MISIA SERT
(1872-1950)


Misia Sert
Misia Sert

Folle, géniale, nymphomane,
fantasque, inoubliable
Née Godebska à Saint-Pétersbourg dans une famille d'artistes, d'un père sculpteur d'origine polonaise et d'une mère musicienne, Misia fut l'une des femmes les plus courtisées de la Belle Époque. Active, indépendante, intelligente, elle connut des amitiés amoureuses, des affections passionnées tant de la part d'hommes subjugués par sa beauté, que de femmes qu'elle s'attachait par sa gentillesse et son naturel.

Dotée d'une incroyable séduction, d'une voix caressante, d'un charme envoûtant, d'un sourire à la fois retenu et plein de promesses, elle demeura durant un quart de siècle l'égérie du Tout-Paris, la reine incontestée de ce petit monde brillant de fêtards, d'artistes et de leurs protecteurs, de courtisanes de haut vol en marge de la haute bourgeoisie et de l'aristocratie décadente.

Misia par Lautrec
Misia par Toulouse-Lautrec
Enfant déjà, pianiste de talent, «elle jouait du Beethoven sur les genoux de Liszt». Mariée à un cousin riche, Thadée Natanson, elle sut accueillir dans son salon de la rue Saint-Florentin, les gens les plus divers, ceux qui comptent et ceux qui créent.

Elle possédait un pouvoir magnétique sur les êtres, elle était capable de redonner confiance aux timides, aux mal foutus, savait comment libérer les refoulés, les réservés, calmer les arrogants, apaiser les risque-tout, sans jamais froisser l'amour-propre, abaisser ou moquer les ridicules, susciter de jalousie.

Ce fut en cette fin de XIXe siècle flamboyant que Misia et Thadée acquirent "La Grangette" près de Valvins, y accueillant le dimanche les habitués de son salon parisien : le prince Poniatowski, Octave Mirbeau, Colette et Willy, Maeterlinck, les peintres Vuillard, Bonnard, Odilon Redon, Sisley, Pissarro, Zola, Puvis de Chavannes et bien d'autres. Alfred Jarry, venait à bicyclette de Corbeil, rigolard et crotté. La cour de Misia, tous amoureux d'elle !

Misia par Bonnard
Misia par Bonnard
C'était aussi l'époque où ces artistes parcouraient à pied ou à vélo la forêt de Fontainebleau, canotaient avec Mallarmé sur la Seine ou sur le Loing, rendaient visite à leurs amis résidant à Moret, Barbizon, Grez ou Marlotte. Haute-Claire où Armand Point reçoit ses convives en pourpoint pourpre brodé d'or dans son atelier, où se retrouveront à diverses époques des personnalités aussi diverses que Misia et Thadée Natanson, Sert, Philippe Berthellot ou Oscar Wilde, Paul Morand ou Zo d'Axa !

Aristide Marie conte dans ses souvenirs la stupeur émerveillée qui accueillait chaque apparition de Misia Natanson lors de ses visites au phalanstère avec Thadée et Mallarmé. (Cf Haute-Claire)

Lors de l'Affaire Dreyfus, Valvins comme la France entière, se divisa en deux camps: les Dreyfusards partisans de la révision du procès, parmi eux, Monet, Proust, Jacques Emile Blanche, Thadée Natanson, Pissaro et naturellement Emile Zola. Les Antidreyfusards comprenaient Degas, Paul Valéry, Alexis Rouart, Henri Rouart et ses quatre fils, Forain et Cézanne.

Misia eut trois maris riches, Thadée Natanson (1868-1951), un vague cousin, ami d'enfance qu'elle épousa en 1893. Juriste, journaliste, et homme d'affaires, fils de banquier, il fut l'animateur de La Revue Blanche, qui le ruina. Misia divorçait en 1905, après quelques mois difficiles.

