Cher Michel Trécourt,Un livre de poésie a-t-il besoin de préface ? Je n'en suis pas convaincu, car il faut laisser à son lecteur le plaisir d'une découverte et d'une connaissance, sans qu'il sente jamais balisé son cheminement, ni amoindrie sa liberté. C'est pourquoi je préfère vous écrire une lettre, afin de ne pas nuire à l'intimité si nécessaire au dialogue avec un poète, avec une poésie. Vous le savez : la poésie, même quand elle s'adresse à tous, est la forme la plus haute de la confidence.
Vos lecteurs seront comme moi, j'en suis sûr, sensibles à l'unité de votre inspiration. Un certain nombre de thèmes vous habitent, parmi les plus graves : l'amour, la mort, la vie, l'univers. Présents en vous, voire insistants, ils vous obligent à écrire, et non pas à la légère. Ils vous aimantent vers les profondeurs.
Vous avez le goût des grandes questions fondamentales. Il faut vous en féliciter. La poésie est le meilleur moyen sinon d'y répondre, du moins d'en approcher et de les considérer dans leur ampleur. Ainsi choisissez-vous la voie difficile. Vous paraissez presque hanté par un sentiment du cosmique. Je vous cite :
Et mon poème tourne avec la terre,
Alternance de soleil et d'ombre.Ces deux vers nous accordent comme la formule d'une très large part de vos textes. Nous y découvrons l'accord, que vous souhaitez entre votre poésie et notre monde en mouvement dans l'espace, mais aussi ce que vous éprouvez devant le fait que ce monde soit tantôt dans l'obscurité, tantôt dans le clarté. Du même coup, vous nous donnez à éprouver non seulement la succession de la nuit et du jour, mais bien plus celle de la mort et de la vie. Vous suggérez, avec des mots simples, notre humaine condition.
Cette dernière, d'ailleurs, vous tentez de la comprendre par le recours à des philosophies, dont les noms surgissent sous, votre plume et témoignent de votre culture.
Votre culture est imprégnée de poésie. Il nous arrive d'entendre, dans la vôtre, un écho de celle des autres. Ici, j'ai découvert une résonance de Baudelaire; là, de Paul Eluard. Ce n'est pas un reproche. Loin de là ! Quand on est poète, la poésie chante à mille voix, et l'on ne peut que les accueillir, fraternellement. Dans cet accueil, il y a de la ferveur.
Être poète, c'est vouloir atteindre à un langage par-delà le langage, et souhaiter une parole qui soit un équivalent du silence. C'est ainsi tenter de découvrir la nudité bouleversante de l'être.
Dans une note manuscrite, vous me demandiez :
« Michel Trécourt est-il poète? »La réponse est simple : si vous ne l'étiez pas, vous n'auriez pas le désir d'épouser la poésie. Ce que dit Pascal à propos de Dieu : Tu ne me chercherais pas, si tu ne m'avais trouvé, - vaut également pour la poésie.
Telles sont quelques-unes des réflexions que provoque votre recueil. Vos lecteurs en feront d'autres. Sachez que vous serez écouté.
Mais vous, cher Michel Trécourt, continuez à n'écouter que la poésie. Sa parole, parmi les mensonges de notre temps, possède en elle cette vérité dont vous semblez éprouver le besoin - un amoureux besoin.
Votre Max-Pol FOUCHET
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(Michel Trécourt et Hervé Deboutière) AUTOPSIE D'UN POÈME
Incarnation verbale du désincarné,
Pluie de nuages invisibles,
Résurrection des cimetières du temps,
Rencontre instantanée de plusieurs dimensions,
Pierrerie des gisements de l'éther
Creusés par la mémoire.Paroles du vent des tourbillons hystériques,
Mobilité des lumières du marbre assoupi,
Frôlement de tous les sexes de l'univers,
Parousie des instants épris d'éternité,
Mots enfouis dans la gorge de l'âme,
Revanche sur la passivité triste du quotidien,
Robe de bal de l'éphémère au gala de l'imagination.Partition envoûtante de la folie et du réel
Dans le lit d'apparat des rencontres éblouies,
Flambée d'une étincelle promise à un autre incendie
Courbe de paradis dans la géométrie des choses,
Ventre affamé ides grossesses du futur,
Osier tremblant de l'arche des berceaux
Dans la Clinique spatiale des galaxies.Oh! ces mots qui tombent de ma bouche
Et qui sont nés dans mon ventre
Quand la chorégraphie du monde
Fait danser des instants de fleur
dans le frémissement
des prairies inclinées,
Nacelle toujours captive des ballons bariolés
évadés des jardins de l'enfance
Vers un bleu parfumé au torse des musiques
Qui fait s'éterniser le souffle d'une forge.
