Petite histoire et légendes
du Gâtinais

Mystères, Énigmes, Curiosités
contées par l'Abbé Louis-Alexandre Pougeois


MORET-SUR-LOING
Batailles de Lato-Fao et de Dormelles
Entre les années 596 et 605
La situation géographique de Moret exposa cette ville, dès les premiers temps de la monarchie, à des faits d'armes qui méritent de nous arrêter un instant.

Nous ne voulons pas donner l'importance d'un fait historique à la prétendue lutte du chef gaulois Moritus ou Moristagus, au temps de Jules César, contre le vainqueur de la Gaule, pour arrêter sa marche envahissante.

Il serait glorieux sans doute pour la petite ville de Moret, d'avoir été baptisée, dès l'origine, dans le sang de ses héroïques enfants; mais par malheur aucun document de quelque valeur n'atteste la vérité de ce récit fantastique.

Il n'en est pas de même du grand fait d'armes, connu sous le nom de Bataille de Dormelles, qui s'est passé, en partie, sous les murs de Moret.

Les deux ennemis en présence dans cette circonstance étaient les trop fameuses reines Brunehault et Frédégonde, ces deux tragiques figures, qui remplissent du bruit de leurs fureurs et du spectacle de leurs vengeances toute la fin du sixième siècle.

Brunehault, d'une famille royale des Visigoths d'Espagne, avait épousé Sigebert, roi d'Austrasie; et Frédégonde était mariée à Chilpéric, roi de Soissons et frère du royal époux de Brunehault.

Devenues veuves l'une et l'autre, elles se mirent à la tête de deux partis rivaux qui puisaient chaque jour dans leurs propres fureurs un nouvel aliment, et qui ne prirent fin que dans le sang de la dernière survivante de ces deux furies.

Frédégonde et Brunehaut
Les environs de Moret furent le théâtre d'une partie de leurs sanglantes discordes. Frédégonde, tutrice de son fils Clotaire II, habita, nous l'avons déjà dit, le château de Ravanne, aussi bien que celui de Dormelles. C'est dans ces parages que vint la chercher Brunehault, chargée de la tutelle de ses deux fils, Théodebert II et Thierry II. La rencontre eut lieu à Lato-Fao (selon d'autres Leuco-Fao), près Moret (Ci-dessus, p.9).

Selon dom Morin, comme on l'a vu, Lato-Fao ou Doromel était une place proche de Moret. De là vient, sans doute, que les anciens donnaient à Moret même le nom de Doromel, devenu depuis celui du village de Dormelles, aux environs duquel paraît s'être terminée la bataille en question.

Frédégonde
Quoi qu'il en soit, le choc fut terrible, et Frédégonde demeura victorieuse (596). Trente mille morts restés sur le champ de bataille donnent une idée assez imposante des forces réunies dans cette rencontre. La tradition ajoute que la rivière, obstruée par les monceaux de cadavres jetés dans ses eaux, fut détournée de son cours. Ce qui ne paraîtra pas absolument incroyable si l'on considère que le Loing est très rapide, peu profond, et qu'en effet, la chose est visible à l'œil, il a quitté son lit primitif, et comme s'il avait eu horreur d'engloutir ces cadavres amoncelés, il s'est rejeté sur sa droite et précipité dans la Seine, à un bon kilomètre en amont de son ancienne embouchure (1).

Quelques auteurs prétendent, et nous n'essaierons pas de les contredire, car ils ont peut-être raison, qu'il y eut deux batailles différentes autour de Moret, à plusieurs années de distance, l'une à Lato-Fao, en 596, l'autre à Dormelles, en 605, la première du vivant de Frédégonde qui la gagna, l'autre après sa mort, arrivée en 598. Clotaïre II, fils de Frédégonde, qui avait été vainqueur avec sa mère et Landry, dans la première bataille, fut défait dans la seconde.

Le bourg de Lato-Fao ou Doromel, qui a été le premier théâtre de la lutte, n'existe plus. Peut-être a-t-il été rasé dans cette circonstance, et remplacé par la ville de Moret, qui s'éleva dans le voisinage. Quant au nom de Doromel, depuis Dormelles, que portait aussi Lato-Fao, et qui est resté celui de cette double bataille, le vainqueur ne l'aurait-il pas transféré au lieu même où s'est donné le dernier combat, pour effacer le souvenir de sa première défaite (2) ?

