Fontainebleau
Une étape sur la route de l'Orient

Narcisse Berchere
Narcisse Berchère : Caravane dans le désert

Petits peintres orientalistes
Au XIXe siècle, un joli nombre d'artistes avides de s'évader des ateliers parisiens allèrent peindre sur le motif dans la région de Fontainebleau et fréquentèrent les auberges de Barbizon et de Marlotte.

Se frottant aux rapins déjà en place sous leurs parasols, ils affûtent leurs crayons et leurs pinceaux, ajustent leurs couleurs, échangent le soir venu leurs mimis, mêlent leurs rires et leurs propos en consommant quelques bonnes bouteilles de piquette du crû.

Quelques-uns s'illustrèrent à croquer des arbres, des nuages, des moulins, des cochons, des bergères et leurs moutons, d'autres se halèrent au soleil de Provence ou d'Italie avant de franchir la Méditerranée. Éblouis par la blancheur des demeures, la beauté des costumes et les couleurs vives d'un Orient fabuleux, ces artistes rapportèrent de leurs voyages des tableaux d'un autre monde : celui des Mille et Une Nuits.

Des petits maîtres talentueux, y ont gagné une renommée que leur seul mérite artistique n'eût guère mené loin. La mode aidant, un engouement mondain créa pour eux une école à part : celle des Orientalistes. Sujets privilégiés : Harem, soukh, chameliers, fantasia, yaouled.

Nombre de peintres orientalistes ont représenté les harems sans même, avoir mis les pieds en Orient !

Ce qui ne fut pas le cas de Narcisse Berchère ou de Paul Vayson, qui esquissèrent leurs premiers tableaux sous nos futaies ombragées avant de magnifier sur leurs toiles lumineuses les splendeurs de l'orient. Tous deux ont fréquenté nos auberges et laissé des œuvres peintes aux environs de Marlotte.

NARCISSE BERCHÈRE
(1819-1891)

Narcisse Berchere
Narcisse Berchère par Gustave Moreau
Narcisse Berchère, natif d'Étampes, étudie les rudiments de la peinture auprès de maîtres "pompier" Charles-Caïus Renoux (1795-1846), et de Jean-Charles Rémond (1795-1875) à l'école des Beaux-Arts de Paris qu'il quitte bientôt pour découvrir la nature et refraîchir sa palette auprès de Corot et de Théodore Rousseau.

Au Salon de 1846, il expose une Vue prise à Marlotte, et les vitrines de Peyrelongue rue Laffitte, offriront aux passants un Grand chêne de la Mare aux Fées, Le Dédale du Long-rocher toiles signées de lui.

Maître de son outil de travail, Berchère magnifia tout au long de sa vie sa cité d'Étampes, en dizaines de tableaux à l'huile, en centaines de somptueuses aquarelles, qui enrichissent aujourd'hui le musée de sa ville.

Narcisse Berchere
Narcisse Berchère : Felouques au bord du Nil
« A partir de trente ans, nous dit Bernard Gineste, son biographe, Berchère multiplie les voyages. En 1849 et 1850, il visite l'Égypte, la Syrie, l'Asie Mineure, la Turquie, la Grèce et Venise. Il apprivoise la lumière d'Orient et se lie d'amitié avec Gérôme, Bartholdi et de Lesseps, qui le choisit comme peintre dessinateur de la compagnie de Suez. Il entame son troisième voyage à travers l'Égypte en 1869, avec Fromentin. »

Narcisse Berchère décède à Asnières en 1891, considéré comme un des maîtres de la peinture orientaliste.

Berchere
Narcisse Berchère

 
PAUL VAYSON
(1841-1911)
Paul Vayson s'initie à la peinture dans les ateliers de Charles Gleyre et de Jules Laurens. C'est un artiste à son aise, né à Gordes au sein d'une famille riche bien implantée à Murs, dans le midi. Son œuvre sage, classique, s'écartant peu des sentiers battus, a été très tôt admise et admirée par le public du temps. Ses bergers, ses bergères, ses brebis, ses vaches et ses cochons ont plu et fait recette.
Vayson
Paul Vayson
Vers 1865, Jules Laurens emmena Paul Vayson peindre dans la forêt de Fontainebleau. Deux toiles réalisées dans la région nous sont connues. Forêt de Fontainebleau, première toile qu'il expose au Salon en 1865, et, en 1870, la toile Aux environs de Marlotte.

Le maître et son élève fréquenteront l'Auberge Ganne à Barbizon puis l'incontournable Auberge Antoni de Marlotte, où ils observeront sans y adhérer le balbutiement d'un art nouveau qui leur restera aussi étranger que la bohême de ces rapins besogneux.

Quant à Corot et à Courbet, c'est tout autre chose.

Dans la forêt, nous conte son biographe, Vayson voit Courbet et Corot assis côte à côte, peignant le même paysage. Courbet regarde de temps en temps vers la toile de Corot, vers les vieux arbres et enfin vers sa propre toile.

Et Vayson mime cette scène des yeux. Il décrit la peinture de l'un et de l'autre maître, l'explique, la juge, compare les deux tableaux, il les loue tour à tour, et pour se faire comprendre, il a un geste de la main droite discret, délicat, caressant, lorsqu'il s'agit de Corot, comme s'il touchait une matière précieuse, geste féminin et nerveux qu'accompagne une parole ferme et précise. Enfin, Courbet ayant bien examiné l'étude du grand maître paysagiste, lui dit de son accent traînant, et avec un grand respect :

- Je ne suis pas aussi fort que vous, monsieur Corot ; aussi, moi, je suis obligé de faire ce que je vois.