Tombés des féeries mauves de chaque être
Ravissante agonie des frissons d'infini
Dans le matin des vux et le soir des désirs.
Ce feu doux à l'odeur orange
De nos écorces d'aube,
Dans l'ostracisme du matin
Signe le livre d'or d'un soleil étrange
Qui relie notre éveil aux pâleurs du satinLe frémissement des cils aux yeux de notre sexe
Déroule un parchemin de sève
Au firmament de nos racines
Où le ciel et le gouffre ont le même réflexeEt mon poème tourne avec la terre
Alternance de soleil et d'ombre
Sous les hanches d'un arc-en-ciel
Où flamboie le métal ivre de l'essentiel
Dans le prisme du nombre et l'orphisme du verbe.JE ME SUIS MIS AU MONDE
Je me suis mis au monde une seconde fois
Dans l'invitation du voyage des astres
Et la sérénité féconde des contrastes.
Je suis en âme devenu
L'aura d'un diacre d'altitude
Levant des yeux d'hostie sur la messe du monde
Et buvant le divin au calice des fleurs
Dans la folie manuscrite du végétal
La pierre me dit cette chanson de sable
Des plages d'or du firmament
Et je sais des paroles d'émeraude
Venues du verbe des étoiles
A la marée des millénaires
Je sais aussi l'orgie lunaire de la femme,
Dans la pâleur du lin couché
Et le faste des coquelicots
Sur la prairie humide de mon corpsDésormais ma cantate de chair
Dans la vasque des enroulements
Et le saxo des cris sauvages
Se mêle aux orgues des quasars
A la confidence des immensitésLorsque mon cri te dit « je t'aime »
Ne le prends pas pour toi
Ouvre chaque sillon de ta peau
A la charrue de l'univers
Découvert avec moiDANS LES YEUX D'UNE OMBRE
Tout cur a son repli pour abriter une ombre
Comme aux versants secrets la neige n'y fond pas,
Les oiseaux y ont froid, les voyelles y sombrent
Et le rêve a coutume d'y prendre son repas.Une faim de lumière en a blêmi les herbes
Et gercé les pensées aux lèvres du désir,
Des mots errants, blafards quêtent l'hostie du verbe,
Une goutte de sang condamnée à transir.
Une flamme étouffée avant que sa caresse
Ait dévoré la nuit sur l'échine du vent.
Un lit jamais froissé, l'absence de promesse
Dans la vitre où se pose un regard trop fervent,Une étoile égarée hors de sa nébuleuse,
La perle d'infini sur la tache d'un point,
Le dessin d'une main trop âprement frileuse
Pour oser contenir l'haleine ivre du foin
Et rider par amour le visage des choses.Le don que l'on retient, l'agonie du satin,
Des clous éparpillés sur le velours des roses,
Le juste crépuscule sans l'espoir du matin.J'attends ce rendez-vous au prisme du soleil,
Un lilas d'amitié ou des yeux d'orchidées,
Quand l'ineffable élan rencontre son pareil
Et incendie de joie le sous-bois des idées.