Thadee Vuillard
Photo de Thadée Natanson par Vuillard
Courtisée par Alfred Edwards (1856-1914), richissime fondateur du journal Le Matin, Misia, préférant le confort à la dèche, se laissa épouser par ce nouveau riche un peu m'as-tu vu. Dans un premier temps le nabab la couvre de bijoux somptueux et lui offre de luxueux cadeaux. Il invite aux réceptions de son épouse des demi-mondaines clinquantes, des parvenus friqués et snobinards, de tapageuses actrices un peu vulgaires, ce qui change Misia du milieu artistique qu'elle aime.

Edwards l'ayant conquise avec son fric pour son chic, la délaisse bientôt, ne la trouvant pas assez pute. En 1908 il la plaque pour l'actrice Ginette Lantelme qu'il noiera - oh ! pardon... qui se noiera, - au cours d'une croisière sur le Rhin.

Misia et Edwards
Misia et Alfred Edwards
Divorcée en 1909, Misia devient la maîtresse de José Maria Sert (1876-1945), un artiste peintre et décorateur espagnol dans le vent, qui lui lèguera son nom, en régularisant leur liaison en 1920.

L'artiste catalan, mondialement connu pour ses fresques monumentales, notamment celle de la cathédrale de Vic détruite pendant la guerre civile, avait un caractère correspondant davantage à la sensibilité de Misia que celui du richard prétentieux trop vulgaire à son goût raffiné par qui elle avait été larguée.

Cele n'empêcha pas les deux amants de se tromper abondamment, mais dans la discrétion.

Jose maria Sert
José-Maria Sert
Si, au début de la guerre de 14-18, Misia organisa généreusement des convois d'ambulances abondamment médiatisés auquels participa Jean Cocteau, c'est revêtus d'élégants costumes réalisés par Poiret qu'ils parcourent ensemble les arrières du front, pour récupérant des blessés sous les yeux des photographes.

Ce fut à cette époque, en plein délire de charité, qu'elle fit transformer sa Rolls-Royce offerte par Edwards, en ambulance, par Saoutchik, le carrossier à la mode ! Tout en recueillant leurs blessés, Jean Cocteau, savoure ses confidences.

Jean Cocteau
Jean Cocteau par Man Ray
Inspiratrice de Cocteau, elle fut la Princesse de Bormes de Thomas l'Imposteur. Ému par son art d'interprêter sa musique, Maurice Ravel, lui dédia Le Cygne. Raymond Radiguet dont la mort à l'âge de vingt ans la bouleversa avait décrit dans son roman "Le bal du comte d'Orgel" les fastueuses soirées de Misia et croqué sous les traits d'Orgel un autre ami de Misia, le comte de Beaumont.

Une amitié chaude, vive et sensuelle, lia Misia Sert et Coco Chanel dont Paul Morand dit que « si Misia n'a eu que des maris et pas d'amant, Coco elle, n'a eu que des amants mais pas de mari. »

Misia Coco
Coco Chanel et Misia Sert
Et pour cacher ses amours non conventionnels tout en sauvegardant les apparences, sans jamais tomber dans la trivialité ou l'exhibitionnisme, elle accepta un subtil ménage à trois lorsque José Maria Sert invita à leur foyer la jeune ravissante Roussadana Mdivani qu'il épousera par la suite. Il est vrai, que si son charme demeurait, la beauté de Misia n'était plus qu'une légende, un souvenir. Tant de jolis mystères me resteraient à vous conter sur Misia et son petit monde.

Intime de Mallarmé, inspiratrice de Proust et de Cocteau, mécène de Diaghilev et des Ballets Russes, elle fut peinte et célébrée par les plus grands artistes de son temps : Toulouse-Lautrec, Morand, Proust, Renoir, Vuillard, Bonnard, Vallotton.

Misia St Florentin
Misia rue Saint-Florentin
Paul Morand : «Misia est placée dans l'axe du goût français comme l'aiguille de Louqsor dans l'axe des Champs-Elysées».

