ONTOLOGIE


Les preuves de l'existence de Dieu
  par Jean-Paul II

1. Quand nous nous demandons : « Pourquoi croyons-nous en Dieu ?» la première réponse est celle de notre foi : Dieu s'est révélé à l'humanité, il est entré en contact avec les hommes. La révélation suprême de Dieu nous est venue en Jésus-Christ, Dieu incarné. Nous croyons en Dieu parce que Dieu s'est fait découvrir comme l'être suprême, le grand «Existant».

Toutefois cette foi en Dieu qui se révèle trouve aussi un soutien dans les raisonnements de notre intelligence. Quand nous réfléchissons, nous constatons que les preuves de l'existence de Dieu ne manquent pas. Ces preuves ont été élaborées par les penseurs sous forme de démonstrations philosophiques, selon l'enchaînement d'une logique rigoureuse. Mais elles peuvent revêtir aussi une forme plus simple, et, comme telles elles sont accessibles à tout homme qui cherche à comprendre ce que signifie le monde qui l'entoure.

2. Quand on parle de preuves de l'existence de Dieu, il faut souligner qu'il ne s'agit pas de preuves scientifico-expérimentales. Les preuves scientifiques, au sens moderne du mot, valent seulement pour les choses perceptibles aux sens, car c'est seulement sur celles-ci que peuvent s'exercer les instruments de recherche et de contrôle dont se sert la science.

Vouloir une peuve scientifique de Dieu signifierait abaisser Dieu au rang des êtres de notre monde et donc se tromper sur ce qu'est Dieu.

La science doit reconnaître ses limites et son impuissance à atteindre l'existence de Dieu: elle ne peut ni affirmer ni nier cette existence.

Il ne faut cependant pas conclure de ceci que les savants sont incapables de trouver, dans leurs études scientifiques, des motifs valables pour admettre l'exstence de Dieu. Si la science, comme telle, ne peut pas arriver à Dieu, le savant, qui possède une intelligence dont l'objet n'est pas limité aux choses sensibles, peut découvrir dans le monde des raisons d'affirmer l'existence d'un être qui le dépasse. Beaucoup de savants ont fait et font cette découverte.

Celui qui, avec un esprit ouvert, réfléchit à ce qui est impliqué dans l'existence de l'univers, ne peut s'empêcher de poser le problème de l'origine. Instinctivement, quand nous sommes les témoins de certains événements, nous nous demandons, quelles en sont les causes. Comment ne pas poser la même question pour l'ensemble des êtres et des phénomènes que nous découvrons dans le monde ?

3. Une hypothèse scientifique comme celle de l'expansion de l'univers fait apparaître plus clairement le problème: si l'univers se trouve en expansion continuelle, ne faudrait-il pas remonter le temps jusqu'au moment que l'on pourrait appeler: «le moment initial», celui où cette expansion a commencé? Mais, quelle que soit la théorie adoptée sur l'origine de l'univers, on ne peut éluder la question la plus fondamentale.

Cet univers en mouvement constant postule l'existence d'une Cause qui, en lui donnant l'être, lui a communiqué ce mouvement et ne cesse de l'alimenter. Sans cette Cause suprême, le monde et tout mouvement en lui resteraient «inexpliqués» et «inexplicables» et notre intelligence ne pourrait pas être satisfaite.

L'esprit humain ne peut recevoir une réponse à ses interrogations que s'il admet un Être qui a créé le monde avec tout son dynamisme et qui continue à le soutenir dans l'existence.

4. La nécessité de remonter à une Cause suprême s'impose encore plus si on considère la parfaite organisation que la science ne cesse de découvrir dans la structure de la matière. Quand l'intelligence humaine s'applique, non sans peine, à déterminer la constitution et les modalités d'action des particules matérielles, n'est-ce pas parce qu'elle est amenée à en chercher l'origine dans une intelligence supérieure qui a tout conçu?

Devant les merveilles de ce que l'on peut appeler le monde infiniment petit de l'atome, et le monde infiniment grand du cosmos, l'esprit de l'homme se sent complètement dépassé dans ses possibilités de création et même d'imagination, et il comprend qu'une œuvre d'une telle qualité et d'une telle envergure requiert un Créateur dont la sagesse transcende toute mesure, dont la puissance est inifinie.

5. Toutes les observations concernant le développement de la vie conduisent à une conclusion analogue. L'évolution des êtres vivants, dont la science cherche à déterminer les étapes et à discerner le mécanisme, présente une finalité interne qui suscite l'admiration. Cette finalité qui oriente les êtres dans une direction, dont ils ne sont ni les patrons ni les responsables, oblige à supposer l'existence d'un Esprit qui en est l'inventeur, le créateur.

L'histoire de l'humanité et la vie de chaque personne humaine manifestent une finalité encore plus impressionnante. Certes, l'homme ne peut s'expliquer la signification de tout ce qui lui arrive, et donc il doit reconnaître qu'il n'est pas le patron de son propre destin. Non seulement il ne s'est pas fait lui-même mais il n'a même pas le pouvoir de dominer le cours des événements dans le déroulement et son existence.