J'écarterai alors les palmes de ma nuit,
Gravirai les saisons au bras de la lumière,
Dans le creux de ma main, je retiendrai la pluie
Pour désaltérer l'or au front de ma chimère.FLORILÈGE
« Il me faut la voix d'un poème,
Pour te mieux dire que je t'aime »J'écrirai d'abord sur ta peau
En plume d'encre invisible
Ces voyelles ivres de Rimbaud,
Aux couleurs indicibles.Au long du fleuve de tes bras
Et du ruisseau bleu de tes veines,
Ma bouche te murmurera
Les chansons douces de Verlaine.Dans un soir mauve et délicat,
Ton cur ouvrant sa blessure,
Offrira au sang de Lorca
La rose d'Estramadure.Entre les roseaux de tes cils
Où ton âme a son estuaire,
Je veux que la nuit distille
Les fleurs noires de Baudelaire.Sous l'arche du Pont Mirabeau
De tes hanches de chimère,
Je poserai les blancs fanaux
Des cortèges d'Apollinaire.Dans les plis de ta chevelure,
Où le vent crie sa déraison,
Je glisserai le murmure
Des palais givrés d'Aragon.A tes seins je ferai cadeau,
Pour que tu la portes en trophée,
De l'étoile de Jean Cocteau
Tombée jadis des mains d'Orphée.« Il me faut la voix d'un poème
Pour te mieux dire que je t'aime. »ENDYMION
Je l'ai enfouie, il y a déjà longtemps,
Sous le sable gris des convenances,
Les arabesques géométriques du savoir
Et le stère ajusté de toutes les raisons,
Cette lumière de moi, couchée au ventre de ma faim.Des hommes chaussés de plomb, habillés d'ombre,
Ont cru l'éteindre à tout jamais.
Dans la ville ouverte de mon cur d'innocence,
Ils m'avaient passé l'uniforme de leur régiment
Taillé aux mesures des sépultures de la joie.
Le concerto de ma chair parlait les yeux baissés,
Mes élans se brisaient aux barreaux de la bienséance,
Mes amours avaient le teint safran de la faute,
Et Dieu, le regard ruiné des temples désaffectés.
La main de ma générosité se fermait avant d'atteindre.
Ce prince qui m'escorte avait les yeux de l'exil.
Mon âme congédiait les habilleuses du songe.Mais je sais qu'un jour, Endymion endormi,
Sous mille feuilles tombées de l'arbre de mon âge,
Surgira du sous-bois où gisent mes saisons.
Je lèverai, à nouveau, le calice bleu de l'aurore
Au-dessus de mes tiédeurs prosternées,
J'y boirai la buée lustrale de l'invisible,
Verrai le firmament dans le prisme des fleurs
Et d'immenses naufrages dans la folie des nuages.
Les étoiles, auront laissé sur mes paupières tant de perles
Que mon sommeil aura des douceurs de collier.
Les visages de la rue m'offriront leur lumière
Pour l'échange furtif où l'âme se fait signe,
Les fées se dresseront en l'abscisse du ciel.
Je m'enivrerai de l'importance du superflu
De l'émission pirate d'un sourire,
Et des cils frémissants d'un silence.Sur l'épiderme moite de la terre dans l'orage de Juillet,
Mes lèvres épouseront la bouche de cette folle odeur,
Où la vie et la mort. ont la sensualité de l'éternel retour.
Ces mains au visage d'enfant que sont les miennes,
Sauront s'agenouiller sur le parvis du verbe
Et broder l'agonie sur le suaire de l'impossible.
Je saurai que les fleurs échangent des parfums comme un langage,
Et que l'oiseau crie des poèmes au crépuscule,
Qu'il y a Mozart et Bach dans le chant de la peau,
Que l'amitié a des murmures de ruisseau,
Que les forêts, les étangs et les sources
Sont habités de monstres et de génies,
Et qu'un conte égrené le soir au coin du feu,
Noue des soies de vertige au cou du merveilleux.MOISSON
La voûte de tes yeux a les arches du rire
Et le pli de ta bouche au rêve me relie,
Le parfum de ta peau est un blé qui délire
Sous cet orage d'encre aux poumons de folie.Tes mains crient le relief en bénissant les choses,
Nuages où l'ombre est dévorée par un feu de rumeur
Tu sais dire aux oiseaux mille douceurs encloses
Dans la forêt de pourpre ou je suis le veneur.Nos gestes ont accompli la force des semailles
Les sillons de ton corps ravinent de frissons
Et ce pavot intime où pleurent tes entrailles
Donne un baiser de sang aux cris de ma moisson.VISION
Je vois battre le sang aux tempes des fantômes
Sous la pulsion glacée d'un cur de solitude
Dans la galerie-miroir de Marienbad
Où le parc a des yeux de statues
Pour la rétine aveugle du temps
Et l'iris incolore de l'espaceJ'entends la sirène du bateau ivre
Dans des Amsterdam de diamant
Les chants de Maldoror
Dans la collégiale de Kafka
Les amants choisis sur l'ordinateur
La tête des cyborgs
Sur un corps de plastique
Dans la forêt d'acier des coffres d'I.B.M.
