain que d'un libertin. Son influence fut considérable pendant toute la durée de la troisième République, jusqu'à sa mort suite à un attentat. (Source : Henry Dauberville : Sacha Guitry Souvenirs)

SARAH BERNHARDT

 Sarah Bernhardt
Sarah Bernhardt prétend, dans une lettre au peintre Madrazo, qu'elle saura décider les Américains à marcher. Elle a toujours cette activité folle des femmes de soixante-dix ans passés. Je me la rappelle, il y a deux ans, à Londres, jouant Les Cathédrales de mon père, en robe blanche et grise, dans sa loge du Coliseum, sous le jour cru des lampes électriques, plus jeune certainement que dix ans plus tôt, étendue sur une chaise, avec sa cuisse coupée, et près d'elle toutes ses jambes artificielles (quatre ou cinq) de rechange, posées en rang le long du mur. Elle leur avait donné des noms, disait à l'habilleuse : « Passez-moi Willis, passez-moi... (ici le nom du constructeur). » Elle parlait avec volubilité de la Marne, des Allemands pour qui elle a une haine au moins égale à celle de Réjane. Mais Réjane était beaucoup plus près du peuple; d'où sa saveur. (Paul Morand in Journal d'un Attaché d'Ambassade - 1917)
BOUFFLERS (Stanislas de)  :

 Stanislas de Boufflers
Stanislas de Boufflers (1862-1934)
Stanislas de Boufflers, pour qui j'avoue avoir le plus grand respect, était né sur la route. Sa mère, la marquise avait accouché de lui le 31 mai 1738, en voiture, sur le chemin de Lunéville à Nancy.

Il servit en Allemagne, parcourut la Suisse, séjourna à Vienne, garnisonna en Bretagne et en Flandre, et surtout, gouverna le Sénégal.

Exilé fin 1792, malgré les bontés à son endroit du prince Henry, le frère du grand Frédéric, il voulut rentrer chez lui. Vous connaissez sans doute sa formule  : Plutôt mourir de faim en France que vivre en Prusse.

Joséphine insista auprès de son Corse de mari qui eut cette jolie phrase  : - Bien, qu'on le fasse revenir, il nous fera des chansons. Car le chevalier était aussi poète.

Lui qui avait été joueur, dépensier et frivole, vécut petitement. La nouvelle société l'invitait souvent. Dame, il avait fréquenté le roi Stanislas, Rousseau, Grimm, la maréchale de Luxembourg, le prince de Ligne et Voltaire.

C'est pour ce dernier que je me permets une incise. Voltaire, homme aux idées généreuses plaçait son argent dans les compagnies du quai des Chartrons, à Bordeaux, en raison de leur rentabilité. Il faut dire qu'elles faisaient dans le bois d'ébène... euphémisme pour parler des esclaves.

Boufflers qui fut gouverneur du Sénégal se refusa toujours personnellement à la traite des nègres, une exception rarissime !

Il resta donc pauvre, riche seulement de son nom, ses contes, ses chansons, ses épigrammes et ses pièces ne lui ayant jamais rien rapporté. Il survécut ainsi jusqu'à la Restauration. Le nouveau pouvoir découvrant qu'il était encore en vie le nomma administrateur-adjoint de la Bibliothèque Mazarine.

A peine nommé, il mourut.

Boufflers, Voltaire... Belle illustration du  : mettre (ou ne pas mettre) ses idées en harmonie avec ses actes.

(Source  : Joseph Sigward)

bourdaloue

BOURDALOUE  :

Jeudi 1er septembre 1892. Aujourd'hui, à l'exposition des Arts de la femme, je suis resté en faction devant la vitrine des bourdaloues. Oh! les coquets et galantins réceptacles du pipi de nos grandes dames du XVIIIe siècle, ces bourdaloues de Sèvres, ces bourdaloues de Saxe, à la forme de ce coquillage-nacelle qu'on appelle nautile, commençant dans les volutes d'un colimaçon, refermant ses bords avec un élégant gondolage et finissant comme en un bec émoussé.

Oh! les beaux, oh! les royaux bourdaloues de Sèvres, en bleu lapis, autour d'un médaillon représentant une scène de Watteau, dans un encadrement de feuillage d'or, aux puissants reliefs de l'or de Vincennes. Mais plus familiers, plus humains, ces bourdaloues de Saxe, à l'anse faite d'un tortil de ronce enguirlandée de trois ou quatre fleurettes et où la blancheur de la porcelaine est semée de petits bouquets : bourdaloues d'une forme plus contournée, plus serpentante, plus amoureuse des parties secrètes de la femme. Et les plus somptueux et les plus artistiques de ces pots de chambre idéaux appartiennent à une femme dont la pudeur n'a consenti à les exposer que sous l'anonymat de Mme X***. (Source  : Journal des Goncourt - 1 septembre 1892)

BRASILLACH

Scandale de la pièce de Brasillach La Reine de Césarée. Cet homme réclamait ma mort dans chacun de ses articles dans l'ignoble journal Je suis partout. Après la Libération, j'ai signé son recours en grâce. Mauriac obtint cette grâce du général de Gaulle. Après le départ de Mauriac, le général alla se laver les mains (au ministère de la Guerre). Revenu dans son cabinet de travail, il trouva sur sa table, mise par une main charitable (que je connais), une photographie truquée de Brasillach en uniforme de S.S. Le général téléphone que la grâce ne tenait plus et Brasillach devint un martyr de la collaboration. Cocéa, collaboratrice et gaffeuse de naissance, monta la pièce que la préfecture vient d'interdire après la deuxième représentation par suites des émeutes et des bagarres devant et dans le théâtre. (Cocteau : Le Passé défini Novembre1957)

Buste d'Adolf Hitler par Arno Breker

BREKER (Arno) MIMINA et HITLER  :

Un modèle très répandu dans le milieu des artistes à l'époque (fin des années vingt) était une jeune Grecque du nom de Mimina. Elle était assez forte, avec des cheveux très noirs et une peau ambrée et brillante sur laquelle jouait la lumière. Elle posait entre autres pour Derain, Foujita et Pascin.

«Son truc, c'était de dire la bonne aventure. Nous l'écoutions avec grand plaisir, car elle ne prédisait que des choses agréables. Elle était mariée à un chimiste français qui sappelait M. Pied. Si bien qu'elle répondait au nom cocasse de Mimina Pied. Plus tard, elle quitta M. Pied pour un jeune sculpteur allemand, pauvre et inconnu  : Arno Breker.

Cet artiste fit par la suite une superbe carrière qui l'amena à être invité par les gens les plus en vue. Lorsque Mimina rencontra Hitler à Berlin, elle lui fit les cartes, les lignes de la main et lui prédit une réussite éclatante. Hitler ne savait pas que c'était son habitude et qu'elle en disait autant à tout le monde. Il la consulta souvent et, au fur et à mesure de son ascension, combla Arno Breker de commandes officielles.

Mais Mimina et Arno Breker ne pouvaient oublier la France. Aussi, lorsque les camps de prisonniers de guerre et de déportés s'ouvrirent, Arno Breker y prit une quantité inusitée daides pour son immense atelier de sculpteur. Mimina, avec la complicité du grand Cirque Gleich, recrutait toujours des soigneurs, des garçons de piste, etc. dans les camps.

J'ai appris tout cela par un réseau français de résistance qui était en cheville avec les Breker.

(Source  : Confidences de Youki)

BRUNOY (Marquis de)

Brunoy date du VIIIe siècle, il figure dans les gestes du roi Dagobert sous le nom de Bruadanum.

Au XVIIe siècle, ce bourg connut la célébrité suite aux extravagances d'Armand de Monmartel, fort riche grâce à la fortune de son père Jean Paris de Monmartel, marquis de Brunoy, gardien du trésor royal. A dix ans, le gamin donna un coup de couteau à son percepteur qui lui faisait une observation et ce geste fut accompli en présence de vingt convives rassemblés à la table paternelle.

Armand se maria à vingt ans et sitôt après la messe ne voulut jamais revoir sa femme. Son goût préféré était l'organisation de somptueuses processions religieuses; il habillait les prêtres et les paysans de chasubles luxueuses y déployant un faste inouï, il régalait tout le monde, paysans comme grands seigneurs et la procession se terminait par une immense orgie. Il fit décorer l'église paroissiale comme un salon ou un boudoir de dame. Mais il mit le comble à ses extravagances, à la mort de son père tué par le chagrin.

«Tous les domestiques furent habillés de serge noire. Six aunes de la même étoffe furent distribuées à chaque habitant, les arbres portèrent des pleureuses. Voulant donner à son château quelque chose de l'aspect qu'offre le cheval qui suit le convoi funèbre de son maître, il le couvrit d'un immense crêpe. Le canal coula de l'encre au lieu de l'eau et il poussa la frénésie du deuil jusqu'à s'informer, auprès d'un célèbre chimiste, des moyens qui existaient pour obtenir des chevaux des sécrétions lugubres. Bref, il voulut et il obtint, que ses chevaux pissassent noir.»(1).

Détesté des seigneurs, il annoblit ses valets et ses serviteurs : «son vigneron fut nommé marquis de la Chopine-vieille; son tonnelier, marquis de la Futaillère; son sommelier, marquis de la Bouteillerie depuis ce moment on vit, dans ce bourg fortuné, des marquis étriller les chevaux et aller faire la moisson»(1).

La procession de la Fête-Dieu du 17 juillet 1772 dépassa toutes les orgies précédentes. Le vin y coulait en fontaine. On fera creuser en terre trois puits qu'on emplit de limonade. D'immenses bassins furent installés pour y puiser de la confiture; le marquis acheta vingt-cinq mille pots de fleurs et loua la présence de cent-cinquante prêtres, à plus de dix lieues à la ronde.

Cette dernière folie entraîna sa ruine et le marquis, après bien des vicissitudes, vit son domaine de Brunoy acquis par le comte de Provence, père de Louis XVI et futur Louis XVIII ! Le marquis mourut à Saint-Germain-en-Laye à l'âge de trente-trois ans, où une lettre de cachet l'avait relégué.

(1) Maurice Alhoy, itinéraire de Paris à Melun par Corbeil, 1844, relaté par Jean Loiseau.

BUCHENWALD
(Voir aussi «Camp de concentration»)
Les Communistes à Buchenwald

Au début, les SS avaient donné le pouvoir aux prisonniers de droit commun, qui portaient le triangle vert. Le doyen du camp, qui était le représentant des détenus devant les SS, fut d'abord choisi parmi les criminels. Puis, dans les années 1940-1941, à la suite d'une révolution interne, les détenus politiques (triangle rouge) reçurent ou prirent le pouvoir dans le camp. Ce changement profita surtout aux communistes, bien organisés et hiérarchisés. Allemands, espagnols ou français, ils avaient échangé une parcelle de leur collaboration contre un certain nombre d'avantages : des livres, un cinéma, un orchestre de jazz ou, infiniment précieux, des bottes, des couvertures, de bons vêtements, une soupe moins claire... La distribution des colis de la Croix-Rouge se faisait très souvent à leur profit.

Dans son livre sur les camps*, Annette Wieworka, a cette comparaison saisissante  : «parmi les détenus de Buchenwald, dit-elle, il y avait autant de différences de condition qu'entre un SDF et la reine d'Angleterre.»

Cette situation provoqua une polémique entre les détenus  : fallait-il ou non accepter ces miettes de pouvoir ? Cela a-t-il permis de sauver des prisonniers ou, au contraire, compromis des hommes obligés de se plier aux ordres des nazis ?

Notre Histoire de Hélie de Saint-Marc et von Kagenek

Hélie de Saint-Marc*  : «Je suis arrivé à Buchenwald sans carte de parti, avec un nom de l'Ancien Régime; j'ai donc été affecté à la construction d'une voie de chemin de fer.» Dans l'Écriture ou la vie, Jorge Semprun** a raconté qu'il fut versé dans l'Arbeitsstatistik, un service administratif confortable qui avait un rôle primordial, puisque c'est là que se décidait l'affectation de tel ou tel détenu... «Je n'ai pas eu cette chance. Être communiste favorisait l'affectation à des postes stratégiques ou protégés, comme l'infirmerie et les cuisines. On y vivait moins durement qu'à l'usine ou dans la mine. Rares furent les membres du parti affectés hors du camp, dans ces commandos où la mortalité pouvait atteindre 90 % d'un convoi. Les communistes contrôlaient les transports, l'approvisionnement, mais, aussi, espionnaient les nazis et rapportaient des renseignements à la direction clandestine du camp.»

August von Kageneck  : «Pensez-vous que le milieu d'où vous venez ait vraiment contribué à vous faire affecter à un poste particulièrement harassant ?»

HSM  : Ça a dû jouer à l'échelon de la nomenklatura communiste du camp, puisque j'ai été envoyé dans un des commandos les plus durs de Buchenwald. Si j'avais été un bon militant du parti, je n'y serais pas allé. On m'aurait trouvé une affectation plus en accord avec mon statut. D'ailleurs, quand je suis arrivé au camp, un de mes camarades communistes m'a dit : «Il faut que tu te déclares sous un faux nom.» J'ai refusé  : les dossiers administratifs des prisonniers suivaient le convoi, et lorsque des irrégularités étaient constatées les mesures de rétorsion étaient effroyables  : elles pouvaient aller jusqu'à l'élimination pure et simple. Mais pour vous donner une indication sur le contexte, Chaumelle un de mes plus proches compagnons de Buchenwald, ancien radio de la Résistance, m'appelait «le ci-devant Saint Marc», comme sous la Terreur....

* Déportation ou génocide, Plon, 1991.

** Ancien membre du parti communiste espagnol, écrivain et membre de l'académie Goncourt, Jorge Semprun a publié plusieurs livres sur son expérience de la déportation, parmi lesquels L'Écriture ou la vie et Le Mort qu'il faut.

CARTHAGE  : DIDON

Virgile raconte comment Élyssa ou Didon, fille du roi de Tyr, sœur de Pygmalion qui assassina son mari, s'enfuit vers la côte d'Afrique avec sa sœur Anna, des notables fidèles et quelques vierges chypriotes. Ce fut là qu'elle fonda la ville de Carthage en 814 av. J.-C, aujourd'hui Tunis.

Selon le poète latin, le roi du pays, Iarbas, consentit à lui offrir un territoire «aussi grand que pourrait en recouvrir une peau de bœuf». Didon découpa alors la peau en lanières si fines qu'elle entoura un territoire suffisant pour y bâtir une citadelle. Ce territoire, appelé Byrsa («bœuf»), deviendra le centre historique de Carthage. Les Phéniciens de Tyr donnèrent à la cité sa divinité  : Melqart. La fin de Didon fut tragique  : on dit qu'elle se jeta dans le feu pour protéger sa cité.

Mort de Didon par Barbieri

CASINO  : CHANCE

En 1950, au Desert Inn de Las Vegas, un homme non identifié garda les dés en mains pendant plus de quatre-vingts minutes. Il fit le point vingt-huit fois, ce qui coûta très cher au Casino (400). Certains gagnent, d'autres perdent.

CENDRARS Blaise  :

A Pierre Lazareff qui lui demandait s'il avait réellement pris le Transsibérien, Cendrars répondit  : «Qu'est-ce que cela peut te faire du moment que tu l'as pris après m'avoir lu !»

CHATEAUBRIAND  : Voyage en Orient

«Je n'avais en Judée ni Bible, ni guide à la main, personne pour me donner le nom des lieux et le nom antique des vallées et des montagnes, pourtant je reconnus tout de suite la vallée de Tébérinthe et le champ de bataille de Saül. Quand nous fûmes au couvent, les Pères me confirmèrent l'exactitude de mes prévisions; mes compagnons ne pouvaient le croire. De même à Séphora, j'avais désigné du doigt et nommé par son nom une colline surmontée d'un château ruiné, comme le lieu probable de la naissance de la Vierge. Le lendemain, au pied d'une montagne aride, je reconnus le Tombeau des Macchabées, et je disais vrai sans le savoir. Excepté les vallées du Liban, je n'ai presque jamais rencontré, en Judée, un lieu ou une chose qui ne fût pour moi comme un souvenir.

Avons-nous donc vécu deux fois ou mille fois ? Notre mémoire n'est-elle qu'une image ternie que le souffle de Dieu ravive ?»

HISTOIRE CHINOISE
racontée par Picasso

Il s'agit d'un jeune ménage si pauvre qu'il ne possède rien et ne connaît rien. La jeune femme dit à son époux : « Rapporte-moi de la ville un cadeau.
- Lequel ?
- Un peigne. »
L'époux demande ce qu'est un peigne.
- C'est, dit-elle, pareil à la demi-lune.
En ville le jeune homme a oublié le mot peigne. Il demande au marchand où acheter pour sa femme un objet pareil à la lune.
« C'est un miroir », dit le marchand.
Et le jeune homme achète un miroir. Il le rapporte à sa femme qui fond en larmes.
« Pourquoi ce chagrin ? » demande la vieille mère.
La jeune femme tend le miroir à sa mère après s'être regardée  :
« Comment ne pleurerai-je pas ? puisqu'il ramène de la ville une autre femme. »
La vieille mère se regarde à son tour et dit, en posant le miroir sur la table  :
« Qu'est-ce que cela peut bien te faire, puisque cette femme est vieille et laide. »

(Source  : Jean Cocteau in Le Passé défini - 1956)

CLAUDEL LE SOULIER DE SATIN
raconté par Michel Serrault

Les élèves du Centre du spectacle avaient la possibilité, et dans le Paris de l'Occupation l'avantage n'était pas mince, de prendre leurs repas gratuitement à l'école […]

La cantine du Palais-Royal nous voyait ainsi débarquer presque tous les soirs, les copains et moi. […] Certains soirs, nous jouions, engagés comme figurants dans les spectacles du Théâtre-Français. Nous étions très modestement rétribués, mais qu'importe. Nous étions sur scène.

C'est ainsi que j'eus la chance de figurer dans Le Soulier de satin de Paul Claudel, créé en pleine Occupation à la Comédie Française, dans la mise en scène de Jean-Louis Barrault. Marie Bell incarnait Doña Prouhèze et brillait d'une sensibilité et d'une force d'expression qui étaient la marque de l'incomparable tragédienne qu'elle était.

Mais elle n'avait pas la langue dans sa poche, et prenait un malin plaisir à parler d'une voix gouailleuse où fleurissaient des mots d'argot. Dès les premières répétitions on peut dire qu'elle avait pris le pouvoir.

Marie Bell

Claudel venait presque tous les jours. Il s'asseyait dans les premiers rangs et ne quittait pas la scène des yeux. Il paraît qu'il était à moitié sourd, mais cela ne l'empêchait visiblement pas d'être le spectateur le plus comblé par son propre texte.

Un jour nous vîmes Marie Bell se poster à l'avant-scène et, d'une voix superbement parigote, apostropher le poète officiel :

– Dites donc, maître, votre tirade, là… C'est beau mais c'est long !

Je crois avoir vu Jean-Louis Barrault fermer les yeux, comme quelqu'un qui sait que l'avalanche est déclenchée et qu'il n'y a plus rien à epérer.

Or, à la surprise générale, on vit Claudel, qui avait parfaitement entendu, se lever, et tel un enfant, reconnaître d'une voix chevrotante :

– Pardonnez-moi, mademoiselle… Je me suis laissé aller… Il faut couper, bien sûr, il faut couper !

Barrault ne se le fit pas dire deux fois. Ou plutôt il comprit que le plus sûr moyen d'en finir avec les longueurs qu'il avait pointées, c'était de faire monter Marie Bell en première ligne. Ce qui se produisit. A cette différence près que Marie avait décidé que, Claudel ou pas Claudel, le petit bonhomme rondouillard et perpétuellement émerveillé qui la mangeait des yeux, devait être traité comme quelqu'un de la famille.

Trois répétitions plus loin, elle avait donc changé de ton :

– Dis, Paulo, on pourrait couper, là aussi ?!

Lui se levait, fasciné et tremblant comme si la Vierge en personne venait de s'adresser à lui :

– Certainement, mademoiselle Marie, certainement !

Nous, les figurants, comme Jacques Charon, alors jeune pensionnaire, nous regardions, effarés :

– C'est Claudel, quand même ! Elle y va fort !

