HENRI ESPINOUZE
QUAND LA VIE PAVOISE

Vie pavoise

DÉDICACE INFLAMMATOIRE


Pour les eaux couronnées par les arches du pont,
Pour l'été qui, souvent, dit oui à la chaleur,
Pour le vent qui titube et choit dans des clameurs,
Pour le printemps paysagiste et ses jambons
Qui rougissent au fond du petit val d'amour;
Pour dressée dans le jour, la table des matières
Douces et d'autres lieux... pubis aux tabatières,
Pour l'oiseau qui confond autour et alentour.

Pour l'autour du blason écartelant du vide,
Pour un triangle d'os fécondé par le vent,
Pour la blême lagune et ses engoulevents,
Pour l'arbre de la pluie nourricière avide...

Pour une terre enfin qui se souvient d'Ovide,
D'ovaires dans l'eau vive et d'eau lustrale au cul,
Ces rimes qui pendaient au fil du temps vécu !

 

chtonien


CHTONIEN

La mère des nuages, grand-mère des eaux
Essuie son profil tonnant aux oripeaux
Sanglants avec des pleurs de lait qui se promènent
Un peu cristallisés sur sa joue phénomène.
Car la mère des eaux., grand-mère des nuages
Profanée jusqu'au fond comme une basse image
Transparente, épandue sur son plaisir extrême,
Accomplie, se répand, fumante, en elle-même.

Dans le vagin lustré de l'antique matrone
Tout flambant d'oriflammes en fleurs, un mât trône



L'AUTRE MOYEN-ÂGE

I

Une charette à l'abandon sur une motte
Retourne à l'origine, à l'inverse nature.
Rapace, le soleil ronge son ossature
Et son ombre portée par l'ombre est une porte

Entr'ouverte sur le secret des chambres fortes
De la terre où les eaux pourrissent des armures
Irradiant du vair, où rouillent les ferrures
D'armoiries éventrées aux quartiers de chair morte.


2

Un saule-têtard clôt un oeil gris de marmotte,
Dérobe au feu du ciel la façon de sa hure,
Son pied fourchu, son dos bosselant une bure,
Chemineau que l'hiver a fendu sous sa hotte.

Un arbre-fille donne au marmot qui barbotte
A têter son gros sein, voûtes et arcatures
De cryptes aux parois marbrées d'éclaboussures
Marnes sous le plafond morne des feuilles mortes.
L'enfant-bulbe pointant sa lance crue tressaute
Pris au piège d'eau verte enrobé de ramures.
Des nymphes emmêlées pleurent dans la blessure
Du plaisir pris à deux par des goules manchotes.


3

Son bouclier au dos, une maison qu'exhorte
A partir au combat l'on ne sait quel murmure
D'automne proclamant quelque funeste augure
Selon fumets de coq tué de bonne sorte
Cette maison roulant de sa panse qui porte
Un vent de guerre fume ferme de sa toiture
Brûle des quatre fers, le gant sur l'encolure
D'un cheval qui hennit à se briser l'aorte.
C'est midi, c'est midi pour les fesses accortes
Pour les trous obturés sans la moindre épissure
C'est midi pour les seins bleuissant aux piqures
Des guêpes. C'est midi, soleil, fleuve d'eau forte.

 

QUAND LA VIE PAVOISE

L'œil au détour d'un long voyage
La main dans un périple à bout de bras
L'arme blanche du lait s'enfonçant au corsage
De la vie profanée, mais qui ne le sait pas...

Les joues aspirant une gloire
Et les mains au bas bout des avenues
De nos corps en écho répandus sur leur aire
Avec des ondoiements qui font la peau grenue
La nuit oblongue casse en deux
L'oeuf aux frémissements de voie lactée,
Casse le globe blond d'un ciel duveteux
Sur un Palais focal de SPERME pavoisé !

 

RIEN NE VA PLUS

Feux à l'encan le soir, le paysage où sourd
Sourde la nuit des eaux, des ombres tournoyantes.
Feux à l'encan la terre au pivot de la tour
Tourne la chair passée dans l'humeur effrayante.