Où le délit de vivre est mis en carte
À la cadence des limonaires perforés
D'un manège funèbre de robots.JE T'AI CHERCHÉE
Dans ce tendre regard de gosse
Comptant les étoiles, allongé
Ou dans mes nuits de sacerdoce
Quand le désir m'avait rongéDans ces soirs d'hiver au collège
A mon confident le cyprès
Quand j'entonnais le sortilège
Des rêveries de mes après,
Je t'ai cherchéeDans la foule ou la solitude
Sur le sable de mes étés
Devant la mer où se dénude
Notre appétit d'éternitéAux portes étroites du sublime
Dans tous ces corps où j'ai versé
Jusqu'aux créneaux de mon abîme
Où les astres sont renversés,
Je t'ai cherchéeDans les extases de mes livres
Aux lèvres du doute effleuré
Dans l'ardente ferveur de vivre
Dans la musique où j'ai pleuréDans le vaisseau de mes chimères
La voix cosmique de mon sang
L'orgie mystique des prières
Le cimetière d'eau des étangs,
Je t'ai cherchéeIl n'est pas un flocon d'écume
Un nuage, un refrain, un baiser
Une uvre d'art, un mot de plume
Un geste que j'adore oserDe corsage d'or d'une grève
Ou incendie de feu de bois
Du cheveu blond d'un pauvre rêve
Pas une chose que je vois
De grâce évidente ou cachée
Où mon âme ne t'ait cherchée.
CAMARETSous ce firmament d'ardoise
Tout constellé de goélands
Les yeux de la mer d'Iroise
Ont vu le vaisseau de Tristan
La cathédrale du féerique
Où même l'arbre est en prière
Fait crier ce vent famélique
Frôlant les cils des bruyères
Les tuyaux d'orgue de Pen Hir
Devant ces rostres de légende
Règlent le ballet des menhirs
De ce théâtre de la lande
Sur le manoir de Cecilian
Où planent tant de lémures
C'est la longue plainte d'Ossian
Tissant la soie des déchirures
Et devant le temple ruiné
Les autans ivres de courroux
Font s'incliner l'or des genêts
Aux pieds du divin Saint Pol Roux
CANTATE COSMIQUE
Il fut, il y a des millions d'années lumière, un point vertigineux accroché entre l'il de l'infini et la mâchoire de l'éternité.
Et cette unique étoile, au firmament du vide, se prénommait Dieu.
Personne n'en témoignait. Elle baignait dans le néant. Son écharpe de silence tombait sur l'évanescence du rien et sa voix n'avait pas d'écho dans l'immensité du désert cosmique.
Et pourtant cette étoile, prélude à la dispersion, contenait déjà le chant des galaxies à venir, la vapeur de toutes les condensations du futur, la fantasmagorie géométrique des univers, l'encyclopédie chimique de la vie et tout le phosphore de la pensée humaine.
Lorsqu'éclata l'orage de la dispersion, l'unique, telle la fleur des fleurs, ordonna à son pollen de féconder les insterstices bleus de l'espace et la spirale des escaliers du temps.
Et tout se mit à bouger sous les voûtes abritant la symphonie des atomes, la vie s'engouffra dans les plis d'une étoffe universelle au grand bal de Dieu.
En cet instant, tout était suspendu au balcon du verbe. Cette seconde d'aurore contenait le frémissement de tous les visages des choses à venir.