Je compris plus tard qu'elle avait raison. Et Barrault aussi. Marie Bell n'avait peut-être pas perçu toutes les subtilités du Soulier de satin, mais son instinct de comédienne lui avait soufflé que les spectateurs allaient sombrer dans l'ennui si le texte restait en l'état. Claudel était plein d'attention pour Marie Bell – il devait en avoir un peu peur – et Charon m'a affirmé l'avoir entendu dire, tout vibrant, à Marie :

– Vous êtes une sainte, vous êtes ma sainte Doña Prouhèze !

A quoi, elle aurait répondu :

– Arrête, tu me charries !!

Malgré les coupures et les remaniements qui se poursuivirent alors que les représentations avaient débuté, la pièce durait cinq heures.

C'est Sacha Guitry qui exécuta d'une phrase Le Soulier de satin :

– Encore heureux qu'on n'ait pas eu la paire !

DIVORCE DE CLEMENCEAU  :

«Daudet nous racontait la manière tout autocratique dont Clemenceau, en ce prétendu pays de légalité, avait pu mener, accélérer, emporter son divorce.

Il faisait suivre sans résultat sa femme; une de ses filles, oui, une de ses filles lui dit :«Tu n'arriveras à rien, c'est son amant qu'il faut faire suivre.»

Enfin, sur cette indication filiale, on surprend le couple amoureux. La femme est menée à la préfecture de police, où le préfet de police - qui était, je crois, Lozé - lui déclare que si elle ne donne pas son consentement à un divorce, il la fait conduire à Saint-Lazare. Elle consent nécessairement. On la fait embarquer pour les États-Unis, en lui concédant d'avoir pour compagnon de voyage son amant, qui se trouvait être un jeune normalien.

Et elle arrivait à New York que déjà nos magistrats français avaient prononcé le divorce*.

Piquant détail. Elle était sans ressources. De quoi s'est-elle avisée pour vivre ? Elle a fait des conférences sur les panamistes, annoncées par de grandes affiches, où on lit son nom de jeune fille, suivi de  : Ex-femme de M Clemenceau.

*Mme Clemenceau était d'origine américaine. Le 23 juin 1869, Clemenceau professeur de français à Greenwich, dans le Connecticut, avait épousé une de ses élèves, Miss Mary Plummer.

(Source : Edmond de Goncourt in Journal)

Les rois de France qu'il préfère

Sacha Guitry, ami de Clemenceau, lui demanda un jour quels étaient les rois de France qu'il préférait.
- Aucun.
- Même pas Henri IV ?
- Celui-là moins que les autres. Tous nos malheurs viennent de lui. S'il ne s'était pas converti, il y aurait toujours eu en France une minorité protestante qui aurait constamment rétabli l'équilibre.
Sacha lui demanda ensuite s'il n'avait jamais de sa vie été monarchiste ?
Clemenceau bondit  :
- Monarchiste! Monarchiste! Non, mais cette idée de me demander à moi si j'ai été monarchiste !
Il avait bondi, poursuit Guitry, mais il n'avait pas mal pris la chose. Si je n'avais pas été sûr de ses sentiments pour moi, je ne me serais pas permis de lui poser cette question baroque. Il s'était mis dans une espèce de colère gaie, d'ailleurs réjouissante - et il riait en répétant le mot  : «Monarchiste ! Monarchiste !»
Mais il cessa tout à coup de rire, donna un grand coup sur son bureau, me regarda bien en face, et, d'une voix sourde  :
- Non, me dit-il, je ne l'ai jamais été… mais si je devais l'être, c'est maintenant que je le serais !

(Source  : Sacha Guitry in L'Esprit - 23 décembre 1928)

Combien font deux et deux ?

En voyage officiel en Grèce, Clemenceau visita la Crète. Les cloches des couvents français carillonnaient en son honneur et, tandis que les enfants chantaient la Marseillaise, le Tigre embrassait les bonnes sœurs à pleins bras. Un jour, dans une école française, il demanda à une petite fille  :
- Combien font deux et deux ?
L'enfant répondit sans sourciller  :
- Cela dépend !
- Comment ça, cela dépend ? fit Clemenceau en sursautant.
- Mais oui, répartit la petite Crétoise, si les deux chiffres sont l'un sous l'autre, cela fait quatre, et s'ils sont l'un à côté de l'autre, cela fait 22.
Clemenceau trépigna d'aise.
- «En vérité, déclara-t-il, voilà bien le peuple le plus subtil qui soit au monde. Jamais je n'oublierai cette réponse.»

(Wladimir d'Ormesson : Enfances diplomatiques)

COCCINELLE  : Sacha Guitry raconte dans une lettre comment au cours d'une garden-party, il se trouva un jour en présence d'une ravissante femme du monde un peu hautaine et réputée pour sa sa pruderie. Comme il avait grande envie de la séduire mais que toutes ses tentatives d'approche tombaient à plat, il eut le bonheur de voir une coccinelle se poser sur son pantalon, juste au bon endroit. Le soir même la belle partageait sa couche. Sacha Guitry)

CONSTANTINOPLE

constantinople
Constantinople

«Lorsqu'en 1203, les Croisés, jetant l'ancre devant le couvent de Saint-Etienne, aperçurent pour la première fois Constantinople tout à plein, ceux qui jamais encore ne l'avaient vue, nous dit Villehardouin, ne pensaient point que si riche cité il pût y avoir en tout le monde. Quand ils virent ces hauts murs et ces riches tours dont elle était close, et ces riches palais et ces hautes églises dont il y avait tant que personne ne l'eût pu croire; et quand ils virent le long et le large de la ville qui de toutes les autres était souveraine, sachez qu'il n'y eut homme à qui la chair ne frémît par tout le corps.»

En 1806, le général Sébastiani, fut envoyé comme ambassadeur en Turquie. Ayant fait échouer l'attaque anglaise contre Constantinople, il réussit à concilier à nos intérêts Sélim III qui pour le remercier, lui dit  :
«Qu'est-ce que tu veux ? Je t'accorderai tout ce que tu demanderas.
- Eh bien, je souhaiterais que Son Altesse me permît de voir son harem.
- C'est bien, tu le verras.»
Et il lui fit voir le harem et toutes ses femmes.
Quand la visite fut terminée, le sultan dit au général  :
«As-tu remarqué une femme qui t'ait plu ?
- Oui», répondit le général, et il lui en désigna une.
«C'est bien», fit encore le sultan.
Et le soir, le général Sébastiani recevait sur un plat la tête coupée de la femme, avec un message  :
«En qualité de musulman, je ne pouvais t'offrir à toi, chrétien, une femme de ma religion. Mais comme cela, cette femme sur laquelle tu as jeté le regard, tu es sûr qu'elle ne sera plus à personne.» (Camille Rousset)

Marcel DASSAULT  : A un jardinier qui lui apportait le jour de son anniversaire un magnifique bouquet de fleurs  : «Pour vos quatre-vingt-treize ans, Monsieur, et en espérant que ma femme et moi nous pourrons encore vous souhaiter un bon anniversaire l'année prochaine...», il lançait, faisant mine d'être inquiet  : «Pourquoi ? Vous êtes malades ?»

ALPHONSE DAUDET

alphonse daudet
Alphonse Daudet

Ce soir, Mme Daudet, un peu souffrante, est au lit où elle a passé la journée. Mme Allard est montée se coucher; et comme il fait un orage qui met tout le ciel en feu, nous nous sommes établis tous deux dans deux cabanes en osier, sous la terrasse-véranda, et dans les éclairs et le bruit d'une pluie torrentielle, nous causons, une causerie où l'illumination du fond de la campagne fait, de l'autre côté de la Seine, du Pavé du roi comme une chaussée d'argent.

Et Daudet, comme un peu grisé par l'électricité de l'orage, dit :

«Oh! c'est positif : dans les choses du con, j'ai été un scélérat, oui, un scélérat!»

Et il dit cela avec une espèce d'épouvante de lui-même.

«J'ai couché avec les maîtresses de tous mes amis, avec la maîtresse de Bataille, avec la maîtresse de..., de..., de..., avec même la maîtresse de ce pauvre Delvau !... Oui, un moment, Delvau avait subi mon ascendant, avait voulu conformer sa vie à la mienne... Or, à ce Parisien, à cet homme qui n'avait jamais dépassé la barrière, moi qui, pour l'heure, avais horreur du Rat mort que nous avions fondé ensemble, avais horreur de la cochonnerie de Paris, je lui proposais un voyage dans la Forêt-Noire... Mais je demandais à l'essayer avant de le prendre avec moi...

Il demeurait alors dans une auberge, à un endroit où on s'est battu, sur le plateau de Châtillon... Je me rendais à son auberge, où il vivait avec une maîtresse, nommée Léontine, qui avait une très belle tête; et cette nuit même, elle vint coucher avec moi...

J'avais, vous le savez peut-être, une réputation de séducteur, d'homme à femmes.

«Le lendemain, après cette nuit d'amour, je faisais faire à pied dix-sept lieues à Delvau; et comme il y avait un grand champ de terre labourée avant l'auberge, nous le faisions, ou plutôt moi, je le faisais à cloche-pied...

Léontine avait fait préparer une soupe aux choux, une soupe aux choux dont je sens encore le fumet, et une paire de grands sabots pleins de paille, où elle m'arrangeait les doigts de pied là-dedans... Un vrai velours que la douce chaleur de cette paille!... Et la nuit, la nuit de la veille, ça recommençait... Et j'étais embêté parce que je trouvais canaille de tromper mon ami et que cette Léontine m'embêtait en me disant : «Que je t'aime, Daudet!» sans savoir mon nom de baptême et en me faisant les plus abominables cochonneries...

Le curieux de la vie, c'est que plus tard, je la retrouvai, cette Léontine, à la mort de Delvau, de Delvau dont elle tenait la main et qui venait de lui dire : «Tant que je vivrai, je te gratterai dans le creux de la main.» Eh bien, certainement, en ce moment, elle ne se rappelait plus avoir couché avec moi!

«Oh! les choses du con! reprenait-il... J'ai voulu écrire les MÉMOIRES D'UN FRÉNÉTIQUE...

Une fois, j'ai été emmené par des femmes qui m'avaient habillé en femme... Et pendant quatre jours, je ne sais pas trop ce qu'on a fait de moi et quel a été mon sexe...

Et le drôle de cela, c'est que plus tard au théâtre, où j'étais avec ma femme, à quelques places de nous au balcon, avec mon oreille - vous la connaissez, mon oreille -, j'entendais une de ces femmes dire : «Il est bien changé, bien décati, lui qui était si joli !»

«Ah ! la folie que j'ai eue de la femme et la folie de la femme qu'elle a eue pour moi... Est-ce compréhensible, ce délire, dans ma vie? J'ai rencontré deux femmes qui m'ont demandé de leur chier dans la bouche : l'une, je n'ai pu la satisfaire, et l'autre, à laquelle j'ai pu le faire, a vomi.

«Oh! la femme, la femme, ce qu'elle a été dans ma vie!...

A Lyon, tenez, une petite fille de quatorze ans, mettant contre ma chair la chair de son corps à travers son pantalon... J'ai toujours contre moi le moule de son corps, le ressaut de son petit mont de Vénus...

Oh! cette Marie M***... Oh! cette blonde qui avait cette odeur du blé chauffé par le soleil... Un jour, sa mère vint voir la mienne et lui dit que sa fille était trop exaltée par ma présence... Cela se passait, je vous ai dit, quand elle avait quatorze ans... Eh bien,. lorsque nous habitions notre appartement de l'Observatoire, cette Marie, qui avait quarante-cinq ans et qui était veuve, est venue me voir... Là, au bout de quelques instants de rappel de nos enfantines amours, je n'ai pu me tenir de mettre dans un baiser toute ma passion du passé, baiser au milieu. duquel elle me jeta :

- Demain, à l'hôtel ?»... Je n'y allai pas...

Mme Daudet me doit vraiment quelque chose !».

(Source  : Journal des Goncourt - 1892)

DÉSERTEURS DU CHEMIN DES DAMES

Proust
Marcel Proust

Souvenirs en clin d'œil
tirés du Journal de Jean Cocteau (1952)
7 août 1952. Je me souviens comme d'une chose extraordinaire - car Proust ne sortait que la nuit - de Proust venant me chercher rue d'Anjou, un matin, avec le fiacre d'Albaret pour aller voir le Saint Sébastien de Mantegna au Louvre. Il avait l'air d'une lampe électrique restée allumée le jour - d'une sonnerie de téléphone dans un appartement vide. Au Louvre les gens ne regardaient plus les tableaux ils le regardaient avec stupeur.

8 août 1952. Pauvre, pauvre Marcel. Pauvre malade à l'œil de fou. Il ignorait l'amour. Il ne connaissait que les tortures maniaques de ses mensonges et de sa jalousie. Il en usait comme du cérémonial de la rue de l'Arcade. Il les y transcendait.

J'ai connu sa «prisonnière». C'était un prisonnier. Un groom stupide qu'il chambrait et poussait à peindre. Il faisait acheter de ses toiles par Walter Berry.

Comme Françoise, Albertine, Céleste le détestait, et il y a eu une histoire de bagues en or assez navrante. Seul ce groom était capable de prononcer l'ignoble phrase que Marcel met dans la bouche d'Albertine (Casser le pot!) (1).

Naïveté de Marcel. Il ne pense pas qu'une femme, à plus forte raison une jeune fille (et aimant les femmes) ne peut prononcer une phrase pareille. Par contre elle est dans le style exact du groom.

Il se plaignait qu'on n'ouvrît jamais les fenêtres et la rupture vint de ce qu'il affectait d'en ouvrir avec fracas. (On retrouve cette scène dans le livre.) Il me disait: «On crève là-dedans.» J'ai oublié s'il se sauva ou si Céleste le mit à la porte.

Albertine disparue. Je n'écrirai plus de Proust. Je sors attristé par ce mauvais rêve, par cette marmelade nocturne, par ce nuage de poudre antiasthmatique. Tous ces insectes cruels, toute cette termitière m'accablent.

J'en retrouve les signes visibles lorsque je songe au travail de la rue Madame (N.R.F.). L'écriture de Marcel envahissait plusieurs tables, y grouillait comme les fourmis. On déchiffrait, épinglait, classait, mettait en ordre. Même en ordre le fourmillement reste.

Le génie de Marcel semble être le génie de la race. (Celui des termites ou des abeilles.) On serait tenté de mettre un masque ou d'employer le fly-tox. On a l'âme qui se détériore. On a peur.

(1). Cf. La Pléiade, tome III, p. 840.

fProust
 
Paul Morand
Extrait du Journal inutile (1969)
Henri Bardac me racontait qu'une habituelle manœuvre de Proust, quand il voulait séduire, dans les hôtels, quelque garçon d'étage, était de sonner et de se laver les mains aussitôt.

Quand le garçon entrait: « Mon ami, j'ai un pourboire pour vous; je ne puis vous le donner, car j'ai les mains mouillées; prenez-le donc dans la poche de mon pantalon… »

Cocteau me racontait qu'étant un jour entré à l'improviste dans la chambre de Gide, à Marseille, il avait trouvé le petit liftier agenouillé devant lui: « Il me recoud un bouton… », dit Gide.

(Cocteau, imitant les lèvres avares et fermées de Gide, était sublime d'imitation.)

DIDON & CARTHAGE  : Virgile racontait comment Didon, sœur de Pygmalion, tira le meilleur parti d'une lanière de cuir coupée dans la peau d'un seul taureau pour donner à Carthage sa surface maximale.

DRAPEAUX

Achille Ouy, le lecteur du Mercure, me raconte ce matin cette histoire. Il vit à Saint-Germain où il est professeur, avec ses deux fils. Comme il n'est pas assez riche pour avoir une bonne, ce sont eux qui tiennent la maison  : l'un fait le marché, l'autre la cuisine. L'autre jour, celui qui fait le marché voit chez un commerçant des paquets de sucre  : Sucre pour les soldats, le plus nourrissant, le plus fourni en vitamines, chaque paquet orné d'un drapeau tricolore. Il achète un paquet. Le lendemain matin, Achille Ouy le trouve en train de gratter l'étiquette pour l'enlever. Il lui demande ce qu'il fait là et pourquoi il perd son temps à cette bêtise. Le gamin répond  : «Je veux voir ce qu'il y a dessous.» Et l'étiquette au drapeau tricolore grattée et enlevée, l'étiquette vraie apparaît : Sucre pour les chiens. «Vous avouerez que c'est fort !» me dit Oury. Je lui ai répondu  : «Le drapeau tricolore cache bien d'autres choses…» J'aurais pu ajouter  : «Comme tous les drapeaux». (Léautaud :Journal - lundi 9 janvier 1940)

einstein
EINSTEIN 27 Novembre 1951 - Il y a quinze jours, on réunissait les savants et les journalistes de Philadelphie pour assister au spectacle d'Einstein confondu par un savant qui se faisait fort de signaler une faute dans ses derniers calculs. Pendant deux heures, ce savant couvrait un tableau noir de signes incompréhensibles. Enfin il désigne un des signes et dit  : «Voilà où se trouve la faute.» Einstein fumait sa pipe. Il monta sur l'estrade, étudia les calculs, prit l'éponge, effaça le signe incriminé. À la place, il fit un autre signe. Alors le savant poussa une sorte de cri rauque et se sauva comme un fou. Le compte rendu de cette séance «abstraite» est des plus curieux. Source : Jean Cocteau)
EINSTEIN : Réponse aux femmes américaines  – Une ligue de femmes américaines a cru devoir protester contre l'entrée d'Einstein aux États-Unis. Elle a reçu la réponse suivante :

« Jamais je n'ai rencontré de la part du beau sexe un refus aussi énergique contre toute approche ; si toutefois le cas s'est produit, ce n'était certainement pas de la part d'un aussi grand nombre de femmes à la fois.

« Mais n'ont-elles pas raison ces citoyennes vigilantes ? Doit-on laisser venir à soi un homme qui dévore les capitalistes durs avec le même appétit et le même plaisir que le monstre Minotaure de Crète dévorait jadis les délicates vierges grecques, et qui, de plus, est si vil qu'il repousse toute guerre, à l'exception de la guerre inévitable avec sa propre femme ? Écoutez donc vos petites femmes prudentes et patriotes et songez que le Capitole de la puissante Rome a été jadis sauvé par les caquetages de ses oies fidèles. »  Albert Einstein : Comment je vois le monde

EINSTEIN et son chauffeur : L'histoire se passe durant la Seconde guerre mondiale. En tournée aux États-Unis pour une série de conférences scientifiques, le programme d'Einstein est chargé et nombreuses les villes qui le réclament.

Chaque jour, le physicien voyage vers un autre lieu avec son chauffeur conduisant la voiture mise à sa disposition. ?

Les semaines passent, les villes se succèdent et une certaine routine s'installe...

Un jour, tandis qu'Einstein et son chauffeur discutent de l'aspect répétitif de ces conférences, comme l'est une tournée théâtrale pour un acteur, celui-ci lui dit :

– A force de vous écouter parler, jour après jour, je connais tellement bien votre conférence que je crois que je pourrais la donner à votre place…

Einstein, facétieux, répondit :

– Chiche !

Il faut préciser qu'à cette époque, peu de gens connaissaient la tête d'Einstein…

Le lendemain, la salle municipale est comble. Einstein s'installe au fond, debout, près de la porte, comme le fait habituellement son chauffeur.

La conférence commence et la "doublure" ne s'en sort pas mal du tout dans son exposé. Personne, parmi l'assistance, ne semble détecter la supercherie.

A la fin de la conférence toutefois, un homme se lève et pose une question très technique sur la théorie d'Einstein. Une question à laquelle évidemment, le chauffeur est bien en peine de répondre…

Alors, sans se démonter, le conférencier improvisé pose un regard condescendant sur l'homme dans le public, pointe son index vers le fond de la salle et dit :

– Monsieur, la réponse à votre question est tellement banale que c'est mon chauffeur qui va vous répondre ! (Histoire racontée par Woody Allen)

ERASME Avant d'arriver à Aix-le-Chapelle où il allait recevoir la couronne impériale, Charles Quint s'arrête à Cologne. En tant que conseiller du futur empereur, Érasme faisait partie de sa suite. Frédéric, l'Électeur de Saxe, le protecteur de Luther, souhaita rencontrer le philosophe et lui demande tout à trac  : «Dites-moi quel péché a donc commis Luther pour qu'on lui en veuille tant ?» «Deux bien grands, répondit Érasme :il a touché à la couronne des papes et au ventre des moines.»

