André Gide
ÉLOGE DE LA JEUNESSE

Gide
On a dit que je cours après ma jeunesse. Il est vrai. Et pas seulement après la mienne. Plus encore que la beauté, la jeunesse m'attire, et d'un irrésistible attrait. Je crois que la vérité est en elle; je crois qu'elle a toujours raison contre nous. Je crois que, loin de chercher à l'instruire, c'est d'elle que nous, les aînés, devons chercher l'instruction. Et je sais bien que la jeunesse est capable d'erreurs; je sais que notre rôle à nous est de la prévenir de notre mieux; mais je crois que souvent, en voulant préserver la jeunesse, on l'empêche.

Je crois que chaque génération nouvelle arrive chargée d'un message et qu'elle le doit délivrer; notre rôle est d'aider à cette délivrance. Je crois que ce que l'on appelle « expérience » n'est souvent que de la fatigue inavouée, de la résignation, du déboire.

Je crois vraie, tragiquement vraie, cette phrase d'Alfred de Vigny, souvent citée, qui paraît simple seulement lorsqu'on la cite sans la comprendre: « Une belle vie, c'est une pensée de la jeunesse réalisée dans l'âge mûr. » Peu m'importe du reste que Vigny lui-même n'y ait peut-être point vu toute la signification que j'y mets; cette phrase, je la fais mienne.

Il est bien peu de mes contemporains qui soient restés fidèles à leur jeunesse. Ils ont presque tous transigé. C'est ce qu'ils appellent « se laisser instruire par la vie ». La vérité qui était en eux, ils l'ont reniée.

Les vérités d'emprunt sont celles à quoi l'on se cramponne le plus fortement, et d'autant plus qu'elles demeurent étrangères à notre être intime. Il faut beaucoup plus de précaution pour délivrer son propre message, beaucoup plus de hardiesse et de prudence, que pour donner son adhésion et ajouter sa voix à un parti déjà constitué.

De là cette accusation d'indécision, d'incertitude, que certains me jettent à la tête, précisément parce que j'ai cru que c'est à soi-même surtout qu'il importe de rester fidèle.

(André Gide : Journal Feuillets 1921)
Certains de ces jeunes gens font de grands efforts un peu ridicules pour réduire les contradictions qu'ils ont senti se dresser en eux ou devant eux, sans comprendre, que l'étincelle de vie ne saurait jaillir qu'entre deux pôles contraires, et d'autant plus belle et grande qu'il est entre eux plus de distance et que chacun de ces pôles reste chargé d'une plus riche opposition.

L'effort de Dieu pour obtenir de Lui le triangle. Et pas plus que le chrétien ne doit chercher à obtenir conciliation de deux vérités contradictoires, telles que prescience de Dieu et libre arbitre individuel: de même devons-nous protéger en nous toutes les antinomies naturelles et comprendre que c'est grâce à leur irréductible opposition que nous vivons. Et ces antinomies, je les crois toutes imaginaires (à commencer par celle que je disais, qui vient de ce faux postulat: Dieu est prescient - Dieu est), mais c'est le fait même de vivre qui les soulève, qui les crée.

(André Gide : Journal 1925)

Gide
André Gide par Jacques-Émile Blanche

 
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