Il est vrai que l'intelligence, la culture, l'attitude discrète et réservée de cette femme étonnante tranchent avec le dévergondage vulgaire, l'exhibitionnisme graveleux des grandes coquettes de l'époque. Misia restera dans l'Histoire de la galanterie comme une initiatrice élégante, une formatrice au goût très sûr, une compagne qui fait rêver, enrichit ses partenaires, les élève, les aime et se laisse aimer mais sans se laisser corrompre ou se commettre. D'ailleurs, comme nombre de jolies femmes, elle a autour d'elle une cour de déserteurs du chemin des dames qui la protège des machos arrogants et culbuteurs.

Après avoir mené une existence flamboyante, connu des années de triomphe éclatant, Misia acheva sa vie dans une grande solitude.

Misia - Chanel
Comtesse Etienne de Beaumont, Coco Chanel et Misia Sert (un peu enrobée)
à Venise (1923). En short, la comtesse Moretti et, assise, Mme Chiesa du Lido
Aveugle, affaiblie par la morphine, sa beauté disparue, son charme envolé, ce fut Coco Chanel qui recueillit son dernier souffle. Elle repose près de Valvins, dans le même cimetière que Mallarmé, son voisin et ami d'antan.

Avant de s'éteindre, elle confia à Boulos, son dernier sigisbée, les secrets et les mystères de sa vie, lui dictant des Mémoires où elle dévoile davantage d'elle-même qu'elle n'en avait révélé aux hommes avec lesquels elle avait entretenu des relations passionnelles.

Misia par Misia, son autobiographie posthume que l'on dit romancée parut en 1952.

Misia par Bonnard
Misia par Bonnard

Une belle panthère, impérieuse, sanguinaire et futile
« Misia, non pas telle que ses faibles Mémoires la recomposent, mais telle qu'elle exista : effervescente de joie ou de fureur, originale et emprunteuse, récolteuse de génies, tous amoureux d'elle : Vuillard, Bonnard, Renoir, Stravinsky, Picasso... collectionneuse de cœurs et d'arbres Ming en quartz rose; lançant ses lubies, devenues des modes aussitôt exploitées par les décorateurs, reprises par les journalistes, imitées des femmes du monde à tête vide.

Misia, reine du baroque moderne, ayant organisé sa vie dans le bizarre, dans la nacre, dans le burgau; Misia boudeuse, artificieuse, réunissant des amis qui ne se connaissaient pas «pour les mieux pouvoir brouiller ensuite» affirmait Proust. Géniale dans la perfidie, raffinée dans la cruauté, Misia dont Philippe Berthelot disait qu'il ne fallait pas lui confier ce qu'on aime : «Voici le chat, cachez vos oiseaux», répétait-il, quand elle sonnait à sa porte.

Dans sa boutique fantasque du quai Voltaire, elle excitait le génie comme certains rois savent fabriquer des vainqueurs, rien que par la vibration de son être, par une oscillation invisible de sa branche de coudrier, Misia, forte comme la vie chevillée en elle, avare, généreuse, mangeuse de millions, enjôleuse, brigande, subtile, commerçante, plus Mme Verdurin que la vraie, prisant et méprisant hommes et femmes, du premier coup d'œil.

Misia, du Paradis symboliste, du Paris fauve, du Paris de la Grande Guerre, du Paris de la Paix de Versailles, du Paris de Venise.

Misia aussi capitonnée qu'un sopha, mais si vous aspiriez au repos, un sopha qui risquait de vous envoyer au diable. Insatisfaite Misia dont les yeux perçants riaient que déjà la bouche faisait la moue.

Chez cette gourmande écœurée, le dégoût suivait le ravissement, et le non, le oui, comme le tonnerre, l'éclair ; avec elle, il fallait faire vite. »

Paul Morand "Venises", Gallimard, 1971

Misia Venise
Misia Sert à Venise en 1947

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