Charles Edouard Delort
(1841-1895)

Delort
Le peintre Charles Delort debout entre son frère Théophile et son fils Henri.
Assise sous la fenêtre, dans la cour de la Nicotière, sa fille Andrée.
(1) (DR)
Né à Nîmes, le 4 février 1841, Charles Delort a passé une partie de son enfance dans les environs de Bordeaux. A l'âge de 12 ans, il entra à l'Académie navale. Mais la rude discipline du marin ne lui convenant pas, il quitta rapidement cette carrière.

Des amis de la famille lui présentèrent M. Duhousset, un professeur de dessin de Lorient qui lui donna quelques leçons, mais le jeune Charles sentit très vite que ses parents avaient donné pour mission à Duhousset d'instruire leur fils non pas en vue d'entrer aux Beaux-Arts mais pour préparer son admission à l'École militaire.

Charles abandonna alors ses études pour rejoindre Paris.

Il arriva dans la capitale en 1859, et grâce à la recommandation du peintre Jean-Léon Gérôme, un ami de la famille, le jeune homme fut admis dans l'atelier de Gleyre où selon le critique Georges Pradel, il acquit «cette délicate, chaude et vigoureuse harmonie de couleurs qui caractérisera les œuvres de sa maturité.»

Gérôme, lui fait connaître Barbizon et Marlotte où ils rencontrent des peintres sans le sou peignant "sur le motif" pour la gloire... Imbus de leur tradition académique et de leur aisance bourgeoise, ils considèraient ces rapins comme de vulgaires barbouilleurs !

Charles Delort et son vieux maître fréquentèrent les auberges Saccault et Antony et participèrent à leurs joyeuses beuveries. Mais, Delort qui n'était pas sans fortune aimait jouir d'un certain confort. «Lassé de trouver dans les traversins des pattes de canard oubliées parmi les plumes...» il s'installa dans une annexe de l'hôtel Mallet puis, selon Mme Lalance, acquit la maison Doyen (actuel N°17, rue Armand Charnay) où avait vécu l'artiste et philanthrope Isidore Justin Taylor.

De la présence de Charles Delort à l'Auberge Antony, Charles Moreau-Vauthier relate dans l'Abeille de Fontainebleau du 6 octobre 1911 le texte d'une rengaine qu'on y chantait au cours de soirées bien arrosées : celle des "Trois négociants allant de Paris à Nanteau pour un baptême" dont le refrain reprenait comme une scie "Delort était !" (Voir : Bulletin des ABM N°7).

Delort
Plaisir

En 1862, Gérôme souhaitant visiter l'Égypte, Delort saisit l'opportunité de l'accompagner dans ce voyage pour approfondir ses connaissances et renforcer sa relation personnelle avec son maître. Parcourant à ses côtés l'Égypte, les Syrtes et l'Algérie, Charles Delort acquiert une solide maîtrise du métier, réalise quelques belles études dans le genre dit "orientaliste" alors très en vogue. Il souhaitait en présenter deux au Salon tout en préparant son concours au Prix de Rome auquel il échoua.

Charles Delort passa les années suivantes à Marlotte travaillant d'arrache-pied à parfaire sa technique académique, sans jamais succomber aux tentations modernistes qui fleurissaient autour de lui.

En 1866, il se sentit prêt à exposer sa peinture et présenta au Salon son tableau Daphnis et Chloe qui obtint un franc succès et se trouve maintenant au Musée de Nîmes.

Dès lors cheteurs et collectionneurs affluèrent à Marlotte pour visiter son atelier.

Manon Lescaut
Embarquement de Manon Lescaut pour la Louisiane

En 1875, son tableau L'embarquement de Manon Lescaut pour la Louisiane fut très remarqué et lui valut une médaille.

Le peintre s'engagea derechef dans cette voie et vit s'ouvrir devant lui une brillante carrière en se spécialisant dans de pompeuses "scènes de genre" souvent anachroniques, grandes machines historiques dont l'exubérance enchantera les surréalistes.

C'est en 1886 qu'il acheta la "Maison Nicot" qui appartenait à la famille Marchand et dont il transforma la grange ouverte sur la rue en atelier.

Devenu spécialiste des scènes à la mode anglaise, ce décor de relais de Poste séduisit le peintre qui y campa une vieille diligence trouvée dans l'écurie. Il reconstitua ainsi dans son jardin «des scènes champêtres avec des villageois costumés en cocher et voyageurs !»

