Marino Zermac
Une vie sans importance

Pierre Traissac

X - Le stakhanoviste de l'Underwood

825 - Pierre Traissac et Jeannot Julliard

Jeannot Julliard était originaire d'Aigueperse où son père, marchand de vins avait sa cave et son échoppe dans l'une des plus belles maisons anciennes de la ville. Le Jeannot, jovial et ambitieux, toujours plein d'idées rêvant de fortune, tenait absolument, à créer une affaire bien à lui.

Son certificat d'études en poche, ce vibrion pas intellectuel pour un sou mais bricoleur de talent, - il avait de l'or dans ses mains - voulut se mettre à son compte. Mécanique, plomberie, maçonnerie, construction, il savait tout faire. Il avait épousé une gentille femme simple, jeune et jolie, courageuse, qui l'idolâtrait, qui l'aidait de son mieux, mais n'avait aucune autorité sur son fougueux compagnon.

Ce fut Jacques Yonnet qui me présenta au Jeannot.

Extraverti, volubile, il n'était jamais à court d'histoires et racontait volontiers sa vie. Pour fuir la boutique de son père, il avait d'abord monté une affaire de transport routier, acheté un, puis un second camion, à crédit, perdu son premier camion dans un accident sur route verglacée. Comme il n'était pas assuré, le Jeannot se retrouva sur le pavé, sans trop de moyens… mais jamais à court d'idées.

Il monta à Paris. C'était l'époque où l'on y bétonnait à outrance, où l'on croyait à l'avenir, au progrès, où l'on construisait des périphériques, des autoroutes, des cités HLM avec ascenseurs et baignoires. Les ascenseurs servant de terrain de jeu pour bricoleurs et les baignoires pour élever des poules !

Le Jeannot avait repéré un terrain en déshérence près de la Seine, situé sous la rocade entre le périphérique est en construction et l'autoroute de Champagne-Alsace en projet.

Il acheta le terrain pour une bouchée de pain, à crédit, y installa un atelier de réparation automobile mais se vit refuser l'implantation de pompes à essence. De surcroit, ce terrain idéalement situé en théorie ne se vit raccordé à aucune route d'accès au périphérique ou à l'autoroute !

Le Jeannot ne se démonta pas, il utilisa sa cahute, son ébauche de garage, comme support de publicité… vantant par de gigantesques panneaux aux couleurs vives les quatre essences les plus connues… Esso, Shell, Total, Elf. Espérant que ces compagnies payeraient, il vantait leurs mérites sans contrat, donc sans aucune contrepartie financière !

Cela dura plusieurs mois, jusqu'à ce qu'une commission des sites l'obligeât à ôter ses panneaux un peu trop voyants. Des clochards vinrent occuper le terrain et l'atelier en déshérence, et le Jeannot, lui, fonçait déjà sur une nouvelle idée, vers un nouvel eldorado.

Il racheta à crédit un pas de porte de la rue de Pontoise dans le 5e arrondissement de Paris, ruelle peu fréquentée, pour y installer le matériel récupéré dans son atelier abandonné.

Jeannot comme je l'ai dit avait tous les dons manuels : il se mit à bricoler les vieilles voitures, à rafistoler les antiques mécaniques pour le bonheur des collectionneurs de guimbardes. Ne sachant pas faire payer ses travaux à leur juste valeur, achetant tout à kroum, il finit par avoir une importante cohorte de créanciers aux fesses venaint le relancer.

Mais notre Jeannot avait un sourire désarmant et un argumentaire digne d'un excellent camelot.

Un jour, en face de son atelier, un panneau proposait la reprise du droit au bail d'un joli bistrot ancien, aussi délabré intérieurement qu'en façade. Le fonds était à céder à très bas prix, les différents restaurateurs qui l'avaient exploité ayant toujours fait faillite. Aucun n'était parvenu à attirer une clientèle autre que de clochards, dans cette petite rue perdue entre le Quai de la Tournelle et le Boulevard St Germain, un quartier superbe mais misérable, qui n'allait devenir à la mode que des années plus tard.

