HENRI FROMENT

Histoire de l'enseignement
à Bourron-Marlotte

Poulbot
Dessin de Poulbot

 
NOS ANCIENS "ASILES"
OU ÉCOLES MATERNELLES

Dans nos deux précédents Bulletins (ABM N°13 et N°14), j'ai tenté d'écrire l'histoire de l'Enseignement à Bourron-Marlotte, des origines à 1880 environ, puis de 1881 à 1914.

Dans ces deux articles, il a été surtout question de l'enseignement primaire, destiné aux enfants de 6 à 11 ans.

J'y ai souvent parlé aussi de nos "asiles" ou classes maternelles, mais sans m'étendre beaucoup sur ce point car je me proposais d'en faire une chronique particulière.

Nous y voici donc: essayons de retrouver quelques traits de l'histoire de nos "asiles" jusqu'aux années 14.

Bien que ces petites classes aient été officiellement baptisées Écoles Maternelles dès 1881, elles ont conservé très longtemps dans le pays ce nom un peu déconcertant d'asiles, qui tient de leur ancienne dénomination de "salles d'asile publiques".

Votre serviteur, comme beaucoup de ses camarades du pays, fut élève de l'asile de Marlotte; et s'il m'arrive de dire, dans nos réunions d'histoire locale, "quand j'étais à l'asile", je suis parfaitement compris de nos concitoyens qui y furent élèves aussi, mais je surprends des expressions étonnées, voire inquiètes, sur certains visages de personnes implantées de façon plus récente dans la commune!

Ce mot d'asile choque un peu au premier abord. Il faut comprendre qu'à l'origine, il y a 150 ans, ces salles constituaient bien réellement des asiles de paix et de sécurité pour de pauvres gamins souvent élevés dans d'incroyables conditions de misère et laissés à eux-mêmes; ils y trouvaient un abri, du feu, de la nourriture, et aussi un peu de chaleur humaine.

Précisons que l'asile de Marlotte resta longtemps école puis devint appartement. Depuis quelques années, il est aménagé en salle communale: c'est le 160 rue Leclerc, où nous organisons nos réunions et beaucoup de nos manifestations.

Poulbot
Lithographie anonyme (1845)

Les Origines
Sous l'Ancien Régime et même dans les premières années du 19e siècle, on s'est fort peu préoccupé de l'enseignement pré-élémentaire pour les enfants du petit peuple des villes et des campagnes.

L'enseignement primaire n'était déjà pas trop bien traité, comme on l'a vu dans nos précédents articles; on n'allait pas encore, par-dessus le marché, s'embarrasser de scolariser des marmots qui pouvaient être gardés à la maison par la maman, la grand-mère ou la sœur aînée, souvent guère plus âgée que le petit "raculot". Et s'il n'étaient pas gardés du tout, ma fois tant pis! Il en mourait déjà tant...

Cependant, le bilan n'est pas nul. Il y eut de ci de là quelques essais, non pas de scolarisation mais plutôt de gardiennage. On vit apparaître des "maisons de sevrage" puis des "écoles de charité" où l'on admettait les plus jeunes enfants, en général à partir de deux ans.

De plus en plus, vers les années 1810-1820, on se mit à organiser des garderies, le plus souvent à l'initiative des communautés religieuses ou de dames d'œuvres, quelquefois aussi grâce aux communes.

Ces garderies étaient avant tout, aux yeux de leurs fondateurs, des institutions charitables destinées aux enfants des familles les plus pauvres. Ils y étaient gardés au chaud, lavés au besoin, recevaient leur bol de soupe et leur quignon de pain.

Ce n'était déjà pas si mal, mais on était loin de parler encore de pédagogie! Et surtout, il ne s'agissait encore que d'initiatives isolées, purement locales et sans organisation à l'échelon national. Cependant on arrivait peu à peu à l'idée d'un service public, avec des règles précises et des contrôles: les "salles d'asile publiques" allaient voir le jour.

Les premières Salles d'Asile
Le mot apparaît en 1826 lorsque s'ouvrirent, dans le Bas-Rhin et à Paris, ces premières salles d'asile. Ce n'était pas de la pure philanthropie: on gardait les enfants et cela libérait les mères et les enfants plus âgés, qui pouvaient aller travailler dans les filatures et les manufactures, grandes dévoreuses de main-d'œuvre féminine et enfantine à bon marché...