En cette étincelle, se tenaient blottis, le grouillement des cellules dans la vision de leur destinée, la polychromie de tous les spectres du végétal, l'incendie de tous les feux, la morphologie des galaxies en expansion, le sperme de toutes les fécondations en chaîne, le cri étouffé des uvres d'art et le germe sacré de tous les rameaux de l'arbre de la vie.
A cette seconde où se déclenchait l'horloge du temps, la chute dans le multiple entonnait sa marche nuptiale avec le vide et le long cortège du couple des choses s'ébranlait dans le vestibule de l'Histoire. Sur cette seule corde, toutes les variations des orgues des abîmes, sur un seul son, les bruits éternels des vagues, le chant de tous les amours, depuis la langueur des algues dans le lit des océans jusqu'aux caresses de tous les amants appelés à se féconder dans le ventre des argiles et l'alchimie des rêves.
J'entends ces poèmes encore enserrés dans la conque d'un seul mot. Les chants d'Homère, les cris du Golgotha, les rosaces crucifiées des cathédrales, les alcôves de glycine de la chambre de Mozart, la modulation des équations d'Einstein et tous les cris des ivresses se tenaient blottis dans le creux géant d'un seul atome.
Et le délire de l'univers s'est répandu jusqu'à nous, afin que je puisse ce soir, dans le firmament de ton regard, à genoux devant ton visage, m'arrêter à l'auberge de l'immense voyage.
QUI TE DIT ...
Que la fleur n'est pas meilleur géomètre qu'une étoile,
Que le chariot du ciel ne traîne pas des fées
Amoureuses d'un berger ?
Que cette nonchalente galaxie qui danse autour d'un soleil
Ne prend pas l'argent d'un clair de lune
Que le cerveau des chiffres n'abrite pas l'ivresse
Des vendanges de Dieu;
Que ces nombres, architectes des yeux de l'univers
Ne posent pas des lueurs au ventre de cristal
Comme au fleuve ébloui des mémoires de ton sang;
Que les ondes infinies qui frôlent ton cerveau
Gardiennes des paroles de milliards d'années,
Feux folets de poussières d'alchimiques frénésies,
Ne cherchent pas en toi le miroir des extases;
Que ce foulard incandescent des tresses des comètes
Ne dessine pas l'arceau d'une chorégraphie
Dans le ballet orphique des planètes
Au-dessus d'une lyre qui vibre dans ta tête,
Et que cet or tombé du blé mûr des soleils
Dans les champs magnétiques où ondule l'amour
De l'ordre sidéral abritant tes pareils,
Ne sont pas les cheveux de quelque troubadour
Jouant sur les cordes ivres d'un violon sidéral
La fantastique symphonie d'un atome géant
Priant l'éternité au calvaire de l'instant.
HYLEM
Un tabernacle où l'or est resté prosterné
Dans la chorégraphie vaporeuse de l'hydrogène,
Impatient d'enfanter le diamant des étoiles
La céruse des nébuleuses ou le cur des pulsars;Au-delà des cent milliards d'astres de notre galaxie
Celle qui frôle peut-être avec amour le vertige
de dix millions d'autres galaxies,
Un himalaya de chaleur et de lumière,
Un soleil primordial où s'orchestre le gigantesque ballet d'hélium
Prêt à vêtir de mille pierreries le parchemin de glace des ténèbres.
Hylem!
Point au-delà de l'au-delà,
Belvédère cosmique
Où chaque seconde épouse les battements d'un cur alchimiste
Larguant des flambeaux d'énergie pour allumer la chaîne des électrons
Et d'atome en atome un dialogue se noue
Entre ces particules de lumière jaillies de l'instantané
Posant leur langage de feu aux lèvres de l'espace.
Il neige d'étranges cristaux dans l'angoisse du vide et la folie des spirales.
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Michel et Mizzi Trécourt DE LA MER
A Saint John Perse.
De la vision de la mer...
Je ne retiendrai que cette taie tremblante sur les cristaux du granit, cette voûte de crépuscule orange, vasque accrochée aux lèvres de la nuit. En ce silence s'abîment les cris attroupés du marché futile de la ville, essaim d'orfraies où les alvéoles de pierres gémissent d'un miel morphologique.
