POÉSIE CHINOISE
La Flûte de Jade
Adaptation de Franz Toussaint

Flûte de Jade

Le plus beau des poèmes

Parler de «poésie chinoise» est un pléonasme, la Chine étant elle-même un poême, le plus beau des poêmes.

La Chine c'est trois mille ans de perfection, tant dans son art de vivre que dans l'art lui-même et sa culture. Élégance, beauté, cruauté, raffinement, philosophie, subtilité, science, médecine, poésie, art des nuances, elle a tout créé, tout inventé, tout donné au monde. Sans la Chine, sans son écriture, sa peinture, son art du paysage, sa sculpture, sa cuisine, sa pensée, l'humanité ne serait qu'un brouillon de civilisation, une plate, veule et vile tentative pour l'homme de se hisser hors du néant.

Le seul regret pour l'amoureux de la Chine que je suis, pour tous ceux qui l'aiment, c'est la monumentale erreur que commettent ses élites en voulant imiter l'Occident, l'Amérique, notre vulgarité, la hideur du succès matériel et notre réussite apparente, qui nous conduiront tous, immanquablement à la déchéance.

Reste le Tibet, le merveilleux Tibet, le mystérieux Xinjiang et bien d'autres peuples fiers qui rêvent de liberté au sein de l'Empire, qui souhaitent garder leurs langues et leurs traditions, précieux trésors de la Chine éternelle.

Je sais aussi qu'un unique vers d'un poète inconnu, un seul trait du pinceau raffiné d'un calligraphe, un unique air de flûte tremblant dans la nuit sous la lune au bord du Yang-Tsé, peut racheter toutes les erreurs commises de par le monde.


Lao-Tseu


LAO-TSEU
(Ve-VIe S. av. J.-C.)


CONNAÎTRE

Sans franchir le seuil
Connaître l'univers.

Sans regarder par la fenêtre
Entrevoir la voie du ciel.

Le plus loin on se rend
Moins on connaît.

Ainsi le sage
Connaît
Sans avoir besoin de bouger
Comprend
Sans avoir besoin de regarder
Accomplit
Sans avoir besoin d'agir.


Flûte de Jade


LI-TAÏ-PO
(643-706)


CROYEZ-MOI

Impatient de devenir un pur esprit,
le bouddhiste Song-Tsè
a édifié un bûcher sur le mont Kin-hoa
et s'est brûlé vif.

De son vivant, Ngan-Ki a pu atteindre le Pong-laï.
Ces personnages connaissent une félicité parfaite.

Soit ! Mais quel mal ils se sont donné !
Vous pouvez arriver au même résultat
en allant chercher dans votre cave
une bouteille de bon vin.

Li-Taï-Po

montagne


LA CHANSON DES TÊTES BLANCHES


Vous me répétiez :
« Nous vieillirons ensemble.
En même temps que les miens,
tes cheveux deviendront blancs
comme la neige des montagnes,
comme la lune d'été.. .»

Aujourd'hui, Seigneur,
j'ai appris que vous aimiez une autre femme,
et je viens, désespérée, vous dire adieu.

Une dernière fois,
versons le même vin dans nos deux tasses.
Une dernière fois, chantez la chanson
qui parle d'un oiseau mort sous la neige.
Puis j'irai m'embarquer sur le fleuve Yu-keou
dont les eaux se divisent
pour couler vers l'est et vers l'ouest.

Pourquoi pleurez-vous, jeunes filles qui vous mariez ?
Vous épousez peut-être un homme au cœur fidèle,
un homme qui vous répètera sincèrement :
« Nous vieillirons ensemble... »

Li-Taï-Po


LA ROSE ROUGE

L'épouse d'un guerrier est assise près de sa fenêtre.
Le cœur lourd, elle brode une rose blanche
sur un coussin de soie.
Elle s'est piqué le doigt !
Son sang coule sur la rose blanche,
qui devient une rose rouge.

Sa pensée va retrouver son bien-aimé qui est à la guerre
et dont le sang rougit peut-être la neige.

Elle entend le galop d'un cheval...
Son bien aimé arrive-t-il enfin ?

Ce n'est que son cœur qui bat à grands coups dans sa poitrine...
Elle se penche davantage sur le coussin,
et elle brode d'argent ses larmes qui entourent la rose rouge.