La vieille maison appartenait à un ami de Jacques Yonnet, Maître Leroy, un avocat bien installé dans la vie, qui s'occupait de ses petits litiges en conseiller bénévole lorsque Jacques ou ses amis avaient besoin d'assistance juridique.

Et voilà notre Jeannot embringué dans une nouvelle aventure, rêvant de transformer son troquet aux belles caves voûtées en caveau de chanteurs à la mode rive-gauche, comme il commençait à s'en ouvrir dans le périmètre.

Maître Leroy avait acquis cette vieille maison pour son caractère pittoresque, afin d'éviter sa destruction, mais les modestes loyers qu'il en retirait ne lui permettaient pas d'assumer les travaux nécessaires à sa restauration.

C'est là qu'apparut, notre Jeannot, enthousiaste et plein d'idées, prêt à transformer cette ruine en palais.

Ce fut Pierre Chaumeil qui un jour me fit connaître Pierre Traissac, un «compatriote». Pierre était originaire d'Aigueperse, - comme Jeannot Julliard. Un joli bourg du Puy-de-Dôme, où la famille avait établi ses pénates près de la sous-préfecture. Son père avait été préfet, mais fidèle au maréchal Pétain, il avait fait partie d'une charrette de l'épuration, sauvant sa tête mais pas sa carrière.

Pierre Traissac, garçon charmant et charmeur, plaisait aux demoiselles et le bougre en profitait largement. Sa pipe et son humour étaient légendaires.

Organisateur né, son dynamisme et sa compétence l'avaient amené à prospérer dans l'ombre de Guy Taittinger et de la Société du Louvre.

Cette fonction valut à ce célibataire le privilège d'habiter durant plusieurs années l'hôtel du Palais d'Orsay, dans un logement de fonction avec vue sur la Seine et ouvrant plein Ouest sur l'hôtel de Salm, siège de la Légion d'Honneur.

A l'aide de sa longue vue, il pouvait observer les mouettes volant au-dessus du fleuve, le va et vient des bateaux-mouches, mais surtout les décolletés printaniers et les gambettes des jolies promeneuses des quais sans oublier les charmantes et gracieuses pensionnaires en visite à la maison-mère de leur institution.

Vers 1975, secrétaire général de l'APS (Association Professionnelle de Solidarité du Tourisme), il sera le bras droit de son président Olivier Delaire, devenant le truculent et vigilant ange gardien de cette association de défense et de protection des touristes, parfois abandonnés à l'autre bout du monde par des "voyagistes" en faillite.

Je devins un familier de Pierre, croisant à l'occasion ses «ressources humaines» ou «demoiselles de bouche» comme il aimait les appeler.

L'hôtel du Palais d'Orsay, à l'instar des autres palaces parisiens, n'avait pas encore franchi l'étape de l'hôtellerie de luxe internationale initiée par les Badrutt, les Ritz ou les chaînes internationales style Hilton. On y trouvait encore de superbes chambres dépourvues de salle de bain et de WC intérieurs.

C'était le cas de celle de Pierre Traissac. Les toilettes, les douches et le bain étaient proches mais sur le palier. Dans la chambre, la toilette, consistait en un somptueux lavabo serti dans un meuble approprié, abritant pot de chambre et bidet mobile dissimulé, derrière un paravent.

Aussi, lui arrivait-il, lorsqu'une mignonne éprouvait un petit besoin, de l'inviter à s'asseoir sur le lavabo, lui offrant la vue de son minou.

Et si l'envie était une «grosse commission» il ne restait ma foi à la belle que la délicate solution d'écraser son étron entre ses jolis doigts pour lui permettre de se diluer discrètement dans le tuyau d'évacuation.

Pierre jouissait joyeusement de la confusion de la belle lorsqu'en présence d'un ami en visite, il dégageait un pan du paravent pour offrir la belle en spectacle.

Pierre ardent collectionneur de formules assassines et de bons mots acides les distillera plus tard sur le Nénét sous le pseudo de Georges Duclair. Formules assasines

830 - Elvire Corinne


Elvire

Je connaissais la famille Candela depuis toujours. Wania et Claude étaient les voisins et amis des Marcellot.