Certains auteurs, sans aucun fondement, placent Lato-Fao à Lifao, près de Toul. Celte manière de chercher l'identité d'un nom dans une rime est puérile et vaine. D'ailleurs, des témoignages incontestables attestent que de grandes batailles se sont livrées dans les environs de Moret. La surface et les entrailles mêmes du sol en sont des témoins irrécusables.

Ainsi, dans les champs qui entourent Dormelles, se remarquent des mouvements de terrains qui ne sont nullement naturels. Ce sont des espèces de redoutes et des épaulements de terre revêtus de gazons, et construits évidemment pour protéger et garantir des postes avancés.

Le soc de la charrue a de tout temps soulevé dans ces parages une foule d'ossements humains qui ne peuvent être que ceux des guerriers tués dans ces batailles et enfouis depuis treize cents ans dans ces champs de carnage; et le hoyau, en fouillant plus avant, découvre des squelettes tout entiers, auxquels une marne moulée autour d'eux a formé un tombeau qui les a conservés.

Trois pierres commémoratives, qui se voient encore aujourd'hui dans leur entier, paraissent être les jalons placés pour marquer les étapes de ces mêlées sanglantes.

L'une se trouve sur le territoire de Diant, où se donna la dernière bataille. C'est un quadrilatère en grès, taillé au marteau, isolé, perpendiculaire, enfoncé d'un mètre en terre, et s'élevant d'un peu plus de trois mètres au-dessus du sol. Le champ où elle se dresse s'appelle encore le champ de bataille; il est contigu à un hameau appelé Cornois, mot qui signifie, en langue celtique, Champ de la querelle, ce qui fit donner à la pierre elle-même le nom de pierre cornoise ou cornière. La seconde, toute semblable à la précédente, se voit sur le territoire de Flagy, non loin de Dormelles ; elle est connue aussi de temps immémorial, sous le nom de pierre cornoise.

Enfin, près d'Écuelles, se dresse sur le bord du canal du Loing, une troisième pierre, de même forme que les deux autres, et de dimensions peu différenles (3).

Cette concordance de faits et de monuments ne saurait être l'effet du hasard et démontre clairement que de grands combats se sont livrés autrefois dans toute la vallée qui se prolonge de Morel à Diant. Or, l'histoire en main, on ne voit pas que d'autres guerres que celles en question aient eu cette contrée pour théâtre.

A l'époque de ces guerres, la France était déjà en partie chrétienne, mais on ignore à quelle époque précise le pays de Moret fut éclairé des lumières de l'Évangile.

Nos pères étaient imbus des superstitions gauloises. Au culte des dieux indigènes, Teutatès, Esus, Bélénis, Taranis, Dis, était venu se joindre, après la conquête de Jules César, celui des divinités romaines, Jupiter, Mercure, Mars, Apollon, etc.

La Gaule était en plein sous la domination du peuple-roi quand les premiers disciples des Apôtres apportèrent le bienfait de la vérité à nos pères. Presque tous cimentèrent de leur sang les fondements de l'édiflce du salut dont ils venaient, au péril de leur vie, doter ces contrées privilégiées du Ciel.

C'est vers la fin du premier siècle, on ne saurait en douter, que le christianisme fut prêché dans la Gaule, et particulièrement dans cette partie que nous habitons. Les premiers évêchés furent alors fondés par saint Denis l'Aréopagite, saint Saintin, saint Savinien, etc., à Paris, Meaux, Sens, etc. C'est au diocèse de Sens que paraît avoir été rattaché, dès le commencement, le territoire de Moret, qui ne cessa d'en faire partie jusqu'au concordat, de 1802. Car, soit sous le nom de Moret, soit sous un autre nom, le pays était déjà habité; on pense que ce fut saint Savinien, ou quelqu'un de ses intrépides collaborateurs, qui remplit la périlleuse mission d'annoncer l'Évangile à ces intéressantes populations.

Le premier document authentique qui nous révèle, sous son nom actuel, l'existence de Moret, date du milieu du neuvième siècle, et nous montre Moret sous l'aspect d'une ville déjà forte et puissante. Car il s'y tint, en 850, un concile, ou du moins une assemblée ecclésiastique, où figuraient les évêques de Sens, de Melun, de Nevers, de Chartres, d'Orléans, et plusieurs autres dignitaires de l'Église. On ignore quelle fut la cause de cette réunion et quels décrets en sortirent. La tenue de ce concile nous est révélée par Loup de Ferrières, qui s'y trouvait, et qui en fait mention dans sa cent-quinzième lettre, datée de Moret ; cette lettre peut être regardée comme l'épître synodale que les prélats réunis adressèrent à Ercanrard, évêque de Paris.