Mais enfin l'idée gagnait du terrain. Louis-Philippe arrivait au pouvoir en 1830. Le roi-citoyen, fort alarmé de l'état de dégradation dans lequel stagnait l'enseignement primaire, donna carte blanche à Guizot pour réorganiser complètement cet enseignement au niveau de l'État; on en a vu les principaux développements dans nos précédents articles.

Les tout-petits ne furent pas oubliés dans ces nouvelles dispositions: dès avril 1836, le ministre de l'Instruction Publique Pelet adressait à tous les Préfets ses «Instructions pour les salles d'asyle ou premières écoles de l'enfance». C'est un fait important: l'enseignement aux très jeunes enfants se trouve reconnu et même codifié au plus haut sommet. Le mouvement est lancé, il ne s'arrêtera plus.

Et chez nous, en Seine et Marne ?
Eh bien, chez nous, on se distingue. Nous avons un Préfet dynamique, M. de Saint-Didier, qui n'a pas attendu les directives du ministre: dès 1833, il recommande à ses Sous-Préfets la création dans tous les arrondissements de "salles d'asile pour la petite enfance" à l'image de ce qui est fait à Paris et en Alsace.

Chose assez nouvelle, on voit apparaître dans sa circulaire un souci d'éducation:

"En général, dans la classe ouvrière, les parents forcés d'aller travailler pour gagner la nourriture de leurs enfants, ou bien les laissent errer dans la rue exposés à mille accidents, ou bien les enferment au risque de les rendre victimes du feu.

Quelquefois, la garde du petit enfant est confiée à l'aîné, mais alors ce dernier est privé d'aller à l'école ou forcé de renoncer à tout travail lucratifÉ

Asile
Élèes de l'Asile de Marlotte (1907-1908)
Le Bulletin des ABM publie le nom de la plupart des élès
"Le but de la salle d'asile est de remédier à tous ces inconvénients. Elle a aussi l'avantage de préparer ces malheureux enfants à une vie honnête par une première éducation morale et intellectuelle, de leur donner des habitudes d'obéissance, d'ordre et d'application."

Notre Préfet ne se contente pas de prôner; il prêche d'exemple. Son épouse et lui-même patronnent fermement la nouvelle salle d'asile qu'ils ont fait ouvrir à Melun en 1836. L'épouse du Préfet offre le matériel de ses deniers. Mais notre Préfet, trop novateur, n'est guère suivi et une véritable opposition se dresse contre ces asiles, "objets d'engouement et de mode voués à ne pas durer".

Le Préfet persiste et les choses s'organisent malgré tout. Le 20 septembre 1836 paraît un "réglement intérieur de la salle d'asyle de Melun, établie principalement en faveur des enfants pauvres". En 1837, ce réglement est précisé. C'est déjà un vrai réglement scolaire. L'enseignement est gratuit. les enfants sont admis de 2 à 6 ans. On déclare que "l'intelligence des enfants doit être graduellement développée sans que jamais elle soit fatiguée par une application trop soutenue" (il est beau de lire cela dans un texte datant de presque 150 ans !).

Les punitions autorisées vont de la figure contre le mur à l'expulsion, et "les dames patronesses doivent visiter l'école chaque jour, contrôler le bon état de santé, voir si l'eau filtrée et l'eau de mélisse sont de bonne qualité".

Les asiles progressent rapidement dans notre département. En 1840, on y trouve déjà 9 salles d'asile. En 1847, un recensement est fait par arrondissement. En 1858, on compte une soixantaine d'asiles en Seine-et-Marne (dont 2 à Bourron-Marlotte). Il y en aura 110 en 1879, 124 en 1881 avec plus de 9.000 élèves.

Le caractère de ces asiles évolue sérieusement, surtout à partir de 1850. Ce ne sont plus de simples garderies. Ils perdent peu à peu leur caractère purement charitable et s'ouvrent de plus en plus aux enfants de toutes les classes sociales. Ils ne se confinent plus aux villes industrielles et gagnent les bourgs ruraux: enfin on voit s'élaborer une pédagogie propre à ce niveau d'âge. On peut donc déjà parler de véritables écoles.

Bien entendu, comme pour tout l'enseignement en France à cette époque, il s'agit toujours d'écoles catholiques, contrôlées par le clergé. Une seule salle d'asile, dans ce département, est commune à plusieurs cultes, mais je n'ai pu savoir où elle se trouvait.

