Une vie sans importance
 
 


Quelle famille !
 

"Ma vie est un palais flétri par la cohue,
On s'y saoûle, on s'y tue, on s'y prend aux cheveux...
"(Deville)
Tour à tour "loup des steppes", "renard du désert", "mendiant ingrat", "le vieux d'après-minuit" je vis au gré des vents et de ma fantaisie.
Bohême invétéré, préférant les chemins de traverse aux autoroutes, je me suis forgé ma propre morale.
Me connaissant bien, je n'ai jamais eu une très haute idée de moi-même. Fripouille, lâche, menteur, voleur, prédateur, mais jamais d'envergure, toujours au petit pied, je poursuis d'instinct, en animal traqué, une existence libre et vagabonde, guidé par le hasard et les rencontres, toujours entre la corde et la couronne.
Un jour loup solitaire, chapardeur et affamé, le lendemain Siddharta, pélerin de l'absolu, puis, la chance revenue, sybarite fanfaron, satyre ravageur, gonfaron au petit pied.
Me voici parvenu, cahin caha, en cette fin d'un siècle extraordinaire, sans trop de plaies ouvertes ni de bleus à l'âme, seul l'esprit un peu cabossé. Après une vie bien remplie, à la fois modeste et très riche, j'éprouve le sentiment curieux de n'avoir réalisé encore aucun de mes objectifs. Mais avais-je un objectif? Quand je me retourne sur mon passé avec le regard critique et gourmand de "l'entomologue" que je me flatte d'être, je vois se dérouler une existence de funambule fantasque folâtrant sans but, sans repères ni assises, traversant une vie bâtie de bric et de broc.
Ma vie est une bicoque de guingois, aux fondations incertaines, à la charpente gauchie, sans style bien établi, bâtie en trompe-l'oeil, "ein schiefes Leben" comme le dit une expression imagée de ma langue maternelle.

Enfant de l'amour.

Je suis venu au monde au milieu de cette fabuleuse et joyeuse époque d'entre deux guerres où, avant de se mettre à table, l'on disait le benedicité debout, où chaque turpitude était sanctionnée d'une gifle ou d'une fessée immédiate, où l'on effectuait les corvées sans rouspéter, où l'on obéissait au doigt et à l'oeil à ses parents, à ses maîtres, aux adultes en général, mais où l'on s'ennuyait rarement hormis le dimanche.  Le matin, au sermon ou à la messe, l'après-midi lors de la traditionnelle et morne promenade en famille.
Mon père naturel, Émil Benz, né le 26 juillet 1875, fut le 11e enfant d'une famille de paysans argoviens.
Ma mère, Elfried Höhener, née le 28 février 1902, était fille de boulanger-pâtissier, originaire de Thal (Saint-Gall). Je ne suis pas tout à fait sûr de ces dates qu'il faudrait vérifier.

Deux filles que je n'ai pas connues

Mon père eut deux filles, nées à la fin du XIXe siècle. Je ne les ai pas connues. L'une, dit-on, se fit bonne soeur. La seconde, la préférée, Leni, se suicida.
Dans la famille, on chuchotait que l'épouse légitime de mon père devint folle et passa sa vie dans un asile.
Je ne connus pas mes grands-parents. Mais j'avais des oncles, des tantes en abondance et une kyrielle de cousins, que, l'été venu, lors les grandes vacances, j'allais aider aux moissons, à la récolte des fruits, à traire les vaches, à faucher le regain, ou assister dans leur commerce.
Sans doute mes parents se sont-ils vraiment aimés durant quelques semaines ou quelques mois. M'ont-ils aimé?

Peu d'effusions

Lorsque j'étais enfant, mon père et ma mère semblaient fiers de moi. Nos rapports m'ont toujours paru tièdes, sans chaleur véritable. Peu de baisers, de tendresse, jamais d'effusion. A aucun moment je ne me sentis vraiment en sécurité ni à mon aise dans ma famille, ni très bien dans ma peau. Toujours sur le qui-vive.
J'ai porté tour à tour trois noms de famille différents, puis le pseudonyme que je me suis choisi. Né Höhener, du nom de ma mère, j'étais inscrit à l'école de Genthod sous le nom d'Émile Benz, celui de mon père naturel, patronyme auquel je n'avais légalement aucun droit.
La Suisse ayant conservé un zeste de droit coutumier, permettait aux maires de gérer les cas particuliers avec discernement.
Enfin, je me suis appelé Schmutz, lorsque mes parents se séparèrent à l'amiable et qu'un homme que je n'aimais pas, devint le propriétaire légal de ma mère et le mien, en m'adoptant sans que personne ne m'eût demandé mon avis. 

Prochain épisode : 
5 - GENTHOD
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