Claude était altiste à l'orchestre philarmonique, son frère avait fondé le Conservatoire Candela. La légende familiale affirmait que le grand-père était venu d'Italie à pied, après la guerre de 14-18, avec un violon pour seule fortune.

Chez les Candela je me sentais bien. Généreux, ouverts, accueillants, j'ai passé dans leur atelier mes plus beaux réveillons.

Leurs trois enfants, Olga, Elvire et Richard, éduqués à l'ancienne, à la dure, étaient des adolescents bien élevés, cultivés, qui - mais je ne l'appris que bien plus tard - avaient beaucoup souffert des rudesses éducatives d'une mère impitoyable. Pourtant, nous, leurs amis, nous ne nous rendions compte de rien.

Très belle, Wania Candela avait du chien, elle régnait sur son petit monde par sa présence de grande dame, exigeant que les enfants vouvoient leurs parents.

Elle avait le sourire piquant de Jeanne Moreau dans Jules et Jim, un regard troublant, une bouche sensuelle, une allure à la fois simple, hautaine et provoquante.

Le père, artiste talentueux et discret, homme sage, fumeur de pipe, n'était guère disert. Dès qu'il avait un instant de loisir, il allait peindre dans son atelier. C'était son unique plaisir.

Avec mon ami Paul nous allions souvent dîner avenue de la République, armés lui de fleurs (il savait mieux que moi parler aux dames) moi de vins ou d'alcool. Comme moi, Paul gardait un œil sur Corinne, notre cadette d'au moins quinze ans, mais dont la jeune splendeur en bouton promettait une éclosion somptueuse.

Jean Avrin aussi, lui faisait les yeux doux, et de nous trois, ce fut lui qui l'emporta… secrètement, le premier.

Pourtant, ce fut dans ma vie qu'Elvire Corinne entra par effraction, lorsque le 27 décembre 1967, venue dans mon pigeonnier du 35 de la rue Jacob me porter elle-même la jolie carte d'invitation au réveillon peinte par son père, il advint ce qui devait advenir.

Petite merveille, Elvire était perle rare. Gracieuse, souriante, le visage mutin sous son casque de cheveux noués en bandeau. Je la connaissais depuis toujours. Je l'avais vue grandir, éclore.

Que se passa-t-il ce jour-là, rue Jacob ? Elle ne retourna pas chez ses parents, elle s'attarda dans mon cinquième sous les toits, et nous sommes restés trois jours et trois nuit au lit à nous aimer. Ce fut notre réveillon !

Nous vécûmes un amour de rêve, quelques mois de folie. Corinne n'osa pas retourner chez ses parents. Wania et Claude se montrèrent fâchés… pour un temps.

Après quelques mois d'ivresse, il me fallut me résigner au mariage, indécente extrémité à laquelle j'espérais bien échapper toujours.

Ni épouse ni moujingue ! Tout sauf l'esclavage conjugal ! Je fus bien attrappé. Mais je me soumis à la nécessité des convenances.

Nous passons donc devant M. Le Maire.

Nous nous sommes donc mariés… par incitation motivé… à la mairie du 6ème, hors de la présence de nos familles. Antoine Beneroso et Milo Wicki furent nos témoins, et tout rentra dans l'ordre impitoyable des convenances.


Just married

Une fois mariés, la fâcherie familiale ne dura pas trop, et nous nous revîmes les uns les autres… Mai 68 passa là-dessus… et ce furent quelques années de bonheur.

Corinne resta rue Jacob. Le studio était minuscule mais au début des amours on aime bien vivre très proches l'un de l'autre.

850 - Mai 1968
35, rue Jacob. Fin avril, les Presses Noires viennent de me régler 3.000 F de droits d'auteur pour un roman d'espionnage. Cela correspondait à peu près à 4 fois le smic. De quoi voir venir.

Car, dès le début du mois de mai le mouvement contestataire des étudiants parti de Nanterre gagnait les autres Universités et une anarchie molle s'installa peu à peu dans la capitale puis dans les villes de province.

Pourtant, la France est riche, heureuse, libre et rien ne semblait prévoir un tel déferlement de contestation.