Signalons que, dès 1855, Napoléon III a organisé pour toute la France l'administration de ces salles d'asile, dont le parrainage national avait été confié à l'impératrice Eugénie par décret du 16 mai 1854.

Et à Bourron-Marlotte ?
Notre commune suit allègrement le mouvement: nous avons même deux asiles, un à Bourron et un à Marlotte! Celui (ou celle) de Bourron, premier en date, est ouvert vers 1850, peut-être avant, chez les Sœurs des Écoles Chrétiennes appelées en 1842 par le curé Oudin. Cette classe existe de façon certaine en 1850, avec la classe primaire de filles, dans la maison des Sœurs, face à l'église. Elle sera entièrement reconstruite en 1870, dans la même enceinte de bâtiments. La directrice de l'ensemble est Sœur Emilienne. Mais Bourron est bien loin pour les petites jambes marlottines.
Asile
Dessin de Poulbot pour le roman "La Maternelle" de Léon Frapié
Il faudrait un asile pour Marlotte aussi. C'est fait en 1852, sur l'initiative de l'abbé Pougeois, curé de Bourron depuis 1848, qui écrit dans ses notes: «Le curé, de concert avec l'autorité municipale, voulant pourvoir aux désirs et aux besoins des habitants de Marlotte, fondent dans ce hameau une salle d'asile, succursale de celle de Bourron, dans une maison appartenant à l'abbé Marchand, alors vicaire à la cathédrale de Meaux, qui l'appropria et la loua à la commune. Nouvelle salle bénite en décembre 1852.»

Et voilà lancé, pour une centaine d'années, notre asile de Marlotte. Il est organisé selon les termes du décret impérial de 1855, dès que celui-ci est publié: il est soumis à un comité de parrainage composé du maire, du président, du curé et de dames nommées par le Préfet. Cette petite classe est tenue par une Religieuse de la maison de Bourron; à partir de 1861 au moins, ce sera Sœur Ildefonse, qui la tiendra jusqu'à 1902, date de la laïcisation.

L'asile de Marlotte devient propriété communale en 1867 par rachat à l'abbé Marchand, qui délivre son dernier reçu pour solde de tout compte en 1873.

L'asile de Bourron est également propriété communale depuis 1860. En fait, le baron de Brandois, châtelain du pays et mécène de la reconstruction de l'église, avait racheté en 1852 toute la maison des Sœurs (en grand danger d'être vendue à l'encan faute de fonds pour achever de la payer) et il en avait aussitôt fait don à la commune ; mais l'acte de donation ne fut régularisé qu'en 1860.

C'est aussi en 1852 que les Religieuses de Bourron avaient été reconnues "institutrices communales". Les deux asiles de Bourron et de Marlotte sont déclarés officiellement salles communales en 1860.

Chacune de ces deux écoles reçoit une cinquantaine d'élèves par an. L'effectif est constant pendant de longues années. Selon les périodes l'enseignement est gratuit ou payant. Le taux est d'abord de 1 franc par élève et par mois, mais il y a beaucoup d'élèves à titre gratuit (curieusement marqués par un P dans les registres).

Puis l'asile devient gratuit pour tous, mais la sœur directrice continue d'inscrire ponctuellement 1 franc par mois devant le nom de chaque élève présent: cela sert à calculer "l'éventuel", c'est-à-dire la partie du traitement non fixe et dépendant de la fréquentation.

D'une façon générale, les asiles suivent les mêmes règles que les "grandes écoles" pour la rétribution des maîtres, les horaires, les congés, etc. Nous n'y reviendrons donc pas.

L'Asile de Bourron
L'histoire de l'asile de Bourron n'est pas très facile à dégager pour ces années 1850-1880, car cet asile fait partie intégrante de l'école religieuse des filles, et il est donc géré avec l'ensemble de l'école, tandis que l'asile de Marlotte, nettement distinct, a ses comptes particuliers. De plus, les archives de l'ancienne école de filles ont été moins bien conservées que celles des autres écoles.

Enfin, l'asile de Bourron bénéficie de l'aide financière apportée par les châtelains à l'école des Sœurs, mais sa part n'est pas précisée. On sait cependant que l'asile comportait un pensionnat.