ESTURGEON Il existait au XVIIIe siècle à Paris deux communautés de pêcheurs à verge et filets à qui l'on affermait le droit de tendre des filets sous les ponts. Il leur arrivait parfois de faire des captures si merveilleuses qu'on les jugeait dignes d'être offertes au roi et à la reine.

En juin 1744, un esturgeon de sept pieds de long fut pris dans le filet du radeau du pont Notre-Dame. Le Bureau de la ville le fit placer tout vivant dans une baignoire qu'on transporta par bateau à Sèvres et de là, sur une voiture traînée par des mulets, à Versailles, où le maître d'hôtel de la ville l'offrit au roi. Le maître pêcheur qui avait pris l'esturgeon Reçut du Bureau une forte gratification. L'année suivante, on pêcha dans le même filet vingt saumoneaux. Michel-Étienne Turgot, prévôt des marchands, qui savait que la reine aimait cette sorte de poisson, s'empressa de les lui faire porter par l'aide-major Gourdain, et la reine fit dire quelques jours plus tard au prévôt qu'elle les avait trouvés excellents.

Ce témoignage de la satisfaction de la reine fut regardé comme si flatteur pour l'administration municipale qu'elle le fit consigner sur ses registres. Source; : Jacques Yonnet

FAROUK (Roi d'Égypte) Le roi Farouk à Cannes. Un joueur abat un carré de valets. Le roi abat trois rois et annonce un carré de rois. «Je suis, dit-il, le quatrième». Et on le paye. Une autre fois il ne montre pas ses cartes. «Douteriez-vous de la parole d'un roi ?
Une dame demande du feu à son voisin. Farouk est en face d'elle. Il lui jette son briquet d'or. La dame allume sa cigarette et envoie le briquet au croupier en disant  «Pour le personnel.»

FORTUNÉ le chien de Joséphine et Napoléon : Fortuné, le carlin de Joséphine, partageait la nuit le lit de sa maîtresse. Elle y était très attachée. En effet, lorsque, en 1790, elle fut emprisonnée chez les Carmes, c'est dissimulés sous son collier qu'elle envoyait secrètement ses messages à Napoléon.

Le soir de leurs noces, le soir du 8 mars 1796, après la cérémonie du mariage, lorsque les époux voulurent se coucher, Fortuné vit d'un mauvais œil cet intrus et mordit Napoléon au mollet.

Fortuné
« Vous voyez bien, écrit Napoléon à Antoine-Vincent Arnault, ce monsieur-là, c'est mon rival. Il était en possession du lit de Madame quand je l'épousai. Je voulus l'en faire sortir : prétention inutile ; on me déclara qu'il fallait me résoudre à coucher ailleurs ou consentir au partage. Cela me contrariait assez, mais c'était à prendre ou à laisser. Je me résignai. Le favori fut moins accommodant que moi. J'en porte la preuve à cette jambe. »

ANATOLE FRANCE Dimanche 27 novembre. Cette pauvre Mme Anatole France, qui est au moment de divorcer, disait ces jours-ci à Mme Daudet : «Enfin, quand nous nous sommes mariés, mon mari avait quatre paires de chaussettes de coton… Maintenant, il porte des caleçons de soie !»

FREUD (Sigmund)  : Quelques jours après l'Anschluss, les S.S. sont venus chez Freud. Très simplement ils ordonnèrent qu'on ouvrît le coffre. Ils emportèrent tout l'argent.

- Jamais je n'ai pris aussi cher pour une visite à domicile, dit le médecin.

Cet humour noir ne plut pas aux S.S. Ils répliquèrent  :

- Considérez-vous comme arrêté. Nous vous retirons votre passeport. (Maryse Choisy)

Sigmund Freud
Arrivant à New-York, Freud sur le pont du navire qui l'amenait de la vieille Europe, voyant soudain se dresser devant lui la statue de la Liberté, se pencha vers Sandor Ferenczi, son ami et disciple hongrois, lui murmura à l'oreille  : «Ils ne savent pas encore que nous leur amenons la peste.»

Avant Karl Kraus, Freud semblait avoir compris que "la psychanalyse est une maladie qui se prend pour son remède !" (Jean d'Ormesson)

GALILÉE  : Abjuration de Galilée

A Rome, en l'an de grâce 1633, le mercredi 22 juin  : Galileo Galilei est introduit devant le tribunal du Saint-Office, revêtu de la chemise blanche des pénitents. «A genoux!»ordonnent les cardinaux. Galilée n'a plus le choix  : âgé de 69 ans, il est aujourd'hui un homme seul, accusé d'hérésie, un crime impardonnable pour lequel il risque la torture. Il y a trente-trois ans à peine, pour avoir soutenu la même thèse que lui, le philosophe Giordano Bruno a été brûlé vif.

Alors le vieil homme parle, reniant par chacune de ses paroles ce qui fut l'œuvre de toute sa vie : «Moi, Galilée, fils de feu Vincenzo Galileo, florentin. Attendu que ce Saint-Office m'avait intimé juridiquement l'ordre d'abandonner la fausse opinion selon laquelle le Soleil est au centre du monde et immobile tandis que la Terre n'est pas au centre du monde et mobile, je viens d'un cœur sincère et d'une foi non feinte abjurer, maudire et détester les susdites erreurs et hérésies,»

Au prix de ce reniement, Galilée sera condamné à une peine légère.

Relâché au bout d'un an, on l'autorise à regagner sa maison près de Florence avec défense de la quitter et d'y recevoir des visiteurs. Galilée a- t-il prononcé en se relevant les mots que la légende lui attribue : «Eppure si muove !» («Et pourtant, elle tourne!»), peu importe. La Terre, indifférente aux injonctions des censeurs, s'obstinait à tourner dans l'espace autour d'un Soleil immobile.

LA PÈLERINE D'ANDRÉ GIDE

Florence Gould hébergea Gide trois mois avant sa mort, à La Vigie, à Juan-les-Pins. Il eut affaire à la police. A peine arrivé, Gide chercha à débaucher les deux petits garçons du jardinier. Il se déboutonnait, puis ouvrait sa fameuse cape en loden. «J'ai compris, dit Florence, pourquoi il avait toute sa vie, porté une cape !» (Paul Morand : Journal inutile)
 

Général Speer - Adolf Hitler - Arno Breker

ADOLF HITLER À PARIS

Sacha Guitry commence à raconter des histoires. Il a le public qui lui plaît. Il évoque la première visite d'Hitler à Paris.

Dès son arrivée, très tôt dans la matinée, le Führer se fait conduire à l'Opéra. Le concierge lui ouvre l'édifice ; le chancelier demande à faire le chemin que fait le président de la République pour parvenir à sa loge. Une fois arrivé, Hitler paraît étonné que cette loge ne soit pas au milieu. Il reste quelques secondes silencieux, puis dit simplement  : »«Alors c'est ça ? »

«Ensuite il se fait conduire sur l'esplanade du palais de Chaillot. Accompagné du sculpteur Arno Breker, il médite en regardant le point de vue et la place déserte, quand un bonhomme vient à passer en sifflotant, une canne à pêche posée sur l'épaule. À la hauteur du Führer, l'homme s'arrête de siffloter en reconnaissant Hitler. Il le dévisage avec stupéfaction. Le chancelier croit qu'il va se jeter à ses pieds ou essayer de le tuer, mais le brave homme le regarde, puis reprend sa marche en fredonnant, et s'éloigne comme si rien n'était venu troubler sa promenade… »

Et Sacha de conclure que cet inconnu avait plus fait pour la France que bien des paroles. Le Führer resta pensif sans cacher l'abasourdissement que lui avait causé cette indifférence et le sang froid de ce Français nonchalant, qui représentait sans doute la majorité du pays. (Henry Dauberville  : Sacha Guitry)


VICTOR HUGO

Georges Hugo me racontait jadis qu'à Guernesey, il montait le matin dans la chambre de Hugo et le trouvait se taillant la barbe. Hugo posait la main de son petit-fils sur son membre en érection et lui disait  : «Tu pourras témoigner un jour de quoi Papapa était encore capable à son âge.» (Jean Cocteau  : Le Passé défini 1957)

Vous connaissez l'histoire, je suppose ? Victor Hugo est resté vierge jusqu'à son mariage à vingt ans et a fait l'amour onze fois de suite à la pauvre Adèle la nuit de ses noces (quand on est jeune on a des matins triomphants) ; mais comme il avait une santé de fer il s'est fort bien rattrapé par la suite notamment avec des servantes et des blanchisseuses (comme beaucoup de grands hommes il avait le goût des amours ancillaires). Comme c'était un être moral et un homme d'ordre qui tenait sa comptabilité à jour, il notait sur ses carnets ce qu'il donnait à chacune de ses maîtresses éphémères sous la rubrique charité ; il faut avoir l'amour de l'humanité chevillé au corps pour intituler charité des passes payantes, n'est-il pas vrai ? On comprend qu'Adèle ayant enfin trouvé une oreille compatissante ait pu s'abandonner dans les bras de l'ami de la famille, le douceureux Sainte-Beuve, espèce de dieu lare qui poignardait dans le dos son ami Victor qui avait trop de génie et de succès à son goût ! Hugo était un baiseur, nullement un séducteur ; occupé à jouer son rôle sur la grande scène de l'histoire, il n'avait guère de temps à consacrer aux femmes alors que le critique insinuant Sainte-Beuve (quoique poète à ses heures) a vécu dans la compagnie des dames dans des cabinets particuliers (odor di femina). (Pierre Driout  : Le Parti pris d'écrire 1957)

IMPÔTS  : Réglez vos impôts en nature

Voici un courrier réellement reçu par le Trésor Public en 1999. Cela pourrait donner des idées pour les impôts de l'an 2000, non ?

Monsieur l'Agent du Trésor Public

Mon colis a pu vous étonner au départ. Alors voici quelques explications.

Je joins à cette lettre une photocopie du récent article du Nouvel-Observateur intitulé "Les vraies dépenses de l'État".

Vous noterez que dans le quatrième paragraphe, il est précisé que l'Elysée a l'habitude de payer des brouettes 5.200 francs, des escabeaux 2.300 francs et des marteaux 550 francs pièce. Par ailleurs, un très intéressant article du Canard Enchaîné dont la bonne foi est bien connue (copie également jointe), rapporte que le prix des sièges WC du nouveau Ministère des Finances est de 2.750 francs pièce.

Vous devant la somme exacte de 13.216 francs pour l'année fiscale qui s'achève, je vous adresse donc dans ce colis quatre sièges WC neufs et cinq marteaux, le tout représentant une valeur de 13.750 francs.

Je vous engage par ailleurs à conserver le trop perçu pour vos bonnes œuvres ou bien à utiliser les 434 francs restants pour acheter un tournevis supplémentaire à notre Président de la République (voir aürticle "Les vraies dépenses de l'État").

Ce fut un plaisir de payer mes impôts cette année, n'hésitez pas, à l'avenir, à me communiquer la liste des tarifs usuels pratiqués par les principaux fournisseurs de l'État.

J.O., un contribuable heureux

FRANÇOIS JACOB  : Le professeur François Jacob, prix Nobel de médecine, raconte comment, étant enfant, il jetait dix cailloux dans la corbeille à papier du square où il jouait, en fermant les yeux. Un jour il réussit à placer les dix cailloux dans la corbeille et fut premier en mathématiques!

ANTONIO DE LA GANDARA

Dans ses Souvenirs de basoche, Paul Léautaud nous conte quelques anecdotes savoureuses sur les affaires dont il eut à connaître comme secrétaire d'administrateur judiciaire.

«Je me suis occupé du divorce du peintre La Gandara. Il y avait là de bien jolis détails de relations intimes. Mme La Gandara était une créature merveilleuse, un vrai Rubens, fille d'une concierge et la bêtise la plus accomplie. La Gandara l'avait certainement adorée.

Après un long voyage, tout à la joie de la retrouver, lui écrivant pour lui annoncer son arrivée, il lui recommandait de ne pas faire sa «toilette». L'amour a de ces raffinements.

La Gandara, arrivé à la gloire, comblé de succès auprès des «femmes du monde», voulait se débarrasser de sa femme, disait-on, pour retrouver sa liberté.

Homme fort simple, resté fidèle à son atelier de la rue Monsieur-le-Prince. Je l'ai vu un matin se joindre à moi, rue de Médicis, pour aider un cheval à démarrer, en poussant au derrière de la voiture.» (Paul Léautaud  : Passe-Temps)

PIERRE LAVAL

Dans ses Mémoires édités en Amérique, Laval nous a laissé une bombe à retardement.

Il raconte en particulier comment Daladier, le 26 mai 1940, après seize jours d'offensive allemande, serait venu lui proposer de débarquer Reynaud et de former un gouvernement pour conclure la paix avec l'Allemagne. Mais Laval exigeait que Pétain fît partie de la combinaison. Daladier aurait refusé en disant : «Tu es fou avec ton Pétain, mon pauvre Pierrot !»

Laval prétend, d'autre part, qu'Herriot était très satisfait d'être ramené à Paris le 13 août 1944 et qu'il aurait déjeuné de bon appétit à la table d'Otto Abetz.

C'était l'époque où Laval, encore plein d'illusions, voulait réunir l'Assemblée nationale et attendre de Gaulle à Paris pour lui transmettre les pouvoirs. (Jean Galtier-Boissière in Mémoires d'un Parisien)

PROCÈS DE PIERRE LAVAL (1945)
3 octobre 1945
Comme pour Pétain, président Mongibeaux et procureur général Mornet.

Amaigri et fébrile, Laval se présente seul. Ses avocats entendent protester contre une instruction brusquée et la hâte apportée à liquider cette grosse affaire avant les élections.

Le procureur Mornet s'élève contre «l'injure faite à la Justice en l'accusant de céder à des préoccupations politiques».

- Mais vous étiez tous aux ordres du gouvernement sous l'occupation, lance Laval, vous tous qui me jugez, magistrats, et vous, monsieur le Procureur général.

Mornet reste coi; le président essaie de placer un mot.

- Vous pouvez me condamner, continue le masque aux dents gâtées, vous pouvez me faire périr, vous n'avez pas le droit de m'outrager.

- Si vous dites quoi que ce soit qui puisse constituer un outrage à l'égard des magistrats, s'écrie le président, nous passerons outre aux débats...

Cette menace précise, à l'aube d'un grand procès politique, suscite dans l'assistance de vives protestations. Un juré en profite pour crier à l'accusé : «Un peu de modestie, fourbe!»Le président ordonne au garde d'emmener l'accusé. Mais Laval se reprend, présente spontanément d'assez humbles excuses... «Je vous prie de maîtriser votre indignation, messieurs les Jurés, déclare Mornet, élevez-vous au-dessus de ce qu'elle vaut...»Le calme revenu, Laval déclare que le juge d'instruction ne l'a interrogé ni sur Montoire, ni sur ses entretiens avec le gouvernement allemand, ni sur les réquisitions.

- Ne craignez-vous pas, comme je l'ai écrit au garde des Sceaux, que l'opinion aujourd'hui et l'histoire demain soient fondées à dire qu'il est des responsabilités et des responsables qu'on ne voulait pas découvrir?

Il ne désespère pas de retourner l'opinion de ses juges :

- En m'accusant, c'est la France que vous croyez défendre. En m'écoutant, vous sentirez que c'est la France que j'ai servie!

Mais il entend bénéficier d'un complément d'information; du coup le président lui retire la parole.

- Il est lamentable que je ne puisse pas répondre!

- C'est peut-être lamentable, j'en prends la responsabilité.

La salle proteste bruyamment.

Après la lecture du réquisitoire, qui fait état de témoins notoirement tarés, le président procède à l'interrogatoire. Comme il affirme qu'il n'a jamais fréquenté les couloirs du Parlement, Laval siffle ironiquement entre ses dents, à l'intention des jurés parlementaires : «Chef de cabinet de Raoul Péret!»(Cette excellence a laissé une assez fâcheuse réputation.)

Le président trace un exposé succinct de la carrière du châtelain de Châteldon («Un peu inexact, déclare l'accusé, mais ça le rend plus pittoresque»), paraît lui reprocher les contacts qu'il eut avec des dictateurs («J'ai connu Staline, répond Laval, exactement dans les mêmes conditions que les autres»), puis le chicane sur sa fortune évaluée à 60 millions («J'ai maintenant 1 000 francs au greffe du dépôt de Fresnes.»), enfin aborde l'histoire de France de 1938 à 1939.

- Il ne fallait pas se lancer dans la guerre dans les conditions où on l'a faite! opineLaval. Nous n'avions rien, pas un seul avion moderne de bombardement! Il ne fallait pas commencer la guerre après l'accord de Moscou. Il ne fallait pas faire la guerre pour la Pologne quand on avait refusé de la faire pour l'Autriche et quand on avait laissé mettre la main sur la Tchécoslovaquie. Il fallait faire autre chose à ce moment...

Et le voilà qui attribue la clôture de son instruction au désir qu'ont certaines gens de jeter un voile sur les origines de la guerre... Il affirme hautement que Daladier, qui avait déclaré la guerre, était intimement persuadé qu'on n'aurait pas à la faire. D'où la drôle de guerre :

- Voilà, s'écrie-t-il, où nous en étions de la sagesse, de l'intelligence et de l'expérience des hommes qui nous dirigeaient!

Il énumère ses efforts pour écarter la menace de guerre :

- Dans la même année 1935, j'ai vu Mussolini d'abord; trois jours après, le pape; quelques semaines plus tard, Staline; à mon retour de Moscou, Goering. Est-ce qu'on peut apporter plus de variété dans ses relations?... Si j'avais connu l'adresse du diable, je serais allé le trouver pour faire la paix!... Pour le maréchal Pétain, dit-il, je me suis trompé, j'en fais humblement l'aveu devant le public... Où il eût fallu le maréchal Lyautey, nous avons eu le maréchal Pétain. C'est fait, je n'y peux rien.

«Du moment qu'on avait laissé passer sans protester l'annexion de l'Autriche et de la Tchécoslovaquie, continue-t-il, il n'y avait aucune raison de partir en guerre pour la Pologne, le seul pays dont le gouvernement avait une politique extérieure, celle de M. Beck, qui était en coquetterie constante avec le gouvernement allemand.» On lui reproche d'avoir souhaité la victoire de l'Allemagne? Il propose d'apporter les propos tenus par Molotov et par Staline, les gestes, les actes qui ont été accomplis en 1940 ou 1941 à Moscou, en faveur de l'Allemagne :

- Staline s'est souvenu de ce proverbe géorgien que j'ai adopté pour ma part, quand j'ai voulu préserver, essayer de protéger les Français : Il vaut mieux quelquefois embrasser son ennemi de peur qu'il ne vous égorge.

Il passe à l'armistice : 99 % des Français étaient convaincus que la France ne pouvait plus résister; c'était l'opinion de tous les parlementaires, l'opinion des chefs militaires, du généralissime Weygand et du Maréchal. A cette époque, M. Jeanneney, M. Herriot ont-ils parlé? Oui, mais uniquement pour faire l'éloge de Pétain! Personne n'a dit qu'on étranglait la République! Ce n'est pas lui, Laval, d'ailleurs qui a créé la Légion, c'est Weygand!

- Quand les militaires se mettent à faire la guerre, ils ne la gagnent pas toujours, mais quand ils se mêlent de faire de la politique, c'est une catastrophe!

A la fin de l'interrogatoire, Laval lance un appel angoissé :

- Je vous demande de donner à la France et à la Justice son vrai visage. Si vous me traitez comme on traitait les Français sous l'occupation, alors qu'auriez-vous à me reprocher?

Comme le président refuse d'accorder un complément d'information et la remise du procès après les élections, Pierre Laval, frappant sur sa serviette, s'écrie :

- Condamnez-moi tout de suite, ce sera plus clair!

