PAUL VALET
(Dr Georges Schwartz)
Poète, médecin, peintre, pianiste et écologiste

Paul Valet

Le docteur Georges Schwartz (il signait Paul Valet ses poèmes chargés de sens, ciselés avec art et ses élégantes nouvelles), était un petit homme frêle, d'un abord réservé, mais dont le regard extraordinaire reflétait toute la tristesse et toute la bonté du monde.

Né à Moscou vers 1905 d'une mère polonaise et d'un père ukrainien, il débuta dans la vie comme pianiste et n'entreprit des études de médecine qu'après que ses parents se fussent installés en France (1924).

Médecin homéopathe, il demeurait à Vitry où il vécut jusqu'en 1970. Médecin des pauvres dans une banlieue déshéritée, il soignait le plus souvent à l'œil les clochards, les immigrés, les artistes, les marginaux qui n'avaient pas accès aux soins remboursés par la Sécu.

Le Poète

Paul Valet

Je suis droit
Je suis gauche
J'écris avec mes poings
Sans virgules
Sans points
Sans coco
Sans pernod
Sans muselière
Sans bandage herniaire

La poésie n'était pas pour lui un simple passe-temps. C'est un outil de beauté et de combat pour la liberté avec lequel il façonne des recueils qui, cinquante ans après, n'ont pas pris une ride : Sans muselière, Poésie mutilée, Poings sur les i, Paroles d'assaut, Soleils d'insoumission, Le néant et la pitié.

Que pourrais-je vous donner de plus grand que mon gouffre ?
Être lucide : C'est perdre connaissance
Être libre : C'est perdre l'équilibre
Être vengeur : C'est terrasser la vengeance
Être intact : C'est terrasser l'évidence
Être aux abois : C'est passer au-delà
Invincible est la détresse
De celui qui voit.

Durant la guerre, il prend le maquis dès 1941, et se bat dans l'ombre tandis que sa sœur et ses parents meurent à Auschwitz.

A la Libération, ses compagnons communistes veulent le récupérer, l'embrigader, mais Paul Valet souhaite rester un esprit libre tant du point de vue homme que poète et il ne se soumettra jamais aux ukases du Parti. Il nous a livré le fond de sa pensée dans sa Réponse à Paul Eluard :

Quand vous dites
Qu'il faut marcher avec ceux qui construisent le printemps
Pour les aider à ne pas être seuls
Et pour ne pas être seul soi-même
Dans sa tour de pierre
Dévoré de lierre
Je vous donne raison

Et quand vous dites
Qu'on n'a de raison d'être
Que pour les autres êtres
Vous avez raison vous avez raison

Et quand vous dites
Qu'il faut chanter le monde pour le transformer
Et pour l'expliquer et pour le sauver
Et pour vivre non seulement dans sa bulle de savon
Mais dans la haine de l'injustice
Et pour un but incarné comme un champ de blé
Vous avez raison vous avez raison

Mais je sais
Qu'une étreinte fraternelle sans patrie ni parti
Est plus forte que toutes les doctrines des docteurs

Mais je sais
Que pour libérer l'homme des haltères de misère
Il ne suffit pas de briser les idoles
Pour en mettre d'autres à leur place publique
Mais qu'il faut piocher et piocher sans fin
jusqu'au fond de l'abcès
Et boire ce calice jusqu'à la lie

On ne libère pas l'homme de son rein flottant
Par une gaine élastique aux arêtes barbelées

On ne libère pas l'homme de son corset de fer
En le plongeant dans un vivier de baleines

On ne libère pas l'homme de ses maudits États
En le condamnant à vie par un modèle d'État

La vérité n'est pas un marteau que l'on serre dans sa main
Fût-ce une main de géant plein de bonne volonté
Mais la vérité c'est ce par quoi nous sommes façonnés
Mais vérité c'est par quoi nous sommes éclairés
Quand par la nuit sans suite les mots jaillissent de nos lèvres
Pour apaiser les hommes suspendus à leur vide

Paul Valet

Dans son cabinet gris, d'une propreté méticuleuse, quelques gravures médicales du XIXe siècle glanées chez les bouquinistes et deux superbes tableaux d'Espinouze peints sur le vif, à l'hôpital Broussais durant le séjour du peintre atteint de cirrhose. Le Dr Schwartz allait le voir tous les 2 jours et c'est lui qui paya les frais d'hospitalisation.

Au quartier latin, chez les artistes, il travaillait tout aussi gratuitement, apportant même les médicaments nécessaires, échantillons offerts par les laboratoires ou payés de sa poche. Poète durant ses rares heures de loisir, il ciselait des vers mélancoliques ou révoltés qu'appréciaient ses amis surréalistes en particulier Michaux et Robert Desnos.

Je dis NON aux miasmes et marasmes et à tout ce qui rampe et glisse et se décompose.

Je dis NON aux paroles en beurre avec tous les honneurs, prix des prix, médailles, promotions, nomenclatures, carrières diverses et de sable.

Je dis NON aux nargues et venargues et subardes à l'air conditionné.

Je dis NON aux cabotons pieds de biche, archivoltes, croupions et portails, jarretelles et jarretières et collants intégraux.

Et je dis NON au gros, au détail, aux tarifs, aux clients, au débit, au crédit, aux factures et l'escompte.

Je dis NON aux affaires fructueuses, au lugubre, à la lie. Pas d'argent, pas de sang.

Je dis NON à tout ce qui se dérobe clandestinement à la folie naturelle.