Du bruit de la mer...
J'élèverai le grincement des écluses dressées sur les canaux de mon sang, à tel point l'échafaudage souple de ma chair se déclare immergé dans cette étendue sacrée en laquelle se sont tressés les osiers de tous les berceaux du monde. J'entasserai les gémissements des coquillages où repose la mémoire d'amphores célestes englouties. L'écho m'habitera, fût-ce celui de ces poussières de vie qui dardent leurs prunelles de phosphore dans la laitance des nuits.
De l'odeur de la mer...
Je dénoncerai cette aurore d'anémone appelant la cohorte de mes désirs au banquet nuptial des folies thésaurisées. Quand, sur le sol figé des douleurs de la terre résonnera la larme d'un homme, je sertirai de ce sel de paupière, l'émeraude des océans. Jusqu'aux effluves de l'amour, l'acidité des embruns perlera de la conque de nos bustes allongés sur la couche des déchirures iodées.
De la nuit de la mer...
Je graverai d'argent un sentier de lune où tremblent, en un miroir de voie lactée, les yeux des profondeurs constellées. Je déroberai le spectre de ce cimetière de saumures cosmiques, où gisent, depuis l'aube de la vie, des myriades d'êtres tombés de la crinière de Dieu.
Du souvenir de la mer...
J'habillerai en écharpes de goémon, les fées pâles de l'hiver, dressées dans des brocéliandes vaporeuses où le givre du porphyre aura le goût de l'écume et d'où la plainte du vent portera la colère des équinoxes agrippés aux rostres des promontoires.
Dans le gémissement des herbes de la terre, dans la splendeur solaire du genêt ou le bavardage mauve des iris, sous l'aile de l'oiseau-lyre, dans la nacre fière de l'huître et le plain-chant des arbres, j'habiliterai la mer à déposer la griffe de son sceau royal.
HYPOSTASE
Ils ont noyé leurs yeux dans le même regard,
Ont aperçu soudain l'immensité des choses,
Supplié la lumière au ventre du brouillard
D'astrer le firmament de leurs apothéoses.
Leur peau s'est irisée d'un dialogue secret.
L'orgue des galaxies joue sur leur épiderme,
La pluie d'un concerto dépose son apprêt
Sur ce fuseau de chair où la vie se referme.
Ils sentent les étoiles halluciner leur sang.
Cette immense oraison des forces de la terre
Répand sur leur silence un doux parfum d'encens
Et leurs deux mains se joignent au cur d'une prière.
Ils sont sur l'océan un atoll de corail
Mis au monde soudain au spasme d'un cratère.
Sous la voûte du ciel, l'ogive d'un vitrail
De la nef engloutie d'un vaisseau de chimère.
Cèdre de majesté surgi dans le désert
Au flanc de l'oasis où se fane un mirage,
Perle de volupté dont l'anneau se ressert
Autour des friselis occultes du langage.
Et ils ne sont plus qu'un à force d'être deux.
Chacun de leurs baisers a le goût d'une escale,
La chair de leur esprit a des mots fabuleux,
Et leur âme s'enroule au jonc d'une spirale.
Ils goûtent le secret de naître et de mourir
Dans l'éternel retour de l'angoisse à l'extase
Quand la joie s'ingénie avant que de périr
A se mettre à genoux, tendue vers l'hypostase.
VIATIQUE
Aux pieds des cités englouties
Au sarcophage de la mer
Des gisants de statues blotties
Parlent de ces rois en enferIl est parfois des sépultures
Où un objet défie le temps
Ensevelissant des murmures
Près de l'être qu'il aimait tant
Je sais que Marie Laurencin
En son alcôve de poussière
A fait poser sur un coussin
Des inédits d'Apollinaire
Dans sa roulette éternité
Django dort avec sa guitare
Dans le concerto de l'été
Son doigt sur la corde s'égare
Abélard retrouva Héloïse
Vingt années après son trépas
Dans le lit de l'uvre promise,
Il lui ouvrait encore le bras
De sa prison au toit de terre
Verlaine sur son vieux manteau
Cherche le signe salutaire
De l'or d'un cheveu de Rimbaud
Que pourrai-je aussi emporter
Où la beauté serait un gage
Que la nuit prête à m'habiter
Sera plus douce à mon visage ?