Dans la salle un jeune homme applaudit.

- Gardes! emmenez l'accusé, crie le président... Arrêtez immédiatement le perturbateur et conduisez-le au Dépôt!

- C'est la 5e colonne! hurlent les jurés... Il mérite douze balles dans la peau, comme Laval!

Au milieu du brouhaha, le président annonce que la prochaine audience se poursuivra en l'absence de l'accusé. Ce qu'il chercchait depuis le début du procès.

Audience du 5 octobre

A la surprise générale, Laval prend place au fauteuil de l'accusé et ses trois avocats, Mes Naud, Baraduc et Jaffrey occupent le banc de la défense.

Le président annonce qu'à la demande de la Haute Cour, il admettra que l'accusé présente sa défense, contrairement à ce qu'il avait annoncé la veille.

Les avocats s'étendent longuement sur les difficultés qu'ils ont rencontrées pour consulter le dossier et sur les conditions précaires dans lesquelles l'accusé, en cellule, prépare sa défense. - Et nous? crie un juré de la Résistance.

- Vous êtes juges! réplique Laval.

Me Naud pose des conclusions tendant à demander un complément d'information, Laval n'ayant subi que huit interrogatoires au lieu des vingt-cinq prévus. Faisant allusion aux traditions anglo-saxonnes, il demande que l'accusé ait des garanties de défense au moins égales à celles accordées aux monstres de Belsen, et Me Baraduc pose la question :

- Est-il vrai que le procès doit être terminé par ordre avant les élections?

- Ce n'est pas à mon âge, à la retraite, s'écrie Mornet, s'essayant au pathétique, que j'aurais des ordres à recevoir de n'importe quel ministre!

Ici le compte rendu d'audience devrait indiquer en italique «sourires», car l'assistance se révèle singulièrement sceptique quant à l'indépendance des magistrats en général et d'un Mornet en particulier.

Laval signale de nombreuses erreurs dans les citations qu'on a faites de lui d'après les journaux de la collaboration. Comme le juré parlementaire Chaussy s'apprête à interrompre : «Attends! Attends!...» lui dit familièrement Laval, qui explique son attitude au début de l'occupation avec le bagout d'un camelot vendant au déballé. Soucieux de la haute tenue de l'audience, le président semonce l'accusé : «... Essayez de maintenir, si possible, à ce débat une allure autre que cette allure familière, plaisante, narquoise, mais tout à fait déplacée, dans une enceinte de justice.»

Audience du 6 octobre

Nouvel incident entre Mornet et Laval, le procureur général reprochant à Laval les lois qu'il a signées...

- Et que vous avez appliquées! riposte Laval insolemment.

Le président, durement touché, accuse le coup en déclarant une fois de plus qu'il ne tolérera pas que l'accusé «apporte le trouble à l'audience».

Les chats-fourrés, qui ont juré fidélité à Pétain ou sollicité des places sous son règne, n'aiment pas qu'on leur mette le nez dans leur caca. Laval comprend qu'il aggrave son cas et effectue prudemment une retraite stratégique. Mornet lui lance qu'appréhendé au lendemain de la Libération, il eût certainement été fusillé.

- Cela m'eût privé du plaisir de vous entendre, gouaille l'accusé. Devant la partialité des juges, la salle devient houleuse.

- Ces débats prennent une allure de réunion publique, déplore le président qui menace de suspendre l'audience. - Vous voulez tout, sauf la lumière! constate l'accusé. - Vous vous croyez donc assuré de l'impunité? crie le président avec la plus évidente mauvaise foi.

- Je ne me crois pas assuré de l'impunité, répond Laval, mais il y a quelque chose qui est au-dessus de nous tous, au-dessus de vous, au-dessus de moi, c'est la Vérité et c'est la Justice dont vous devez être l'expression... .

- Elle passera, la Justice!... crient les jurés.

- Elle passera, oui..., mais la Vérité subsistera!

- Quelqu'un aura le dernier mot! c'est la Haute Cour, proclame le président... Vous ne voulez plus répondre à mes questions?

- Non, monsieur le Président, devant votre agression, devant la manière dont vous m'interrogez...

- Emmenez l'accusé!

Tandis que les gardes encadrent Laval, les jurés, debout, l'injurient en gesticulant : «Salaud! Provocateur! Vous n'avez pas changé!»

Laval se retourne, écœuré  :

- Les jurés! Avant de me juger, c'est formidable!

- On vous a déjà jugé, crie un juré parlementaire, et la France vous a jugé aussi!

Écœurantes séances! L'instruction avait été bâclée; les magistrats n'étaient rien moins que qualifiés pour mettre en accusation ce pseudo-traître  : le président n'avait-il pas juré fidélité au Maréchal et le procureur, sollicité de sous-présider une commission raciale et accepté de requérir à Riom pour le compte de Vichy? Lorsque Laval leur lançait leur passé à la face, comme un crachat, le public sentait trop leur précipitation à lui fermer la bouche, en le menaçant.

Les avocats protestent qu'ils n'ont pas été autorisés à étudier le dossier et refusent d'assurer la défense dans de pareilles conditions. - Qu'importe? Je passe outre! s'écrie le président.

L'accusé refuse de répondre.

- Je passe outre!...

L'accusé ne se présentera plus.

- Tant mieux! nous gagnerons du temps!

Authentiques scènes d'Ubu roi : «Par ma cornegidouille, à la trappe! à la trappe!» Jamais aussi révoltante parodie de justice n'avait été machinée au Palais. Et c'est précisément parce que l'accusé se dérobait sans cesse, prenait des biais, «noyait le poisson», que les magistrats auraient dû avoir à cœur de le ramener au sujet, sans éclats mélodramatiques et sans feintes indignations. Par suite de la carence de MM. Mongibeaux et Mornet, la Justice française sort déconsidérée de ces lamentables débats, particulièrement aux yeux de nos amis anglo-saxons, si profondément respectueux des formes de la loi et de la personne humaine.

Que penser des jurés? Le plus authentique héros de la Résistance peut, hélas! manquer des qualités requises pour rendre sereinement la justice. Un jury qui insulte le prévenu - serait-il un monstre - lui crache à la figure et le menace du poing ne saurait être excusé qu'en période de crise révolutionnaire et de «Patrie en danger». Mais, dans le calme de la paix retrouvée, une attitude partisane et outrageante déshonore des juges.

15 octobre

A 10 heures et demie, Randeynes me téléphone que Laval a été trouvé mort, empoisonné dans sa cellule au moment où les autorités venaient le chercher pour le mener au poteau.

A midi quarante, la radio annonce «en dernière minute»que Laval a été exécuté à midi trente et une dans la cour intérieure de la prison de Fresnes.

Cette mise à mort de Laval fut si répugnante que le public, pourtant prévenu à fond contre «le bougnat», est écœuré. C'est Mornet qui exigea que le condamné fût ranimé par les médecins pour être réglementairement passé par les armes à l'heure H.

Comme Laval ne reprenait pas assez rapidement ses sens, le procureur proposa de le lier à un brancard qui serait appuyé au poteau et de le fusiller ainsi, précisant «qu'il agissait par humanité». (Paris-Matin.)

Source  : Jean Galtier-Boissière  : Mémoires d'un Parisien

«... Ce qu'on appelle la «Justice» est... aussi arbitraire que les modes. Il y a des temps d'horreur et de folie chez les hommes comme des temps de peste, et cette contagion a fait le tour de la terre.»

«Arrêt de mort», Dictionnaire philosophique de Voltaire.

Paul LÉAUTAUD (Page choisie)

Dimanche 14 janvier 1945 - Il y a quelques jours, Rouveyre m'a envoyé à lire L'Introduction qu'il a écrite pour le Choix de pages qu'il doit composer pour l'éditeur Tahon. Un morceau assez long. Je crois près de 18 pages grandes, de son écriture si serrée. J'ai dû lui répondre (outre ce que je ne lui dis pas : que cela ne m'inéresse pas le moins du monde) que jamais je n'ai accepté de lire préalablement à leur publication les articles qu'on a bien voulu écrire sur moi, et que je ne vais pas commencer avec lui à faire le censeur et le cher maître prétentieux, et soucieux de ne s'entendre faire que des compliments. Et conformément à ma réponse, j'ai remis ces feuillets dans leur enveloppe sans les regarder. En ayant parlé à Marie Dormoy et elle ayant manifesté le désir de les lire, je les lui ai portés.

Hier ou avant-hier, je reçois une longue lettre de Rouveyre, navré, déconcerté, surpris, par ma réponse. J'ai dû lui récrire longuement pour [tache d'encre] que mon refus de lecture n'est pas indifférence, mais simplement une sorte de respect de sa liberté d'écrivain et de critique, même à mon égard.

Comme il me prie dans sa dernière lettre de lui retourner ces papiers, je dis en déjeunant à Marie Dormoy qu'il faudra qu'elle me les rende pour ce renvoi. Elle me signale alors que Rouveyre termine son travail par quelque chose dans ce genre : « Que pèsera un jour l'œuvre d'un France, d'un Valéry, d'un Proust, à côté de l'œuvre de Léautaud. »

Comment un homme, je ne dirai pas intelligent comme Rouveyre, mais fin et moqueur comme lui, a-t-il pu écrire pareille sottise, pareille bêtise, se livrer à pareille exagération, à pareille invention au risque de me couvrir de ridicule, et lui également, et de nous faire passer comme compères dans ce cabotinage qui dépasse toutes les bornes permises ? Jamais l'expression du pavé de l'ours n'a été mieux de circonstance.

Je vais être obligé de lui écrire un peu sérieusement pour lui montrer tout cela et le ramener à la raison. Tant pis s'il le prend mal. Au diable son introduction et le Choix de pages (dont je me moque également), plutôt que de me laisser mettre dans un pareil ridicule.

Paul Léautaud

Lundi 15 Janvier 1945 - Ce matin, 9° au-dessous de zéro. Toujours la neige sur une bonne épaisseur, solide au sol, le vent souffle sur tout cela. On gèle, et si mal nourri, on a presque aussi froid (sensation) à l'extrémité du corps qu'à l'extérieur. Le rnoindre objet chez soi est glacé et y toucher vous gèle les doigts. Même mes livres, une simple feuille de papier, le journal à lire.

Nouvelles restrictions de gaz et d'électricité. On ne sait plus trop à quelle heure faire sa cuisine. Moi, mon gaz est gelé depuis plusieurs jours ce qui simplifie la question de ce côté-là. A moins de me lever à 7 heures du matin, plus à compter pouvoir faire chauffer mon petit déjeuner. Si je n'avais pas de bougies, je me trouverais chez moi le soir dans l'obscurité. Et j'en suis, je crois bien, à mon dernier paquet. Pour le chauffage, je touche à la fin de mon bois. Dans quatre ou cinq jours, je n'aurai plus une bûche. Je cherche de tous les côtés à en acheter sans en trouver. Le chauffage que je m'offre n'a pourtant rien de riche. Écrivant à un mètre cinquante au plus de mon poêle, j'ai les jambe glacées, et je ne sais quelle serait mon entrée dans mon lit si je ne m'y mettais presque tout habillé.

Dans quelles proportions je voue à tous les diables tous les compétiteurs rivaux et concurrents en «matières premières» qui règlent leurs différends sur notre dos, à nous autres pauvres diables, il n'est pas de terme suffisant pour l'exprimer. Tout est pire que pendant l'occupation, les abominations «intérieures» s'y ajoutant. (Paul Léautaud  : Journal Littéraire Dimanche 14 janvier 1945)

LÉGENDE HINDOUE

Une vieille légende hindoue raconte qu'il y eut un temps où tous les hommes étaient des Dieux. Mais ils abusèrent tellement de leur divinité que Brahma, le maître des Dieux, décida de leur ôter leur pouvoir divin et de le cacher à un endroit où il leur serait impossible de le retrouver. Le grand problème fut donc de lui trouver une cachette.

Lorsque les dieux mineurs furent convoqués à un conseil pour résoudre ce problème, ils proposèrent ceci  :

- Enterrons la divinité au plus profond de la terre. Mais Brahma répondit  :

- Non, cela ne suffit pas, car l'homme creusera et il la retrouvera.

Alors les autres dieux suggérèrent  :

- Dans ce cas jetons la divinité dans les abysses des océans.

Mais, Brahma répondit à nouveau  :

- Non, car tôt ou tard l'homme explorera le fond des océans et il est sûr qu'un jour il y retrouvera sa divinité et la remontera à la surface.

- Il ne nous reste donc qu'à la dissimuler dans le ciel, dans la lune par exemple, ou sur une autre planète... Mais Brahma répondit encore  :

- Non, l'homme finira par escalader le ciel et y retrouvera sa divinité, même si nous la cachons sur la lune.

Alors les Dieux mineurs conclurent  :

- Nous ne savons pas où la cacher, car il ne semble pas exister sur terre, dans la mer ou dans le ciel un endroit que l'homme ne puisse atteindre un jour.

Alors Brahma dit  :

- Voici ce que nous allons faire de la divinité de l'homme. Nous la cacherons au plus profond de lui-même, car c'est le seul endroit où il ne pensera jamais à la chercher.

Brahma

Depuis ce temps-là, conclut la légende, l'homme a fait le tour de la Terre, exploré le fond des mers, escaladé les plus hautes montagnes, il a voyagé dans l'espace, marché sur la lune, creusé des galeries dans le sous-sol, tout cela à la recherche de quelque chose qui se trouve en lui.

LAVOISIER  : Condamné à mort par le tribunal révolutionnaire, le chimiste Lavoisier émit le souhait que son exécution soit différée de 15 jours, le temps pour lui d'achever certains travaux utiles à la République.

Le vice-président du tribunal, Coffinhal, un authentique "grand ancêtre" dont le nom est à retenir, lui rétorqua  : "la République n'a pas besoin de savants". (Joseph Sigward)

LÉNINE

Lénine fut, chez Domergue, femme de ménage. Il remplaçait la femme de ménage en son absence. C'est vers cette époque-là que j'ai connu Domergue. Il faisait le portrait de Marie Murat en costume de «ballet russe», en «princesse persane» à la Bakst. J'ai pris plusieurs fois mon petit déjeuner avec Lénine à la Rotonde. Il n'avait rien d'une bombe à retardement qui se cache. Il parlait de son rêve. Il se plaignait de l'injustice des classes. Il disait  : «Ça ne peut plus durer, mais que faire ?» Lorsque je songe à ce qu'il a fait, j'ai toutes les peines du monde à coudre ensemble l'image d'un petit étudiant russe de Montparnasse et celle d'une momie sacrée sur la place Rouge. (Jean Cocteau Le Passé défini - 21 septembre 1957)

MANIFESTATION FUTURISTE

«Un jour, avec Salmon, Apollinaire, Cendrars, Picasso, Picabia et vingt autres, nous nous sommes mis à descendre la rue Lepic en hurlant et brandissant des pancartes. Les gens étaient très effrayés. Ils croyaient que nous étions des rouges, que nous faisons la Révolution. Des policiers sont arrivés. Mais ils ne sont pas intervenus. Nous hurlions  : «A bas Laforgue ! Vive Rimbaud !». Et, comme aucun ministre ne portait ce nom-là, ils n'ont pas roulé leurs pélerines et se sont contentés de nous prendre pour des fous inoffensifs.» (Jean Cocteau).

«La manifestation pour ou contre le futurisme prit une violence extraordinaire. Ce fut un torrent tumultueux tacheté de rouge par les masses des carabinieri, qui houla sous les balcons débordants de grappes humaines. Mêlée violente. Trois des nôtres blessés au visage. Nous emportons en revanche vingt-cinq gourdins arrachés à lennemi. Les rues barrées par la troupe ; la cavalerie doit venir renforcer l'infanterie. Voici les bersaglieri courant sous le vert feuillage agité de leurs chapeaux. Des arrestations sans nombre sont opérées. Trois fois les sommations de la police, stridents coups de trompette, déchirèrent l'admirable soie du ciel d'où l'on vit choir deux arc-en-ciel tricolores sur la poitrine haletante des commissaires.» (F.T. Marinetti  : Le Futurisme).

Picabia  : tableau futuriste

MAURRAS  : à la prison de la Santé

«Il était vêtu d'une étonnante veste, et d'un non moins étonnant pantalon, qui en quelques mois de prison avait pris aux épaules, à la ceinture, aux genoux la forme de son travail, car on y voyait ses élans, ses poussées de volonté, restées là sous forme de renflements. De plus, il avait tellement écrit, tellement frotté ses coudes, que tous deux s'en trouvaient percés. La comtesse Murat lui en fit affectueusement la remarque. Il ne les avait pas vus. Il exprirna de la confusion, et dit aussitôt qu'il aviserait.

Comme nous partions ensemble, elle me dit :

- Il ne faut pas qu'il oublie de se commander une veste. Je vais lui envoyer quelqu'un.

Mais quand elle revint quarante-huit heures après lui annoncer qui elle avait choisi, Maurras s'écria :

- C'est fait ! C'est fait ! J'ai demandé le tailleur de la prison !

Il avait au cours de sa détention tellement charmé ses gardiens, n'ayant pour eux que gentillesses et sourires, que l'un d'eux disait un jour sans vanité, avec l'impression d'une bonne fortune :

Depuis que je garde monsieur Maurras, ma femme prétend que j'ai de la conversation.

Le matin où il fut déclaré libre, il était sincèrement désolé de quitter ces honnêtes gens :

- Messieurs, leur dit-il, ce qui me chagrine, c'est de vous laisser en prison.

Il ajouta les yeux baissés :

- Je ne peux pourtant pas vous promettre de revenir... Il sortit de prison pour entrer à l'Académie.» (René Benjamin  : L'homme à la recherche de son âme, Plon 1943)

MÉMOIRE  :

Dans son De oratore, écrit vers 55 av. J.-C., Cicéron relate l'histoire suivante  :

«Au cours d'un banquet donné par un noble Thessalien qui s'appelait Scopas, le poète Simonide de Cos chanta un poème lyrique en l'honneur de son hôte; mais il inclut un passage à la gloire de Castor et Pollux. Mesquinement, Scopas dit au poète  : qu'il ne lui paierait que la moitié de la somme convenue, et qu'il devait demander la différence aux dieux jumeaux il avait dédié la moitié du poème. Quelques moments après cette déclaration, on vint avertir Simonide que deux jeunes gens l'attendaient dehors et désiraient lui parler; il quitta le banquet et sortit, mais ne trouva personne. Pendant son absence, le toit de la salle du banquet s'écroula, écrasant Scopas et tous ses invités sous les décombres; les cadavres étaient à ce point broyés que les parents venus pour les emporter et leur faire des funérailles, étaient incapables de les identifier. Mais Simonide se rappelait les places qu'ils avaient occupé à table et put ainsi indiquer aux parents quels étaient leurs morts.

Castor et Pollux, les jeunes gens invisibles qui avaient appelé Simonide, avaient généreusement payé leur part du panégyrique en attirant Simonide hors du banquet juste avant l'effondrement du toit. Cette aventure suggéra à Simonide les principes de l'art de la mémoire dont on dit qu'il fut l'inventeur. Remarquant que c'était grâce aux souvenirs des places occupées par les invités qu'il avait pu identifier les corps, il comprit qu'une disposition ordonnée est essentielle à une bonne mémoire.» (L'art de le mémoire selon Tullius et Cicéron rapporté par Meyerson)

MENSONGES  : J'aimais Brigitte à la folie. Elle m'a raconté qu'elle s'était mariée trois fois. Très jeune, avec un architecte mondialement connu, puis avec un homme daffaires fortuné qu'elle avait quitté malgré les bijoux dont il la couvrait, et enfin avec un médecin de l'aide humanitaire... Renseignements pris, Brigitte, secrétaire médicale, n'avait jamais épousé personne. J'ai commis l'erreur de lui dire qu'elle navait pas besoin de me raconter toutes ces histoires, que je l'aimais telle qu'elle était. Folle de rage, elle n'a plus jamais voulu me revoir ! (Michel)

MITTERRAND  : «J'évoque l'affaire Bousquet, haut fonctionnaire de Vichy. Beaucoup reprochent au Président les liens qui l'unissent à ce personnage qui a joué un rôle important dans la collaboration avec l'Allemagne hitlérienne.