Bénite le 23 juillet 1871 après sa reconstruction, la nouvelle classe d'asile de Bourron mène une vie sans histoire au sein de l'école de filles, mais cela va se gâter... Voilà que nous entrons dans cette période brûlante des années 1902-1907 qui vit de si virulentes "batailles des Congrégations", surtout après la loi de séparation des Églises et de l'État et l'interdiction d'enseigner appliquée aux Congrégations religieuses.

Dans le précédent article, j'ai parlé des fumants accrochages qui marquèrent cette période à Bourron: refus par le Conseil d'accorder l'autorisation d'ouvrir ou de maintenir l'école des Sœurs, refus de payer le chauffage de "l'asile congréganiste" de Bourron, pétitions en faveur des Religieuses, vive agitation dans le pays et manifestations tournant à l'antirépublicanisme, grave crise au sein du Conseil...

Enfin, force reste à la loi. L'asile de Marlotte est déjà dans le giron de l'enseignement public depuis 1902 ; l'asile de Bourron, pris en charge par le châtelain, livre des combats de retardement pour sa survie, et, de sursis en sursis, on arrive à cette fin de 1906 où la lutte se termine. La suppression de "l'école maternelle congréganiste de Bourron" est prononcée définitivement par décret ministériel du 20 juin 1907.

Le Conseil Municipal se préoccupe aussitôt de la remplacer par une garderie communale. Elle fonctionnera selon le calendrier scolaire en vigueur, de 8 à 11 heures et de 13 à 16 heures, mais avec 15 jours seulement de grandes vacances. La gardienne aura obligation de faire réchauffer les repas de midi apportés par les enfants, et de surveiller ce repas ainsi que le goûter de quatre heures. Elle sera logée et touchera un traitement annuel de 450 francs.

Asile
Classe de l'école maternelle de Marlotte en 1931-1932
Les enfants y seront admis gratuitement de 3 à 5 ans; les moins de 3 ans pourront être admis après entente entre la gardienne et les parents, qui dans ce cas lui verseront une rétribution.

La gardienne devait être nommée par le Conseil. 5 candidates postulèrent. Mme Picard fut élue à une courte majorité, et entra en fonctions le 1er janvier 1908 seulement, car il avait fallu d'abord approprier les locaux. Elle était encore gardienne en 1915, date où le Conseil mit à sa disposition du papier peint pour son appartement.

L'Asile de Marlotte et sœur Ildefonse
La classe enfantine de Marlotte, affectée à cet usage dès 1867, va connaître bien des aménagements.

Mais, avant d'en évoquer les transformations, parlons un peu d'une figure célèbre dans le pays, qui tint cette école pendant plus de quarante ans: dame Catherine Fagnet, en religion sœur IIdefonse (ou Hildefonse).

Née en 1836, sœur Ildefonse est nommée à Bourron en 1861 et on lui confie l'asile de Marlotte. C'est une forte personnalité, excellente personne (mais pas toujours commode si j'en crois certains témoignages transmis oralement d'une génération à l'autre), et parfaitement dévouée à sa tâche.

En 1914, ayant quitté depuis 1902 sa classe laïcisée mais restée à Bourron avec sa communauté comme sœur-infirmière, elle obtient un prix de vertu de l'Académie Française, de 500 francs s'il vous plaît! Dans son discours, le rapporteur Maurice Donnay vante ses mérites:

«Pendant 43 ans elle est allée, par tous les temps, sans jamais se laisser rebuter par la fatigue ou une difficulté quelconque, tenir l'asile de Marlotte, village dépendant de la commune de Bourron et situé à 1 500 mètres de la maison à laquelle elle est attachée.

En 1870, elle n'a pas cessé de faire sa classe pendant toute la durée de l'investissement (nous dirions aujourd'hui l'occupation), reconduisant chaque enfant à son domicile et ne songeant à prendre son repos que lorsque tous les petits êtres qu'on lui avait confiés étaient rendus à la protection de leurs parents.

Au cours de ce long stage à l'école maternelle de Marlotte, sœur Hildefonse a d'ailleurs sauvé la vie à trois enfants: l'un d'entre eux, qui allait mourir étouffé, a été sauvé par sa présence d'esprit; un autre a été retiré par elle d'une mare où il était tombé; enfin, au péril de sa propre vie, elle en a retiré un troisième de dessous les pieds d'un cheval. Depuis que la loi a fermé son école, sœurs Ildefonse passe sa vie à soigner les malades.

Elle est aujourd'hui âgée de 77 ans, mais son grand âge n'a pas affaibli son besoin de dévouement.»