La France bourgeoise, gavée, s'ennuie à mourir. Plus de guerres coloniales, plus d'expéditions punitives. L'URSS ne fait plus peur. L'Allemagne est presque une amie. La misère est partout soulagée par cent associations charitables. Il lui faut une récréation au pays, un hapening.

Et là, en quelques jours, le pays devint fou, la situation incontrôlable, le défoulement collectif. Mais c'est une révolte de petits gavés, de fils à papa anarchistes, de situationistes, de bébés intellectuels. Les ouvriers, les syndicats, les communistes traînaient la patte, attendant pour entrer dans la danse un ordre du Parti.

Au fil des jours, la ville entra dans une sorte de léthargie, d'inactivité forcée, les gentils jeunes gens qui se baptisèrent eux-mêmes «enragés» paralysant la ville, empêchant toute activité dans les grosses entreprises.

Pourtant, nous ne manquions de rien, notre boulanger fournissait chaque matin son pain frais et ses délicieux croissants. On entrait chez l'épicier par la courelle. Le boucher-charcutier offrait ses steaks tendres et ses cochonnailles appétissantes, apparemment sans restriction.

Rue Jacob, du haut de notre balcon, nous nous trouvions comme au théâtre, aux premières loges. La portion de notre rue, entre la faculté de médecine et la rue Saint Benoît, se vit rapidement obstruée par deux barricades. Les voitures ne passaient plus et celles qui les premiers jours tentaient de contourner l'obstacle se voyaient caiallassée, renversées, brûlées.

Par prudence j'allais garer après usage ma Volkswagen dans le périmètre protégé des ministères et des ambassades dans le 7ème arrondissement où les garde mobiles ne laissaient pas entrer les casseurs.

Ce fut une époque curieuse. Chez nous, chaque soir, c'était la fête, les amis rappliquaient de partout pour vivre intensément cette «révolution».

Certains y croyaient, attendaient le grand soir avec de délicieux frissons de crainte. Les femmes surtout… à qui cette période de liberté totale, d'abandon des convenances, offrait un terrain de jeu où évacuer leur libido.

Je me souviens de Line, la protégée de Philippe Marette qui venait en voisine et partait dans la nuit laissant sa montre, ses papiers et ses bijoux dans notre placard avant d'aller s'éclater sur les barricades, revenant le lendemain ivre de fatigue, d'alcool et de stupre, ayant baisé toute la nuit sur les barricades.

Près de chez nous, rue Vaneau, le vaste appartement de XXX un éditeur ami, recueillait chaque soir des dizaines de jeunes bourgeois manifestants qui lui laissaient leurs chéquiers, papiers d'identité et cartes de crédit avant de partir à la castagne !

Tous les jours j'allais traîner dans les rues, restant au contact des événements sans y prendre une part active. Car à aucun moment je n'ai cru à ce grand soir souhaité par la jeunesse.

J'avais connu le communisme de trop près, vingt ans plus tôt, je savais que l'avènement du bolchévisme serait une catastrophe pour tout le monde.

Mais, autour de moi, des amis pourtant cultivés, intelligents, appelaient la révolution de tous leurs vœux, en devenaient ridicules et méchants.

Je me souviens de Richard, de Lucien, de Robert, camarades de mon âge, pris au piège du marxisme comme je l'avais été vers 1950.

Un jour, à la terrasse bondée des deux-Magots, à deux pas de chez moi, X (je ne me souviens plus de son blaze) éructa :

- Et toi, le Suisse, tu as intérêt à te tirer en vitesse, car si tu t'attardes ici, on te fera la peau comme à tous les bourges !

A la terrasse de ce café célèbre personne ne broncha devant cette diatribe.

Un autre jour, voulant entrer à la Sorbonne qui venait d'être «libérée» par ces gentils jeunes gens, leur service d'ordre brandissant matraques et pavés, exigea de voir mes papiers !

Je rappelle ici que je vivais en France depuis 1954, totalement libre, sans visa, permis de séjour ou faffes officiels. Je possédais un passeport et un permis de conduire suisses périmés, sans que jamais aucune autorité française ne m'ait cherché des pouilles !