François Mitterrand m'écoute sans irritation apparente. Et il me regarde.

- Vous constatez là, me dit-il, l'influence puissante et nocive du lobby juif en France.» (Jean d'Ormesson  : Le Rapport Gabriel)

MODIGLIANI  : «Modigliani demeurait boulevard Raspail et allait souvent rendre visite en face de chez lui, à Eggeling, qui occupait un atelier humide et sinistre.

Modi, saoûl, récitait Dante et se bourrait de cocaïne. Hans Arp* raconte  : - Un soir, il fut décidé que je serais, en compagnie de plusieurs autres innocents, initié aux paradis artificiels. Chacun de nous donna quelques francs à Modigliani pour quil puisse aller faire provision de la drogue. Nous attendîmes des heures. Enfin il revint, hilare et reniflant, ayant tout absorbé à lui tout seul.» (Revue XXe siècle Mars 1938 in Youki Desnos  : Confidences)

MOMIE (profanation de la)  :
Journal des Goncourt - 27 mai 1867 Nous sommes dans une grande pièce au-dessus de l'okel de l'exposition égytienne [de l'Exposition Universelle]. Par les dentelles de bois des moucharabys, le soleil tombe dans la salle et découpe des rosaces sur des boîtes de momies et des sarcophages à quatre montants, sur lesquels sont piqués avec une épingle des morceaux de papier portant : Ligne paternelle..., Ligne maternelle,... et des noms d'Égypte.

Tout autour, sur des rayons de bois blanc, des crânes ficelés avec des chiffons, des têtes séchées, des crânes de toutes couleurs, les uns verts de la patine des bronzes, d'autres suintant sous le soleil de naphte et de bitume, d'autres tout noirs avec des morceaux carrés d'or plaqués, d'autres tout dénudés avec les beaux jaunes ivoirins des os et les grands creux d'ombre du vide des yeux. Là-dedans, au milieu des fronts fuyants, un front renflé de pensée et de sagesse, noblement socratique; et à côté, une tête de femme toute décharnée et qu'on rêve belle, coiffée de la luxuriance d'une chevelure roussie et carminée, comme tous les cheveux qui sont là, dont la natte, à demi émiettée, lui aveugle les yeux.

En travers, jetée sur une table, la momie qu'on va débandelleter. Tout autour, se pressant, des redingotes décorées. Et l'on commence l'interminable développement de la toile emmaillotant le paquet raide. C'est une femme qui a vécu il y a deux mille quatre cents ans; et ce redoutable et si lointain passé d'un être, dont l'œil commence à tâtonner la forme et dont on va violer l'immense sommeil, semble mettre dans la salle et dans la curiosité historique qui est là je ne sais quoi de religieux dans l'avidité de voir.

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On déroule, on déroule toujours, sans que le paquet semble diminuer, sans qu'on se sente approcher du corps. Le lin paraît renaître et menace de ne jamais finir sous les mains des aides, qui le déroulent sans fin. Un moment, pour aller plus vite et pour dépêcher l'éternel déballage, on la pose sur ses pieds, qui cognent sur le plancher comme un bruit dur des jambes de bois. Et l'on voit tournoyer, pirouetter, valser affreusement, entre les bras hâtés des aides, ce paquet qui se tient debout, la mort dans un ballot.

On la recouche et on déroule encore. Les mètres de toile s'entassent, montent en montagne, couvrent la table de ce linge au joli ton de safran rouillé d'une toile qui n'a pas été blanchie. Et des senteurs étranges se lèvent, des parfums de poussière et de naphte, des émanations chaudes et poivrées d'aromates et de myrrhe funéraire : les odeurs de volupté noire du lit de la mort antique.

Enfin, sous le débandelettement, commence à s'esquisser un peu de la forme humaine du corps : «Berthelot, Robin, dit Mariette, voyez cela !»

Un canif, qui fouille l'aisselle, en a fait sortir quelque chose, qu'on se passe et qui semble être une graine et une fleur qui a senti bon, un petit bouquet planté là par l'Égypte sous le moite du bras de ses morts.

Les dernières bandes sont arrachées, la toile est à son bout. Voilà un morceau de chair : il est tout noir et fait un étonnement, tant on s'attendait, sous ce linge de deux mille ans, tout frais, à trouver la vie de la mort et l'éternité conservée du cadavre.

Du Camp s'est jeté avec une sorte de frénésie nerveuse au dépouillement du cou et de la tête. Tout à coup, dans le noir du bitume figé au bas du cou, reluit un peu d'or. Il crie  : «Un collier ! »Et avec un ciseau, dans le pierreux de la chair, il fait sauter une petite plaque en or, avec une inscription écrite au calame, et découpée en forme d'épervier. Puis on fait encore sauter un tout petit Horus et un gros scarabée vert. Mariette, qui s'est jeté sur la petite plaque d'or, dit que c'est une prière pour la réunion de son cœur et de ses entrailles à son corps au jour éternel.

Les pinces, les couteaux enfiévrés descendent sur le corps desséché, qui sonne le bois, dénudent cette poitrine et ce ventre aplatis, déformés, insexuels, sillonnés dans leur noirceur de taches de rouge cuit. Ils dépouillent ces bras collés au corps, ces mains qu'un mouvement ankylosé de pudeur, le mouvement même de la Vénus de Médicis, abaisse sur le pubis avec leur doigts aux ongles dorés.

Devant cela, Dumas fils, venu pour représenter ici l'esprit du XIXe siècle, cherche un mot de Paris, ne le trouve pas et s'en va. Une dernière bande, arrachée de la figure, découvre soudainement un œil d'émail, où la prunelle brune a coulé sur le blanc; un œil vivant et qui fait peur. Le nez apparaît, camard, brisé et bouché par l'embaumement; et le sourire d'une feuille d'or se montre sur les lèvres de la petite tête; au crâne de laquelle s'effiloquent des petits cheveux courts, qu'on dirait encore avoir la mouillure et la suée de l'agonie.

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Elle était là, étalée sur cette table, frappée et souffletée en plein jour, toute sa pudeur à la lumière, et, aux regards. On riait, on fumait, on causait. Pauvre cadavre profané, si pieusement enterré et voilé et qui devait si bien se croire sûr du repos et du secret éternels, de l'inviolabilité immortelle, et que le hasard d'une fouille jetait là, comme une crevée de notre temps, sur une table d'amphithéâtre, sans que personne que nous en eût une douloureuse melancolie. (Journal d'Edmond et Jules de Goncourt - 1867)

1. L'okel, en Égypte, est un ensemble de magasins disposés autour d'une cour pour servir d'entrepôts au commerce. A l'Exposition universelle de 1867, l'okel fait partie d'un groupe de bâtiments égyptiens - reproduction du Temple de Philae, Salamlick, pavillon de l'Isthme de Suez - situés dans le Jardin Réservé du Champ-de-Mars. Cet okel renfermait une «collection de momies qui n'était accessible qu'aux personnes munies de cartes de faveur».

PAUL MORAND  : «Je l'ai vu [Paul Morand] à plusieurs reprises. Notamment une fois dans une situation burlesque. En chemise, sortant de notre maison en Suisse en courant et poursuivi par mon père [Pascal Jardin] qui avait un revolver à la main. Et qui était furieux parce qu'il venait d'apprendre que Morand était l'amant de ma grand-mère. C'était très étonnant. Je dois dire que Morand m'a souverainement déplu. Peut-être à cause du masque impavide de son visage. Mais c'était un écrivain immense.»(Alexandre Jardin  : La Une N° 12 octobre 1997)

NASSER-AL-DIN SHAH Durant la première visite du shah de Perse Nasser-al-Din à Paris, en 1873, les journaux, qui ont relaté la visite du monarque à la princesse Mathilde, n'ont point raconté comment elle s'était réellement passée*.

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Avant la visite du souverain persan, la Princesse avait reçu un message qui lui demandait de lui faire préparer : «Un verre d'eau glacée, des gâteaux et une chaise percée.»

On plaça la chaise percée dans un coin de la bibliothèque en bas, et le comte Joseph Primoli, photographe acharné, avait choisi son endroit pour faire un instantané du shah en cette curieuse position ; mais le shah exigea que la chaise percée fût placée à l'image d'un trône, au milieu de la pièce, et Primoli fut déçu... «Un saligot, s'écrie la Princesse! un saligot !» rapporte Edmond de Goncourt dans son Journal.

«Joseph Désiré Tholozan, le médecin du shah depuis trente ans, revenant avec nous ce soir et ignorant ce détail, nous dit que lui, qui connaît le tempérament du shah, il peut nous assurer qu'il n'est jamais pressé en ces sortes d'affaires et qu'il voit là-dedans, de la part du Roi des Rois, une affectation de dédain pour les souverains de l'Europe.

Et il nous racontait qu'au dîner donné à Saint-Pétersbourg, où le shah donnait le bras à l'impératrice de Russie, en se levant de table, il avait, un moment, marché le premier en tête, faisant semblant d'oublier la souveraine, pendant que l'impératrice le suivait, avec de l'ironie sur la figure.

Et jusqu'à Paris, ce sont de curieuses histoires sur l'original souverain. Il nous conte, entre autres histoires, qu'il y a quelques années, le ministre de la Police ayant commis quelques malversations, le shah eut la fantaisie de le faire fouetter devant lui; et comme il trouvait qu'il criait trop et trop fort, il se fit apporter un joli, mais un très joli cordon, et le fit étrangler le plus tranquillement du monde.»

* En 1889, le shah séjourna à Paris du 29 juillet au 10 août et fut reçu le 2 août par Sadi Carnot, le président de la République, à l'occasion de l'Exposition universelle.

ORTOLANS  :

C'est l'heure des Ortolans

Pas de réveillon sans ortolans, avait fait savoir le Président avant de partir pour l'Égypte. Le Président entend « ortolan », il se redresse. Le gendarme qui fait le service exhibe avec une solennité gaillarde le plat tant attendu. Une douzaine d'ortolans – il n'y en a pas pour tout le monde, on devra se débrouiller. Quelques convives déclinent l'invitation, car, ils le savent, c'est une épreuve.

On vous sert la bête entière, brûlante, avec ses os et ses viscères, toute chargée de son jus et de son sang. On vous tend ensuite une épaisse serviette de coton, un large morceau de drap blanc. Et là, il faut faire comme eux, ces hommes qui, brusquement, tous ensemble, glissent la tête sous leur serviette. C'est une dizaine de taches blanches, une drôle d'assemblée de fantômes qui suçotent pendant que les femmes parlent à voix basse.

Et, comme eux, il faut disparaître pour se retrouver face à face avec l'oiseau perdu au milieu de l'assiette. Il faut alors prendre la tête de l'ortolan brûlant dans sa bouche et la broyer, la faire craquer franchement sous les dents. Puis vous attaquez les ailes, petites ailes si peu charnues, et, après la tête et les ailes, il faut trouver les deux pattes, s'en saisir et enfourner le corps de l'oiseau.

Ce petit corps, il faut le mettre tout entier dans sa bouche, d'un seul coup, et mâcher cette boule, et avaler ce jus, et broyer ces os, et faire cela comme un homme, comme un chasseur, comme un Landais. Ne pas faiblir, on ne doit rien recracher.

François Mitterrand ressort le premier de dessous la serviette fumante. Chaviré de bonheur, l'œil qui pétille, le regard plein de gratitude pour Emmanuelli. Autour de la table, on le fête, sans lui et ses ortolans, le réveillon n'eût pas été complet.

Mitterrand le remercie encore, de loin lui fait des signes de la main. Emmanuelli se met à expliquer quand, comment, par quelle filière lui sont venus ces ortolans. Emmanuelli, héros des Landes, un instant.

Il reste un ortolan. On s'en indigne, d'autant qu'ils étaient comptés. On le propose à la cantonade. Le gendarme circule à nouveau avec sa cassolette et le malheureux oiseau qui nage dans l'huile. Le Président se porte volontaire. Ceux qui viennent de subir l'épreuve se regardent stupéfaits. Et voilà le Président qui replonge sous sa serviette. Un long moment, on l'entend s'occuper de l'animal dans un silence absolu. L'opération terminée, il se rallonge, jette doucement sa tête en arrière, extasié.

Une trentaine d'huîtres, du foie gras, un morceau de chapon, deux ortolans… Comment peut-il ? Comment un être humain normalement constitué, même landais, peut-il en redemander ? Je pense à ce qu'on dit de l'appétit inexistant des mourants, j'en conclus que la fin ne peut pas être proche, qu'on a dû se tromper.

Dîner d'ortolans

Extrait de : Georges-Marc Benamou : Le Dernier Mitterrand

Benamou

PAGNOL  : Fortune faite, Marcel Pagnol retourna un jour dans son village de La Treille, au volant d'une superbe voiture. Un ancien du village s'extasiant sur cette belle auto lui demanda à qui il l'avait volée ! Quelqu'un lui expliqua que le "pitchoune" était millionnaire, un homme riche pouvant s'offrir tout ce qu'il voulait.

Alors le vieux s'exclama  :

- Ah! le pôvre, je le plains, à quoi va lui servir tout cet argent ? Quand il aura bu cent pastagas, mangé dix gigots, éclusé dix litres de pinard, il aura bien de la peine à évacuer tout ça ! Car sûr que le bon diou lui a donné, comme à nous autres, une seule biroute et un seul trou du cul !

PARABOLE DU RÉVERBÈRE  : Un passant serviable, après avoir aidé pendant un certain temps un homme qui cherche ses clés auprès d'un réverbère allumé, ose lui demander s'il est bien sûr que c'est là qu'il les a perdues. Non, répond l'autre, pas le moins du monde, mais c'est le seul endroit où on y voit... (Isabelle Stengers)

Jules PÉAN (1830-1898)  : « C'est Péan qui a inauguré les séances opératoires où le virtuose du couteau abat trois jambes, deux bras, désarticule deux épaules, trépane cinq crânes, enlève en se jouant une demi-douzaine d'utérus avec les annexes, et quelques paires d'ovaires. Il fonctionnait en habit, en cravate blanche, assaisonnant son travail de prestidigitateur tragique avec du coq-à-l'âne et des truismes effrayants. Je citerai notamment l'axiome célèbre: «Il vaut mieux dix pinces inutiles qu'une seule qui ne sert à rien», et la formule coutumière: «Retirez-vous tous derrière, mâssieurs, car tout le monde est devant et ceux qui sont derrière ne vouaillent rien.»

Au bout de deux heures de cet exercice, il ruisselle de sang et de sueur les mains, ou mieux les battoirs, rouges comme ceux d'un assassin, les pieds trempés de pourpre, et toujours guilleret. On emportait les opérés coupacés et livides, en plusieurs tronçons, sur des brancards, à la queue leu leu, à la va-comme-je-te-pousse, les pinces brinquebalant dans les abdomens ouverts, ainsi que des veaux ou des porcs. Seul Hogarth eût pu rendre cette panique du dépècement, ce massacre scientifique, qui tenait de l'étal, du supplice et de la course de taureaux. Les spectateurs non prévenus vomissaient. D'autres riaient stupidement. D'autres se sauvaient. D'autres s'évanouissaient.

Je n'ai jamais vu, pour ma part, tel amas de troncs, de morceaux et de moignons, un pareil hachis de viande humaine. Cela, vu l'imperfection du sommeil chloroformique, au milieu de soupirs, de sanglots, de hurlements de douleur, de cris pareils à des sifflets de locomotive et de steamers, du bruit des corps mous chus à terre en se contorsionnant. Ce jeu achevé, Péan lavait à grande eau ses abattis, se curait les ongles, se mouchait dans un bruit de tonnerre, bouchonnait les taches écarlates de son plastron, de son gilet, de son talon, et s'en allait à grandes enjambées, avec une mine de carnassier satisfait. Il avait accompli sa fonction ici-bas, qui était de trancher, d'ouvrir, de réséquer, de désosser et d'éventrer. « Je le tailladai. Dieu le guarit… »

La vérité est qu'on ne «guarissait» pas beaucoup chez le terrible coupe-toujours. (Léon Daudet Souvenirs littéraires)

SAMUEL PEPYS

Samuel pepys

Le Journal de Samuel Pepys (1633-1703), haut fonctionnaire de la Marine anglaise, fourmille d'anecdotes savoureuses sur les mœurs de son époque.

"Journal", 13 octobre 1660 « Chez Milord, le matin ; j'y rencontrai le capitaine Cuttance. Mais comme Milord n'était pas levé, je me rendis à Charing Cross pour y voir le major général Harrison pendu, écartelé et taillé en quartiers : il semblait aussi joyeux qu'on pouvait l'être dans sa situation. On coupa la corde sur le champ et sa tête et son cœur furent montrés au peuple ce qui provoquait de grandes clameurs de joie. A ce qu'on dit, il déclara qu'il était sûr d'être appelé bientôt à la droite du Christ pour juger ceux qui venaient de le juger. Et que sa femme s'attend à ce qu'il revienne sur terre.

Ainsi le hasard voulut que je visse le roi décapité à Whitehall et le premier sang versé pour venger le sang du roi à Charing Cross.

De là, chez milord ; j'emmenai le capitaine Cuttance et Mr Shipley à la Taverne du Soleil et je leur offris des huîtres. Après quoi, je rentrai à la maison par le fleuve ; je m'emportai contre ma femme parce qu'elle avait laissé traîner ses affaires : dans mon courroux, je donnai un coup de pied dans le beau petit panier que je lui avais acheté en Hollande et je le cassai, ce que je regrettai ensuite.

A la maison tout l'après-midi, à poser des étagères dans mon bureau. Le soir, au lit. » (Journal de Samuel Pepys)

Samuel Pepys Journal (11 Juillet 1663)

« Puis je me rendis en barque avec sir William Batten à Trinity House, pour dîner ensemble ce que nous fîmes ; et après le repas sir John Mennes, Mr Batten et moi entamâmes la conversation ; M. William Batten nous raconta un procès de sir Charles Sedley qui a eu lieu l'autre jour, devant milord le président Foster et le Banc du roi au complet, pour les actes de débauche auxquels s'est livré il y a peu de temps à l'auberge d'Oxford Kate : il est sorti en plein jour sur le balcon et s'est mis nu ; a mimé toutes les postures lubriques et sodomiques imaginables ; a insulté les Ecritures et prêché, en quelque sorte, depuis cette chaire, un sermon de charlatan, annonant qu'il avait une poudre miraculeuse à vendre qui ferait courir à ses trousses tout ce qui dans la ville avait un con – et un millier de personnes se tenaient sous le balcon pour le voir et l'écouter.

Quand il eut fini, il prit un verre de vin, s'y lava la bite, puis le but ; puis il en prit un autre et but à la santé du roi.

Il paraît que milord et les autres juges lui firent chacun à son tour force remontrances ; milord le président déclara que c'était à cause de lui et de misérables scélérats de son espèce que le courroux et les jugements de Dieu restaient suspendus sur nos têtes, et il l'appela « maraud » à de nombreuses reprises. On dit qu'ils lui ont fait promettre de se bien conduire (car il n'y a pas de loi contre ce qu'il a commis) sous peine de payer 5000 livres.

Comme quelqu'un disait que milord Buckhurst était avec lui, milord demanda s'il s'agissait de ce même Buckhurst jugé il y a peu pour vol ; et comme on lui répondait que oui, il demanda s'il avait si vite oublié sa récente libération, et s'il ne lui aurait pas mieux convenu d'avoir été à ses prières, à implorer le pardon de Dieu, que de s'engager à nouveau dans de semblables chemins.

A ce propos, sir John Mennes et Mr Batten disent tous les deux que la sodomie est maintenant devenue presque aussi courante parmi nos godelureaux qu'en Italie, et que les pages de Londres commencent eux-mêmes à se plaindre de leurs maîtres à ce sujet.