(Petit rectificatif aux paroles de l'illustre académicien: la loi n'avait pas "fermé son école" mais l'avait transformée en école non confessionnelle. Nuance !).

Dans ses notes sur Bourron-Marlotte écrites vers 1950, Mme Suzanne Vaillant-Saunier évoque ses premiers souvenirs scolaires à l'asile, en 1886, sous la férule parfois un peu lourde de la chère sœur Ildefonse (les élèves disaient "chère sœur" en s'adressant aux Religieuses) :

«C'est à l'asile de Marlotte que j'ai pris contact avec les études. Je me souviens de cette salle, qui me paraissait immense. Un tableau noir pendu au mur. En face, des gradins. Je me vois perchée tout en haut, écoutant les leçons que sœur Ildefonse nous expliquait en nous montrant les lettres sur le tableau au moyen d'une grande baguette. Quand on répondait bien, elle nous donnait de ces petits gâteaux qu'on appelle des croquignoles. Que n'aurait-on pas fait pour une pareille récompense! Je parle à cette époque de 1886. Sur un côté de la salle, de grandes caisses comme celles que certains épiciers ont pour mettre les légumes secs, une paillasse dedans afin d'y coucher les petits qui dormaient...

Cette année 1886, l'école comptait 25 garçons et 24 filles. Quel joli bruit de sabots et de galoches cela devait faire sur ces gradins rustiques !»

Inventaire du Matériel d'un Asile
de ce département en 1850

Je n'ai pas pu reconstituer l'inventaire du matériel de nos asiles, car je n'ai trouvé que des indications fragmentaires et dispersées. Toutefois, il semble bien comparable à celui de l'asile de Favières, tenu par des Sœurs comme les nôtres, en 1850 : inventaire que voici.
Inventaire

L'Asile de Marlotte
devient "École Maternelle"

Pour pittoresque qu'elle fût, cette école n'en était pas moins fort ancienne et plutôt vétuste. Cette très vieille maison de la rue Leclerc, devenue salle communale, fait partie d'un ensemble très ancien qui va de la Nicotière aux Marronniers où se trouve la vieille crypte du 14e siècle, tout cela truffé de souterrains et riche d'histoire.

Mais ce bâtiment n'était guère adapté à l'usage d'école. Il fallait donc réparer, aménager et même agrandir. En 1893, on construit une chambre mansardée. En 1897, il est question d'y installer une pompe, pour laquelle un crédit de 200 francs est voté, mais l'affaire reste en discussion et finalement débouche sur un arrangement : il existe déjà un puits près de l'asile, et ce puits est déjà utilisé par l'asile et les ménages voisins; on installera une pompe sur ce puits, sur devis de 650 francs de la maison Gilles; la mairie y participera pour les 200 francs prévus et les usagers voisins paieront le reste.

Notons ici que le mot "asile" n'a plus cours officiellement. Depuis 1881, c'est l'école maternelle du hameau de Marlotte, mais le mot d'asile restera durablement employé dans le parler local.

Il faut ajouter aussi que cette classe est dès ce temps un vrai cours préparatoire: on y apprend à lire, on y compte sur boulier et même on a droit aux leçons de choses!

En 1902, grosse affaire: on décide la construction d'un préau couvert, mais c'est une lourde dépense: le projet est ajourné, car il y a quelque chose d'important dans l'air: la laïcisation de l'école maternelle. Elle est prononcée en août 1902 en même temps que celle de l'école de filles. Il faut donc aussi aménager un logement pour la nouvelle institutrice laïque annoncée: Mlle Augusta Decogné, sœur cadette de Mlle Isabelle Decogné qui prend en charge l'école de filles. Le Conseil admet que, si les deux sœurs peuvent quelque temps habiter ensemble, il est normal que chacune dispose d'un logement particulier. Ce sera bien nécessaire d'ailleurs, car très peu de temps après, Mlle Augusta rejoint sa sœur aînée comme adjointe à la grande école, et c'est une autre maîtresse, Mlle Solin (future Mme Nizart) qui prend le poste.

Le projet de construction connaît bien des mésaventures. Le Sous-préfet déconseille vivement l'aliénation d'une rente possédée par la commune pour régler les travaux, et conseille l'emprunt sur trente ans; le devis est refait plusieurs fois et chaque fois il est plus important; la subvention ministérielle est retardée d'année en année.