Ces toiles ont été pour la plupart vendues en Angleterre où Charles Delort était très apprécié, ce qui explique que l'on y trouve davantage d'œuvres de ce peintre qu'en France !

Vendanges
Fête de la vendange

«Spirituel, accueillant, sa table était des plus gaies et des mieux garnies, et l'on trouvait chez Delort bonne et joyeuse compagnie où se rencontraient artistes à la mode, musiciens venus en voisins de Haute-Claire, peintres peu gangrénés par le virus impressionniste, écrivains et hommes politiques de bonne compagnie et de bon ton.»

Dans son Journal de l'année 1885, Edmond de Goncourt nous conte une anecdote mettant en scène le peintre Delort et Daudet, prise sur le vif.

«Aujourd'hui, en sortant de la librairie, je rencontre Charpentier qui monte un moment dans mon coupé. Et Charpentier aussitôt de gausser sur la grossesse de Mme Daudet, ce secret qui est maintenant un vrai secret de Polichinelle, et de rire de l'amusante colère de la pauvre femme, qui regarde cette grossesse de l'arrière-saison comme un maléfice de ce Midi qu'elle détestait déjà tant.

Puis il me dit confidentiellement qu'un peintre, un nommé Delort, le type qui a fourni à Daudet dans son roman le personnage de Potter, un moment empêché de chercher querelle à Daudet par Scholl, qui lui aurait dit que ce serait une lâcheté de se battre avec un homme dans un tel état de santé et si peu équilibré sur ses deux jambes, est remordu du désir de se battre, devant la perspective de voir le monsieur fait d'après lui devenir un personnage de théâtre.»

[Dans la pièce comme dans le roman, le musicien de Potter donne par sa liaison avec Rosa, une fille de l'Hippodrome, l'exemple de l'avilissement où de tels liens font sombrer un grand talent.]

Delort
Charles Delort : Les Noces à Fontainebleau
«A la première des Jacobites (drame en vers de Coppée donné à l'Odéon le 21 novembre 1885), donc, il a annoncé son intention formelle de gifler Daudet et il a fallu, lors de l'apparition de Daudet au foyer, que Charpentier entraînât le Delort dans un coin et l'empêchât, avec des paroles et presque des appréhensions de mains, de se jeter sur l'auteur de Sapho (2).

Toutefois, l'homme, qui est rageur et brave et qui se plaint que Daudet se soit servi de confidences intimes, déclare tout haut qu'il ll soufflettera à la répétition générale ou à la première de la pièce du Gymnase et qu'il est prêt à se battre avec lui, s'il ne peut pas tenir une épée, à se battre au pistolet, à l'arme qu'il voudra.

Goncourt poursuit : Je pense à la femme enceinte, je pense à ce pauvre garçon qui, quoique mieux portant, n'est guère en état de se battre n'importe comment... Et ce qu'il y a de triste, c'est qu'il n'y a rien à faire. Prévenir Daudet, il irait au-devant du soufflet!

On ne peut qu'espérer que les deux hommes ne se rencontreront pas ce jour-là... et qu'on persuadera le peintre qu'une provocation de sa part, après un si long temps, pourrait paraître intempestive, presque ridicule.»

Delort
Une photo émouvante de Charles Delort assoupi dans son atelier (DR)
Travailleur acharné, Delort fut victime d'une attaque cérébrale qui le paralysa de la main droite. Courageux dans l'adversité il allait désormais peindre de la main gauche, avant de se retrouver totalement paralysé sur la fin de sa vie.

Madame Delort vécut dans cette maison jusqu'à sa mort et ses enfants vendirent la demeure, en 1922, au fils du peintre Cézanne qui se prénommait lui aussi Paul ce qui entraîna quelques amusantes confusions chez les touristes béotiens qui croyaient visiter la maison du maître d'Aix-en-Provence.

(1) Andrée Delort, la fille du peintre, épousa en 1908 M. Georges Bouic, lieutenant au 10e dragons, fils du général Bouic. Son fils, Henri Delort, officier de marine, ajoutait à sa signature "le Corvetard". (Souvenirs et photos de famille aimablement communiqués par M. Jean-Claude Widmer)

 

Nicotiere
La Nicotière dessin de Sophie Lalance

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«La famille Cézanne»

 
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