Mais, Dieu soit loué ! je ne connais point à ce jour la signification de ce péché, ni lequel est actif et lequel est passif. »

Personnalités :

Sir John Mennes (1599-1671) Vice amiral, Contrôleur de la Marine britannique. Cf : John Mennes

Sir William Batten (1600-1667) Officier de la Marine et homme politique anglais. Cf : William Batten

Charles Sedley (1639-1701) Homme de lettres et homme polique anglais, Président de la Chambre des communes du Royaume-Uni. Libertin et séducteur appartenant au «Merry Gang» Cf : Charles Sedley

Charles Sackville, Lord Buckhurst, (1638-1706) Séducteur, libertin et voyou, poursuivi pour vol et meurtre, mais acquitté. Cf : Charles Sackville

PHRYGIEN (Bonnet)  : Le 31 août 1790, le régiment Lullin de Châteauvieux, commandé par un officier genevois mais composé de mercenaires recrutés principalement dans le pays de Vaud, se mutinait à Nancy. La sédition n'était pas, à proprement parler, politique, elle avait pour cause principale le retard dans le paiement de la solde. Mais les cantons helvétiques y virent une grave atteinte à l'honneur et au prestige de la Suisse. Le conseil de guerre des régiments de Castella (Fribourg) et Vigier (Soleure) se montra d'autant plus impitoyable qu'il s'agissait d'un contingent d'un pays-sujet. (le canton de Vaud vivait sous le joug de Berne). Il voulut faire un exemple terrifiant. L'un des meneurs fut roué, 22 hommes furent pendus, 41 envoyés aux galères du roi à Toulon et les autres exclus à tout jamais de la Confédération suisse.

La mutinerie du régiment Lullin donna naissance à un curieux incident  : une partie des soldats condamnés aux galères passèrent, fers au cou, par les rues de Paris. Ils furent libérés par la foule. Durant cette fête spontanée, des Parisiens se coiffèrent du bonnet des galériens. Ce bonnet, appelé «bonnet phrygien», deviendra le symbole de la République à venir ! (Cf. W. Martin, Histoire de la Suisse, Payot, Lausanne.)

PABLO PICASSO  : «David [le marchand de tableaux] m'a raconté l'histoire d'une Américaine qui lui a téléphoné de New-York  :

- Vous avez des Picasso ?
- J'en ai trois.
- J'achète le plus cher.
- Ils valent tous le même prix, dit le marchand.
- Je les achète tous les trois.
- Mais, Madame, vous ne les avez pas vus ?
- Quand j'achète des actions de la Shell, est-ce que je vais voir le canal de Suez ?»
Ça, mon chéri, c'est l'époque ! (Jean Cocteau).

picasso

Picasso avait donné un tableau pour l'œuvre du sanatorium. Il a couru après les quêteurs et leur a dit  : «Vous le vendrez mal. Je le vendrai mieux», et il leur a donné un chèque d'un million. (Jean Cocteau Le Passé défini).

FRANCISCO PIZARRE

Voici l'étonnante histoire de Francesco Pizarro (François Pizarre) né en 1475 Trujillo mort à Lima en 1541.

Dans sa jeunesse Pizarre était pauvre et illettré, il s'engage dans les campagnes d'Italie où il se révèle bon cavalier et bon stratège. Mais c'est au cours des campagnes de conquête des Amériques qu'il s'illustrera "férocement".

pizarre
Francisco Pizarre

Il est aux côtés de Nunez de Balboa dans l'isthme de Darien au moment où ce capitaine vient de pénétrer dans l'Océan pacifique.

La véritable carrière commence alors, vers 50 ans. Il est à Panama, où, associé à Almagro et à un prêtre du nom de Luque, il projette la conquête du Pérou. En novembre 1524, à la tête de 114 hommes, les trois Conquistadores partent conquérir la rive pacifique de l'Amérique du Sud, notamment l'Equateur et le Pérou. Ils débarquent à l'embouchure du fleuve Biru.

L'expédition se solde par un désastre. Mais, têtu, Pizarro revient trois fois à la charge, après quoi, défait une fois encore, il doit se résigner à regagner Panama où l'attend Almagro, un forban sans trop de scrupules, comme lui. Une nouvelle expédition est mise sur pied en mars 1526, elle longe une côte marécageuse et inhospitalière. La troupe cantonne dans l'île d'El Gallo. Les hommes de troupe se révoltent. Ponce de Léon (le conquérant de Rio), y dépêche un émissaire pour rapatrier les découragés et les malades.

En 1528, Francisco Pizarre, de retour en Espagne, aura l'occasion de faire part à Charles Quint de ses projets. Il invite ses frères Hernando et Gonzalo à l'accompagner dans une nouvelle expédition.

En janvier 1531, Pizarre prend le commandement d'une petite troupe qui débarque à San Matteo, au nord de l'actuel Equateur. Le capitaine est aux prises avec un empire dont trois Cordillières forment l'épine dorsale. C'est le royaume des Incas, empire de fraîche date, non encore complètement pacifié et unifié, dont la ville sainte est Cuzco.

Les Espagnols, peu nombreux mais décidés, pénètrent jusqu' à la cité de Cajamarca et, par la ruse et la violence, parviennent à s'en emparer. Le roi des Incas Atahualpa est vaincu De 6 à 7000 Indiens sont massacrés dans des conditions de sauvagerie inouie par les 150 cavaliers de Pizarre.

Par de faux témoignages, les conquistadores parviennent à faire accuser Atahualpa de rébellion contre sa majesté catholique. L'Inca est condamné à mort tandis que les vainqueurs s'emparent de son trésor fabuleux en pillant les temples de Cuzco (1533).

Pizarre a suffisamment de finesse politique pour détecter les faiblesses de l'Empire du Soleil, et pour exploiter à son profit ses failles  : guerre civile larvée entretenue par les classes soumises, révolte des peuples récemment conquis par les Incas insurgés, luttes dynastiques.

Atahualpa est à peine tombé que les premières dissenssions éclatent parmi les conquérants. Almagro prétend demeurer maître à Cuzco tandis que Pizarre donne tous ses soins à l'édification de Ciudad de Los Reyes (Lima) sa capitale dont il souhaite faire la plus belle ville du Nouveau-Monde.

En 1537, son ami désormais rival, Almagro fait irruption à Cuzco. Battu par Hernando Pizarro, il est fait prisonnier et exécuté (1538). La vengeance ne se fait guère attendre. Une conspiration est montée à Lima par le propre fils d'Almagro contre François Pizarre, qu'il fait assassiner le 26 juin 1541.

Le destin de ses frères ne sera guère meilleur. Hernando, rentré en Espagne, sera jugé et passera vingt ans dans les geôles pour avoir fait exécuter Almagro. Quant à Gonzalo, gouverneur de Lima après l'assassinat de son frère, il entreprend une extraordinaire expédition sur le fleuve Amazone, revient à Lima dont il chasse le vice-roi, et le tue à Arequito. Refusant la nouvelle Constitution promulguée pour les Colonies du Nouveau-Monde par Charles-Quint, il règne durant quelques années sur le Pérou en maître absolu. Battu par Pedro de la Guasca, envoyé par Charles-Quint pour rétablir l'ordre au Pérou, il sera exécuté comme rebelle.

LA PORTE ÉTROITE
Cela s'est passé dans le service du professeur Mondor, à Beaujon, un matin de consultation.

Il venait de voir un malade. «Faites entrer le malade suivant.» On lui dit  : «C'est que, Monsieur le Professeur, c'est un cas curieux.

- Un cas curieux ? Quoi ?

- C'est un pervers.

- Un pervers ? Eh bien, faites entrer tout de même.»

On ouvre la porte, et qu'est-ce qu'on voit paraître ? Une porte ! Une porte d'appartement. Une porte, avec un trou par lequel passait une queue. C'était un type qui avait fait un trou dans une porte pour s'y passer la queue. Naturellement la queue avait gonflé, comme il arrive toujours en pareil cas. Pas moyen de retirer le type, qui était derrière la porte. On avait alors trouvé plus commode d'enlever la porte et d'amener le type avec. Il paraît que cela n'a été qu'un cri chez les internes  : «La voilà bien, La Porte étroite !» (Conversation entre Bernard et Duhamel à propos d'une traduction du roman de Gide en langue tchèque, rapportée par Léautaud dans son «Journal»)

POULE D'HONORIUS  :

Byzance. Histoire d'Honorius et de sa poule apprivoisée. L'empereur se trouve à Ravenne quand on vient lui annoncer qu'Alaric a pris Rome. «Rome? Fait Honorius. Elle mangeait dans ma main il y a cinq minutes.»«Sire, il s'agit de la ville de Rome qui est tombée.»«Ah! dit Honorius très simplement, je pensais que vous parliez de ma poule.», Il avait en effet donné le nom de Rome à son volatile préféré. Journal de Julien Green).

PRÉMONITIONS  :

Mrs Virgin Battley, d'Edimbourg entendit un jour une voix lui dire «envoie immédiatement chercher ta fille, sans quoi il lui arrivera quelque chose d'épouvantable.»Elle avait, en effet envoyé l'enfant se promener au bord de la mer, à un endroit qu'elle affectionnait. Cette plage étant absolument sans danger, elle hésita à s'y rendre. La voix revint à la charge deux fois de suite. Inquiète, Mrs Battley envoie sa bonne chercher l'enfant qui jouait sagement sur la plage, longeant une voie de chemin de fer, et ne semblait courir aucun danger. Mais à peine fut-elle rentrée chez elle qu'un train dérailla et se renversa sur la plage juste à l'endroit où elle jouait quelques minutes auparavant.

PRIÈRE  :

August von Kageneck  : Le soldat espère surtout une protection par sa prière. En implorant Dieu de le garder de tous les dangers, il croit obtenir un supplément d'assurance. Récemment, je lisais les souvenirs de guerre d'un ami autrichien qui écrivait à sa mère des choses très touchantes  : «Merci pour les prières que tu as faites pour moi pendant toute la campagne. Je savais que tu priais, et ç'a été pour moi une sorte de blindage.» (Denoix de Saint Marc/Von Kageneck  : Notre histoire).
PROCÈS
Témoignage de Jean Galtier-Boissière
dans le procès Salacrou-Boutang.
Salacrou poursuivit le polémiste royaliste Pierre Boutang, rédacteur en chef à l'époque d'Aspects de la France, pour avoir reproduit une note de mon premier «Dictionnaire des contemporains» ainsi rédigée : Les méchantes langues disent qu'Armand Salacrou aurait voulu faire fusiller Jean Anouilh à la Libération pour supprimer un rival; se renseigner auprès de Pagnol qui intervint et arrangea l'affaire.

On plaida en mai 1953 à la 18e chambre devant le président Bèque; l'avocat de Salacrou était Georges Izard, ex-bergeriste; Pierre Boutang était assisté par Me Biaggi et Me Calzant.

Je considérai que je devais apporter mon témoignage au bouillant Boutang puisque Crapouillot se trouvait à l'origine de l'affaire. Me trouvais-je particulièrement en forme ce jour-là ? Pour la seule fois de ma vie je me fis l'effet d'être en public d'une éloquence éblouissante. Je brossai au tribunal un petit tableau du monde des théâtres pendant et après l'occupation et soulignai qu'aucun des auteurs à succès - de Sartre à Salacrou - ne résista au plaisir d'être joué, même devant «des parterres feldgrau». Ainsi Salacrou, héros de la Résistance, s'il assassinait un soldat allemand dans le dernier métro, risquait-il fort d'envoyer ad patres quelque enthousiaste spectateur d'Histoire de rire, sur le fauteuil duquel il avait négligemment palpé 12% de droits !

L'assistance se tordait de rire. Le crâne chauve et pointu d'Armand Salacrou prit alors la teinte de la carapace du «cardinal des mers» - comme disait Monselet - et notre dramaturge breveté Goncourt faillit étrangler de fureur.

S'étant éclipsé avant les plaidoiries de ses adversaires, Salacrou n'entendit pas la lecture d'une missive très rosse d'Henri Jeanson, qui se terminait ainsi  :

«Il m'est arrivé à moi-même de mettre un frein aux manifestations diffamatoires de M. Salacrou.

«Nommé président du Syndicat des scénaristes au lendemain de la Libération, puis vice-président du Syndicat national des auteurs et compositeurs dramatiques, j'ai, en effet, eu l'occasion de protester contre les propos tenus par M. Salacrou sur M. Marcel Achard qu'il traitait de «collaborateur notoire». Ma protestation a été inscrite au procès-verbal de notre comité et j'ai écrit personnellement à M. Salacrou une lettre qui se terminait par ces mots :

«Je tiens à te donner tous apaisements : Marcel Achard n'a pas été plus collaborateur que tu n'as été résistant.»

«C'est ainsi que j'ai rompu toutes relations avec M. Salacrou que je connaissais depuis plus de vingt ans...

«J'ajoute, et cela situera assez bien le personnage, que c'est M. Salacrou qui a apporté au Canard enchaîné, dont j'étais le collaborateur, le fac-similé de la dédicace de François Mauriac à je ne sais plus quel lieutenant allemand, et ceci alors qu'il entretenait avec l'auteur du Nœud de vipères les plus amicales relations.

«Je vous le dis avec la plus grande objectivité : c'est un abject» (le mot est de mon ami Georges Izard à qui j'ai rapporté naguère cette dernière anecdote.)

«Avec mes sentiments les meilleurs. «Henri Jeanson»

Un qui faisait une drôle de bouille c'était Me Izard, défenseur de Salacrou dans cette affaire...

ENFANTS PRODIGES  :

Le Dalaï-Lama est par essence la réincarnation de Bouddha. A sa mort, on recherche à travers tout le pays un enfant qui reconnaîtrait des personnes de l'entourage du désincarné, ou des objets lui ayant appartenus. La preuve serait ainsi faite qu'il en est bien la réincarnation. Il sera immédiatement pris en main pour une éducation qui en fera le chef suprême du bouddhisme téibétain.

Pascal, enfant prodige, retrouvait à l'âge de treize ans le "Traité des sections coniques" d'Euclide.

Mozart, révéla des connaissances extraordinaires de la musique à l'âge de trois ans. Entre quatre et cinq ans, il composait des textes musicaux qu'il jouait au piano. A six ans, il était reçu à la Cour de Vienne. L'empereur François l'appelait  : "Mon petit sorcier". A douze ans, il composait un Opéra.

Jean-Sébastien Bach composait à l'âge de dix ans des morceaux de musique pour clavecin.

Michel-Ange, à peine adolescent, s'attaqua, sans apprentissage, à la sculpture du marbre. A soixante-seize ans, il disait : "J'en savais plus dans mon enfance que je n'ai appris en vieillissant."

PROUST :

Contrairement à la légende de Gide refusant de lire plus de quelques pages de Proust, parce qu'il trouve ça trop mondain, voici exactement ce que m'a raonté l'an dernier, Gaston Gallimard : C'est Ghéon qui, le premier, jeta un coup d'œil sur le manuscrit et le rejeta comme mondain. Gide, quelques jours plus tard, épouvanté par la caisse pleine de manuscrits que Proust avait fait porter de Grasset à la NRF n'y jeta même pas un coup d'œil. (Paul Morand)

PYGOMÈLE :

J'ai gagné mon premier milliard de dollars après avoir avoir pu toucher longuement les deux membres parasites du fameux pygomèle Ayachi Karabunda. Ce monstre appartenait à une section locale de notre "mafia" qui en tirait d'énormes bénéfices. Artistes, financiers, hommes politiques et sportifs se disputaient à coups de dizaines de millions de yens la faveur de caresser un instant le pauvre pygomèle. (I. Yamamoto).

pizarre
Pygomèle par Licetti

RELIQUES  :

Dans une lettre datant de 1720, la Princesse Palatine, épouse de Monsieur, frère de Louis XIV, raconte cette scène pittoresque :

«Monsieur a toujours fait le dévôt. Il m'a fait rire une fois de bon cœur. Il apportait toujours au lit un chapelet d'où pendait une quantité de médailles et qui lui servait à faire ses prières avant de s'endormir. Quand cela était fini, j'entendais un gros fracas causé par les médailles, comme s'il les promenait sous la couverture.

Je lui dis :

- Dieu me pardonne, mais je soupçonne que vous faites promener vos reliques et vos images de la Vierge dans un pays qui leur est inconnu.

Monsieur répondit :

- Taisez-vous, dormez; vous ne savez ce que vous dites.

Une nuit, je me levai tout doucement, je plaçai la lumière de manière à éclairer tout le lit, et au moment où il promenait ses médailles sous la couverture, je lui saisis le bras et lui dis en riant :

- Pour le coup, vous ne sauriez plus le nier.

Monsieur se mit aussi à rire, et dit :

- Vous qui avez été huguenote, vous ne savez pas le pouvoir des reliques et des images de la Sainte Vierge. Elles garantissent de tout mal les parties qu'on en frotte.

Je répondis :

- Je vous demande pardon, Monsieur, mais vous ne me persuaderez point que c'est honorer la Vierge, que de promener son image sur les parties destinées à ôter la virginité.

Monsieur ne put s'empêcher de rire et dit :

- Je vous prie, ne le dites à personne !

RETRAITÉS   :

Lettre ouverte aux jeunes retraités de la fin du XXe siècle (Disons à ceux qui sont nés un peu avant 1940).

Nous sommes nés avant la télévision, les surgelés, la pénicilline, le plastique, les verres de contact, la vidéo, le magnétoscope et avant... la pilule.

Nous étions là un peu avant le radar, le congélateur, le lave-vaisselle, la couverture chauffante, le stylo à bille et devançant largement la carte de crédit, le rayon laser, le micro-ondes, la bombe atomique et l'homme sur la lune !

Nous nous sommes mariés... sans avoir vécu ensemble. Toute la vie communautaire se passait alors au régiment ou au couvent, toute mixité était bannie, même à l'école ! Il n'y avait pas de père au foyer, de congé parental, de Minitel rose, de courrier électronique, de fax, d'Internet.

Nous avons précédé de peu les HLM, mais d'assez loin les Pampers et autres linges anti-fuites.

Qu'était-ce donc que la modulation de fréquence, le cœur artificiel, les transplants, les yaourts nature ou allégés.

Seules les filles portaient des boucles d'oreilles et respectaient la symétrie.

Pour nous, un ordinateur était quelqu'un d'habilité à conférer un ordre ecclésiastique, une puce était un parasite insupportable, une souris la nourriture du chat (parfois, aussi, une copine plus remarquée qu'une autre), le numérique une façon de se repérer à l'aide de chiffres... un site n'était qu'une vue panoramique, une cassette servait à ranger les bijoux, un CD-Rom aurait fait penser à une boisson martiniquaise, un "joint" à empêcher le robinet de suinter et l'herbe restait la nourriture préférée des vaches.

Pizza, McDonald, Nescafé nous étaient inconnus, nous étions restés à "Y a bon Banania", le "rock" était un élément géologique d'une grande dureté, un "gay" un joyeux drille. Combien avons-nous dû nous adapter pour éviter de "mourir bêtes" ? Sans parler de tous les sigles qui ont enfanté tant de glossaires !

Tout ça n'est rien sans doute... que connaîtront nos "ados" de l'an 2006 ?

Souhaitons leur bon courage et longue vie heureuse.

Signé  :

Un jeune qui connut les passages cloutés et les taxis G7, les bonnes sœurs à cornettes et les curés en soutane, les poinçonneurs du métro et les autobus à plate-forme, le "Dubo... Dubon... Dubonnet" (Source  : Jacques Differdange (1998)

RÊVES  :

A l'âge de treize ans, Fernand Divoire avait fait un rêve qui l'avait vivement ému. Quelque temps plus tard il le lut avec tous les détails dans un auteur latin. C'était le rêve de Scipion l'Africain. Depuis ce jour, il croyait à la réincarnation.(Maryse Choisy Sur la route de Dieu on rencontre d'abord le diable).

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Füssli  : Le rêve

«Deux Arcadiens voyageaient ensemble. Arrivés à Mégare ils se séparèrent pour loger, l'un chez un ami, l'autre à l'auberge. Lorsque le premier se fut endormi, il vit en rêve son compagnon de route qui implorait son aide, disant que l'aubergiste voulait l'assassiner. Il s'éveilla et s'élança dans la rue pour secourir son ami, mais s'étant fait la réflexion qu'il ne devait pas prêter foi à un rêve, il rentra chez lui et se recoucha.