Déchiré le tapis des forêts aux enchères
Les chiffres: yeux et rocs, lueurs crochues en rond
La ronde des viandes humaines passe et perd.
Un arbre déplumé dessèche l'horizon

La tour se dresse au centre et l'homme est tout autour
Virant avec sa plaine et sa colline en plein
Avec sa peine au cœur et son coeur dans le four
Le four claquemuré pour la cuisson du pain.
Et les cuisses, les dos,, les ventres leur satin
Les épaules leur soie, les seins leurs doux éclat,
Les yeux fanés, les mains nues des regards éteints,
Auréolent le chef du Roi que l'on abat.

grand feu


GRAND FEU

Maritornes aux corps de cuivre
Goules flambant dans les auberges
Bouquets de chair frappés de verges
Seins rougeoyants aux dents des guivres...

Je vous dresse en épouvantail
Pour apprivoiser mes fantômes
Je vous plante au faîte du dôme
Éblouissant des têtes d'ail !



QUARTIERS D'HIVER

Auberges de la chair aux repliements replets
Exaltez les tétons des ogresses de plume
Vos lanternes de graisse ont des reflets glacés
Les griffons au foyer du désir se consument

Chimères tête-bêche et les mères en pleurs
Les mères à l'envers la tête dans les mains...
L'accouchement des soirs roussis dans les vapeurs...
Le cou de l'enfant pris au carcan du matin...

Et des fumets de lèche-flamme et chèvre morte...
Des bougies dégouttant leur cire sur des seins
L'hiver de marbre bleu fondait contre la porte.
Une tête endormie s'enfonce dans le crin

Brûle doucettement; c'est l'odeur de l'oignon
Que le tison suscite et ses langues en fleurs
Le feu mourant emplit de femme la maison.
Blason: Rose sur champ de gueules et langueur.



L'AUTOMNE ET LA PEAU

Des Atlantes fourbus piquetés de châtaignes
De piques de cris lézardés,
Des chimères en chef aux yeux de musaraignes...
Au palais des fracas une nymphe écorchée...

Tout un emmêlement de casques et de roues
D'herbes au bout du champ,
Sous l'arc-en-ciel fusant aux crinières des houx
A corps perdu passe le vent,

Son combat dans lui-même et son accouplement
Furieux à l'intérieur de lui qui luit
Méduse sous la main de Méduse gonflant
Eclate et se répand en pluie,

Outre de miel, otarie rose dans la bouche
Une ogresse alanguie se hérisse
Débusquée dans l'odeur marine qui débouche
Au nid de gui des Druidesses.

Ces fièvres, ces clameurs enchevêtrées, folies
Feuillues qui font corps avec l'automne,
Ces chiens profonds... Que la nuit les délie
Quand au ciel du lit de la terre l'eau tonne.


CAMPAGNE DE PRINTEMPS

... Ce grand corps raviné c'est l'Idiote rose
Et blanche en sommeil, ses poils roux affolés,
Sa main lourde en moiteur gagnée par l'ankylose,
C'est ma campagne qui s'ouvre large à l'été.

Une belle engourdie aux baves d'émeraude
De sa main fourrageant sa récolte en fusion
Sur la table de rocs que son urine érode
Sa gueule enfarinée chapeautée d'un étron
S'abandonne au vertige et fond dans la saison !
Le sang de ses menstrues coule sur les orties,
Aveugle mandragore au gré des lunaisons,
Quand l'orage titube et cherche la sortie.

C'est la rouquine en fleurs et son regard sans yeux
Serpents glacés glissant au creux de son émoi
L'pouvantail baroque empalé sur un pieu;
Des buissons dévorant des bicoques sans toit

Croulent sur la colline et, dans leur désarroi
Brisant des œufs oblongs voici les paysannes
Culbutées sur des lits de ronces, tendres proies
Du bois profond lové dans le grand œil des ânes!

Des femmes effondrées au détour des chemins,
Le ciel verse sur elles un lait abominable.
L'Ange Equinoxe qui pressure à pleines mains
Sa vendange moirée, les roule sous la table

Des forêts enfoncées dans le ventre du soir.
Et le corps se libère et crève, la campagne
Roule sa sève blême et son flot d'humeurs noires
Jusqu'aux pieds fabuleux du grand mât de cocagne

Que tout en haut couronne un casque empanaché
Un casque d'or furieux, sa crête de sang,
Sa visière aveugle son cri déchiré,
Son cri décapité par le SOLEIL couchant !

oiseau


A UN OISEAU

On voit des soirs de heurte-nuages,
Leurs claques sonores leur fiel
Dégoulinant au paysage
Fureur fluette, abeille au miel

Noyée de désespoir avec un peu de sang
De ci de là versé, puis le chant des piqûres
Au bout du sein laiteux que le soir va traînant
Hors des replis retors d'un vêtement de bure.