Enfin, en 1906, c'est fait: la subvention est enfin versée, l'emprunt est souscrit, et l'adjudication des travaux est faite en juin.

En 1903, une allocation de 100 francs est votée à la maîtresse de la classe pour garder les enfants après 4 heures, à la demande des mères de famille occupées aux champs pendant la belle saison. Elle sera reconduite d'année en année pendant longtemps.

L'Affaire "de Penne"
Vers cette époque se situe la petite bataille qu'on pourrait appeler "l'affaire de Penne". En 1904, un conseiller rappelle que M. Olivier de Penne, artiste-peintre récemment décédé à Marlotte, avait fait don à l'école enfantine de cette localité d'un certain nombre de tableaux alphabétiques ornés d'animaux peints de sa main pour l'enseignement de l'histoire naturelle; mais que, lors de la laïcisation, lesdits tableaux ont été emportés par les Religieuses, et qu'il serait bon de les récupérer pour l'école publique.

Et voilà déclenchée une petite guéguerre, tout de suite colorée de passion en ces temps de querelle sur les Congrégations. Les clans se forment; une partie du Conseil estime que ces tableaux ont été donnés par le peintre à l'école pour l'enseignement, et non pas personnellement aux Sœurs. Pas du tout! retorquent les partisans de celles-ci, le cadeau était bien pour les Sœurs, avec lesquelles le peintre entretenait des relations de bon voisinage.

Pour finir, les Religieuses produisent une attestation écrite sur papier timbré de Madame de Penne, affirmant que les gravures avaient bien été données en propre aux Sœurs par son mari! L'incident est donc clos, mais plusieurs conseillers, ulcérés, parlent de refuser le crédit de 50 francs que la commune devait voter pour la souscription au monument De Penne, qui devait être érigé l'année suivante. D'où nouvelle querelle...

Pour finir, le crédit fut quand même voté, et le monument inauguré en grande pompe en 1905 - ce qui donna à notre toute jeune fanfare municipale l'occasion de se manifester pour la première fois.

Olivier de Penne
Buste du peintre Olivier de Penne
Et voilà... l'ancien asile est maintenant une véritable école. Les jeunes institutrices s'y succèdent: Mlle Augusta Decogné qui, fort jolie, épousa un riche Helvète et quitta l'enseignement; Mlle Solin, devenue Mme Nizart ; Mlle Richard, Mlle Volck, Mlle Simon, et, plus près de nous, Mlle Gay.

Certaines allaient de la maternelle à la grande école et vice-versa, car l'école maternelle était considérée comme une annexe de l'école de filles et ses institutrices comme des adjointes. C'est à ce titre que Mlle Pain, directrice des filles, demanda en 1915 un relèvement du crédit affecté à cette école maternelle, qui était de 10 centimes par enfant... Elle demandait, et elle obtint, 60 centimes. Peu après, le crédit annuel par élève passa à 1 franc puis à 2 francs. Nous n'en étions plus à la grande stabilité du franc-or!

Nous nous arrêtons ici pour cette école de Marlotte. Les marmots se sont envolés, mais la maison n'a guère changé extérieurement ni même intérieurement, le petit préau qui coûta si cher est toujours là ; mais on n'y trouve plus le superbe marronnier sous lequel, aux heures chaudes, notre petit peuble se rameutait. Je crois pourtant qu'il est resté pour jamais dans notre mémoire à nous, les "anciens de l'asile...".


Henri Froment

Henri Froment
Faute d'avoir pu retrouver la photo scolaire de groupe de cette époque, voici celle de l'auteur de cet article, (Henri Froment) faite le même jour à l'Asile en 1924. Il venait de pleurer, car il ne voulait pas être photographié. Suzanne Pointe le consola. Merci encore à elle, soixante ans après.

LIRE AUSSI :

L'enseignement à Bourron-Marlotte

- La Bibliographie de ces articles parus en 1983 dans les N° 13-14 et 15 du bulletin des ABM, est disponible à la fin de la 2ème partie. - Les illustrations ont été choisies par le webmaster du site. L'ouvrage Histoire de Bourron-Marlotte des origines à nos jours d'Henri Froment, auquel nous empruntons beaucoup est toujours disponible à la Mairie.

Sources et Pages à visiter :

Froment livre

Un livre incontournable, en vente à la Mairie
Les Amis de Bourron-Marlotte (ABM)

 
 
Haut       Accueil       Bourron-Marlotte       Grandes heures