CRÉPUSCULE
Je sais des yeux de sable d'or
Aux êtres fous de ma poitrine
Et ce poivre d'illet sur la tige de mort
Dans le soleil ivre d'une sanguine
Au sexe rouge de l'horizon
Où va se perdre ma raison
Lorsque la nuit vient me baiser
Au baldaquin du crépuscule
Où je me prends à tamiser
L'agonie du jour qui recule
Et qu'en aveugle, à tâtons,
Dans cette nuit où je dévide seul
L'écheveau d'une oraison triste
Le doigt d'un tisserant vient poser un linceul
Sur l'albâtre d'un clown, mort au cur de la piste
Dans le cirque dressé, à l'horloge du soir
Au village inconnu où campe notre espoir.
LA ROSE ET LE SÉQUOIA
Le temps qui joue à se renier
S'anéantit en chaque chose
Jamais n'est mort un jardinier
Dans la mémoire d'une roseOn dit qu'aucun berger Maya
Que l'astre des forêts fascine
Oncques ne vit un séquoïa
Naître au versant de la collineEn cinq mille ans ou en un jour
Entre le géant ou la rose
Au bruit de l'éternel retour
Ma vie se veut apothéose.
ARC-EN-CIEL
Le poids des sept couleurs est tombé sur la mer
Et les yeux du cristal ont pleuré de lumière
Sur la crinière d'étoiles d'une vague éblouie
Et ce nuage affolé soudain s'est mis à rire.
Le vent a dispersé le bruit de son pollen
Sur les voiles des barges épousant l'oraison
De ces mots éternels, grammaire des frissons.
Il pleut sur le calvaire un baptême de diamants
Face à ce sentier d'or où le soleil bivouaque
Offrant un seul rayon au peintre de l'orage
Pour envoûter la terre comme une cathédrale.
Le poids des sept couleurs est tombé sur la mer.
JEUX DE MOTS
Si j'égrène les entrechats
De ce bal des mots en délire
Avec boyaux de poisson-chat
Ferai corde pour oiseau-lyre
Cette gorge de libellule
Quand elle est blessée par l'aurore
Devient festin de renoncule
Ou mets de plante carnivore
Le franc tonneau d'esprit de vin
Sert à jauger le bateau ivre
Et si le saule pleure en vain
La morte saison veut vivre
La grue est femme ou bien oiseau
Et son plumage est un prétexte
Le diamant parle de son eau
Et l'amour se lit dans le texte
Barbare est l'orgue ou le figuier
Parlant à la rose des sables
Les mots jouent à se renier
Et le langage est une fable.
AUX ARBRES DE MOI
Dans la coupe ébréchée
Des mornes habitudes
Le temps a panaché
Des fruits d'ingratitude
Aussi vais-je en rêvant
Très loin des hespérides
Dans le jardin du vent
Où les branches sont vides
N'attendant plus de fruits
Je guette le message
De l'arbre où se traduit
Le chant de mon visage
J'abrite des fantômes
Au fuseau des cyprès
Et dans le creux d'un orme
Je cache des regrets
Je dors sous le tilleul
Et prie devant le chêne
Mais j'aime entendre seul
Le langage du frêne
Au miel de l'acacia
Je dis un chant d'abeille
J'accroche au magnolia
Des roses en corbeille
Je cherche des mobiles
Aux doigts des peupliers
Je conte des idylles
Aux palmes des sorbiers
Au front des sapins bleus
Des ombres altitudes
J'enguirlande de voelig;ux
Mes propres solitudes.