Et voilà que des petits merdeux et petites merdeuses venaient jouer à la gestapette !

Je forçai le passage, entrai dans cette Sorbonne temple de la culture et de la liberté pleine d'une foule d'excités, de prédateurs, de pollueurs qui saccageaient tout pendant que des illuminés péroraient, vociféraient, s'insultaient le plus sérieusement du monde sous le regard impassible d'un portrait-charge de Richelieu.

***
Un mois plus tard, après avoir senti passer tout près de sa tête le vent du boulet, de Gaulle va se rassurer auprès de Massu et rentre siffler la fin de la récréation.

Une énorme manifestation réunissant plus d'un million de personnes viendra clore cette révolution d'opérette. Pour une fois, les bourgeois osaient eux aussi descendre dans la rue, en masse, aux côtés du populo, s'émerveillant eux-mêmes de leur audace.

Mais la joyeuse insurrection laissera des traces profondes dans les esprits. Rien ne sera plus tout à fait comme avant. Mai 68 aura sonné la fin des libertés publiques fondamentales. Liberté de pensée. Liberté d'entreprendre. Mai 68 marquera la prise du pouvoir par les fonctionnaires, la création d'une gestapo fiscale, de la multiplication de la paperasse, de l'État tout puissant.

Oui, Mai 68 qui se voulait libertaire, sonna le glas de la liberté.

Installé au n° 35 de la rue Jacob, dans le 6e, j'ai vécu les événements au jour le jour, au cœur de la ville insurgée, dans l'œil du cyclone, entre deux barricades.

J'écrivais au fil des jours ce que je voyais, ce que j'entendais, ce que je ressentais. Cela donnera : l'« Histoire secrète de l'insurrection de Mai 68 »

Mai 68, tel que je l'ai vécu, fut une expérience extraordinaire, d'abord parce que j'habitais un quartier situé au cœur des événements. Depuis mon balcon de 5e étage, observatoire privilégié, je pouvais assister aux mouvements de foule, aux échauffourées, aux provocations, aux castagnes qui se déroulaient à quelques mètres de chez moi.

860 - De Gaulle sonne la fin de la récré.

Un tract anonyme de la JCR (jeunesse communiste révolutionnaire) répandu dans Paris à la fin du joli mois de mai, annonce la couleur :

La révolution de mai vient de prouver si besoin était que la classe ouvrière ne peut plus être dans notre pays l'élément moteur de la révolution.

Trop occupée à satisfaire des besoins strictements matériels, la classe ouvrière s'est faite la complice inconsciente de la société de consommation. La classe ouvrière manque fondamentalement d'idéal. Or c'est l'idéal qui oblige à l'action.

La révolution ne pourra donc s'appuyer dans notre pays que sur une nouvelle classe: la classe d'âge.

C'est la jeunesse, et particulièrement la jeunesse scolarisée qui est l'élément conscient de cette classe qui fera la révolution dans les années à venir. La jeunesse en est venue à contester les parents, la famille, les maîtres, les cadres, l'enseignement et la morale qui l'oppressent. Le jeune révolutionnaire doit donc lutter sur le front idéologique dans deux directions précises: convaincre la jeunesse de la force qu'elle représente, convaincre la jeunesse de se libérer totalement et définitivement de la tutelle des maîtres, des parents, de la famille, des cadres, de la morale et de l'enseignement traditionnels

Pour cela le jeune révolutionnaire doit apprendre la désobéissance. Désobéissance aux parents réactionnaires. Désobéissance aux maîtres et professeurs réactionnaires. Refus de l'enseignement et de la morale traditionnels.

Seuls les jeunes enseignants de gauche et d'extrêmegauche issus et éduqués par la jeunesse révolutionnaire ainsi que certains éléments jeunes et dynamiques de la classe ouvrière, peuvent être récupérables pour le mouvement… (Tract JCR)

865 - Le Père Poilâne boulanger de légende

Poilane
Pierre Poilâne, d'origine normande, épousa une Helvète, issue de la boulange, dont la famille ravitaillait en gros et larges pains les bergers d'estive qui passaient l'été avec leurs troupeaux dans les alpages.