Dès qu'il fut rendormi il revit son compagnon, en sang, qui lui dit que, puisqu'il ne lui avait pas porté le secours demandé il fît au moins en sorte que l'assassin ne restât pas impuni. Il n'aurait qu'à se placer au lever du jour à la porte orientale de la ville, où il verrait passer un char rempli de fumier; c'est là qu'on trouverait son cadavre caché par le meurtrier.

S'étant réveillé de nouveau, il résolut de suivre exactement les indications qu'il avait reçues au cours de son sommeil et se rendit à l'endroit indiqué. Il ne tarda pas à voir arriver un char rempli de fumier. Il le fit arrêter et fouiller  : on y trouva le cadavre de son ami. L'assassin fut pris et jugé.»(Cicéron  : De Divinatione - 1.27)

HÔTEL RITZ  :
la vie du plus prestigieux hôtel du monde.

Ritz
Vue sur la place Venqôme
Marcel Proust

Proust était alors un habitué du Ritz. Quand il connut enfin, notamment au moment où il reçut le prix Goncourt et que la presse le célébra, la grande notoriété, certaines de ses relations s'exclamèrent d'un ton incrédule :

«Comment? Marcel Proust? Le petit Proust du Ritz?»

Il devait d'ailleurs fêter son succès par plusieurs dîners donnés dans les salons du palace. Son amitié pour Olivier dépassait le cadre de ses visites au restaurant. Parfois, il arrivait très tard dans la soirée pour dîner seul dans un cabinet particulier. Olivier tenait à le servir lui-même. Avant de l'accueillir, il avait déjà veillé à ce que le feu dans la cheminée brûlât exactement comme Proust le désirait (l'écrivain trouvait toujours le feu trop violent ou trop maigre), à ce que portes et fenêtres fussent soigneusement calfeutrées, car Proust, valétudinaire, maniaque et hypocondriaque, avait horreur des courants d'air.

L'été, l'on pouvait voir le romancier et le maître d'hôtel se promener, le soir, dans les allées du Bois de Boulogne, engagés dans de longues conversations. Fait caractéristique, Olivier ne devait jamais révéler le sujet de ces mystérieux entretiens...

proust
Marcel Proust

André Maurois raconte qu'après la mort de sa mère Proust prit l'habitude de recevoir ses amis au restaurant. «De préférence au Ritz où Olivier Dabescat, le maître d'hôtel, l'enchantait par sa distinction discrète, sa dignité et sa compétence.»Proust s'était alors installé dans un appartement meublé.

Un jour, il écrivit à un ami pour le consulter sur la meilleure façon de vendre certains objets dont il n'avait plus l'emploi :

«J'ai de l'argenterie en quantité, et je ne m'en sers plus jamais : tantôt je prends mes repas au Ritz, tantôt je reste couché et je me nourris de café.» Maurois décrit aussi comment Proust se donna beaucoup de mal pour un banquet en l'honneur de Calmette, le directeur du Figaro.

«Enfin, le dîner eut lieu, dans un salon du Ritz, tendu de brocart cerise et encombré de meubles dorés. Les invités furent considérablement surpris de découvrir, dans ce décor somptueux, «deux Lapons emmitouflés de fourrures»qui se révélèrent être Proust et Mme de Noailles. Risler, engagé au dernier moment, jouait des ouvertures de Wagner. Après le repas, il s'agissait de distribuer les pourboires. Marcel voulut donner trois cents francs à Olivier, mais ses invités se précipitèrent pour le persuader de limiter sa générosité. Sur quoi, promptement, il donna encore davantage.

Cette prodigalité soudaine était bien dans les habitudes de Proust. Un autre jour, à en croire la chronique du Ritz, il emprunta cent francs au concierge de l'hôtel, uniquement pour les lui rendre aussitôt, en déclarant : «Voilà pourquoi je vous ai demandé de me prêter cet argent.»

D'après Maurois, ces invitations au Ritz que Proust lançait brusquement, de temps à autre, étaient pour lui «autant d'attaques surprises destinées à lui procurer des informations sur l'ennemi, c'est-à-dire sur le monde extérieur... Il sortait de moins en moins, mais sa réclusion n'était jamais totale, sauf pendant ses crises les plus graves. On le voyait encore, dînant seul au Ritz, dans un éclairage réduit au minimum, entouré de serveurs qu'il avait habitués à manipuler les interrupteurs dont il connaissait l'emplacement par cœur».

Parlant de cette période de la vie de Proust, le docteur Milton L. Miller note : «Il lui arrivait de sortir à deux heures du matin pour voir s'il y avait encore du monde au banquet qu'il avait organisé au Ritz.»

En 1922, Proust écrivit à son ami le duc de Guiche : «Rien ne m'amuse moins que ce que, voici vingt ans, on appelait «select». Ce qui m'amuse, ce sont les réunions ouvertes à tout le monde qui ressemblent à des feux d'artifice. Une distraction que je trouve au Ritz.»

«Il était certainement attiré par cet univers soigneusement gardé, devait écrire le Duc, un univers qui pouvait se permettre d'être gai, car il ignorait les soucis matériels. Parlant de ses incursions dans cet univers mondain, il est parfois difficile de faire la différence entre Proust le Voluptueux et Proust le Naturaliste.»

Dans une autre lettre au duc de Guiche, Proust exprime l'espoir de dîner avec lui au Ritz «où le personnel est si obligeant que je me sens chez moi et que je suis moins fatigué». Pour arranger ce dîner, Proust compte sur son valet de chambre auquel il adresse une lettre pleine de détails et de suggestions, alors qu'en fait il s'agit simplement d'un rendez-vous amical. «Je ne pose qu'une seule condition : je tiens à ce que ce soit au Ritz. Ne me sentant pas bien du tout, je préfère un endroit où il n'y a pas de «cohue.»

Dans l'énorme correspondance de Proust, on trouve également cette lettre envoyée à sir Philip Sassoon qui séjournait alors au Ritz  :

«Depuis bien longtemps, je n'ai entendu de vous que le bruit de l'eau coulant dans votre baignoire. Ce jour-là, je dînais au Ritz (où je prends souvent une chambre pour quelques heures) et, croyant que je n'avais pas de voisins, je bavardais avec l'un des serveurs. Il m'avait dit qu'il avait appris le rôle de Sosie pour entrer au Conservatoire, mais le jury ne l'avait pas admis, le renvoyant ainsi à son ancien travail, au Ritz. J'étais en train de lui expliquer en quoi consistait la pièce de Molière quand, brusquement, nous parvint de la pièce à côté le fracas menaçant d'un parfait déluge. J'étais persuadé que, pour me punir de mes commentaires irrévérencieux, Jupiter lançait ses foudres. Je m'étais trompé : c'était seulement sir Philip Sassoon qui prenait son bain,»

Sir Harold Nicolson dînait à plusieurs reprises avec Proust, toujours au Ritz, à une table près de la porte qu'Olivier masquait de paravents, ce qui ne devait pas empêcher Proust de conserver son épais pardessus. Nicolson se rappelle qu'un soir Olivier, plein de sollicitude, demanda au romancier s'il sentait encore les courants d'air, et que Proust répondit :

«Pour moi, mon cher Olivier, il y a toujours des courants d'air, mais votre gentillesse les atténue.»

Vers la fin de sa vie, Proust ne se nourrissait pratiquement plus que de café et de lait. Parfois, cependant (bien que rarement), il avait envie d'une sole grillée, ou encore d'un poulet rôti; il faisait alors venir ces plats du Ritz. Lorsque, mourant, il refusa tout aliment, Céleste, sa femme de chambre, nota que «la seule chose qui lui fît encore envie était de la bière glacée qu'Odilon, son chauffeur de taxi attitré, devait aller chercher au Ritz».

Le matin de sa mort, il réclama encore un verre de bière. Dans un murmure, il déclara à Céleste que ce serait pour la bière comme pour le reste : elle allait arriver trop tard. Il se trompait. Aussi extraordinaire que cela puisse paraître, son avant-dernière phrase fut cette remarque polie, mais terriblement prosaïque : «Merci, mon cher Odilon, d'avoir apporté la bière»

Claude Auzello directeur du Ritz

Bien que dévoué corps et âme au Ritz, Claude Auzello devenu son directeur entre les deux guerres, après la mort de César Ritz son fondateur, a su sauvegarder sa vie privée. Sauf exception, il dîne chez lui avec sa femme; après le repas, il s'accorde une ou deux heures de lecture - des biographies, des Mémoires, ou encore de doctes ouvrages consacrés à des sujets aussi abracadabrants que, par exemple, le régime fiscal sous la féodalité. Chaque fin de semaine, il se rend à soixante kilomètres de Paris dans sa ferme du XVIe siècle où, sur sept hectares de pâturages, il élève des vaches frisonnes et des porcs. Un dessin de la propriété, dû au crayon du défunt Bryan de Grineau, constitue avec le portrait de César Ritz, au-dessus de la cheminée, le principal ornement de son bureau. Dans un tiroir de sa table de travail, il conserve, entourée d'un élastique, une liasse de photos de famille.

Cesar Ritz
César Ritz

Sur la cheminée, le visiteur remarque encore deux objets dont la présence a sa raison d'être, bien qu'ils ne soient en aucune façon décoratifs. D'abord, dans un cadre, plusieurs factures datant des débuts de l'hôtel, surmontées d'une inscription :

«Autres temps, autres prix.»En les apercevant pour la première fois, je pensais que ces notes devaient montrer à quel point l'on pouvait, autrefois, bien manger pour peu d'argent, même au Ritz; en somme, un terme de comparaison qui, aujourd'hui, aurait inspiré au visiteur des pensées nostalgiques.

En fait, ces vieilles additions remplissent une fonction un peu différente : Auzello s'en sert pour prouver qu'en réalité le prix des repas au Ritz n'a guère suivi la hausse vertigineuse du coût de la vie en général; si, à l'époque, il fallait débourser une quarantaine de francs pour un bon dîner, on devrait logiquement en payer cent cinquante - alors qu'on s'en tire avec soixante-quinze ou quatre-vingts.

Le second objet est une coupure du journal Le Petit Bleu, datée d'octobre 1940. Une citation de Richelieu, sur le caractère des Français : «Si nos penchants désastreux nous entraînent parfois au fond de l'abîme, notre versatilité incorrigible nous interdit d'y rester, opérant notre sauvetage avec une telle rapidité que nos ennemis, incapables de prévoir ces transformations avec un minimum de précision, n'ont pas le temps d'en tirer profit.»

salon
Hôtel Ritz  : petit salon

Or, il arriva, pendant l'occupation, que le général von Stulpnagel, entrant à l'improviste dans le bureau d'Auzello, remarqua cette feuille collée sur la glace de la cheminée. Il lut le texte, réfléchit, inséra son monocle dans l'orbite et recommença à étudier la citation, pendant un laps de temps qui dut paraître bien long à Auzello. «Il l'a certainement lue deux ou trois fois, raconte Auzello. Comme le sens de la citation est parfaitement clair, je commençais à m'inquiéter.»Enfin, Stulpnagel se tourna vers lui et, indiquant la date qui figurait sur la feuille : «On a imprimé cela tout récemment? - C'est exact.»Il y eut un silence. Puis l'Allemand reprit, d'un ton impassible : «Vous y croyez? - Du fond du cœur», répondit Auzello. Un nouveau silence. Finalement, Stulpnagel gronda : «Je vous félicite!»et quitta la pièce.

Lors de la mobilisation générale, en août I939, Auzello avait été rappelé sous les drapeaux. En 1940, au moment de la débâcle, il se retrouva à Nîmes.

Chargé de l'accueil des soldats qui, individuellement ou par petits groupes, refluaient vers le Midi, il fut effrayé par leur résignation. A telle enseigne qu'un jour, bien que simple capitaine, il prit sur lui de réunir plusieurs centaines d'hommes dans la cour de la caserne. Après les avoir fait défiler, il s'adressa à eux, du haut d'un balcon. Un journal local jugea sa brève allocution assez remarquable pour la publier en entier : «Artilleurs, mes amis! Dès que j'ai appris la nouvelle de cet abominable armistice, j'ai tenu à vous parler, car j'étais certain que vous aviez le cœur gros.

«Sachez bien que rien n'est perdu. La France a déjà connu des instants plus tragiques et elle s'est toujours redressée.

«La guerre ne fait que commencer. Et les Allemands ne l'ont pas encore gagnée.

«Grâce à sa situation géographique, l'Angleterre, notre alliée, résistera longtemps... jusqu'à la victoire. D'autres nations se joindront à elle, et nous-mêmes reprendrons le combat.

«Lorsque vous regagnerez vos foyers, travaillez, travaillez dur, et ne cessez jamais d'espérer, d'avoir confiance en notre France bien-aimée.»

Le lendemain, son colonel le convoqua. Invité à expliquer son attitude, il déclara que les hommes avaient besoin d'un remontant, leur moral étant au plus bas. D'ailleurs, il n'avait fait que leur dire la vérité, il leur avait communiqué ce qui, pour lui, était une certitude - vérité et certitude qui, au fond, auraient dû être exposées aux soldats par quelqu'un d'autre (c'est-à-dire par le colonel).

- Lorsqu'on est battu, on s'incline, affirma le colonel.

- Parlez pour vous! riposta Auzello.

On ne prit aucune sanction contre lui.

Il démobilisait quelque quinze cents hommes par jour, remettant à chacun sa feuille de route et l'attestation de son retour à la vie civile. Puis, en septembre 1940, il décida brusquement d'en finir : il en avait assez de liquider la faillite militaire. Il se démobilisa lui-même et, sachant qu'il n'obtiendrait jamais un laissez-passer pour la zone occupée, prit tranquillement le train à destination de Paris. A la ligne de démarcation, personne ne lui réclama ses papiers. Arrivé dans la capitale, il se rendit directement au Ritz  : comme les Allemands avaient réquisitionné l'aile Vendôme, il entra par la rue Cambon.

Le lendemain, il emprunta le passage souterrain pour gagner la partie occupée de l'hôtel. Indigné de voir certains employés se conduire, envers les vainqueurs du moment, avec une politesse excessive qui lui paraissait bien proche del'obséquiosité, il réunit le personnel dans une salle du sous-sol et prononça un discours reproduisant en substance son allocution de Nîmes. En ajoutant toutefois des instructions sévères sur l'attitude à observer vis-à-vis des Allemands.

- Vous les servirez, bien entendu, mais rien de plus.

Ritz
Vue sur la place Vendôme

Les Allemands logés au Ritz étaient ou bien des officiers de grade élevé, ou bien des «invités du Führer». Dans l'ensemble, ils se montraient très «corrects». Par bonheur, le chef d'état-major avait été, avant la guerre, attaché militaire à l'ambassade du Reich à Paris, et il avait alors fréquenté le Ritz. Généralement, il suffisait de lui rappeler que, malgré l'occupation, cet établissement était toujours le Ritz  : aussitôt, il mettait une sourdine aux exigences de ses camarades. Quant à Auzello, s'il avait décidé de se montrer lui aussi parfaitement «correct», il s'était en même temps juré de ne jamais serrer la main d'un Allemand.

Or, un soir, il se trouvait dans le hall Vendôme quand le général commandant le «Gross-Paris»descendait le grand escalier, entouré de sa suite. Le général devait dîner dehors, il était donc en grande tenue, - «un personnage très imposant, je suis bien obligé d'en convenir», raconte Auzello. Suivi de ses aides de camp, il avançait majestueusement, droit sur Auzello planté au milieu du hall. L'Allemand le reconnut, sourit... et lui tendit la main. Une situation embarrassante, d'autant qu'Auzello avait une fraction de seconde pour se décider. Il avait affaire à un homme qui disposait du droit de vie et de mort. Mais il n'allait pas se dédire pour autant : il s'inclina, très légèrement, et s'éloigna. «L'espace de quelques instants, je me demandai si je n'étais pas en train de commettre une terrible bêtise : après tout, je risquais ma peau pour bien peu de chose. Mais l'incident n'eut pas de suite.»

Très vite, Auzello se trouva embrigadé dans la Résistance. Aujourd'hui, il n'aime pas en parler : «On ne sait jamais, il peut y avoir une autre guerre, et alors je recommencerais, probablement.»Cependant, il a accepté de divulguer au moins un secret. Grâce à un système fort simple qu'il avait mis au point, Londres était immédiatement informé de l'arrivée d'un «invité du Führer»ou de tout autre grand personnage au Ritz. Pour transmettre la nouvelle, on se servait tout bonnement du téléphone. Le système était basé sur une liste où figuraient les grands dignitaires militaires et politiques du IIIe Reich, chaque nom étant accompagné d'un numéro. Auzello, averti de la venue de Gœring, de Bormann ou du général von X, n'avait qu'à décrocher son téléphone et appeler l'un de ses fournisseurs, en zone occupée : le premier chiffre prononcé au cours de l'entretien contenait l'information. Ce fournisseur possédait, en raison de son commerce, un Ausweis qui lui permettait de franchir la ligne de démarcation. Arrivé en zone libre, il téléphonait à son «contact», un cheminot affecté à une gare près de la frontière suisse. Ce cheminot avait, lui, l'autorisation de téléphoner en Suisse, pour des questions de service. Il n'avait plus qu'à insérer le numéro dans son message, et le tour était joué.

Les Auzello ne devaient pas traverser la période de l'occupation sans avoir certains ennuis. Un jour, Mme Auzello, déjeunant chez Maxim's avec une amie, avisa à une table voisine deux officiers allemands en compagnie de deux Françaises. Elle ne put s'empêcher de déclarer qu'elle éprouvait un mépris total pour cette «sorte de femmes». Quarante-huit heures plus tard, elle fut convoquée au Q. G. de la Gestapo. Convaincue d'avoir insulté l'armée allemande, elle fut emprisonnée à Fresnes, pendant quatre mois. Sa détention faillit d'ailleurs entraîner, indirectement, l'arrestation de son mari.

Un matin, Auzello vit entrer dans son bureau tout un détachement, un officier et quatre hommes armés jusqu'aux dents. L'officier lui annonça que la Gestapo désirait l'interroger. Il s'étonna : de quoi l'accusait-on? D'entretenir des relations avec les communistes. Auzello fut tellement soulagé qu'il éclata de rire; assez naturellement, il avait craint que les Allemands n'eussent eu vent de son activité de résistant.

«Moi, le directeur du Ritz, je serais communiste? Vous ferez rigoler tout Paris!»

Il devait apprendre par la suite que Radio-Moscou avait commenté l'arrestation de Mme Auzello. Décidément, les Allemands étaient des gens bizarres, avait déclaré le journaliste soviétique : d'abord, ils s'installaient au Ritz, puis ils mettaient la femme du directeur en prison. La Gestapo en avait tiré une conclusion inattendue : si Moscou était au courant, cela prouvait qu'Auzello était en rapport avec des communistes.

Pour l'instant, cependant, les Allemands se trouvaient toujours dans le bureau d'Auzello. Auzello était certes rassuré, mais en les voyant fouiller dans ses dossiers, il blêmit : dans le courrier de la journée se trouvait une enveloppe portant une adresse new-yorkaise, preuve évidente de ses relations - interdites évidemment - avec le monde libre. Il parvint à s'en emparer et à la glisser dans sa poche.

Puis il se rappela qu'il conservait son revolver d'ordonnance, dans un tiroir de son bureau; or, la détention des armes à feu était strictement interdite. Tout en faisant semblant d'aider les Allemands dans leurs recherches, il réussit à escamoter également le revolver qui alla rejoindre, au fond de la même poche, l'enveloppe compromettante.

Restait à trouver le moyen de s'en débarrasser, au cas où, comme il s'y attendait, on l'emmènerait en prison. Il dit aux Allemands que, s'ils tenaient à perquisitionner à fond, ils devaient visiter également son appartement parisien. Il savait, en effet, que sa femme de chambre s'y trouvait. Pendant que les Allemands fouillaient consciencieusement toutes les pièces, il passa le revolver à la domestique et, à voix très basse, lui ordonna de le cacher dans la boîte à ordures. Pour finir, il s'arrangea pour déchirer l'enveloppe en petits morceaux qu'il mâcha et avala.

Interrogé toute la journée, Auzello se retrouva, à la nuit tombante, dans une cellule de la prison du Cherche-Midi. Aujourd'hui encore, il sourit en évoquant cette expérience.