Un second concile, plus connu que le premier, s'assembla à Moret, en 1154. Il était question d'examiner la plainte des moines de Vézelay qui demandaient justice contre les habitants de ce dernier bourg. Ceux-ci, excités et soutenus par le comte de Nevers, se livraient à toute espèce de violences et de dépradations contre les moines.

Louis VII assistait à ce concile, où les coupables furent condamnés. Nous ferons connaître plus en détail celle histoire eu parlant plus loin du séjour de Louis VII à Moret.

Moret
Moret-sur-Loing

 

NOTES
(1) Selon d'autres, le cours d'eau obstrué par les cadavres serait la petite rivière d'Aurance, qui coulait dans la prairie, parallèlement au Loing, en amont de la ville. Il n'est plus resté de la petite rivière que ces fosses profondes où l'eau repose sur un sable mouvant, et qui doivent communiquer par des voies souterraines avec le Loing. La principale de ces fosses, éparses dans la prairie, s'appelle l'abîme de Bournot. La tradition veut que, pendant une chasse, une voiture attelee de plusieurs chevaux ait disparu tout entière dans ce précipice, sans laisser aucune trace. Peut-être cette voiture et ces chevaux n'étaient-ils qu'un simple canard.

(2) Le souvenir palpitant de ces batailles sanglantes ne semble-t-il pas se perpétuer dans le nom de Trémorts donné à un cours d'eau aujourd'hui stagnant qui traverse la prairie parallèlement au Loing, au delà du vieux château, et dans celui de Veuves donné à la plaine qui longe le Loing, entre celle rivière et le côteau des Sablons; ce serait là cette place de Lato-Fao, près du Vieux-Moret, où fut livrée la célèbre bataille qui fit 30.000 veuves. Les 30.000 morts jetés dans le Loing arrêtèrent son cours et le lorcèrenl de devier à droite pour se jeter promptement dans la Seine. Eu effet, l'ancien lit abandonné du Loing se remarque encore visiblement aux flaques d'eau qui le recouvrent dans la saison des pluies, et qui se prolongent jusqu'au pied de la colline de Veneux-Nadon où l'on voit encore la trace de l'ancienne embouchure.

C'est dans cette portion du territoire, en face du confluent actuel du Loing avec la Seine, que se trouve l'endroit appelé jadis l'Ile Notre-Dame on la Fosse-du-Lion (vulgairement le Vieux-Moret), où se fait la séparation du Gatinais et du Hurepoix (manuscrit intitulé : Description historique de la ville de Moret, de son canton, de son commerce et de ses environs, dont l'auteur est Louis-Autoine Piffault, ancien fabricien de l'église de Moret, avant le Révolution).

(3) Les modernes mythologistes, qui sont en train de suer pour fabriquer l'histoire problématique de l'âge de pierre, ont besoin, pour leur système, de donner à ces pierres une autre signitication et une autre origine. C'est la peuplade pétrophile qui, dans ses migrations, semait ces rochers sur sa route ! Risum teneatis, amici ! Plus plausible serait l'opinion de quelques connaisseurs qui prétendent que ces roches monumentales sont des menhirs, c'est-à-dire des pierres druidiques. Elles sont avec raison classées parmi les monuments historiques.

Abbé Louis-Alexandre Pougeois (1819-1897
Source : Abbé Louis-Alexandre Pougeois : L'Antique et royale cité de Moret-sur-Loing (Seine et Marne)

Si la réalité historique d'une bataille meurtrière entre les armées de Brunehaut et Frédégonde vers la fin du VIe siècle n'est contestée par personne, l'avis des historiens diverge sur l'endroit où cette mythique bataille de Lato Fao se serait déoulée. Voir, entre autres : Le Petit Larousse de 1906 - Les travaux de l'Abbé Jean Lebeuf (1687-1760) - Le Dictionnaire bibliographique des savants de Joseph Marie Quérard - Naissance de la France par Jérôme de Sorgues - Les Singularités historiques de Jacques-Antoine Dulaure.


 
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