Que de traits de ce genre on pourrait noter dans la conversation de Vayson, enjoué et spirituelle, mais qui sait aussi, quand il le faut, montrer de la passion et de l'indignation*.

Membre du Jury de la Société des Artistes français (section peinture) le peintre fait partie du système, sans état d'âme.

Camargue
Campement de bergers en Algérie
En 1875, l'année où il fut médaillé au Salon, il entreprit un voyage en Algérie dont il rapporta une moisson d'esquisses, d'aquarelles et quelques tableaux qui lui valurent l'étiquette de peintre orientaliste.

La même année, Paul Vayson se fit bâtir un bel hôtel particulier au N° 13 de la rue Fortuny, quartier de grandes actrices, de filles richement entretenues et de nouveaux riches. Plus tard, de 1933 à 1950 cette demeure appartiendra à Marcel Pagnol.

Hotel fortuny
Hôtel particulier de Paul Vayson, rue Fortuny à Paris
À la mort de son frère, en 1896, Paul Vayson lui succéda comme maire de Murs, le beau village du Vaucluse dont sa famille avait relevé le château en ruines. Il administra Murs en bon gestionnaire, jusqu'à son propre décès, en 1911.

S'il est connu dans son département d'origine, c'est comme propriétaire ou rentier, ou encore comme maire de sa commune. Il ne joue au grand homme, il ne passe pas pour artiste, félibre, cigalier ou occitan.

Jamais, il n'y a reu de lettre adressée à l'artiste peintre ; mais un jour que Mistral l'avait appelé illustre maître, il montra aux personnes qui l'entouraient, une lettre dont la suscription portait :

A Monsieur Paul Vayson, épicier à Murs (Vaucluse).

C'était une lettre de faire-part qui venait de lui être remise et le peintre y voyait une raison de ne pas s'enorgueillir de l'appellation flatteuse que lui décernait l'auteur de Calendau.

Camargue
Paul Vayson : Scène de gardians en Camargue
Pendant quelques années, la Camargue retint Vayson et ce sont des taureaux, des chevaux et des chiens qu'il envoie de là aux expositions annuelles. Grand chasseur, un peu nomade, dit-il de lui-même, tant qu'il pourra vivre ainsi entre les deux bras du Rhône, il y retournera fréquemment, séduit par les vastes solitudes et les scènes qu'il pourra peindre.

Provençal jusqu'à la moelle, il fuira le sale ciel, triste, gris et pluvieux de Paris, et il s'écriera A nous le ciel bleu et le soleil, même quand le mistral est de la fête (*).

Il restera fidèle à la Camargue aussi longtemps que les rhumatismes ne l'en chasseront pas. Il campe durant de semaines dans une baraque en planches édifiée pour lui en plein marais loin des mufles, sauf ceux des taureaux qu'on m'amène là chaque jour.

Leur gardian, qui n'a pas de secrets pour moi, porte en superbes tatouages sur les pieds A moi les kilomètres ! marche ou crève.

La pièce où il travaille dans son hôtel de la rue Fortuny n'est pas le bazar tant de fois décrit sous le nom d'atelier ; on n'y voit pas un fouillis d'hétéroclites trophées de voyages. Elle a plutôt un air d'austérité, ou mieux de sobriété que donne le goût quand il est acquis d'ancienne date.

Un bahut de la Renaissance, quelques rares bibelots d'étagère, une grande tapisserie et des toiles garnissant toutes les parois ; une étude commencée sur le chevalet, voilà le mobilier en y comprenant quelques sièges. C'est un atelier où l'on peint.

Enfant prodigue
Paul Vayson : Enfant prodigue gardant les pourceaux
Il a un autre atelier à Murs, avec de larges ouvertures sur la campagne environnante, au levant et au couchant, et deux spacieuses plates-formes dont on peut faire un parc à moutons. C'est là, lorsque le temps ne permet pas de séjourner au dehors, que Vayson rassemble ses modèles et, à l'abri de la bise, prépare ses esquisses. C'est là que se réunit sa "ménagerie intime".

Il introduit quelques loups dans sa bergerie. J'y ai vu ai vu celui qui laboure dans le tryptique de Saint-Gens, bête énorme, inquiète, d'une encolure qui donnait le frisson. À le dessiner et à le peindre tant de fois, Vayson s'y était attaché et il s'en est séparé avec un certain regret.

Ce n'était pas du reste son premier loup. Il y a 15 ans, il en avait un qu'il caressait tous les jours et qui lui donna un furieux coup de dent à emporter la main caressante :

- Dieu sait, se borna à dire l'artiste, si les animaux valent mieux que les hommes !

Cet atelier borné par les monts du Vaucluse, les contre-forts du Ventoux et des Alpes, admirables cadres, n'a sans doute pas son pareil.

Dès qu'il peut échapper à ses obligations de membre du jury du Salon des artistesfrançais, Vayson accourt à Murs et partage son temps, entre la peinture, la chasse, l'administration de sa commune, dont il est maire depuis de longuesannées, et l'ornementation de son château de Javon, situé à peu de distance de celui de Murs.

C'est dans les appartements de ses deux résidences qu'il loge les grandes toiles conservées ; elles voisinent avec de splendides tapisseries des Gobelins et quelques verdures d'Aubusson dont Madame Vayson partage le goût avec son mari, si elle ne l'a pas plus passionnément encore que lui même, puisqu'elle a appris l'art de les réparer avec adresse.

Sources :
Maxime Legrand : Narcisse Berchère
Jules Belleudy : Paul Vayson

 
Monument
Monument en l'honneur de l'artiste érigé en Avignon

Marie-Claude Rœsch-Lalance :
Bourron-Marlotte, si les maisons racontaient...
Nouvelle édition (2012) revue et augmentée


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