Li-Taï-Po


SI LA VIE EST UN SONGE

Si la vie est un songe
A quoi bon me tourmenter
Je puis m'enivrer sans remords
Et si j'en viens à tituber
Je m'endormirai sous le porche de ma demeure
A mon réveil un oiseau chante parmi les fleurs.
Je lui demande quel jour nous sommes.
Il me répond : au printemps,
la saison où l'oiseau chante !
Je me sens étrangement ému
Et prêt à m'épancher.
Mais je me reverse à boire
Et je chante tout le jour
Jusqu'à ce qu'apparaisse la lune du soir.
Et quand mes chants se taisent
Je n'ai plus conscience de ce qui m'entoure.

Li-Taï-Po

payasage


LI TAï-PO
(643-706)


L'ADIEU

L'oiseau youên et l'oiseau yang
nagent côte à côte sur le fleuve Kin
dont les eaux coulent paisiblement vers le nord.
Quand l'oiseau youên s'arrête à l'ombre d'un arbre de la rive,
sa compagne s'arrête parmi les roseaux en fleurs.
Tous deux préféreraient la mort ou la captivité plutôt que la fuite,
si, pour fuir, ils devaient se séparer.

Adieu, seigneur de ma vie!
Aucune fleuve ne peut revenir à sa source,
aucune rose ne peut revenir sur le rosier qui l'a laissé tomber.
Malgré la croyance générale, les plantes ne sont pas insensibles.
Qu'advient-il à celles dont la nature est de s'attacher ?
L'une vit et meurt à l'endroit même
où le vent laissa tomber la graine
qui lui donna le jour ;
l'autre périt dès qu'on l'arrache de l'abri qu'elle avait choisi.
La nature est clémente pour la fleur,
et l'homme est cruel pour la femme qui l'aime.

Adieu, seigneur de ma vie !
Aucun fleuve ne peut revenir à sa source,
aucune rose ne peut revenir sur le rosier qui l'a laissé tomber.

En souvenir de moi, gardez ces trois hirondelles de jade.
Elles brillaient dans ma chevelure, le jour de notre mariage.
Essuyez-les, chaque soir, avec votre manche de soie.
Et ne roulez jamais la natte sur laquelle vous m'avez caressée...
Laissez les araignées y tendre leurs fils.
Permettez-moi de vous demander
de conserver toujours le bloc d'ambre
sur lequel je posais ma tête, pour dormir.
Les rêves qu'il vous donnera vous rappelleront notre passé.

Adieu, seigneur de ma vie !
Aucun fleuve ne peut revenir à sa source,
aucune rose ne peut revenir sur le rosier qui l'a laissé tomber.

J'ai oublié, dans votre coffre sculpté, mon petit manteau de plumes.
Ne le mettez jamais sur d'autres épaules que les vôtres.
Quant à mon miroir, mon miroir d'argent
où mon cœur se réfléchissait comme un visage au fond d'un puits,
tendez-le souvent à votre nouvelle épouse,
et qu'il vous aide à connaître son cœur.
Adieu, seigneur de ma vie !
Aucun fleuve ne peut revenir à sa source,
aucune rose ne peut revenir sur le rosier qui l'a laissé tomber.

JF



OUANG-TSI
(723-757)


A UN AMI


Ouang-tsi

Pour vous remercier de m'avoir fait connaître cette poésie Tsu-Kia-Liang,
Je vous envoie ces quelques feuilles de thé
Elles proviennent du monastère de la montagne Ou-ï
C'est le plus illustre thé de l'Empire,
comme vous en êtes le plus illustre lettré

Prenez délicatement un vase bleu de Ni-hing.
Remplissez-le d'eau de neige recueillie au lever du soleil
sur le versant oriental de la montagne Sou-chan,
Placez ce vase sur un feu de brindilles d'érable
ramassées sur de la mousse très ancienne,
et laissez-l'y jusqu'à ce que l'eau commence à rire.
Alors, versez-la dans une tasse de Huen-tcha
où vous aurez mis quelques feuilles de ce thé,
Recouvrez la tasse d'un morceau de soie blanche tissée à Houa-chan,
Et attendez que se répande dans votre chambre
un parfum comparable à celui d'un jardin de Foun-lo.

Portez la tasse à vos lèvres, puis fermez les yeux.
Vous serez dans le Paradis

Ouang-Tsi

grand feu


CHANG-WOU-KIEN
(1879-1931)



NOTRE BATEAU GLISSE

Notre bateau glisse sur le fleuve calme.
Au-delà du verger qui borde la rive,
Je regarde les montagnes bleues et les nuages blancs.

Mon amie sommeille, la main dans l'eau.
Un papillon s'est glissé sur son épaule,
A battu des ailes et puis s'est envolé

Longuement je l'ai suivi des yeux.
Il se dirigeait vers les montagnes de Tchang-nân

Était-ce un papillon, ou le rêve que venait de faire mon amie ?