Toutefois, il est convaincu qu'il a un destin, et il cherche à découvrir comment il l'a reçu, comment il est inscrit dans son être. A certains moments, il peut discerner plus facilement une finalité secrète, qui transparaît par un concours de circonstances ou d'événements. Il est ainsi porté à affirmer la souveraineté de Celui qui l'a créé et qui dirige sa vie présente.

6. Enfin, parmi les qualités de ce monde qui incitent à lever les yeux, il y a la beauté. Elle se manifeste dans les merveilles infinies de la nature; elle se traduit dans d'innombrables œuvres d'art, en littérature, musique, peinture, arts plastiques. Elle se fait apprécier également dans la conduite morale: il y a tant de bons sentiments, tant de gestes admirables. L'homme a conscience de recevoir toute cette beauté, même si, par son action, il a une part dans sa manifestation. Il ne la découvre et ne l'admire pleinement que lorsqu'il reconnaît sa source, la beauté transcendante de Dieu.

7. A toutes ces «indications» de l'existence de Dieu créateur, certains opposent la vertu du hasard ou des mécanismes propres à la matière. Parler de hasard à propos d'un univers qui présente une organisation si complexe dans ses éléments et une finalité si merveilleuse dans sa vie signifie renoncer à chercher une explication au monde tel qu'il nous apparaît. En réalité, ceci équivaut à vouloir admettre des effets sans cause. Il s'agit d'une abdication de l'intelligence humaine, qui renoncerait ainsi à penser, à chercher une solution à ses problèmes.

En conclusion, une myriade d'indices poussent l'homme qui s'efforce de comprendre l'univers où il vit à orienter son regard vers le Créateur. Les preuves de l'existence de Dieu sont multiples et convergentes. Elles contribuent à montrer que la foi ne mortifie pas l'intelligence humaine, mais la stimule à réfléchir et lui permet de mieux comprendre tous les «pourquoi» qui naissent de l'observation du réel.

JEAN-PAUL II

La Documentation catholique, 1er-15 septembre 1985, n° 1902.
Encyclopédie THÉO Droguet & Ardant/Fayard


Ontologie
  la grande joie métaphysique de la connaissance de Dieu

Extrait de l'ouvrage de Michel Tournier
"Le Vent Paraclet" (Gallimard)

 
"Mais une hirondelle ne fait pas le printemps, ni même deux hirondelles, et malgré ces maîtres exemplaires, ma vie scolaire fut au total chaotique. Elle fut notamment perturbée par un refus absolu, instinctif, définitif des mathématiques.

J'ai appris l'addition, la soustraction et la multiplication avec preuve par neuf. Parvenu au stade de la division, j'ai entendu distinctement un bruit de verrouillage se produire dans ma tête: mon intelligence venait de se fermer pour toujours aux vérités mathématiques.

Dès lors j'ai traîné comme une infirmité ce rejet d'un certain type de langage et de raisonnement, et il a fallu des miracles pour qu'il ne m'interdise pas le baccalauréat et l'accès à l'université. Il me semble que la psychologie scolaire devrait se pencher sur un phénomène de ce genre qui ressemble curieusement à une inhibition névrotique.

Mon cas est d'autant plus étrange que mon esprit soumis par la force des choses à un régime purement littéraire assez débilitant s'est soudain réveillé et enflammé au contact de la philosophie et a dévoré les chapitres de la métaphysique considérés comme particulièrement coriaces.

En face d'une difficulté métaphysique mon intelligence mesurait - mais pourquoi ce passé, cela demeure vrai - l'effort à fournir et se rassemblait pour vaincre. Ou bien - c'était très souvent le cas - le jugeait au-dessus de ses forces, en faisait alors le tour et tâchait de supputer la préparation qu'il faudrait qu'il se donne pour en venir à bout. Et cette préparation, il se la donnait heure par heure, jour par jour, tant était enracinée son obsession de vaincre, sa volonté de puissance cérébrale.

Alors les maths? Je vois plusieurs explications possibles à leur rejet. D'abord l'abstraction. Les mathématiques sont abstraites. Elles constituent même le comble de l'abstraction. L'enfant auquel on dit pour la première fois 3 + 6 = 9 demande aussitôt s'il s'agit de pommes ou de moutons.

On entrera alors dans son jeu et on figurera des moutons se rassemblant dans un parc ou des pommes tombant dans un panier. Mais qu'on n'aille pas lui dire qu'il ne s'agit ni de moutons ni de pommes, car alors gare au déclic!

Le propre de la métaphysique au contraire, c'est toujours de plonger au cœur même du concret, et c'est d'ailleurs ce qui fait sa difficulté propre.