Ce pain complet, dont la farine était moulue à l'ancienne, entre deux meules de pierre, cuit au levain dans un vieux four chauffé au bois, restait comestible durant plus de deux mois, sans moisir, même si, à la fin de l'été, les bergers devaient couper les dernières miches à la hache.

Poilâne et sa femme ouvrirent leur première boutique au N° 8 de la rue du Cherche-Midi, entre Saint-Germain des Prés et Montparnasse. Si Madame Poilâne restait à la caisse pour servir les clients et compter les sous, son mari ne dédaignait pas, sa première fournée terminée, de livrer lui-même ses pains à quelques bistrots voisins choisis pour la qualité de leurs petits vins de terroir.

Four-a-bois Poilane
Four à bois "Poilâne" (reconstitué pour la légende !)

Parmi ses premiers clients, le patron du Sauvignon, 80, rue des Saints Pères, le père Frayssse, rue de Seine, Bouscarel, La Tartine rue de Rivoli, Cointepas, place du Pont Neuf, Vergne rue des Saints-Pères, Mauchien, 26, rue de Buci, Le père Gouin rue du Marché Saint-Honoré, Prin, Ma Bourgogne, Bd Haussmann, Jean-Baptiste Chaudet, 20, rue Geoffroy St Hilaire, derrière la Mosquée, Bernard Péret, rue Daguerre, et quelques autres tel Henri Gault, fameux dénicheur de tables gourmandes, proposait dans sa rubrique de Paris-Presse.

Académie Rabelais
La boutique située au cœur de ce Paris que l'après-guerre avait mis à la mode, était fréquentée non seulement par les bourgeois du quartier mais par des étudiants et des artistes désargentés dont la bourse manquait de fifrelins.

Ces jeunes affamés devinrent ses meilleurs propagandistes car, en échange de son pain – la maison ne faisant absolument pas de crédit – acceptait d'un peintre le tableau d'une miche, d'un chanteur une chanson à la gloire du pain, d'un étudiant un subtil mais discret graffiti sur les murs vantant le Pain Poilâne.

Les murs et l'arrière salle de la boutique devinrent un véritable musée comportant des dizaines de toiles et de dessins illustrant le pain, que Apollonia Poilâne, la petite fille du patriarche conserve encore.

Poilane
Pierre Poilâne avec ses deux petites filles Sophie et Mylène
Avec ses premières économies, Pierre Poilâne, sur les conseils* de Jacques Yonnet acheta, un terrain, au chemin Creuse Voie à Bièvres où, le succès venu, il installa un four à bois espagnol moderne, une machine pour pétrir la pâte automatiquement, et, si son pain était toujours fait à l'ancienne, cette inflation de miches que l'on trouvait jusque dans les Monoprix, et les boutiques chicos à travers le monde, finit par en détourner les vrais gourmets.
* Voir les chroniques du et "Paris ma Légende"

Lorsque son fils Lionel reprit l'affaire, profitant de la faiblesse de son père qu'il mit carrément sur la touche, ce fut le délire. Ayant pris la grosse tête, Lionel se moquait du pain, il voulait du fric, beaucoup de fric, et le plus vite possible

Mégalomane, il transforma la modeste entreprise de ses parents en usine à pains, remplaçant la qualité de ses produits par une publicité tonitruante. Paradant à la télévision, il se crut le maître du monde. Il s'acheta des voitures de luxe, une île bretonne, l'île des Rimains face à Cancale, avec son fort Vauban, un hélicoptère qu'il pilotait lui-même, pour s'y rendre.

Il alla jusqu'à vouloir interdire à Max, son frère aîné, boulanger lui aussi, d'utiliser son nom ! Il lui intenta des procès qui ont duré trente ans et déchiré toute la famille.

Cette démesure perdit Lionel. Quos vult perdere Jupiter dementat.

En 2002, son hélicoptère tous feux allumés, s'abîma en mer, tuant l'« empereur » de la boulange et son épouse.