«Étonnants, ces Allemands! Pour m'enfermer, ils ont fait les choses en grand : coups de gueule, choc de verrous, bruit de clefs. Puis Je découvre une porte qui communique avec une autre cellule. Dès que j'entends mes geôliers s'éloigner dans le couloir, je frappe à cette porte. Pas de réponse. Je tourne le loquet, je pousse : je me retrouve dans l'autre cellule. Elle est vide, elle n'est même pas fermée à clef. Me voilà dans le couloir. Toutefois, je constate qu'une grille interdit l'accès du palier. Donc, rien à faire. Alors, tranquillement, je regagne ma cellule pour me coucher.»

Pour informer l'hôtel de ce qui lui était arrivé, il trouva un procédé d'une simplicité enfantine. Son premier repas consistait en un bol de soupe (dont le souvenir le fait frémir encore aujourd'hui) et un morceau de pain extrêmement dur. Il griffonna un message, roula le papier en boule et le dissimula dans le pain qu'il lança ensuite par la fenêtre, dans l'espoir qu'un passant le ramasserait.

Dès le lendemain matin, il aperçut l'un de ses collaborateurs : l'homme se tenait sur le trottoir opposé, agitant la main pour indiquer que tout allait bien. Dix jours après, Auzello fut relâché.

(Source  : Stephen Watts  : Le Ritz. La vie intime du plus prestigieux hôtel du monde.)

RODIN
Le monument Nijinsky
soufie
Auguste Rodin
« Diaghilev […] pria Rodin de faire une statue de Nijinsky. Rodin s'enferma dans l'atelier de l'hôtel Biron avec son modèle. Diaghilev attendait sur le perron, près de l'ancienne chambre de Rilke.
À la première séance, où Rodin dessinait, Nijinsky s'étonna d'entendre ronfler. Il posait de dos. Il se retourna. Rodin dormait, échoué dans un fauteuil et dans sa barbe. Le lendemain, même pose de dos. Autres râles étranges. Nijinsky se retourne. Rodin, la braguette ouverte, se branle. La statue est restée là. »

Diaghilev riait beaucoup de cette aventure que Nijinsky détestait l'entendre raconter. Il ne supportait plus les désordres sexuels. Dans son Journal, il parle tout autrement de cet évènement.

« Le mariage l'a détraqué. Il était voué à une solitude, à un mariage avec lui-même. »

Source  :  Jean Cocteau, Le Passé défini,, 1953, Tome II.

ROSENBERG (Paul)
Une fortune bien mal acquise

Dans son journal publié par Gallimard, Jean Cocteau raconte une scène vécue avec Paul Rosenberg  :

« Le jour de la mort de Renoir, je rencontre Paul Rosenberg. Il me dit  : "Je suis marchand de tableaux, que voulez-vous, et je donne de petites sommes à la domestique de Renoir pour qu'elle m'annonce sa mort avant les autres. Elle me téléphone ce matin. "

Un monsieur arrive rue de La Boétie et je devine tout de suite "qu'il sait" et qu'il imagine "que je ne sais pas". Bref, il veut "acheter vivant" et moi je fais semblant de vendre vivant et je "vends mort". Vous suivez ? Le monsieur croit qu'il me roule.

Paul Rosenberg commence alors à se rendre compte, d'après ma tête, que son histoire est sordide. Et il ajoute  : "Il y a quelqu'un qui a dû bien rire là-haut. C'est le père Renoir. "

"Croyez-vous qu'il y ait des gens ignobles, des gens qui profitent de tout et même des morts ? "  »

Ainsi la fortune d'Anne Sainclair née Anne Élise Schwartz, épouse Strauss-Kahn depuis 1991 servant à "couvrir" les turpitudes de son mari, est issue de ce joli prédateur, son grand-père !

Source  :  Jean Cocteau, Le Passé défini,, 1954, Tome III.

SANDWICH  : "Les joueurs n'en finissent pas et détestent les interruptions, cette infatigable sédentarité a rendu célèbre Lord Sandwich, qui ne s'arrêtait même pas pour dîner, mais se faisait présenter ces tranches de pain fourrées qui, depuis lors, sous son nom, sont devenues indispensables." (Ernst Jünger  : Approches, drogues et ivresse).

MADAME SABATIER

Apollonie Sabatier (son vrai nom est en fait Aglaé Savatier), née de père inconnu et fille d'une lingère, démontre de nombreux talents, de miniaturiste, de cantatrice, mais s'élève surtout en tant que muse de nombreux artistes, par sa beauté exceptionnelle et fascinante.

De 1844 à 1846, elle est le modèle du sculpteur Jean-Baptiste Clésinger, qui expose en 1847 un moulage de son corps, La Femme Piquée par un Serpent.

Installée dans un appartement rue Frochot, elle reçoit chaque dimanche des artistes de renom. Parmi eux, les peintres Ernest Meissonnier, Charles Jalabert, Gustave Ricard, le sculpteur Auguste Préault, et les écrivains Gustave Flaubert, Maxime du Camp, Arsène Houssaye, Ernest Feydeau, Gérard de Nerval, Théophile Gautier…

Ce dernier lui consacre sa Lettre à la Présidente en 1850, écrit mémorable de littérature érotique.

Si ces artistes et homme de lettres s'agitaient par des flatteries et mots «galants»autour de cette prestigieuse présidente, Baudelaire lui voue une admiration autrement plus spirituelle.

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Charles Baudelaire

Quand il lui adresse ses lettres, le poète choisit de garder l'anonymat. Ainsi, à partir de 1852 et jusqu'en 1857, Madame Sabatier reçoit des poèmes d'un adorateur mystérieux, qui se révèlera être l'auteur des Fleurs du Mal. Au sein du recueil, on distingue un cycle «Madame Sabatier», dont les poèmes Tout entière, Que diras-tu ce soir, Le Flambeau Vivant, Réversibilité, Confession, L'Aube Spirituelle, Harmonie du Soir.

Dans le poème A Celle qui est trop Gaie, Baudelaire suggère à sa muse de lui infuser son venin La pièce sera condamnée pour outrage aux bonnes mœurs lors du procès des Fleurs du Mal le 20 août 1857. Accablé par le «Cerbère Justice», le poète se dévoile enfin  :

«Voilà la première fois que je vous écris avec ma vraie écriture. Si je n'étais pas accablé d'affaires et de lettres (c'est après-demain l'audience), je profiterais de cette occasion pour vous demander pardon de tant de folies et d'enfantillages [...] Tous les vers compris entre la page 84 et la page 105 vous appartiennent.»

Puis le 30 août 1857, ils deviennent amants pour une nuit. Et le poète se désintéresse peu à peu de son «ange plein de gaîté»  : «Il y a quelques jours, tu étais une divinité, ce qui est si commode, ce qui est si beau, si inviolable. Te voilà femme maintenant…

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Madame Sabatier par Clésinger

PRÉSIDENT SALAZAR

Le Dr Salazar est un homme extraordinaire, mais certains détails de la vie quotidienne lui échappent. Simplement, il n'y pense pas…

Et il me raconta la dernière histoire qui n'était pas probablement la dernière, car l'humour portugais, très inventif, ne se lasse jamais de brocarder les puissants.

Visitant le salon de l'auto, le Dr Salazar avait beaucoup admiré une petite voiture de plus modestes et en avait demandé le prix qui n'avait rien de prohibitif.

- Oh ! mais je ne pourrai jamais me payer ça avec mon salaire !

Le vendeur avait tellement baissé le prix que le Dr Salazar s'était enfin décidé à en acheter une pour cinquante centimes et tirant un escudo de sa poche, avait dit :

- Je n'ai pas de monnaie, mais ça ne fait rien, ne vous donnez pas la peine de me rendre cinquante centimes. Vous me livrerez deux voitures.

SEXUALITÉ

Déjeuné avec l'Aga Khan; il y avait Madeleine de Foucault et Jefferson Cohn. L'Aga raconte qu'il a rencontré en Égypte un vieux chef de tribu qui, malgré ses quatre-vingt-six ans, faisait le bonheur de plusieurs jeunes filles; l'octogénaire lui a donné sa recette; son procédé est dû uniquement à la volonté et permet d'arriver sans fatigue à des résultats prodigieux. Là-dessus, Jefferson Cohn dit que les indigènes sont sexuellement bien supérieurs aux Blancs, et que c'était même pour cette raison, et pour ne pas humilier la race blanche, qu'au Soudan, Kitchener défendait aux Blancs les femmes de couleur, la comparaison n'étant pas à l'avantage des soldats européens.

(Source  : Paul Morand - Journal d'un Attaché d'ambassade - 1917)

MICHEL SIMON  : Jacques de Ricaumont (déserteur du chemin des dames notoire) était le grand rêve secret de Michel Simon. Un peu avant sa mort, (1975), il présenta Jacques à sa toute jeune fiancée  :

- Jusqu'à toi, Jacques était mon unique passion.

Maryse Choisy affirme que Michel Simon était comme Jules César. Il n'a jamais su quel sexe il aimait davantage. Se tournant vers moi, il risqua la banalité habituelle  :

- Vous avez de beaux yeux.

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Michel Simon

Bien qu'il ne fût pas beau, Michel Simon avait beaucoup de charme. Chasse gardée. Je n'allais pas trahir. Michel Simon m'invita  :

- Venez chez moi. Vous verrez ma guenon.

Cela déplut à Jacques. Il n'avait jamais cédé à Michel Simon. Il était comme les grandes coquettes. Il était triste de perdre un soupirant fidèle.

Quand, à ce point, on a les mêmes goûts, il ne faut pas se marier.

Je n'ai pas épousé Jacques. Il est resté un grand ami. (Maryse Choisy  : Sur la route de Dieu on rencontre d'abord le Diable.)

HISTOIRE SOUFIE  : LE COFFRE

Un homme riche et vieux épouse une femme belle et jeune.

Un jour, le premier valet prend son maître à part  :

- Je te dois une confidence. Je ne préviens jamais ta femme quand je veux faire le ménage dans sa chambre et c'est chaque fois le même manège. Je frappe à sa porte, elle me fait attendre longtemps et, ensuite, refuse toujours de me donner la clef du très grand coffre.

Cela vient encore à l'instant de se produire. Il faut que tu saches pourquoi !

Le mari convoque l'épouse et lui demande des explications. Au lieu de répondre, elle pleure et gémit  :

- Sur des ragots de valetaille, tu penses sans doute que je cache un amant dans le grand coffre. Eh bien ! Va vérifier toi-même !" et elle lui tend la clef.

Le vieil homme réfléchit longuement en caressant sa barbiche puis il appelle ses serviteurs.

Au premier valet il donne la clef et ordonne  :

- Va la jeter du haut du pont dans la rivière.

Aux autres  :

- Enterrez très profondément ce coffre au fond du jardin.

Installé sur la terrasse de la maison, le couple, sirotant du thé et mangeant des loukoums, regarde la scène en silence.

L'opération terminée, le mari dit au premier valet revenu de la rivière  :

- Demain, je veux à cet endroit des rosiers, ceux que préfère mon épouse ! et ils rentrent chez eux.

L'histoire dit, qu'après cela, ils ont connu un bonheur sans nuage car ils n'ont jamais reparlé de l'affaire, même en allant cueillir des roses sur la tombe du coffre. Source  : Joseph Sigward : La psychologie expliquée à ma fille…

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Histoire soufie

STRASBOURG (Horloge astronomique)

Rappelons l'ancienne légende qui touche l'horloge de la cathédrale de Strasbourg. Le conseil, dans la crainte que l'habile constructeur de ce chef-d'œuvre n'en fit une autre encore plus perfectionnée pour une autre ville, décida de faire crever les yeux au maître. Le malheureux demande alors comme dernière grâce de voir et toucher encore une fois son horloge. Il s'en approche, en retire une petite virole et on l'aveugle. Mais l'horloge ne marchait plus ; les rouages tournaient bien, mais n'engrenaient pas.

En fait elle fut construite en 1571 par Conrad Hasenfratz, dit Dasypodius, professeur de mathématiques né en 1531 à Frauenfeld en Suisse et décédé en 1601 à Strasbourg. On venait de tous les pays pour admirer cette œuvre fantastique et bien des cités proposèrent des fortunes au constructeur pour qu'il construisît dans leurs cathédrales des horloges aussi belles. Le mathématicien refusa toujours. Il passait sa vie à perfectionner son œuvre. Mais il devint peu à peu aveugle.

Alors il convoqua de savants mathématiciens ses confrères et, de mémoire, leur indiqua le secret des rouages et de leur entretien. Mais l'horloge déclina, car ce n'était plus la même main qui en guidait la marche. Les mouvements s'arrêtèrent les uns après les autres, au grand désespoir de son créateur qui en mourut de chagrin; le jour de sa mort, l'horloge sonna une dernière fois.

Après un silence de plusieurs siècles, l'horloger Schwilgué, en 1840, lui rendit la vie. Source  : Conrad Dasypodius

SUPERSTITIONS  :

L'usage des médailles et des reliques ne s'est d'ailleurs pas éteint avec la révolution. Dans son Petit Guide des superstitions, France Béquette rapporte l'anecdote suivante :

"Une vieille dame, anglaise et protestante, est mariée à un richissime catholique français et épouse les déviations superstitieuses de la religion de son mari. Elle fait venir des images pieuse de Lourdes, de Rome, d'Avila, qu'elle remplace quand elles sont défraîchies. Très malade, elle en utilise beaucoup. Elle les place sur ses organes les plus atteints : le cœur, qui bat trop vite; sous les seins, contre l'eczéma, et plus bas encore, contre la cystite et la constipation, aux endroits qu'il est facile d'imaginer.

"Quand je l'aidais à se lever, témoigne la garde-malade, c'était comme une pluie d'images pieuses.

Un jour, la dame décide de prendre un bain et se dirige vers la baignoire, nue comme un ver. Une fois dans l'eau, elle s'exclame :

"Comment une de mes images est-elle arrivée là?" La garde-malade, pourtant croyante au sens traditionnel du terme, est bien obligée de lui expliquer que cette image était restée collée en un lieu anatomique fort incongru."

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Robert Surcouf

SURCOUF  : Cherchant à blesser le corsaire malouin, le capitaine du vaisseau de Sa Majsté qui l'emmène en captivité lui dit  :

«Au fond, ce qui nous distingue, nous autres Britanniques, de vous, les Français, c'est que nous nous battons pour l'honneur, et vous pour l'argent !

- Eh oui, réplique Surcouf, chacun se bat pour ce qui lui manque !»

TALISMAN  : Au cours des vacances 1939, juste avant la guerre, en me promenant dans les champs, j'ai trouvé un trèfle à quatre feuilles que j'ai placé dans mon portefeuille. En arrivant à Buchenwald, nous avions laissé nos bagages, nos vêtements et tout ce que nous possédions avant de passer à la douche dont nous n'étions ressortis qu'avec une veste et un pantalon de treillis.

Or, à Paris, trois mois après mon retour de déportation, je reçus une lettre du ministère des Anciens Combattants et Déportés m'invitant à me rendre à un certain bureau pour recevoir des objets m'appartenent. Ce bureau se trouvait avenue Bugeaud. Contre ma signature, on me remit, à ma grande surprise, ma montre, mon stylo et mon portefeuille, et, dans ce portefeuille se trouvait toujours mon trèfle à quatre feuilles. (Marcel Dassault  : Le Talisman)

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Marcel Dassault

TESTAMENT D'UN COMMUNARD (1901)
Rue de la Tombe-Issoire, avant la levée du corps et en présence de la famille de Gustave Lefrançais et de quelques intimes, Albert Goullé eut une inspiration que je lui ai toujours enviée.

Il déplia une copie du testament de notre ami et en lut ce passage  :

« Je meurs de plus en plus convaincu que les idées sociales que j'ai professées toute ma vie, et pour lesquelles j'ai lutté autant que j'ai pu, sont justes et vraies.

« Je meurs de plus en plus convaincu que la société au milieu de laquelle j'ai vécu n'est que le plus cynique et le plus monstrueux des brigandages.

« Je meurs en professant le plus profond mépris pour les partis politiques, fussent-ils socialistes, n'ayant jamais considéré ces partis que comme des groupements de simples niais dirigés par d'éhontés ambitieux sans scrupules ni vergogne... »

« Je prie mon fils Paul de veiller à ce que mon enterrement civil soit aussi simple que l'a été ma vie elle-même, et que je ne sois accompagné que de ceux qui m'ont eu comme ami et ont bien voulu m'accorder, soit leur affection, soit plus simplement leur estime. A défaut d'incinération, qu'on me porte à la fosse commune où tous les miens m'ont déjà précédé, ainsi que les pauvres gens à la classe desquels je n'ai cessé d'appartenir... » (Lucien Descaves Souvenirs d'un ours)

LE TRAIN FOU  :

Le 24 août 1983, le train Amtrak Silver Meteor effectuait son parcours habituel de Miami à New-York quand à 7 h 40 du soir, à Savannah, Géorgie, il happa au passage et tua une femme qui pêchait du haut d'un pont. A peine était-il reparti, que vingt-cinq kilomètres plus loin, à 9 h 30, il heurtait et broyait un camion, arrêté trop près des rails à Ridgeland, en Caroline du Sud.

L'équipage du train, en état de choc, fut remplacé mais à 1 h 10 du matin, le train heurtait un camion-remorque à un passage à niveau. Deux wagons de voyageurs déraillèrent, envoyant 21 personnes à l'hôpital, dont le conducteur. Une fois de plus, l'équipage fut remplacé et le train reprit son voyage mais à 2 h 37, à Kenly, Caroline du Nord, il heurtait de plein fouet une voiture qui n'avait pas respecté les feux de signalisation d'un passage à niveau.

Le National Transport Safety Board, bien qu'il n'eût aucune raison de douter de la qualité de la machinerie ou de la compétence des conducteurs successifs, qualifia l'Amtrak 117 de «train criminel»et annula la fin du voyage. (S. Richards  : Luck, Chance and Coincidence. Aquarian, Welligborough, 1985, repris par Lyall Watson dans Surnature, Albin Michel 1988).

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Accident du Silver Meteor

TRISTAN BERNARD  : Quand les Allemands eurent arrêté Tristan Bernard pour l'emmener à Drancy, lui qui avait tremblé durant toute la guerre, dit à sa femme  : «Jusqu'ici nous avons eu peur. Maintenant on peut commencer à espérer.» (Maryse Choisy : Sur la Route de Dieu on rencontre d'abord le Diable.)

VIN  :

Verdict d'un magistrat, lors de la Guerre des Vins que se livraient la Bourgogne et la Champagne, un siècle après Rabelais  :

«Madame, c'est un procès dont j'ai tant de plaisir à visiter les parties que j'ajourne toujours à huitaine le prononcé de l'arrêt.» (Attribué à Brillat-Savarin)

WENCESLAS VI

Wenceslas VI, roi de Hongrie et empereur d'Allemagne mettait son cuisinier à la broche lorsqu'il n'avait pas bien rôti un lièvre. (Anecdote rapportée dans les Mémoires d'Outre-Tombe)

Wenceslas 6
Wenceslas VI

ZOO DE VINCENNES
En 1944, Claude Marcy, épouse du réfractaire Henri Jeanson, demande à son cousin employé au Zoo de Vincennes s'il ne connaîtrait pas une bonne planque pour son mari.

- Nous venons justement de perdre un grand singe à la ménagerie, dit le gardien; je vais arranger sa peau, ton mari se mettra dedans et personne n'ira le repérer dans une cage, sous le poil d'un orang-outang.
Ainsi fut fait.

Le dimanche suivant, la femme vient voir son mari au pavillon des singes; il joue fort bien son rôle, gambade, se gratte les aisselles, risque même quelques gestes obscènes. Puis il se balance avec grâce au trapèze; mais, pour éblouir sa moitié, il exagère un peu dans les acrobaties et, soudain, le voilà projeté dans la fosse aux ours !

La femme qui craint la férocité des ours s'affole et appelle au secours... Mais elle entend un ours bougonner  :

- Elle va nous faire poisser, cette dinde-là! (Jean Galtier-Boissière : Mémoires d'un Parisien)


 
Georges Duclair  : Formules assassines

 
 
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