Si je dis que Dieu existe parce que par définition son essence enveloppe son existence (argument ontologique de saint Anselme) je ne me rends peut-être pas immédiatement compréhensible et acceptable, du moins personne ne me demandera s'il s'agit de moutons ou de pommes. En fait j'accomplis l'acte métaphysique par excellence, lequel originellement indivis se scinde à mon contact en une opération de logique matérielle et une intuition mystique.

L'opération logique pose l'existence comme l'un des attributs quelconques de l'essence, thèse paradoxale, génératrice de polémiques et de recherches d'une extraordinaire fécondité. Mais en même temps j'acquiers une vision directe, immédiate de l'intimité de Dieu, car, comme l'écrit Jean Guitton :

« l'argument ontologique est une définition profonde de Dieu. Il se place au plus profond du plus haut, dans le mystère de l'existence de Dieu, c'est-à-dire de la réalité de l'être nécessaire, indépendamment de l'existence du monde.

Et cette pensée de Dieu en tant que Dieu, sans création, est absolument nécessaire pour penser Dieu vraiment. Dans ce cas on part de la perfection. On identifie la perfection et la nécessité. On est dans le cœur de l'ontologie.

On aime vraiment Dieu, puisqu'on le saisit tel qu'il est, en lui-même et indépendamment de toute créature, indépendamment donc de celui qui le prie. On se place vraiment au point de vue de la solitude divine.

Alors on cherche si ce Dieu parfait et nécessaire se définit par l'amour, quel est l'acte le plus digne de cet amour absolu, et c'est alors qu'on peut déduire la création comme contingente. »

Cette pensée peut paraître difficile, elle ne l'est certes pas par excès d'abstraction, mais tout au contraire par une excessive plénitude concrète.

La grande joie métaphysique, c'est le sentiment fort et chaleureux que l'élan cérébral vous mène d'un coup à la racine des choses les plus matériellement palpables, odorantes et rugueuses.

Qui n'a jamais senti cela ne sait pas ce qu'est la métaphysique. Au lieu que ax2 + bx + c = 0 n'est qu'un amoncellement d'osselets qui doit tout à une convention tacite (°). "

(°) Frédéric Lange, l'auteur d'un livre profond et réjouissant : Manger ou les jeux et les creux du Plat, Seuil, a attiré mon attention sur l'aspect humoristique de cette formule. En effet était-ce bien la peine d'agencer si curieusement toutes ces lettres pour aboutir à un pareil résultat? Ce zéro, me dit-il, ouvre à la fin de la formule l'orifice arrondi et dérisoire d'un vide-ordures.

Saint Anselme
(1033-1109)
Preuve ontologique de l'existence de Dieu

Nous avons l'idée d'un être parfait.
Or, la perfection absolue implique l'existence.
Donc l'être parfait existe!

L'argument ontologique, du grec ontos, "l'étant", est le terme par lequel les philosophes désignent l'argument de saint Anselme concernant l'existence de Dieu.

Pour saint Anselme, lorsqu'on parle de Dieu on parle de ce qui est le plus grand pour l'esprit humain (id quod nihil majus cogitari possit). Or, lorsqu'on suppose que Dieu n'existe pas, ont est placé devant une contradiction: puisque l'on peut toujours penser une réalité plus grande que quelque chose qui n'existe pas, ont peut toujours penser un Dieu existant plus grand qu'un Dieu qui n'existe pas.

Un grand nombre de penseurs, comme saint Thomas d'Aquin ou Kant, ont rejeté cet argument en montrant qu'il est presque de l'ordre du jeu de mots.
D'autres penseurs (Descartes, Hegel), ont, au contraire, soutenu la valeur de ce raisonnement.

Pour saint Anselme, il ne s'agit pas de construire un argument de philosophe. Il s'agit d'essayer de comprendre l'élan vers une présence Ð que certains appellent Dieu Ð et que Ð pense-t-il Ð l'homme ne peut éliminer: pour lui, l'argument sert à comprendre Dieu comme celui qui est plus grand que tout ce que l'esprit peut penser de lui.

L'insuffisance de la connaissance de Dieu par l'homme ne doit qu'aviver en lui le désir de voir Dieu. (Source : Théo)

Charles du Bos
(1882-1939)
Journal

Samedi 26 novembre 1938 - 2 h 45 après-midi

La chose qui, entre toutes, rend si pesant le fardeau de la vie, et insoluble le problème qu'elle pose, c'est que l'on se sent toujours inégal à ce que l'on porte en soi de meilleur.

Ah ! comment tous les êtres ne comprennent-ils pas qu'il n'y a pas de preuve plus valable, plus certaine de l'existence de Dieu que la présence en nous de ce meilleur que rien, jamais, ne parvient à détruire, qui subsiste au sein de toutes les faiblesses, de toutes les lâchetés, de toutes les dégradations; et n'est-il pas vrai que, quand nous sommes à notre pire, nous souhaitons que Dieu même n'existe pas, précisément, afin que ce meilleur s'évanouisse et nous laisse enfin en paix.
 

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