OLGA CANDELA
Renouveau
Le printemps est une fête

Olga Candela


LA MÈRE S'EN EST ALLÉE


Seule,
Affrontant seule,
Le grand passage.
Elle s'est retirée
Sans s'être livrée, délivrée
De ses geôliers
Portant en elle
Les barreaux de sa destinée.

La mère s'en est allée.
Personne ne l'a pleurée.
Cependant, isolées
Quelques larmes brillent
Entre les rochers.
Elles vont s'évaporer
Et renaître
A la prochaine marée.

Peut-être qu'un jour
En mars, peut-être…
Des pensées apaisées,
Enfin,
Viendront accompagner
Ses cendres déployées
Aux mouettes envolées.
Et pourront alors
Se diluer
Dans des eaux
Épurées,
Les souvenirs liés
A cette femme
Qui s'en est allée,
Seule.

Ma mère s'est retirée.

Olga Septembre 2010

Pluie d'oideaux


IL PLEUT DES OISEAUX


Il pleut des oiseaux.
Plumes encore luisantes
Têtes alanguies
Becs entr'ouverts sur un dernier soupir
Les petits cadavres
Jonchent la chaussée.
Les camions freinent.
Les pneus chuintent.
Des yeux écarquillés
Reflètent le massacre.
Un enfant murmure:
«Il pleut des âmes»,
Âmes de défunts
Abandonnés.

Janvier 2011


LA PLUME


Du triste cimetière juif de Prague
J'ai rapporté une plume noire,
Plume de corneille ou de corbeau.

Je l'ai piquée dedans un pot,
Terre de bruyère et terre de lierre,
Tout brin au creux de ma gouttière

Elle me raconte des histoires
Histoires d'espace et de massacres,
D'étendues rouges et d'arbres noirs.

Elle parle aux oiselles, ses sœurs
Lourdes gargouilles immobiles,
Guetteuses aux carrefours des villes,

Qui croassantes au bord des toits
Rappellent aux humains sourds et cois
Qu'elles, elles seront toujours là.

Figures noires du temps qui passe,
De pierre, elles veillent sur les cimetières
Cimetières d'ici ou bien de Prague.

…J'ai ramassé une plume noire…

Olga 02/2011


FIL ROUGE


Au cours des ans
Des lunes et des jours,
Parfois ténu
Comme un fil de la Vierge
Vibrant entre deux vies,
Parfois cablé
Comme un cordon ombilical,
Un fil rouge
Rouge d'un sang
Qui bat fort
Là et là
Un fil rouge
Relie
Les matrices premières
Aux matrices suivantes…

Balisant le chemin
A ne pas perdre de vue
A ne pas perdre de vie,
Ce fil d'Ariane
Rouge sang
En boucles labyrinthiques
Redonne
A affronter
Et affronter encore
Comme
Un lancinant appel
Les blessures des femmes violentées
La veulerie des hommes
Frustrés
Les meurtrissures
Des petites filles
Embrumées.

Ce fil rouge
Rouge d'un sang vivant
Qui a battu
Au cours des ans
Des lunes et des jours,
Pulse,
Ici et à présent
En mon corps de mère,
Dépositaire
De ses souillures originelles
Et me chuchote
Et me répète
Et me crie…
Qu'il est temps, enfin
D'arrêter la transmission
Hémorragique
Des lâchetés occultées
Et de suivre ce fil rouge,
Eclaireur de consciences
Réempteur de destinées.

Pies


LES PIES


Je n'ai pas revu les deux pies
De la cour des petites Écuries.
Elles étaient là hier encore
Éventails de plumes blanches et noires.
Des branches alourdies elles fondaient
Élégantes et affairées
Sur les pavés enneigés.

Je n'ai pas revu les deux pies
De la cour des petites Écuries.
Elles ne font plus le lien
Légères plumes au vent
Entre une illusion de nature
Là-haut dans les arbres immaculés
Et la réalité du béton des villes
Ici, en-bas, près des poubelles.

Je n'ai pas revu les deux pies
La neige a fondu. Avec elle
Ont disparu de la cour des petites Écuries
Les fins oiseaux noirs et blancs.
Ils ont révélé, l'espace d'un instant,
Les souvenirs de beautés
Éphémères
Images d'une perfection perdue.

Olga 3/12/2010

 

Fonte des neiges


LA FONTE DES NEIGES


Au temps de la fonte des neiges
Elle pleure.
En décalé, en silence, elle pleure.

Sur le camélia blanc,
Le cyclamen des sous-bois,
Elle qui ne voit pas la couleur.

Sur l'humble brin d'herbe
Qui soulève le béton et l'éclate
Elle qui, sans contours, se répand en flaques.

Sur l'arbre aux puissantes racines
Elle qui n'en a ni aux dents, ni aux pieds
Ni en sa famille.

Sur la brume ouatée qui épouse
Les formes aux creux des vallons,
Elle qui ne touche pas et ne veut être touchée.

Sur le ronronnement du chat
Et l'harmonie d'un chant choral,
Elle qui reste impavide et sans voix

Jamais
Elle ne pleure sur l'événement sidérant
Qui pétrifie les corps, les esprits et les sens.
Mais,
Au temps de la fonte des neiges
Elle pleure sur la douceur
Qui lui est trop douleur.

Olga 3 janvier 2011

 

Fonte des neiges


NI POUR NI CONTRE


Elle fait ce qu'elle a à faire
Ce à quoi elle est destinée,
Sans prétention
Sans orgueil
Sans peur.
Elle n'est ni pour ni contre.
Elle pousse envers et contre tout.
Naturellement.
C'est sa nature
C'est la nature…

Elle soulève le béton, fissure les murs,
Envahit les espaces,
Touche le ciel
Et meurt quand son temps est venu…

La petite fleur que tu piétines,
Que tu ne vois pas, là,
Dressée
Entre deux pavés,
Contre le pneu de ta voiture.

Et moi, et moi et moi.
Je me suis construite contre…
Tout contre toi, femme de ma vie.
Mur contre lequel je me suis battue
Et blessée.
Arc-boutant, arc-boutée contre
Ta présence, ta puissance.
Orgueil contre orgueil.
Prétention contre revendication.
La peur au ventre.
C'est ma nature.
C'est ta nature.

Et puis, tu es partie…
Contrefort de ma vie.
Je ne t'ai plus pour m'appuyer
Pour résister
Pour tenir debout.
Je suis en manque de toi
Je boite et je m'écroule
Seule.

J'allais te piétiner
Humble petite fleur
Qui, envers et contre tout
Pousse là, entre deux pavés
Quand, soudain
Tu m'as murmuré :
« Dans votre rage à vous détruire,
Condamnées à vous survivre,
Vous n'avez pas su
Vous n'avez pas senti
Que vos deux cœurs
Etaient contre, tout contre,
Liés, cœurs serrés
Ulcérés, en mal d'amour.
Sans le savoir
Vous vous aimiez.
A présent, pousse sans elle
Envers et contre tout.
Naturellement
Tout simplement. »


Une maille


Sans retenue aucune
Elle laisse filer une maille…

Et comme coule une larme
Un sillon s'est fendu
Révélant sa peau nue
Sous une armure de soie.

Une abeille alchimiste
Viendra y faire son miel
Apaisant de tendresse
La profonde blessure.

Dans la liqueur dorée
Tous les malheurs du monde
Seront emprisonnés
Purifiés, transmués

En un bijou ambré
Qui tombera comme graine
Et emperlera la terre
D'une sève nouvelle.

Sans retenue aucune
Elle a laissé filer une maille…

Olga 28 août 2012

Chanson de Barbara trouvée sur le web :


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