MISERERE
Aux yeux de plomb de cheval mort
Dans l'or profané des arènes
J'ai bu le cristal du remords
De l'homme ébréché dans mes veines;
Le ventre obscène de l'enfant noir
Tendu vers l'horizon du blé
Chuchotait au Christ du soir
Le cantique des hébétés;
Le cur du poète maudit
Saignait l'orange crépuscule
Sur le prisme de paradis
De l'horizon d'un funambule;
Aux yeux de plomb de l'enfant mort
J'ai vu Dieu perdre sa superbe
Et du geste de son remords
Faire éclore une fleur sur l'herbe.
La faim, la poésie, la mort,
La grande astrologie des choses
Trahissent au fond de notre corps
Le baiser des métamorphoses.
ET LA MORT ET L'AMOUR
La chair rassasiée, orgiaque ou livide
Quand elle frémit d'amour ou d'approche du suaire
Pousse le même cri devant les yeux du vide
Comme un fleuve englouti au remous d'un estuaire.
La camarde ou l'orgasme ont le même rictus
Sur la face épuisée des promis à l'extase
Et le sexe et la mort sont le même rébus
D'une métamorphose accoudée à l'emphase.
Diamant d'éternité blotti dans nos entrailles
Ariette d'infini dans les perles du sang
Le soupir de s'éteindre et celui des semailles
Transcendent les amants et les agonisants.
Les sueurs de la peur et celle du jouir
Marquent la saine face au calvaire des draps
Car se faire l'amour et se laisser mourir
C'est la voile d'Iseult au vaisseau d'un trépas.
LE MOULIN ET LA MER
L'horloge a dit une seconde
Aux ailes du moulin du temps,
Et le grain des moissons du monde
A forcé le grenier du vent.
L'univers a posé sa folie
Sur le reflet de nos images,
Une buée de mélancolie
Sur la vitre de nos visages.
L'océan a tissé cette neige d'écume
Comme un rouet chantant le poème du lin,
Les mouettes ont plané sur un coussin de brume,
Jetant leur cri de mort autour de mon moulin.
À MA DERNIÈRE ÉTOILE
Le dernier train passant sur la voie condamnée
Laisse derrière lui un tout autre silenceLa dernière cigogne à la fin de l'année
Fuyant vers le soleil, plus loin que la Provence
Pose un rai de regret sur l'épaule du ciel
Cette dernière rose souriant à la Toussaint
Parfume un requiem au ton confidentiel
Pour le givre des tombes où la nuit se complaint
Et le dernier amour face à sa destinée
Dans la crypte d'un cur qui bat depuis longtemps
Prend à l'allégorie sa geste raffinée
Afin d'éterniser le compte des instants.Tu as posé sur moi le feu de ta jeunesse
Aux rides de mon front et sur mes cheveux gris
Car nous avons tous deux goûté cette allégresse
De pouvoir échanger ce qui n'a pas de prix.
Mais je sais bien qu'un jour, dans le château des Fées
Merlin aura vieilli bien avant Mélusine
De ce que nous brodons le point sera défait,
La cendre aura vaincu ce qui nous illumine
Aussi veux-je t'offrir place dans mon firmament
Avant que mon esquif ait replié sa voile
Pour que dans la mémoire je sois ton seul amant
Puisque tu as les yeux de ma dernière étoile.AU PEINTRE JEAN MOULIN
Tes aquarelles ont cette ivresse de l'eau mystique
Où vit immergé au fond des océans,
un reliquaire de lumière.
Cette douceur de la vie naissante dans la densité des aubes.
Tu as thésaurisé l'ardeur des demi-teintes,
pour le paroxysme de la vision.
Le retable mouvant de tes visages en marche,
épouse des transitions doucement déchaînées.
La tendresse des ovaires crie dans tes maternités
où les têtes sont inclinées au versant ftal indécis
de la vie et de la mort.
Tes signes stratifiés qui griffent les ténèbres,
enluminent les énigmes d'une algèbre cosmique.
Ces phallus décolletés surgissant de la veinure des marbres,
campent des miradors sur l'enclos des morphologies.
Tu chantes cette vie qui clame sa présence sur l'épiderme de la pierre,
la féerie du végétal et la rhapsodie de la chair.
Tes toiles arbitrent des frissons
où l'esprit célèbre ses noces
avec la chevauchée des lignes
sur l'orgue des couleurs.
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