Jean Cocteau
APPARITIONS

Vierge
Hier soir, je me rappelais la parole du charmant vieux curé de Grenelle. Nous avions dîné ensemble chez les Maritain. Il me dit: « J'ai vu trois fois la sainte Vierge. La première fois c'était dans mon petit jardin. Je bêchais. J'étais mort de fatigue. Je le pensais. Tout à coup la Vierge était devant moi dans l'allée. Avant de disparaître elle me fit une espèce de révérence moqueuse: "Et moi, dit-elle, je suis toujours sur la brèche." »

« La seconde fois c'était dans ma sacristie. Elle paraissait sortir du mur, avec une escorte. Elle riait. Elle disait à quelqu'un de l'escorte: "Il n'a pas l'air très à l'aise." Et c'était la vérité. Je devais être très ridicule. J'avais laissé tomber mon bréviaire. »

« La troisième fois, je disais ma messe. L'enfant de chœur l'a vue, mais cet imbécile a pris peur. Il s'est sauvé à toutes jambes. Cela faisait d'abord comme un remous de paillettes de la hauteur d'une maison. Ce remous s'est calmé comme de la poussière qui retombe et j'ai très bien vu les pieds de la Vierge sur la nappe de l'autel. J'ai remarqué comme de la craie dans ses ongles. Elle se tenait entre les jambes du diable. Des jambes robustes et noires. Elle lui tapotait le genou et me disait : "Il est moins mauvais qu'il n'en a l'air." »

Le récit de ses visions était simple et adorable. Cela n'avait rien des grottes, des paroles et des gestes ridicules que les gosses prêtent à la Vierge. « Elle était haute comme une bouteille. » – « Elle joignait les mains. – « Elle disait: "On ne prie pas assez." – et autres sottises à la taille des visionnaires. »

LOURDES
Je n'arrive pas à comprendre comment l'Église, si prudente, accrédite le scandale de Lourdes, son ignoble commerce. Le docteur me disait que pour un miracle la médecine observe une quantité de maladies affreuses que les pèlerins rapportent de cette eau froide, de cette soupe de microbes.

Il doit être trop tard pour intervenir. Il serait grave d'apprendre que Bernadette avait surpris la femme du pharmacien qui cachait ses fredaines dans la grotte. Elle avait joué le rôle de la Vierge sous une écharpe de mousseline et avait récidivé sans son partenaire (un capitaine de réserve) pour accréditer la fable et détourner les soupçons. La vérité fut ensuite avouée par le capitaine. Le pharmacien était mort et le couple amoureux avait changé de résidence.

A mon estime, il n'y aurait aucun scandale à dire la vérité. L'Église y perdrait de l'argent mais y gagnerait de la noblesse. En outre il est plus beau que cet élan de foi parte d'une farce et que le ciel en profite. Ces apparitions réduisent à peu de chose la toute puissance divine. Ce n'est pas à des enfants de répandre au village les doléances de la Vierge. Elle est assez grande pour faire directement ses miracles et ne saurait se plaindre sans compromettre son prestige et son invisibilité. On devrait punir les gosses qui se permettent de jouer un rôle plus grave que celui qu'ils jouent dans les affaires de maisons hantées. L'hystérie a des excuses. Ces sales gosses n'en ont pas. Dans le cas de Bernadette, c'est autre chose. Elle fut victime d'un couple vulgaire et sacrilège qui ne pouvait se douter des suites de son acte.

Le Passé défini – septembre 1953

Baie de cook
Jésus chasse les marchands du Temple

 
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