Luit le soir Heurte-nuages au coin du défilé
Quand le jour à la fin tombe dans les halliers

Un nuage s'appelle HURZTRECK ou use-bec,
Un autre: HURTECK ou heurte-bec,
Un autre: PERSILLE,
Un autre: EUSEBE,
Un tout petit: CACA.
Il y a: URTICANT, sa peau de doux lactaire...

Bien d'autres dont le nom pour cette fois m'échappe
Effilochent au loin la terre délétère
Fumées sans feu des bois sous une lourde chape.



L'HEURE EXACTE

Soleil voilé, crapaud d'un diamant obscur,
Grenouille à croupetons dans un iris vitreux
Ton œil de bête cligne au ventail des ramures
Vit bigle de l'éclair forant l'hymen fangeux.

La cloche, une lueur la frappe entre deux nuées
Quand sombre une médaille au plus sombre du puits
Un nœud faisant figure à l'arbre mutilé
Cicatrise aux confins d'un vent du Sud mal cuit.

Aux couches de l'été mûrissent des tumeurs
De la cloche s'écoulé un sang de nénuphar
Les nourrices du jour baignent dans des torpeurs
Grenouilles alourdies d'un lait blême... Il est tard...



LA FÊTE

Etable de la joie où le beau bahut bée
De ses linges sanglants, de ses soies étouffées,
Des femmes aux moissons dans l'étable engrangées
Bêlent à fendre l'heure où elles pataugeaient

Confites dans l'essaim, dans les sequins du paon,
Dans le daim aveuglé, dans l'assaut de l'élan,
Dans le sabot des boucs, dans les poules piquant
Des plumes sur le dos potelé des enfants.

Maries cottes troussées abattues dans le grain,
L'avenir écossé, les brandons dans le pain,
La lessive à genoux d'hommes à pleines mains,
Les Maries pourfendues béantes au destin,

Pieu fourchu, feu roulant dans les Maries fendues.
La housse de Peau d'Ane à la poutre pendue
Garde Peau d'Ane empreinte et son tambour battu
Perrette à peau de lait, gourde d'où le sang sue.

On emplit le bahut de satins embrochés,
De pas feutrés en tas, de souillons attrapées
Par l'aile, par le pied, salopes épluchées
Bancales, four banal pour la ponte paré.



NATAL-PRÉNATAL

1

Larme, son germe exorbité
Crève le bulbe - L'œil fontaine
Maternel irradie cerné,
Délivre l'enfant phénomène

Exorbitant - Tout pour l'enfant:
Le son du cor du coq fendu
Hérissé, - touffe au regard blanc -
Un sacrifice suspendu

A l'arbre - vampire éployé -
L'arbre aux membranes qu'on agite
- Peau de crapaud, ciel tavelé
De foudre que la guerre habite.

Ce corps tout soudain chu d'un arbre sans cigognes
Roulez-le dans le miel, l'or et la cendre blanche,
Grandes mains alourdies du trésor à vos poignes
Vachères; vole lactée roulant au flanc des vaches.

2

Le sang frit, sa galette sombre
Piquetée de trous, de cratères,
L'enfourne l'enfant blanc qu'obrombe
Un rêve de chair douce-amére
Une eau comme au cœur des amandes,
Un cœur frisant dans un palais
De poils sucrés, la treille immonde
Son raisin poisseux de baisers,

Cascades, colonnes musquées
De réglisses au firmament,
La lune crue en deux moitiés
Pissant le sang. Maman! Maman !

La peur toujours tapie sous l'arbre de la peur.
Le jour est blanc du drap que, noire, la nuit chauffe.
Si le blanc est glacé, le noir gît dans l'odeur.
Délices et horreur sont une même étoffe.

provinciale


PROVINCIALE I

Autour de toi, en toi, sur toi, sur tes genoux
Une femme nue, de caresses débordante...
Par des rues d'ombre bleue, sur des lits de cailloux
Tu passes dans ta ville effervescente.

Tu es assis dans un fiacre noir chapeauté
De hiboux blancs, curieuses poupées de plumes.
Rideaux clos il te mène avec solennité,
Rêveur dans cette nuit d'étoffe où tu t'allumes.

Cet équipage obscur trottine dans le jour
D'une foule embrasée claironnant des vivats.
Te cahote un cheval étique vers l'amour:
Une poupée de cire molle dans tes bras.

Le glas du soleil drape ta ville éphémère...
Tu passes dans ta châsse aux figrures laiteuses...
Ses blancs hochets là-haut sont des fruits doux-amers,
Des amandes charnues, des dames vénéneuses.