Chang Wou Kien


LI-TAÏ-PO
(643-706)



BUVANT SEUL SOUS LA LUNE

Au milieu des fleurs, un pichet de vin,
Je bois seul, sans compagnon,
Levant ma coupe, je convie la lune claire
Avec mon ombre, nous voilà trois

La lune hélas ! Ne sait pas boire,
Mon ombre en vain ne fait que suivre,
Compagnes d'un moment, lune et ombre,
Réjouissons-nous, profitons du printemps,

Je chante, la lune musarde,
Je danse, mon ombre s'égare,
Sobres encore, nous nous égayons
Ivres nous nous séparons

Mais notre union est éternelle
Par delà notre amitié
Au loin nous nous retrouverons
Sur le fleuve céleste.


LI-TAÏ-PO
(643-706)


A L'HEURE OÙ LES CORBEAUX

À l'heure où les corbeaux
se perchaient sur la tour de Kou-sou,
les danses de la belle Si-Chy
enivraient déjà le roi.

Le soleil a disparu derrière les collines vertes,
la flèche d'argent de la clepsydre d'or
a longuement annoncé que la nuit était venue,
la lune s'est enfoncée dans les eaux du Kiang,
le vent de l'aube a éteint les étoiles,
et Si-Chy, infatigable, ne s'est pas arrêtée.

Maintenant, elle dort, près du roi.
L'ombre d'une fleur de pêcher danse sur sa joue.

oiseau


LI-TAÏ-PO
(643-706)



PETITE FÊTE INTIME

Je prends un flacon de vin
Et je vais le boire parmi les fleurs,
Nous sommes toujours trois,
Comptant mon ombre et mon amie la lune

Heureusement que la lune ne sait pas boire
Et que mon ombre n'a jamais soif 

Quand je chante, la lune m'écoute en silence.
Quand je danse, mon ombre danse aussi.

Après tout festin les convives se séparent.
Je ne connais pas cette tristesse
Lorsque je regagne ma demeure,
La lune m'acompagne et mon ombre me suit.

Li-Taï-Po


LA MONTAGNE DE LA PORTE CÉLESTE

Comme un sabre,
Le fleuve Ts'ou a fendu la montagne.
Cette jonque d'or, là-bas, sur le fleuve... Non
C'est la lune qui se lève

Li-Taï-Po

oiseau



LES DEUX FLÛTES

Un soir que je respirais le parfum des fleurs,
Au bord de la rivière,
Le vent m'apporta la chanson d'une flûte lointaine.
Pour lui répondre, je coupai une branche de saule,
Et la chanson de ma flûte berça la nuit charmée.
Depuis ce soir-lâ, tous les jours,
À l'heure où la campagne s'endort,
Les oiseaux entendent répondre à leur chant,
Celui d'un oiseau inconnu
Dont ils comprennent cependant le langage.


TI-TUN-LING
(772-845)



L'OMBRE D'UNE FEUILLE D'ORANGER

Seule dans sa chambre,
Une jeune fille brode des fleurs de soie
Elle entend soudain le son d'une flûte lointaine...
Elle tressaille.
Elle imagine un jeune homme lui parlant d'amour

À travers le papier de la fenêtre,
L'ombre d'une feuille d'oranger se pose sur ses genoux...

Elle ferme les yeux.
Et rêve qu'une main déchire sa robe


Tin-Tun-Ling

broderie


LA JEUNE MARIÉE

Élever une fille pour lui faire épouser un soldat,
Mieux vaudrait à sa naissance la jeter sur la route.

Seigneur, j'ai natté mes cheveux, le jour de nos fiançailles,
Mais notre lit n'a pas eu le temps de se réchauffer.
Au coucher de soleil, je suis devenue votre femme,
Et nous nous sommes séparés aux premières lueurs de l'aube !

Maintenant je pense à la mort qui vous menace à chaque instant.
L'Angoisse m'oppresse. Mon cœur se déchire.

Je m'étais promis de vous suivre partout...
Mais j'ai senti que ma présence vous aurait soucié davantage.

Ne prononcez pas trop souvent le nom de votre jeune épouse.
Sans oublier jamais votre devoir de soldat.

provinciale


LI-CHUANG-KIA
(1703-1758)


LA JEUNE FILLE NUE

Pour aller retrouver son fiancé,
Sous le grand saule au bord du fleuve,
Elle avait mis ses deux plus belles robes

Lorsque le soleil commença de décliner,
ils causaient encore tendrement.
Tout à coup elle se leva, honteuse,
Car elle n'avait plus sa troisième robe :
L'ombre du saule.