Je dis NON à la suite, à l'axonge et la panne et la glu et le lard et l'anus et les écoulements-excréments et les boucheries des animaux innocents.

Je dis NON à la basse-cour, à la Haute Cour, les bombyx, les bombements.

Je dis NON aux concubinages et mariages et lois contre les trigames, adultères en babouches, en culottes trop serrées pour femmes en état de grossesse.

Je dis NON aux regards fuyants et aux bouches suçoirs.

Je dis NON aux stratégies amoureuses, aux ogives nucléaires, aux missiles et fusées mortuaires.

Je dis NON aux duplicatas.

Je dis NON à l'État. La culture ou l'ordure Je suis contre.

Je dis NON aux manies cérébrales, aux visages détournés, aux rivières desséchées.

Je dis NON aux écorcheurs, procureurs, professeurs, ordinateurs, aux musées et aux râteliers.

Il y a OUI pour le NON. Il y a poésie et poésie. Il y a eau minérale et eau minérale. Il y a cérémonies. Il y a tout le fourbi. Il y a le roussi. Il y a la folie.


Le dimanche, il venait parfois chez Youki, rue Mazarine puis rue Castagnary. Et là, il nous étonnait par son immense culture et la véhémence de son discours contre la pollution. Sa bête noire, les Usines du Rhône, les raffineries de pétrole, ces hautes cheminées qui déversaient sur la ville et ses banlieues leurs tonnes de déjections nauséabondes empoisonnant lentement la Seine, Paris et ses habitants. C'était la première fois que j'entendais un tel discours.

En fait, à l'époque, nous considérions le brouillard comme un décor poétique et les lamentables habitations des sinistres banlieues nous paraissaient romantiques. En ce temps-là les intellos privilégiaient le misérabilisme ouvrier au faste bourgeois.

Le bon docteur Schwartz, lui, vitupérait l'alliance contre nature tissée entre les syndicats communistes et les patrons des usines polluantes, véritable conspiration contre la santé publique.

À travers le mur de mes sens,
Je pressens d'autres emmurés vivants.
J'écris, c'est un mystère
Je vis, c'est un miracle
Depuis des siècles et des siècles, je crie : Au SECOURS !
On me répond : Attendez votre tour.

Seul contre tous, pétitionnaire et révolté solitaire, peu suivi par les gens de son quartier qui pour beaucoup travaillaient dans ces usines, il lançait chaque semaine des campagnes d'affiches contre les empoisonneurs, adressait des lettres flamboyantes et féroces aux chefs d'entreprise incriminés, aux édiles, aux ministres. Les élites concernées haussaient les épaules. Il criait dans le désert.

Mais, peu à peu sa verve vengeresse, ses brûlots irrévérencieux vinrent chatouiller l'ego des hommes au pouvoir. Et le bon docteur Schwartz subit d'abord de simples intimidations préliminaires à des menaces plus précises. Bastonné dans la rue par des nervis il fut traduit devant les tribunaux pour propos calomnieux, injures, etc.

Mais il ne baissa pas les bras pour autant, redoubla de vigilance, dénonçant avec davantage de vigueur et de rigueur les responsables de la pollution de la ville, de l'empoisonnement à petit feu de ses habitants.

Le docteur Georges Schwartz fut un précurseur. Il vécut comme un pauvre, ne buvait pas d'alcool, ne fumait pas, ne mangeait pas de viande. Ses seuls plaisirs étaient d'assister et de soigner les plus déshérités, d'écrire quelques beaux vers et de jouer du piano. Pour se défouler, il fulminait de tonitruantes imprécations contre les pollueurs, les industriels dévoyés, les laboratoires tortionnaires d'animaux.

Les puissances tentèrent de le faire taire, de le bâillonner, de l'écœurer, de l'abattre. Les communistes maîtres de la banlieue, acoquinés aux industriels pollueurs et complices qui les subventionnaient, l'attaquèrent en justice, tentèrent de le ruiner.

Il résista longtemps, seul contre tous, mais finit par craquer.

Paul Valet

Paul Valet, paladin solitaire, ascète du Non, connaîtra l'horreur des hôpitaux psychiatriques avant de s'éteindre en février 1987, à Vitry.

Il mourut avant d'avoir vu ses idées totalement prises en compte par le grand public et leur propagation à travers le monde.

Ce fut un saint laïque, un de ces hommes lumineux et modestes, qui partent sur la pointe des pieds, disparaissent sans laisser de trace dans la mémoire des hommes.

Mais il semble que le combat du bon docteur Schwartz, la poésie et la peinture de Paul Valet ne soient pas irrémédiablement perdus.

Un éditeur courageux (Jean-Michel Place), des écrivains fraternels (Jacques Lacarrière, Cioran et François Bon), ont permis à sa petite musique de subsister sous les décombres de la pensée unique, de faire entendre sa voix ferme et douce dans les ténèbres de l'aculture généralisée.

Il subsiste sans doute quelque part, chez un collectionneur inconnu ou remisés dans un grenier, quelques très beaux tableaux d'Henry Espinouze réalisés dans une salle commune de l'hôpital Broussais et un admirable portrait de son ami Paul Valet, qui l'avait fait hospitaliser in extremis, le sauvant d'une mort certaine.

«Ce maudit exilé au Paradis, disait de lui Cioran, traduisait sa réflexion sereine dans un lyrisme frénétique, fulminait ses propos de sage en vers incandescents.»

Paul Valet nous a quittés mais sa mémoire demeure intacte au cœur de ceux qui l'ont connus et aimés.

Paul Valet


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