2

Passant, dans cette nuit dont tu t'emmaillotas,
Spectre sur tes genoux la femme effervescente
Te berce, se déverse, inonde à plein, à ras
Le corbillard, épave moite que tu hantes.

Le billard traversé par des boules de sang ...
Le fiacre dérivant d-ans la marée des rues ...
Le cheval couronné d'un seul coup s'effondrant ...
La ville crochetée à l'étal, corrompue...



PROVINCIALE II


Sur la fenêtre qui brasille dans la nuit
- Il y en a mille au moins par la ville...
Au loin roule un tonnerre aphone après la pluie -
J'ai vu un théâtre qui se profile :

Un lion noir brandit un couteau sur sa proie
- Une femme poilue et héraldique,
Un lion ingénu et séraphique -
Ce couple modelé dans une onde d'effroi.

On voit surgir des seins obscurs sur de la soie
Tissée d'une ombre épaisse en friselis,
Où l'eau d'une électricité frémit.
Le regard étourneau se prend à cette poix.

En un miroir secret de plumes et de peaux
D'inquiétantes lueurs sont en lutte,
Un vol égaré là on vous le plante haut
Hibou à la porte d'une cahute

2

Clignotaient dans les trous frissonnant aux fenêtres,
Des membres séparés de corps absents,
Des morceaux de chair, crochus, s'envolant
Hors de rictus ouverts blancs sur la douleur d'être.

Ailleurs le rideau rose est un bœuf écorché.
Y pendent des vessies de graisse intime
Sous la lessive des alcôves poignardées
Par un lion d'amour illégitime.

Un lion de rictus blanc sur le plaisir d'être
Si fortement rivé au rivage,
Où noie l'empreinte du visage,
Oiseau noir dans le jet blanchâtre de la tête.

Voir la tache du jour polluer l'écran glauque
Des longs réveils fuligineux,
Les fenêtres ouvrir leurs yeux adipeux
Sur la ville étirant ses fumées équivoques.



PROVINCIALE III

A la rêveuse au petit bain du réverbère,
A la passante nue sous l'arbuste électrique,
Sous le jet d'eau fané d'un fanal anémique.
Bref éventail poudreux... à la passante éclair

Et de fente exiguë
Faire le coup du noir
De la chappe en chat-part
Et de la touffe drue...

D'un drap rouge soudain la toison rabattue
Sur la tête fumeuse; un râle par dessous.
A la sourde passante blême le grand coup
Noir... le cri cravaté, la flamme des sangsues.

Passez les étouffeurs
Le nez dans vos genoux,
Enfoncez dans le doux
La hampe des clameurs

Suif dans la suie des rues le serpent dévoyé
Se noue sur les putains plantées comme des tours,
Serpent de sang fusant aux bouches cisaillées
Des putains implantées à chaque carrefour.

Vie pavoise

NOTE EN GUISE DE POSTFACE


En d'autres temps un peintre se risquant à publier des vers aurait, dès rabord, tenté d'excuser auprès des « amateurs de poèmes », son inexpérience, sa maladresse dans cet art difficile.

Ce poète d'occasion est-il aujourd'hui tenu à de tels ménagements ?

Non ! répondront tous ceux pour qui l'exercice de la poésie est donné indifféremment sous la seule caution de l'inspiration, laquelle se manifeste de préférence dans une sorte de prose coupée en petits morceaux.

Ne pourrait-on aussi reprocher à ce peintre-là de mobiliser l'attention avec des œuvres imparfaites, secondaires, nées à la périphérie, non au centre ?

Ces poèmes écrits dans un esprit de distraction, de délassement, je les ai ressentis comme nécessaires et me suis appliqué à les faire, sinon à les parfaire. Ainsi risquent-ils de refléter, bien qu'hétérogènes à mes œuvres peintes, un peu de ce qui, dans celles-ci, m'importe finalement; j'entends : une façon d'être des choses apparentes et une façon qu'a le monde des apparences de paraître.

J'aimerais que ces poèmes ne soient pas considérés comme des illustrations littérales ou allusives de mes tableaux.

Encore moins doit-on, ces poèmes et ces tableaux, les prendre pour les produits d'une recherche qui serait celle d'un monde vrai ou réel contenu dans le monde des apparences.

Celui-ci m'importe seul dans ses mille et une manières d'être, d'apparaître, de Pavoiser.

Henri Espinouze

Espinouze : autoportrait


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