Aujourd'hui, Apollonia Poilâne, fille de Lionel, lui a succédé à la tête de l'empire d'un pain ayant perdu toute sa saveur !

Apollonia
Apollonia Poilâne devant la collection de miches de son grand-père.

Un souvenir personnel.
Dans les années 70, Pierre Poilâne me demande un jour si je ne voudrais pas l'accompagner livrer de son pain à Crissier, près de Lausanne, à son ami Fredy Girardet, qui tenait le "piano" des cuisines du restaurant installé dans l'ancien Hôtel de Ville.

En ce temps-là entre Paris et Lausanne le voyageur n'empruntait pas encore le TGV. Les trains, pas tous électrifiés, mettaient souvent plus de dix heures à relier Paris au Léman, s'arrêtant après Dijon, dans toutes les gares, permettant aux passagers, pour la plupart gens du crû, de transporter leurs productions locales aux marchés des villes voisines : vins, beurre, fromages, jambons, saucissons, volailles, voire porcelets vivants.

Et chacun parlant dans son patois, échangeait à l'heure du casse-croûte le contenu de son panier à provisions avec les autres voyageurs.

Polâne en profitait pour vanter son pain dont le goût n'impressionnait pas outre mesure ces gens simples, habitués à manger du pain bis confectioné à partir de leurs farines paysannes et cuit au feu de bois de leurs cheminée.

Crissier
Restaurant de l'Hôtel de Ville restauré
Au rez-de-chaussée, une salle rustique, accueillait les gens du pays, les commis voyageurs, quelques touristes, qui appréciaient sans plus une cuisine toute simple apprêtée avec talent, sans imaginer qu'ils étaient les clients privilégiés d'un chef qui serait bientôt considéré comme un très grand cuisinier !

Une autre salle, décorée avec goût, ornée de tableaux et de gravures, accueillait des gourmets, attirés ici par le bouche à oreille.

Là, Fredy Girardet déployait toutes les facettes de son génie, renouvelant avec une étincelante virtuosité son imagination gourmande, pour l'éblouissement de nos papilles.

Me voilà attablé à grignoter mille délicieux amuse-gueule, face à un Poilâne très à l'aise dans sa blouse grise de mitron, son éternel béret posé sur les genoux, et le jeune chef de cuisine svelte au sourire rayonnant dans sa blouse de travail blanche, tous deux parlant avec une passion jubilante de leur métier.

Girardet
Fredy Girardet

Moi j'écoutais, entendais, sans saisir toutes les nuances de cet échange de propos savants, grignotant quelques délectables échantillons de ce que les publicistes spécialisés dans la bouffe, proclameront un jour la "meilleure cuisine du monde".

Cette rencontre en entraîna une autre, celle d'Henri Gault ami de Lagrange, directeur des bibliothèques de gares au groupe Hachette. Ce fin gourmet, éminent gastronome apprit à manger aux éditeurs français de la jeune génération restés mal dégrossis et un peu ploucs bien qu'enrichis par le roman populaire.

Jacques Yonnet

870 - Albert Pecunia


Albert Pecunia)

Il faut que je vous parle de la belle histoire du Dr Albert Pécunia, ancien quartier-maître de la marine marchande, qui, ayant mis sac à terre, s'installa rebouteur 251, rue St-Martin à Paris. Il avait acquis son savoir-faire auprès des charpentiers de marine qui, dans les armements d'autrefois, faisaient également fonction de chirurgiens et de guérisseurs.

Pécunia, était rapidement devenu le meilleur chiropracteur de France et sa renommée dépassait largement nos frontières. Il reboutait avec une adresse prodigieuse les fractures les plus délicates, les luxations et les subluxations dont les meilleurs spécialistes n'arrivaient pas à bout. Ainsi, c'est d'un coup de poing précis qu'il remettait en place les mâchoires démises après un match de foot ou de rugby.

L'Ordre des médecins le traîna maintes fois devant les tribunaux. Vexé de cette situation humiliante, il entreprit, à l'âge de cinquante-deux ans, les sept années d'études de médecine nécessaires pour passer son doctorat. Sans cesser d'exercer.