Li-Chuang-Kia

payasage


TCHANG-WOU-KIEN
(1879-1931)


LA DERNIÈRE PROMENADE

Tu as laissé tomber dans la poussière
la tulipe rouge que je t'avais donnée.
Elle était devenue blanche.
En ce bref instant il avait neigé sur notre amour.

Tchang Wou Kien

chinoise


ANONYME
(vers 324)


LA PASSANTE

Quand la brise gonfle tes deux robes de soie,
Tu ressembles à une déesse vêtue de nuages.
Quand tu passes, les fleurs des mûriers te respirent.
Quand tu emportes des lilas que tu as cueillis, ils tremblent de joie.

Des cercles d'or étreignent tes chevilles.
Des pierres bleues luisent à ta ceinture.
Un oiseau de jade a fait son nid dans ta chevelure.
Les roses de tes joues se mirent dans les perles immenses de ton collier.

Quand tu me regardes, je vois couler le fleuve Yuen.
Quant tu me parles, j'entends la musique du vent de mon pays.
Quand un cavalier te rencontre, au crépuscule,
Il croit que c'est déjà l'aurore et immobilise son cheval.

Quand un mendiant t'aperçoit, il en oublie sa faim.

Tchang Wou Kien

Montagne

Wang-Shi-yan
 

TOU-FOU
(715-774)


L'IMPLACABLE DESTIN

Avide de conquêtes et de gloire,
L'Empereur n'entend pas les cris de son peuple.
Malgré la vaillance des femmes qui ont saisi la bêche
Et qui dirigent la charrue,
Les ronces envahissent les champs.

Partout, la guerre !
Partout le carnage !
La vie d'un homme ne compte pas plus que celle d'un chien.
Devant les vieillards mêmes,
Les soldats osent dire ce qu'ils pensent.

« Jamais de trêve, murmurent-ils,
Jamais de quiétude !
Demain les collecteurs viendront collecter l'impôt,
Et nous n'avons rien !
Nous en sommes arrivés à tenir pour une calamité
La naissance d'un fils,
Car nous savons qu'il sera tué à la fleur de l'âge
Et qu'il ira se désagréger parmi les Cent plantes. »

Sur le rivage de la mer d'azur,
Vous n'avez donc jamais vu, prince,
Les ossements des milliers de braves sans sépulture ?
Dans le vent d'Est,
Vous n'avez donc jamais entendu les plaintes
De leurs mânes inconsolés ?

Tou-Fou

Tou-Fou

Tou-Fou
 

LES HUIT BUVEURS IMMORTELS

Ho-Tchi-Tchang, toujours à cheval,
Semblait ramer sur un bateau.
Un soir qu'il était plus ivre que d'habitude,
Il tomba dans un puits,
Où il dort encore, je crois.

Yu-Yang vide toujours trois urnes
Avant d'aller à ses occupations.
S'il rencontre une charrette de grain,
Il renonce à ses affaires et la suit,
Bavardant avec son conducteur, sur la fermentation du riz.

Le ministre Li-Ti-Chy
Avalerait cent rivières !
Il dépense facilement dix mille tsien,
Et proclame qu'il ferait volontiers décapiter
Les marchands qui vendent du vin douteux !

Quand Tsoung-Tchi savoure une vieille bouteille,
On ne voit plus que le blanc de ses yeux
Tout à coup un grand bruit !
Voilà Tsoung-Tchi par terre, comme un arbre déraciné

Le brave Sou-Tsin ne boit jamais devant la statue de Bouddha.
Mais s'il commence de boire hors du monastère,
Il y revient sur les épaules d'un homme charitable.

Sous l'influence d'une seule mesure de vin,
Li-Taï-Po est capable d'écrire trois cents vers.
Un soir qu'il sommeillait dans une taverne de Tchang-nân,
L'Empereur lui envoyait l'ordre de venir au palais.
« Dites à l'Empereur, fit-il,
Que je m'entretiens avec les Dieux ! »

Tchang-Hio, dès qu'il a bu trois coupes,
manie le pinceau avec une virtuosité inimaginable.
A ce moment tous les rois de la terre pourraient entrer dans sa demeure
Il ne bougerait pas.

Cinq grandes mesures portent à son comble la verve de Tsiao-Sui.
L'éloquence de notre ami jette, alors, les convives dans la stupeur.

Bien que je leur fasse raison quelquefois,
Je ne me compte point parmi ces hommes illustres.
Je me grise le plus souvent… d'un rayon de lune !

Tou-Fou
 

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Théâtre chinois


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