A la Faculté, il soigna maintes fois avec succès les vertèbres de ses condisciples, de ses professeurs.

Le Dr Pécunia exerça son sacerdoce jusqu'à l'âge de quatre-vingts-cinq ans.

Il inventa la "bascule à charlot", un appareil de bois qu'il fit réaliser par un charpentier. Cet instrument imposant se présentait sous la forme d'un chevalet à cylindre muni de brodequins articulés fixés à un arbre mobile.

Le patient plaçait ses pieds dans les brodequins qui les immobilisaient puis allongeait son buste, le ventre placé sur le cylindre. Le praticien actionnait un levier qui amenait les jambes du patient à l'horizontale et son buste, tête en bas, les bras ballants dans le vide. Il saisissait alors les mains de son patient et le ramenait doucement, patiemment à l'horizontale, le tirant vers lui.

Pour les cas plus délicats, il plaçait la tête de son patient dans une mentonnière et le suspendait au plafond par une corde coulissant dans une poulie.

Les soins prodigués par le Dr Pécunia ne faisaient jamais mal, sauf au portefeuille, car ses honoraires étaient élevés.

Il ne faisait jamais revenir un patient. Une seule séance suffisait.

Nous devînmes amis. Ce petit homme tout rond, le crâne lisse, au physique de catcheur était la bonté même.

Il aimait son métier, affinait perpétuellement son savoir-faire et se désespérait de ne pas trouver d'élève à la hauteur pour lui succéder.

Parfois, il m'appelait pour que je vienne le voir travailler sur un cas particulièrement difficile.

C'est ainsi que j'eus le privilège d'assister à la remise en place musclée d'une mâchoire démise.

Cette mâchoire appartenait à l'un des plus célèbres rugbymen de l'époque.

J'étais assis, aux premières loges, derrière un miroir sans tain, dans le fauteuil même où il plaçait les grands pontes de la médecine officielle invités à venir observer sa manière de travailler.

Amené sur une civière, le sportif fut installé délicatement par deux infirmiers sur un siège où ils le maintinrent, buste relevé et tête droite.

Je souffrais de voir ce visage tuméfié, grimaçant, la mâchoire tordue dans un angle bizarre.

Pécunia dit

- On y va

Il plaqua sa paume sur le crâne du blessé, l'enserra dans l'étau de ses cinq doigts et, d'un coup de poing vigoureux et précis de sa main gauche, remit en place la mâchoire démise.

A la fin de la consultation, je lui demandai combien de fois il avait opéré de la sorte.

- Vingt-trois fois. Au premier échec, j'arrêterai et me retirerai à la campagne.

Dans les années 70, le Dr Pécunia transféra son cabinet dans les beaux quartiers, rue de Miromesnil.

Il remit en place 33 mâchoires démises avant de se retirer à la campagne, près de Melun, dans sa propriété surplombant la Seine. Il nous quitta peu de temps après.

Un jour que j'avais à nouveau besoin d'un rebouteur pour me replacer une vertèbre cervicale démise, mon ami de la rue Daguerre, m'indiqua le Dr Pxxx, le chiropracteur des tonneliers et des vignerons, celui qui entretient le squelette de tous les éclopés de la filière viticole...

Lorsque je parlai de feu son confrère Pécunia au Dr Pxxx, il me dit:

- Eh bien, je vais vous confier un secret. Ma mère, avant son mariage avec mon père, rebouteux renommé, donc bien avant que je vienne au monde, était amoureuse du Dr Pécunia. Coïncidence ?

875 –  Une soirée chez les Vinard


Chez les Vinard

En 1981, lorsque Carole fut entrée dans ma vie, il lui fallut de la constance et bien du courage pour se faire une place afin d' «exister », tout simplement, dans ce monde un peu fou où je vivais. Exemple : cette soirée chez les Vinard à Courbevoie, au cours de laquelle Traissac exhiba fièrement sa dernière conquête, où Jany conversait avec tout un chacun, mais où Carole "disparut" sur la photo, au propre et au figuré, derrière un autre visage, personne ne lui adressant la parole, ne s'occupant d'elle, même pas moi…!

 
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